Bande son conseillée
On a vieilli dans mon croisement
C'est d'autres gens qu'en sont sortis
C'est réussi on est plus grands
Mais maintenant y'a moins d'ici
(...)
Messieurs dames j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle
La bonne il ne pleut pas dehors
Et la mauvaise je ferme
Loïc Lantoine - Je ferme
101 Remus De la lune et de l'étoile
Les coups sont sourds, lents, puissants. Ils m'arrivent de loin. Comme au travers de murs très épais. Ou de très près - comme savoir ? On dirait les pulsations de mon sang.
Je les connais, ces pulsations, toujours plus fortes quand la lune croît. Quand sa lumière s'affirme sur la terre. Quand nul ne peut y échapper. Surtout pas moi.
Comme ces dents qui m'ont marqué il y a tellement de temps.
Je tenais la main de ma mère. Elle ramassait des herbes pour les revendre au magasin de potions. Sa main était chaude dans l'air froid de la nuit. Rassurante dans l'ombre de la forêt. On avait vu des daims. Je n'avais pas peur.
Après, je ne sais plus vraiment.
Tant de fois j'ai essayé de me rappeler. Ai-je lâché sa main ou était-elle trop chargée ? Ai-je traîné derrière, attiré par le reflet de la lune dans une flaque ? Couru devant, content de rentrer à la maison ? Ma mère ne m'emmenait pas toujours avec elle le soir. Elle n'avait pas voulu me laisser seul cette fois-là, ça je m'en souviens, à cause de ce sale type qui avait proféré des menaces contre mon père... Est-ce que je le savais alors ou ai-je fini par construire mon souvenir autour de ce détail parce qu'on me l'a raconté ? Difficile de faire la distinction.
Tout était sombre quand ça s'est passé, j'en suis sûr. Si la lune était là, elle m'était cachée et l'éclat des étoiles ne nous parvenait pas. Sombre, comme maintenant. Comme là où je suis. Tout était devenu tellement silencieux. Brusquement. Juste après, il n'y avait eu que ces dents brillant dans la lune pleine. Les cris de ma mère, je ne les ai entendus que plus tard. Quand les miens avaient cessé de remplir mes oreilles.
Et depuis, tous les mois, avec une régularité que leur envierait le Poudlard Express, ces pulsations...
Quelque part, ça devrait me rassurer, je me dis. Rien que de les entendre je devrais savoir que je suis vivant. Un monstre vivant.
Bizarrement, l'idée n'est pas douloureuse. Elle me fait même sourire. Elle me rappelle autre chose : un garçon de quinze ou seize ans, terriblement brun et ombrageux. Il voulait tout le temps que je lui dise qu'il n'était pas un monstre… lui. Les souvenirs se télescopent. Ce jeune homme s'appelle Sirius et il répète des nuits entières que JE ne suis pas un monstre.
Lequel est le bon souvenir ?
Cyrus, souffle une petite voix logique par dessus les pulsations du sang. Cyrus voulait que tu lui dises qu'il n'était pas un monstre... Et Cyrus... Cyrus était ton fils...
J'avais donc eu un fils ?
Comme une réponse à cette question incertaine, un chien s'impose dans mon esprit. Un puissant labrador noir sort sans effort d'une eau éclairée par la lune. On est séparés par cette rivière assez large qui est apparue avec lui. Il a l'air d'hésiter. Pourtant les labradors savent nager, je m'étonne mollement. Je voudrais qu'il me rejoigne, je me rends compte.
Une sorte de dauphin, un peu rose dans la lumière blafarde de la lune, saute au-dessus de l'eau dans un arc presque parfait. En rythme avec les pulsations que j'avais presque oubliées. Pas un dauphin, un lamentin, corrige la voix du jeune garçon qui ne voulait pas être un monstre. Ou un boto, dit une femme en portugais. Sirius l'avait aimée cette femme, me raconte ma mémoire. Mais Sirius avait disparu... comme une étoile filante, consumée par trop de vitesse, de droiture et de refus du compromis.
Et la femme ? Elle est toujours là ? je m'interroge.
Tout ça n'a aucun sens, je décide, et je vais retourner à mon obscurité. A mon silence. Tout cela est mieux pour les monstres comme moi. Les femmes, les enfants et les chiens ne devraient pas m'approcher. Surtout quand les pulsations de mon sang sont aussi fortes. Quand la lune éclaire le monde avec une insistance un peu inquiétante.
Toujours de l'autre côté de la rivière, le labrador n'a pas l'air d'accord. Il aboie comme pour attirer mon attention. Je ne sais pas comment lui répondre, je me rends compte. Pendant que je considère cette nouvelle limitation apparaît, à ses côtés, un loup blanc avec des cercles plus sombres autour des yeux. Tout devrait les séparer, mais ils n'ont pas l'air agressifs l'un envers l'autre. Les deux canidés me regardent de conserve un instant, puis se mettent à suivre la rivière éclairée par la lune en courant. Comme s'ils voulaient rattraper le lamentin, je me dis. Ils avancent à longues foulées souples et, moi, je ne bouge pas, et pourtant je suis en permanence à leur hauteur, juste de l'autre côté de la rivière.
La lune les éclaire de très haut ; elle fait briller leur pelage. Je vois aussi des étoiles - une constellation inhabituelle, telle qu'on en voit que dans les livres ou dans les ciels tropicaux. Elles doivent être particulièrement brillantes, je réalise, pour s'imposer à la lune. L'étoile du Sud, souffle Sirius un peu exaspéré par la lenteur de mon esprit. Malghanica, traduit Aesthélia. C'est le nom de la femme qu'il a tant aimée.
Comme si les noms avaient une quelconque importance.
Mon fils qui ne voulait pas être un monstre avait cette constellation autour du cou, insiste ma mémoire. Une fois, il avait perdu sa médaille sur les toits de Poudlard et je l'avais grondé. Non, il l'avait perdue deux fois... et moi, j'avais chaque fois été terrifié de le perdre lui. Comme j'avais été terrifié de perdre un jeune homme à lunettes qui devait affronter une prophétie monstrueuse avant même d'avoir été amoureux. Lui aussi, c'est ton fils, prétend cette voix agaçante qui semble échapper à toute logique. Un serpent a voulu l'étouffer, rappelle-toi ! Rien que d'y penser, j'en ai le souffle court et oppressé. Comme si j'avais réellement assisté à cette scène.
Je lutte pour reprendre le contrôle de mes pensées - je dois les mener loin de ces fils improbables et des ennuis qu'ils semblaient attirer sur eux. Sur moi. Je dois retrouver le silence et la paix - comme avant les dents dans la forêt.
Je n'en ai pas le temps. Ils sont trois maintenant de l'autre côté de la rivière. Un colley fin et soyeux est venu les rejoindre. Ils ne se ressemblent pas et, pourtant, je sais qu'ils sont une meute. Je les trouve magnifiques, et ça emplit tout mon cerveau - au-delà des noms, des fils, des étoiles rares, des souvenirs incertains ou de la logique.
Apparue de la lune, une chouette descend en piqué sur eux. Ils l'accueillent et l'encouragent, et elle devient deux jeunes renards vifs qui se roulent entre leurs pattes.
Il me semble que les pulsions de mon sang accélèrent.
C'est ta meute, dit la petite voix de tout à l'heure - celle qui prétendait déjà que j'avais un fils puis deux. Voilà qu'elle veut que j'aie aussi une meute ! D'abord, j'en rirais comme d'une mauvaise farce et puis la tentation d'y croire me paraît pire encore. Dans une autre vie - coincée entre cette fatale nuit en forêt et ce soir - j'ai fait partie d'une meute ; elle a été décimée. La douleur a été terrible. De nouveau, la tentation du néant est là. L'obscure place du monstre. Reposante et sûre.
Sauf que le silence m'est refusé. Il y a ces pulsations. Il y a les aboiements insistants de chiens, la plainte du jeune loup blanc, les jappements des renardeaux qui deviennent des hululements de chouettes. Comme une coalition contre le silence auquel j'aspire.
Mais non, dit la voix intérieure qui a déjà émis des idées plus que bizarres auparavant. Tu ne veux pas de silence. Tu en as soupé du silence. Tu aimes le tapage qu'ils font dans ta vie ; les soucis qu'ils t'apportent et l'affection qu'ils professent pour toi.
Affection, tapage et soucis... les mots ouvrent des vannes inattendues. Il y a un petit garçon aux cheveux incoiffables qui se jette sur mon lit le matin et réclame une histoire - encore une histoire ! Il y a un autre garçon, maigre et tremblant dans un aéroport qui prend résolument ma main. On traverse ensemble la Grande Salle de Poudlard pleine à craquer. Il y a une femme étonnamment jeune qui laisse, dans un grand éclat de rire, l'avenir tracé et radieux qui s'offre à elle pour apporter son soutien à un monstre aux dents brillantes. Il y a un garçon blond et une fillette brune qui se précipitent dans mes bras quand j'ouvre la porte d'un appartement. Ils n'ont aucune peur des dents qui brillent dans la nuit.
Ma meute.
Quand je réalise que la petite voix a donc raison, la rivière monte jusqu'à moi et me soulève. Je ne peux toujours pas bouger ou parler, mais ça ne m'inquiète pas. Les flots sont frais contre ma peau, et je ne m'enfonce pas vraiment. Le boto revient un temps me porter ou plutôt m'accompagner. Il me chuchote à l'oreille que les hommes ont choisi une vie trop limitée il y a longtemps, mais que les femmes sont belles et désirables. Surtout quand elles dansent à la lumière de la Lune. Sa voix est un clapotis mais je le comprends. Elle me dit aussi que certaines distinctions ne tiennent pas contre les liens du coeur. Un peu plus loin, un lotus géant m'aide à passer une cascade. La meute court sur la rive dans son joyeux tapage.
J'ai envie de rire.
Ça vient de mes tripes, là où naissent ces pulsations sourdes. Ça remonte le long de mes côtes, ça emplit mes poumons, ça hérisse mes poils. Le rire fuse, étonnamment jeune pour un vieux monstre comme moi. Comme une seconde naissance.
Ou une troisième.
Emporté par le flot, abandonné par le boto comme par le lotus, j'échoue sur une plage où la meute m'entoure immédiatement. Leurs mains chaudes sont sur moi. Leurs yeux sont joyeux devant mon rire, et je sais les nommer : Cyrus, Harry, Dora, Kane et Iris. Ma meute, mes soucis, mon tapage. La lune et l'étoile du sud brillent dans le ciel au dessus de nous puis autour de leurs cous. Je sens une chaleur autour du mien et je sais que je suis leur miroir.
Ce rêve est décidément trop étrange.
Je vais me réveiller.
oo
"Remus", sanglote Dora sur ma poitrine. Je sens la chaleur de ses larmes au travers de la chemise que je porte, étonnamment blanche, comme un reflet de la lune.
"Hé", je souffle en levant doucement ma main droite pour la laisser glisser sur ses cheveux châtains sans aucun artifice. Je ne trouve rien de mieux à dire que : "Ne pleure pas, Dora !"
"Je fais ce que je veux", elle marmonne en prenant mon visage dans ses deux mains en plantant ses yeux pleins de larmes dans les miens pour exiger : "Parle encore !"
"Parler ?", j'articule péniblement. Il me semble que les muscles de ma mâchoire sont ankylosés.
"Mae, laisse-le reprendre ses esprits", souffle Harry par dessus son épaule.
"Oui", elle accepte étonnamment facilement, en se redressant. Ses mains ont emprisonné la mienne - celle qui avait été se nicher dans ses cheveux.
"Tu te sens comment ?", questionne alors très bas Cyrus. Il a des larmes au bout des cils et une voix sourde. Ce chagrin qu'ils semblent tous avoir m'inquiète d'un seul coup. Il me semble encore sentir le rire dans mes côtes pourtant.
"Comment ça ?", j'arrive à articuler en essayant de me redresser. Je suis dans un étrange sarcophage de bois ; ils sont assis sur les bords.
"Tu as été près de trois semaines dans le coma", explique Harry en me tendant la main pour m'aider à finir de m'asseoir. Le bois est rugueux et odorant. Comme les pulsations, ces sensations s'imposent à moi sans que je puisse les éloigner.
"On t'a ramené", glisse joyeusement Kane par dessous le bras de son grand frère. Ses yeux pétillent dans un contraste confiant avec les larmes de Dora, Harry et Cyrus.
"Tous ensemble", souligne Iris de l'autre côté du sarcophage. Elle a l'air de trouver cette distinction très importante. Je le lis dans ses yeux gris.
"Trois semaines", je répète avec une bonne dose d'incompréhension.
D'où prétendent-ils m'avoir ramené ? Où pouvais-je être ? Dans un sarcophage de bois odorant ? Mes yeux quittent leur visage pour regarder au-delà. Il y a des arbres hauts et imposants et indéniablement tropicaux. Il y a au dessus de moi, un gigantesque tronc évidé qui continue de battre selon ces pulsations qui semblaient venir de mes tripes. La lune est dans l'alignement de ce fût, comme la confirmation qui manquait.
"Écartez-vous", je crie donc en les repoussant de mes mains. "Écartez-vous"
"Tu ne vas pas te transformer", affirme Harry en remontant ses lunettes. "Ce n'est pas encore la pleine lune."
"Au pire, on est là", rajoute Cyrus avec sollicitude, une main rassurante sur la mienne.
"Mais..."
"Ils t'ont rempli de potions", indique ma Dora avec son premier sourire en coin. "Je me disais que jamais ton estomac recroquevillé depuis des semaines n'allait les garder... Mais si. Et puis il y a le réseau de statuettes de Livia... Elle prétend qu'au milieu de tout ça, aucune transformation lycanthropique n'est possible !"
"Qui ça ?", je questionne avec fatigue. Des potions, des statuettes... il me semble que je devrais savoir de quoi ils parlent.
"Toute une équipe", répond Harry avec un amusement certain. "Il y a Livia et Fiametta de Lo Paradiso ; Tiziano aussi. Aesthélia, évidemment. Une bande de Guaranis dont je n'ai pas retenu tous les noms.."
"Et puis une Française", l'interrompt Cyrus l'air plus joueur que précédemment.
"Une amoureuse", précise Iris.
Harry s'est empourpré comme une confirmation inutile. Moi, je suis dépassé par les informations.
"Tu peux te lever, Remus ?", demande alors Dora - ma Dora.
Je décide d'essayer. Ne serait-ce que pour la serrer dans mes bras. Pour tous les serrer dans mes bras. Mes fils - mes si grands fils - me tirent du sarcophage. C'est plutôt une barque, une de ces pirogues creusées dans un tronc comme on en voit en Amazonie. Les choses se mettent en place en même temps que la tête me tourne. Ils sont immédiatement là à me soutenir. Les deux petits auraient fait la même chose si Dora ne les avait pas retenus.
Je leur offre un sourire tout en me repaissant de les voir tous autour de moi. Comment ai-je pu douter ? J'ai une meute que je défendrai envers et contre tout. Ils sont tous vêtus de blanc, comme moi, je réalise. Comme une série de silhouettes que je devine maintenant au deuxième plan. De loin en loin, je vois du rouge. La lune et le sang, je me dis avec une paix que j'aurais longtemps enviée. La magie est partout, je la sens dans l'air que je respire. Je décide de m'appuyer sur elle et je peux lâcher les bras de mes fils aussi bruns que j'ai été blond.
"Ça va ?," vérifie Cyrus.
J'opine en portant ma main à mon cou parcouru d'un étrange picotement. Je sens sous mes doigts une médaille de métal. Je peux compter les sept petits rubis qui l'ornent, figurant les étoiles de la Croix du Sud. Blanc et rouge, lune et sang...
"Aesthélia te l'a donnée... Elle en a donné à tout le monde", commente Cyrus avec une nouvelle dose d'émotion. Je sais d'où elle vient. " Elle... a dit que... nous étions sa famille... tous et..."
"On se demande où elle a pu penser qu'adopter était une solution", se moque gentiment Harry.
Cyrus lui met une bourrade sans conviction dans le bras.
"Elle est là ?", je questionne.
Dora se détourne pour lui faire signe de venir.
"Remus", sourit Aesthélia en s'avançant. Il y a du soulagement dans ses yeux verts. De nouveau, cette inquiétude que j'ai générée pour les autres. Pour les miens. Tous les miens.
"Je suis désolé d'avoir causé autant de soucis", j'essaie donc avec sincérité.
"Pas de ta faute", affirme Cyrus avec cette colère bouillonnante que je reconnais, elle aussi.
"Il va dire que c'est la sienne", me prévient Harry en levant les yeux au ciel.
De nouveau, des paquets d'informations se connectent aux autres. Cyrus avait disparu dans la forêt amazonienne et, une nouvelle fois, nous n'avions que sa médaille. Celle qu'Aesthélia lui avait offert à sa naissance - une identité, une liberté, une vie. Cyrus s'était échappé de ses ravisseurs avec Aesthélia, je m'en souviens, et d'autres - dont un jeune Guarani qui réussissait à communiquer avec son oncle... J'étais parti au Brésil mener les recherches alors que Dora aidait Harry en Suisse... Je me souvenais d'une traque dans la forêt, de combats magiques assez violents...Quand et comment étais-je tombé ? Pourquoi je ne m'en souvenais pas ?
"Vous allez tous bien", est le seul commentaire qui me vient.
"Oui", promet Dora, les autres semblent incapables de le faire.
Je fais un pas vers Aesthélia pour la remercier sans doute, et je vois Ginny, un peu en retrait derrière l'ethnomage. Ses joues dégoulinent de larmes et, quand je lui souris, elle se jette dans mes bras.
"Remus, on a eu si peur !", elle souffle dans mon cou. "Tellement peur !"
"Vous m'avez ramené", je répète sans savoir qui j'essaie de convaincre exactement.
"Harry et Cyrus... ils ont remué ciel et terre", elle rajoute.
Instinctivement, j'ai peur des risques qu'ils ont dû prendre. Des magies qu'ils ont invoquées.
"On l'a tous ramené", grommelle Iris dans mon dos - visiblement ce n'est pas un point sur lequel elle est prête à transiger.
"Grâce à Cyrus et Harry, à la magie de Lo Paradiso et celle de l'Amazonie, nous tous t'avons ramené", complète Dora comme si elle avait lu dans mes pensées. A l'entendre, il ne faut pas s'inquiéter.
"Lo Paradiso", je répète alors que Ginny se recule un peu. Est-ce qu'on peut être plus loin des refuges lycanthropes d'Italie du Nord ?
"Aradia,elle... elle ne pouvait pas être là, mais..", commence Harry avec une gêne certaine. Je me rappelle de cette jeune fille, cette jeune louve, qui l'avait envoûté. Il me semble savoir que le charme s'est rompu depuis. D'où est-ce que je sais ça ? " Livia et Fiametta ..."
"...devront être remerciées", complète Dora sur un ton qui indique qu'elle estime, de nouveau, que ce n'est pas le moment.
"Comme Tiziano et Brunissande", continue Cyrus avec une certaine gaieté. "Ou Bettany !"
Il a accompagné son énumération d'un geste circulaire vers la clairière. Je reconnais Tiziano qui se tient entre une petite femme que j'avais croisée à Lo Paradiso et une jeune femme rousse qu'il me semble avoir déjà rencontrée aussi, mais à Venise cette fois. L'amie d'Aradia, précise ma mémoire. A leurs pieds, il y a une statuette et une coupelle remplie d'un liquide qui reflète la lune. Cinq mètres à droite, il y a une autre statuette et une autre coupelle. Une grande fille blonde est à côté avec un garçon athlétique aussi. Bettany et Joachim, les nomme ma mémoire qui semble mieux fonctionner que moi. Elle est Américaine et il est Brésilien.
"Il ne faudra pas oublier Abilio, Tiago ou Sol", rajoute Ginny.
"Mais surtout pas Brunissande", insiste Cyrus pour le plus grand agacement de son frère.
Iris lâche alors la main de sa mère pour s'enfoncer dans la semi-obscurité qui nous entoure. Elle revient avec une jeune femme de type européen qui a l'air très intimidée. Son cou gracile porte une médaille, je remarque, en en concluant quelle doit être Brésilienne.
"C'est Brunissande, elle est Française, et c'est l'amoureuse de Harry", explique Iris en se plantant devant moi. "Aesthélia a dit que c'était sûr cette fois."
"Vraiment ?", est la seule remarque qui me vient en regardant la jeune femme en face. Elle est extraordinairement jolie. Distinguée aussi. Et rosissante.
Harry se décide à venir l'épauler.
"Brunissande était stagiaire à Genève avec moi et... disons qu'elle a tout planté pour me suivre à Lo Paradiso ou ici.."
"Un signe incontestable qu'elle a des compétences pour le job", indique Cyrus avec pas mal d'affection dans la voix. Ginny s'est appuyée contre lui et elle sourit comme Dora à mes côtés. Il semble que cette Brunissande se soit déjà fait une place dans ma meute.
"Je... je suis heureuse de vous rencontrer", se risque la jeune femme avec un indéniable courage.
"Moi aussi", je réponds avec sincérité. "J'ai peur d'être un peu dépassé par... les circonstances..."
Tout le monde rit spontanément de ma réponse, et je les accompagne. Bizarrement, c'est à ce moment-là que je me rends compte que les tambours continuent leur appel.
"Ils n'arrêtent pas ?", je questionne en espérant ne pas apprendre en retour que je dois vivre jusqu'à la fin de ma vie avec un orchestre de percussions autour de moi.
"Ils essaient autre chose", répond Harry l'air de nouveau embarrassé.
"Ils essaient... de retrouver une magie... primordiale.. Celle qui permet de changer de forme... Ils nous ont aidé à créer la catalyse qui nous a donné accès à ta conscience malgré le sortilège qui l'emprisonnait... Mais ils espèrent que la quantité de magie va aussi leur donner la possibilité de retrouver la magie primordiale...", complète Aesthélia avec une certaine gêne, elle aussi.
"Des changeurs de forme ?", je répète.
"Que tu en sois un, symboliquement... un enfant de la lune, ils t'appellent", commence Harry, avant d'arrêter visiblement frustré par son incapacité à rendre des informations complexes. "Mais Cyrus, c'est toi qui peux expliquer..."
"Pas plus qu'Aesthélia ou Bettany", commence par se défiler son frère avant de reculer devant l'exaspération pleinement lisible sur les visages de Harry ou Ginny. "Les Guaranis parlent de Passeurs. D'êtres magiques totaux, qui ne seraient pas prisonniers d'une forme particulière... C'est un mythe, plus ou moins... mais les botos peuvent rendre forme humaine par amour... ou par jeu. Les enfants sorciers ici sont souvent capables de se changer en animaux... Donc, la forêt permet, facilite, encourage, les "passages" de formes magiques..."
Quand Cyrus parle comme ça, je me rappelle ces rares fois où j'ai été son professeur et où je l'ai entendu répondre formellement à une question théorique. L'intuition qu'il était armé pour se coltiner aux théories magiques était venue assez vite. Même quand l'ensemble de mes collègues pensaient qu'il semblait surtout fait pour faire exploser des bombabouses ou distribuer des crèmes canaris. Peut-être parce que c'était une différence assumée avec Sirius, je l'ai encouragé sur ce chemin. Au-delà de cette satisfaction parentale, je réalise que j'ai des choses à leur apprendre. Et c'est un bien faible paiement pour ce qu'ils semblent avoir fait pour moi.
"Quand... quand vous m'avez appelé... un boto m'a parlé - ne me demandez pas comment", je rajoute. "Il a dit que les femmes... les femmes étaient belles... Il a aussi parlé de vies trop réduites..."
"Au moins, il était d'accord avec eux", commente cryptiquement Ginny avec un signe de tête vers les Guaranis. Ils ont tous grandi en mon "absence", je réalise.
"Peut-être devrions nous aller les voir ?", suggère Brunissande - une jeune fille qui semble en effet peu encline à la contemplation.
"Si tu te sens, Remus", modère Dora en me proposant de s'appuyer sur elle.
Je l'enlace mais pas pour garder mon équilibre. Son odeur, sa chaleur finissent de faire fondre cette impression que je suis si loin des miens.
"La magie.. peut-être est-ce la médaille - mais... je sens qu'elle me porte... comme... je ne devrais pas en parler mais... Poudlard aussi me porte parfois...", je raconte, agacé de m'entendre aussi décousu.
"On a provoqué une gigantesque catalyse magique", répond Harry avec plus d'assurance que précédemment. "Les statuettes, les potions qui les accompagnent, l'appel des tambours, les arbres creusés, les médailles aussi... l'alignement entre la lune et Alpha Crucis... Alors, elle peut te porter, la magie ! Elle nous a conduits jusqu'à ton aura réfugiée dans le coma... Les Guaranis espèrent que cette quantité de magie rouvrira les portes fermées de la communication avec l'intégralité de la magie de la forêt.. elle peut te porter, crois-moi !"
"Comme Poudlard, hein ?", questionne très directement Cyrus quand son frère a fini son énumération.
"D'une certaine façon..."
"Des magies anciennes, avec des déclinaisons locales...", commence Dora contre moi - je sens bien qu'elle cite les paroles des autres.
"...connues mais jamais théorisées", continue Brunissande avec une certaine excitation contenue.
"... et peut-être avec raison", ponctue Cyrus gravement.
"Mais des principes universels", argumente Aesthélia en le regardant avec insistance.
"Plus que des étiquettes en tout cas", estime Tiziano.
"Une putain de responsabilité, oui", affirme Ginny.
Au bout de cette espèce de conversation, on a rejoint un groupe de Guaranis. Je reconnais la minuscule Sol, cette sorcière aveugle et d'autant plus clairvoyante. Je suis assez ému qu'elle ait été là pour moi - ou pour parler aux botos, quelle importance. Il y a aussi Tiago, ce vieil ami d'Aesthélia, et il se lève pour me serrer dans ses bras avec un sourire franc :
"Remus... Nous savions que Malghanica te ramènerait !"
"C'est nous qui l'avons ramené", rappelle Iris, glissée contre moi.
"Avec l'aide de Malghanica", disent en même temps Ginny, Cyrus et Brunissande. Ça les fait pouffer.
"Nos médailles, elles brûlaient quand on est allés te chercher", rajoute Kane les yeux rivés vers le ciel.
"Malghanica", répète Harry avec un clin d'oeil pour son petit frère qui répète le nom portugais avec une certaine révérence.
"Vous l'avez cherché longtemps ?", interroge Sol sans bouger.
Il y a un mouvement incertain autour de moi - je suis gêné de n'en avoir aucune idée. Quelles épreuves ? quel prix ? De nouveau, mon coeur s'affole. Comme si elle le savait, ma Dora me serre la main.
"Pas réellement longtemps", finit par répondre Cyrus - il semble avoir pris un rôle de leader dans cette opération. J'imagine combien il a dû avoir du mal à le faire, mon éternel rebelle. "Il a mis du temps à nous entendre..."
"Je vous voyais mais je ne savais pas comment vous parler", je révèle donc.
"Et ?", s'intéresse Sol pour tous les autres je pense.
Je ferme les yeux, et ma meute est là, fidèle.
"Je les voyais et je ne les reconnaissais pas vraiment... Je n'étais pas sûr de les connaître...", j'avoue en espérant que la vérité ne les blessera pas. C'est comme si mes plus anciens démons m'avaient retenu loin d'eux, je me dis.
"Saloperie d'Hermosa", crache Cyrus.
"Pardon ?"
"Tu ne te souviens pas ? Elle t'a envoyé un sort alors que... Hermosa, la nièce de McNair, la fille de l'ancien ministre de la magie espagnole... Je ne sais pas comment...", regrette Cyrus avec un dépit si épais que ça me serre le coeur.
"Ron dit que tu as entendu un bruit ; pris par l'action, il t'a laissé y aller seul et...", continue Ginny.
"... le regrette depuis", termine Mae un peu âprement. J'ai un souci fugace pour l'aspirant Weasley. Lui ai-je valu des ennuis ? Il me semble pourtant que j'ai plus ou moins pris seul cette décision de fouiller ce fourré.
"Hermosa...", je répète parce que le souvenir déchire les brumes de l'oubli. Il y a cette silhouette dans les arbres. Essoufflée mais pas apeurée. Plus de colère que de peur dans ses yeux quand sa baguette s'est pointée vers moi. Plus de décision que de désespoir.
"Elle a refusé de dire quel sort elle t'a lancé", explique Dora moins âprement que précédemment. "Elle prétend que toutes nos accusations sont un coup monté... qu'elle n'est pour rien dans ton état."
"Je revois juste sa baguette... Je ne crois pas qu'elle ait dit quoi que ce soit", je me souviens à haute voix. "Vous n'avez pas analysé sa baguette ou mon corps ?"
"Pas mis d'étiquettes ?", éternue Cyrus sans que je comprenne bien ce qu'il sous-entend. "Ce n'était pas possible d'analyser précisément sa baguette parce qu'après elle a lancé plusieurs sortilèges quand on a essayé de la capturer... ", il reprend plus calmement. La voix lui manque une fois de plus. Sa colère est immense et m'inquiète comme toujours.
"Et ton corps a refusé l'analyse", complète Harry, en soutien.
"Elle a invoqué quelque chose qui s'est mêlée à ta lycanthropie", continue Dora. "Sciemment ou non.."
"Ou non ?", s'agace immédiatement Cyrus. "Tu oublies, Mae, qu'elle est le numéro trois du XIC - des gens qui cherchaient comment dompter la lune à leur profit et qui s'intéressaient plus que de près à la lycanthropie ! Je ne peux pas croire qu'elle ait eu autant de chance par hasard !"
Leurs hypothèses sans doute fondées me laissent sans voix. Ce n'est pas la première fois qu'on m'attaque pour ma lycanthropie, ni même par ma lycanthropie. Mais il y a l'idée de ces sorciers qui auraient voulu en tirer profit - et celle-là est plus nouvelle. Plus dérangeante. Ça fait écho à leurs paroles de tout à l'heure, des possibilités, des principes universels, des responsabilités...
"Hermosa t'a pris en otage en un sens", avance Harry, toujours plus calme que son frère. "Refuser de reconnaître t'avoir lancé ce sort était quasiment une monnaie d'échange pour elle. Si tu viens témoigner à son procès..."
"... à ses procès", précise Tiziano avec un rire sans joie avant d'énumérer : "Italie, Angleterre, Suisse, voire Pérou si ça se trouve..."
"Vous croyez qu'elle sera punie ?", s'intéresse Tiago avec une curiosité détachée.
Cette fois, je sens que tous attendent que Dora parle, comme ils avaient attendu que Cyrus réponde auparavant, et mon amour finit par hausser les épaules.
"Il me semble impossible qu'elle se sorte totalement d'autant de procédures", elle explique. "Mais je ne sous-estime pas ses appuis..."
"Elle ne perdra pas partout", pronostique sombrement Cyrus.
"Cyrus, donne une chance à la justice", soupire Dora. "Le combat sera difficile mais il n'est pas perdu d'avance."
"Et puis, on a ramené Remus", rajoute Ginny.
"Quand... quand on a parlé l'autre soir", se lance alors Harry se tournant vers les Guaranis. "Vous avez dit que vous voyiez toujours des menaces autour de nous... Est-ce que ça a changé ?"
Je ne me rappelle pas que mon fils aîné ait jamais eu le moindre respect pour les sciences prédictives. Quand, enfant, il s'était risqué dans la classe de Trelewney, il avait trouvé ce qu'il avait vu totalement ridicule. Moi, qui savais qu'une prophétie monstrueuse pesait sur lui, je n'avais pas cherché à combattre ce rejet instinctif. J'aurais tellement voulu que la prophétie soit "ridicule". Peut-être est-ce le fait qu'il ait dû finalement l'affronter. Peut-être est-ce sa formation de briseur de sorts, qui a quasi-mécaniquement élargi son appréciation de la magie, mais je trouve le revirement impressionnant.
"Les chemins ne sont jamais uniques", commence Tiago après un court silence. "Mais Remus est là, debout dans la forêt, comme nous l'avions vu..."
"... une série d'avenirs a disparu", rajoute Sol quand j'en suis à digérer la formulation de l'ami d'Aesthélia. Suis-je debout dans la forêt ? Qu'est-ce que cet état a comme influence sur tout le reste ?
"Vous aviez promis qu'il n'y avait aucun doute", gronde Cyrus avec une colère vibrante qui remplit l'air autour de nous.
"Remus était débout sur tous les chemins stables", répond, sereine, Sol. "Mais sur certains, l'obscurité ne reculait pas pour autant..."
" La lune comme le soleil semblaient avoir disparu", rajoute Tiago avant que mon fils puîné ait pu faire l'étalage de son inquiétude rétrospective. De nouveau, les risques qu'ils ont pris m'écrasent. D'autant plus qu'ils l'ont fait pour moi.
"Nous sommes sur les chemins de Malghanica", propose alors Aesthélia assez sobrement, presque avec une acceptation solennelle. "Les chemins éclairés par l'étoile..."
Sol et Tiago acquiescent. Le geste est infime, extrêmement impressionnant dans son ensemble. Les deux Guaranis semblent réellement voir, au-delà de nous, ces chemins éclairés par l'étoile du Sud comme s'ils traversaient la forêt qui nous entoure.
"Le boto est-il là ?", questionne très bas Ginny, témoignant une nouvelle fois de la confiance en elle qu'elle aura prise durant ces derniers mois - et, sans doute, pendant ces fameuses semaines où je dormais dans un lieu qui ne devait pas être la forêt. "Est-il sur ces chemins éclairés par l'étoile ?", elle rajoute. "Il était dans la vision de Remus..."
Tiago me regarde avec une curiosité infinie. Sol a penché la tête sur le côté comme pour traduire qu'elle espère m'entendre développer ma vision.
"Effectivement", je souffle impressionné du rôle qui m'est imparti - Que sais-je des Botos ? "Il a dit... il a dit que les femmes étaient belles", je répète en ayant l'impression d'être totalement à côté de la plaque - et ce n'est pas le sourire fugace de mes deux fils aînés ou de ma femme qui me détrompent. Au contraire. "Surtout quand elles dansent sous la lune...", je rajoute le souvenir se précisant brusquement.
"Quand elles dansent sous la lune ?", murmure Tiago, mais Sol s'est déjà levée. Instinctivement je regarde le ciel et l'astre lunaire à l'aplomb de la rivière. Je n'ose imaginer son projet.
Loin de mes doutes, Sol s'est mise à marcher. Son éternel châle à franges glisse de ses épaules, le long de sa jupe blanche et sur le sol, sans qu'elle ne cesse d'avancer, droit devant elle. Elle ne s'arrête pas à la lisière de la clairière mais continue de se glisser entre les arbres, les mains à demi-levées pour se protéger d'une éventuelle chute, mais évitant avec une grâce surnaturelle tous les troncs, plantes, arbustes et obstacles qui pourraient l'arrêter. Nous la suivons avec moins de fluidité malgré nos yeux en bon état. Il est clair qu'elle est portée par une vision intérieure. Par la magie de la catalyse aussi. Les tambours continuent de retentir avec un rythme régulier, pesant et structurant. Comme les pulsations du coeur humain, ou peut-être celui de la forêt.
"Elle va où ?", interroge Iris exprimant à haute voix la question de chacun.
" Para o rio", répond une petite voix en portugais. A la rivière, traduit mon cerveau - ce sont des mots faciles et presque une évidence. Mais je ne connais pas cette petite voix et je me tourne pour voir qui a répondu à ma fille.
"Mon nouveau filleul, Cristovao", me souffle Cyrus qui a lui aussi suivi l'échange.
"Aesthélia ?", j'ose proposer à haute voix. Je ne sais pas d'où vient cette certitude. Peut-être de la magie qui est dans l'air.
"Cyrus pense.. J'aurais sans doute des questions à te poser... des conseils à te demander", confirme l'ethnomage en repositionnant une mèche échappée de sa coiffure.
"C'est... récent ?", est la seule question qui me vient, alors que Iris, Cristovao et Kane nous dépassent, happés par l'avancée irrésistible de Sol. Je me rends compte que je le sais. Quand Cyrus et Aesthélia étaient prisonniers du XIC au Pérou, Tiago avait parlé d'un jeune garçon qui les accompagnait. Sa présence m'avait paru étonnante mais je ne m'y étais pas arrêté.
"Nous aurons le temps plus tard", me propose Aesthélia un peu timidement, et j'opine. Cyrus a l'air serein de ce développement et je ne peux m'empêcher de me féliciter que l'ethnomage se soit enfin tournée vers l'avenir. J'avais fini de l'espérer.
Nous rattrapons le groupe qui suit Sol. A ma meute se sont ajoutés des Indiens et les amis de mes enfants. Tous ces gens de bonne volonté qui sont venus à mon secours. On se glisse entre les arbres, comme des fantômes épais, nos vêtements blancs reflétant la clarté de la lune. L'eau nous arrête et nous nous accumulons sur la grève étroite. Sol manque de glisser en entrant dans la rivière. Aesthélia veut la suivre - sans doute pour lui porter assistance - mais Tiago l'arrête d'un geste.
"É ela que tem que o fazer. A visão pertence a dela."
"C'est à elle de le faire, la vision lui appartient", traduit automatiquement Cyrus toujours à ma gauche.
"La vision ?", je répète alors que Harry, Tiziano ou Bettany approuvent visiblement la formulation..
Cyrus se contente de hausser les épaules comme s'il ne se risquait à aucun pronostic dans les conditions actuelles.
"Les médailles brûlent", remarque alors Kane avec l'air émerveillé, presque joyeux, de cette nouvelle manifestation magique.
"A minha também", confirme le jeune Cristovao en se tournant avec une confiance confondante vers Aesthélia qui lui prend la main.
Je vois des mains qui se portent vers les poitrines, les cous et les poignets. Vers des médailles ou des amulettes. Instinctivement je fais de même. Une vision m'envahit, la magie passe par nous tous, comme elle décrirait une galaxie, comme elle se nourrirait de nous tous. La catalyse dont ont parlé mes enfants, je comprends, impressionné malgré moi. Je ne suis pas loin des sentiments de Kane, je réalise, de m'émerveiller devant la puissance de la magie, moi qui la dissèque depuis tant d'années.
Sol, continue d'avancer dans l'eau qui arrive maintenant à sa taille.
"Elle sait nager ? Elle ne voit rien... elle va se noyer", s'inquiète Dora à voix basse.
Comme un écho aux craintes de ma femme, la magie opère, et Sol s'arque - comme un croissant de lune inversé est l'image qui me vient. Elle est phosphorescente dans l'éclat de la lune. Avec cette fluidité et cette décision qui semblent toujours l'animer, elle plonge ensuite dans l'eau sans un remous ou une éclaboussure. Voir est sans doute inutile.
"O Boto", soufflent plusieurs voix autour de moi. Certains reculent avec une crainte respectueuse ; d'autres au contraire entrent dans l'eau comme pour mieux voir.
"C'est quoi ?", demandent d'un même ensemble Kane et Iris en se tournant vers moi.
"Le boto est... le boto est une... créature magique qui... peut prendre la forme d'un homme comme d'un lamentin ", explique avant moi Bettany avec un peu de nervosité.
"Comme Papa", estime Kane avec un mélange d'enthousiasme et de fierté qui ne me laissent pas indifférent.
"Le boto choisit", rappelle sombrement Livia, l'accent italien alourdissant encore son commentaire en anglais.
Il me semble que ce dernier mot est repris par la forêt toute entière, qu'il enveloppe la petite Italienne marquée par l'âge et les transformations qui fait face à la grande, jeune et athlétique Américaine. Tout pourrait les séparer mais pourtant il me semble que l'idée du choix les unit.
"Et la dame est... devenue boto ?", questionne Iris les sourcils froncés.
"Elle a eu accès à une magie primordiale... très ancienne... qui permet de choisir sa forme corporelle... le boto pour commencer", chuchote presque Aesthélia qui a pris Cristo par l'épaule comme si elle craignait qu'il ne parte à la suite de Sol.
D'autres n'ont pas attendu ces explications. Les filles en premier sont entrées dans l'eau, mais les hommes ont suivi. Des arcs lumineux de taille différentes se dessinent dans le ciel avant de replonger dans l'onde sombre avec des gerbes d'éclaboussure. Il me semble que les transformations prennent de moins en moins de temps. Le rythme des tambours s'est accéléré, comme une transe. Ma médaille brûle sur ma peau, comme un appel de l'étoile cachée maintenant par les arbres.
Le neveu de Tiago, Joachim, il me semble, entraîne Bettany avec une facilité qui fait sourire largement Aesthélia. L'instant d'après, elle tourne Cristovao vers elle pour demander en portugais :
"Tu veux ?"
"On a dit... mon père aurait pu être un boto..."
"Toujours mieux que le diable", persifle Cyrus, mais personne ne le regarde.
"L'important, c'est ce que tu veux toi", chuchote Aesthélia, en maintenant son emprise sur l'enfant.
"Tu viens avec moi ?"
"Évidemment."
Ils s'enfoncent main dans la main dans l'eau avec un dernier groupe de jeunes Indiens.
"Il ne va bientôt rester que nous !", s'exclame Tiziano avec une impatience marquée.
"Allons, alors", souffle Fiametta ses côtés.
Ils n'ont pas besoin de mots pour se dire la suite. Le bonheur de l'expérience partagée, de cette égalité face à la magie. L'envie me prend, sauf que je n'ose l'imposer à ma famille, après toute l'inquiétude qu'ils ont dû supporter. Je serais égoïste.
Abilio s'est approché de nous, les yeux brillants, presque survoltés, fixés sur Livia.
"Je...suis trop vieille", refuse cette dernière dans un souffle.
"Trop vieille pour quoi ?", récuse Abilio avec une gentillesse que je lui ai peu vu manifester. "Nous sommes magiques... jusqu'à la fin ! Il n'est pas question d'âge..."
"Non, mais... j'ai un peu peur", reconnaît la plus expérimentée herboriste de Lo Paradiso. Un tel aveu de sa part... je n'aurais jamais pensé l'entendre. Une nuit sans pareil, sans doute, je me répète en levant les yeux vers le ciel.
"Je serai là", souffle encore l'Indien en lui tendant la main. "Il suffit de suivre l'appel de Malghanica..."
"Je suis une fille de la lune...", objecte encore la louve italienne.
"Mais Malghanica t'appelle."
Livia ferme les yeux avant d'accepter et de prendre la main tendue.
"Je l'entends".
"En fait, il faut savoir si on suit l'étoile ou la lune", s'essaie Iris avec un excitation palpable quand le couple est entré dans l'eau et s'est transformé avec une simplicité et une fluidité qui me fait irrémédiablement envie.
"Je dirais plutôt qu'il faut savoir quand suivre l'une ou l'autre", corrige Harry avec un sourire profond.
La main de Brunissande est dans la sienne, et il est clair qu'ils n'attendent que nous pour se joindre à la joyeuse horde de lamentins qui jouent avec les taches argentées de la Lune dans le fleuve. Ginny et Cyrus ne sont pas moins prêts ou moins patients. Tous me regardent.
"C'est une intéressante distinction", je commente avec une paix toute aussi profonde que la force de ma famille. Je prends la main d'Iris ; Dora celle de Kane. Une nouvelle aventure, magique et positive, nous ne pouvions pas demander mieux.
FIN
Voilà... 101 chapitres... incroyable... je n'ose pas revenir sur les dates... affolant...
Une belle aventure que j'ai aimé partager avec vous tous. J'espère que ce dernier est à la hauteur de vos imaginations, de vos soutiens, de vos sourires...
Il est encore temps de poser des défis (one-shot sur des perso, scènes coupées au montage, tout ça). Une saison 6 (sans doute plus courte) se profile. L'alternative "L'Envol du Phoenix"... j'espère bien arriver à m'y atteler... Bref, à bientôt
N'oubliez pas de remercier Alixe, Dina et Fée Fléau parce qu'elles en auront passé des soirées à me tenir la main et à relire tout ça !