Un supplément d'âme.
Qui est Nero Malefoy ? Ce jeune garçon de onze ans a-t-il une âme ? Pourquoi ressemble-t-il tant à Regulus Black ?
Cette histoire se situe dans le monde alternatif créé parEntre Lune et Etoile,In Stellis Memoriam et l'Inné et l'Acquis. Pour ceux qui ont suivi, on est trois ans après la fin de l'Inné et l'Acquis... Pour les autres, j'ai mis tous les éléments indispensables dans ce premier chapitre... si c'est incompréhensible...
Cette histoire n'existerait pas sans un certain nombre de personnes. Evidemment Dame Rowlings..sinon j'aurais dû INVENTER les personnages... quelle horreur, lol. Ensuite sans mes complices infatiguables Alixe et Vert, sans Dina qui a eu l'air de croire à l'intrigue quand ça ne ressemblait encore à rien, et sans Fée Fléau et Thalys, qui sont venus mettre une touche finale de grammaire, cohérence et orthographe... J'ai une sacrée équipe derrière moi...
I – Maudits Black
ou Ce qu'Andromeda n'aurait jamais voulu reconnaître
En sortant de Malefoy Manor, j'avais froid, aussi froid que si j'avais été entourée par vingt Détraqueurs. Je n'avais jamais pensé que revoir Narcissa après ces trois années d'exil bulgare allait obligatoirement être une partie de plaisir, mais la réalité dépassait mon imagination. Ni elle ni ses enfants n'avaient été à proprement parler désagréables, non. Mais aucun ne m'avait pour autant donné l'impression que je pouvais baisser la garde et me régaler des gâteaux de Narcissa comme si j'étais en "famille" - le mot même me serrait la gorge.
Parce que le fond du problème était là, n'est-ce pas ? La famille, le sang, le clan... ça faisait des années maintenant que j'avais cru me débarrasser de ces questions pour toujours : j'avais refusé le clan Black, sa puissance et sa protection, ses compromissions et sa folie ; j'avais choisi la voie, plus difficile, de réinventer ma famille, mes valeurs, mon histoire. Le chemin n'avait jamais été facile, mais j'avais cru avoir réussi.
Et puis voilà que tout me revenait en pleine figure - le clan, le sang, la famille, avec leur cortège inquiétant d'obligations tacites - le secret, la loyauté, l'oubli de soi au nom du bien collectif. Et ce poids ne m'était pas, cette fois, imposé par un conseil de famille lugubre et sentencieux, mais par un tout jeune garçon, d'à peine onze ans, les cheveux jais coupés courts, les yeux gris intelligents mais défiants : Nero Malefoy, le fils adoptif que Narcissa et Lucius ramenaient de leur exil bulgare.
A la question « Mais pourquoi ne m'as-tu jamais parlé de lui avant ? » - Narcissa s'était contentée de sourire. Je n'avais même pas pu arriver à établir depuis quand il vivait avec eux. D'ailleurs qu'avais-je appris sur lui ? Qu'il aimait lire, parlait un anglais irréprochable et était trop poli pour son âge... Rien en fait.
"Je suis sincèrement heureux de faire votre connaissance ma tante", avait-il dit en m'embrassant la main comme s'il s'échappait d'un monde qui avait totalement disparu, vingt ans auparavant. "Mère m'a dit la place importante que vous occupez dans notre famille..."
"Moi ?" j'avais immédiatement perdu pied.
Vous êtes ma seule tante encore vivante", il avait continué, comme une récitation, comme si la scène avait été répétée (sans doute) : "Votre fille, ma cousine, a été Auror et elle a épousé le directeur de Poudlard - c'est l'école où je vais aller. Ils ont des jumeaux et aussi deux garçons de l'âge de Draco. L'un est Harry Potter"...
Là, alors que je m'éloigne à pied du Manoir, j'envisage plus clairement que Narcissa l'a sans doute utilisé comme porte-parole. Et les implications de cette hypothèse, moi qui n'ai jamais été bonne stratège, me sidère : la famille Malefoy revenait-elle en Angleterre en ayant tiré les enseignements de leur défaite ? Cherchait-elle de nouveaux protecteurs. L'idée que Narcissa et Lucius envisagent de se ranger dans le camp de Remus Lupin et d'Albus Dumbledore était totalement incroyable ! Et qu'attendait Narcissa de moi ? Je ne me vois mal jouer les entremetteuses. S'ils veulent approcher Remus, les Malefoy devraient mettre de côté leurs préjugés envers la lycanthropie et lui rendre visite, je décide.
Mais dans le salon de Narcissa, l'énumération m'avait saisie. Instinctivement, je l'avais trouvé menaçante - comme si elle énonçait tout ce que je pourrais perdre à cause de cet enfant-même. Et puis, il avait eu ce geste - un regard à Narcissa pour vérifier qu'il n'avait rien oublié. Elle lui avait souri. Et il est des sourires qui glacent le sang. Seul Drago, en bâillant, m'avait semblé avoir une réaction normale.
"Je te vois bien informé", avais-je donc simplement répondu. Narcissa, avec son perpétuel air insatisfait, m'avait alors proposé un peu plus de thé comme si j'avais simplement eu besoin de liquide pour avaler ce qui m'arrivait.
L'après-midi s'était étiré de la sorte ; les garçons poliment silencieux, mais sans doute morts d'ennui ; Narcissa dissertant sur le provincialisme de la vie en Bulgarie. A l'en croire elle rentrait pour pouvoir faire ses courses sur le chemin de Traverse ! Elle ne s'arrêtait plus, et j'en avais eu du mal à m'enfuir ! Et là, dehors, à quelques dizaines de mètres du manoir, il me semble que j'en suis encore trop près pour échapper à son influence maléfique. Je me dépêche de transplaner directement dans mon jardin, sans faire le saut chez Mme Guipure que j'avais initialement prévu.
Avec la disparition définitive de Voldemort, il y a trois ans, Ted et moi avons notablement réduit les protections de notre maison. Les barrières érigées pendant la guerre existent encore, mais elles ne font que signaler une arrivée - c'est beaucoup moins fatiguant pour entrer et sortir. Mais, pour la première fois depuis longtemps, je me demande si nous ne sommes pas allés un peu vite.
Une telle guerre finit-elle jamais ? Quand l'ennemi est intérieur ? Quand le problème est en nous, aussi intimement que le sang et les gènes, peut-on dire qu'il y a des vainqueurs ? En a-t-on jamais fini avec la tentation du pouvoir absolu, du mal ? A-t-on jamais gagné la paix ? Ecoutez-moi ! Bientôt, je vais en arriver à répéter mot pour mot les arguments de Nymphadora lorsqu'elle parle de retourner faire l'Auror ! Comme si épouse du directeur de Poudlard, mère de quatre enfants, dont deux très jeunes, elle n'avait pas entre les mains déjà de quoi occuper plusieurs vies !?
Bizarrement, penser à Dora m'a secoué, m'a débarrassé de cette angoisse poisseuse qui m'étreint depuis Malefoy Manor. Peut-être parce que je ne m'habitue toujours pas au fait que ma fille affirme sa différence – ça me va bien à moi, hein, qui ai planté là toute ma famille le jour de mes dix-sept ans, comme me le répète Ted. Mais c'est la vérité. Mes chats viennent à moi quand j'entre dans la cuisine grande ouverte dans l'air chaud de l'été. Je pourrais me sentir mieux mais je n'y arrive pas.
Je ne pourrais peut-être plus jamais respirer librement, je me dis, pas tant que je n'aurais pas vérifié. J'enlève mes chaussures pour monter sans bruit dans ma chambre. Je ne veux pas de Ted, pas maintenant. Il ne comprendrait pas. Ou il se moquerait de mes lubies de vieille femme qui veut voir des fantômes partout !
Dans ma chambre, la lourde armoire de bois sombre me paraît presque menaçante. Pas par elle-même, mais par ce qu'elle contient. En bas, dans le tiroir caché, il y a cet album photo que je n'ai pas ouvert depuis trois ans - depuis ces vacances où Cyrus avait demandé à voir des images de l'enfance de Sirius. Et ça avait été un bon exorcisme de le faire avec lui, avec cette distance qu'il savait mettre, avec cette curiosité saine qu'il avait pour celui qui lui avait donné sa vie.
« Pour Cyrus », je murmure en tirant l'album de cuir noir, marqué des armes des Black - un des seuls objets de mon passé que j'aie conservé, le seul lien en quelque sorte. Les pages défilent. Moi, bébé. Qui peut croire que j'ai été ce gros bébé engoncé dans ces dentelles ? Je passe rapidement les multiples portraits posés marquant les anniversaires et les Noël que ma propre mère a si soigneusement archivés dans l'album, avec la date et le lieu.
« Elle a au moins fait ça pour moi ! » je murmure comme si je devais l'affirmer à moi même. Ce n'est pas la première fois. Mais la preuve que ma mère a pensé un peu à moi constitue une des rares consolations que la vie m'ait offerte. Je ne vais pas la refuser, même si cet après-midi, je cherche tout à fait autre chose :
Sous la pellicule de papier calque qui le protège, le salon de square Grimmaurd est étincelant et froid. Je détache prudemment le cliché pour mieux le voir : au fond, le sapin immense et imposant avec ses décorations serpentines ; à droite, Bellatrix au temps où elle savait encore sourire et Narcissa qui n'avait pas l'air d'avoir arrêté le temps. Moi-même, j'ai un air un peu affecté d'adolescente qui refuse d'aimer Noël. A mes côtés, un Sirius encore imberbe fait inlassablement des oreilles d'âne à un jeune garçon qui se tient droit et grave devant nous tous, un énorme paquet argenté dans les mains. Comme Sirius, il a des cheveux noirs jais qui frôlent ses épaules, des yeux gris et un nez busqué. Comme Cyrus... je ne peux m'empêcher de songer dans un moment d'effroi. Et la photo tombe de mes mains tremblantes.
Ce n'était pas une hallucination de ma part. Jamais, jamais, quelqu'un n'a autant ressemblé à Regulus Black que Nero Malefoy...
Trois nuits. Trois nuits que je sais. Et trois nuits que je ne dors pas. Ou alors quelques heures, de loin en loin. Le jour, je mange à peine – souvent pour vomir quelques heures plus tard. Ted n'a rien remarqué. Les hommes sont comme ça. Enfin non, ma fille a peut-être trouvé un homme différent. Et dire que ma propre mère ne l'aurait pas considéré comme un homme ! Peut-être que d'une certaine façon, ma mère avait raison, un lycanthrope amoureux ne se conduit pas comme un homme... N'importe quoi ! La fièvre est là. La nuit est étouffante, et Ted ronfle.
Les pieds nus dans mon immense chemise de nuit de coton blanc, qui me ferait prendre pour un fantôme par les moldus, je me lève et je descends à la cuisine. Je me sers un verre d'eau glacée que je bois lentement en regardant la lune baigner d'argent mon jardin. Tout est si paisible.
Je voudrais résister parce que je sais que rien de bon ne peut en sortir, mais la tentation est trop forte. Comme les trois nuits précédentes, j'ouvre le placard, je sors toutes les boîtes en fer qu'il contient, très doucement, sans bruit. Puis j'appuie sur le fond du placard qui pivote. Dans la mince cache, je me saisis de l'album. Je regarde la couverture. Je voudrais tant le reposer mais j'en suis incapable. Avec un soupir, je me retourne pour laisser échapper un cri : Ted est là de l'autre côté de la table avec un air triste.
« Dromeda », il souffle.
« Je... »
« Tu as retrouvé un très ancien livre de cuisine ? » propose-t-il, tendrement moqueur.
Je me sens profondément ridicule.
« Je ne voulais pas te réveiller »
« C'est la troisième nuit, Andromeda... que se passe-t-il ? C'est le retour de ta soeur ? »
« Ma soeur ? »
Il ne me répond même pas mais va à l'évier et se verse à son tour un verre d'eau et s'assoit. Je fais pareil.
« Tu regardes quoi ? Tu as la nostalgie de quand vous étiez des soeurs ? »
« Nous, des soeurs ? » je proteste doucement. Je lui ai raconté cent fois. Comment peut-il dire ça !?
« Alors, qu'est-ce que tu ressasses depuis trois jours ? »
Je vois dans ses yeux qu'il ne repartira pas se coucher sans une réponse, et puis peut-être que je n'attendais que la question :
« Cissa... a adopté un enfant en Bulgarie... Un garçon... »
« Cissa ? » il s'esclaffe.
« C'est incroyable, hein ? » je reconnais. Et c'est sans doute ça qui rend l'information aussi inquiétante, je rajoute dans ma tête.
« Je ne vois pas le rapport avec l'album », il reprend plus sérieux. « Il ressemble à ton oncle Alphard ? »
Je blêmis parce que la vérité est toute proche.
« Il ressemble à Regulus. »
Ted crache l'eau comme si c'était du Whisky pur feu.
« Tu délires Andromeda ! »
« J'aimerais », je réponds, et les larmes coulent sur mes joues.
Ted s'est levé. Il tourne en rond dans la cuisine et répète son incrédulité de différentes façons.
« Il faut prévenir Remus », je le coupe au bout d'un moment.
« Quoi ? »
« Il faut le prévenir. Cissa va mettre ses enfants à Poudlard. »
« Et alors ? Où veux-tu qu'elle les mette ? »
« C'est le portrait de Regulus », j'insiste, « As-tu pensé à Cyrus ? »
Ted reprend sa marche circulaire dans la cuisine, et je le laisse faire. Je suis mes propres pensées. Combien mes sentiments envers Cyrus, et envers Sirius, Remus et Dumbledore, ont évolué en moins de cinq ans ! Je me souviens encore de la première fois que Dora nous en a parlé, dans cette même cuisine. J'avais trouvé le stratagème dangereux - mais en même temps, Sirius ne s'était jamais inquiété des risques et le pied-de-nez - se cacher dans un enfant quand on a jamais eu envie de grandir, finalement - lui ressemblait assez...
Jamais je n'avais alors mesuré que le camouflage pouvait s'installer dans la durée ! D'abord parce que Dora avait été très évasive sur les risques et la technique employée quand elle nous avait appris tout à la fois l'innocence de Sirius et les conditions de son évasion d'Azkaban. Je m'étais faite beaucoup de mauvais sang.
« Et ne nous leurrons pas, Dromeda, la petite ne nous l'a dit que parce que tu comptes parmi les très rares vivants qui puissent se rappeler le visage de Sirius à neuf ans ! » avait alors commenté Ted.
La "naissance" d'un Cyrus, muni d'une personnalité et d'une volonté propre, même nourrie par celles de Sirius, était alors totalement impensable. D'ailleurs, si j'ai bien compris, ni Remus, ni Dumbledore ne l'avaient alors réellement anticipée. C'était une sorte de canular, comme Sirius les avait toujours aimés. Combien il se moquerait de ses ennemis quand la fable serait éventée !
La décision finale de Sirius de préférer une deuxième vie, une deuxième chance, de s'effacer devant Cyrus Lupin, avait été un vrai choc pour moi - quelque chose de proprement révoltant.
« Tu ne crois pas, Ted, que Lupin et Dumbledore cherchent avant tout à faire "disparaître" Sirius ? »
« Andromeda, Sirius est le meilleur ami de l'un et le protégé de l'autre ! Et c'est le parrain de Harry ! »
« Mais ils sont allés si loin et ils n'ont pas réussi à prouver son innocence ! Il est la preuve même de leur non-respect des règles de la communauté magique ! Ils sont obligés de le faire disparaître ! »
J'en avais honte aujourd'hui, mais je me souvenais avoir accusé Dora de ne pas voir l'abomination, le crime auquel elle prêtait main forte :
« Tu es aveugle, ma pauvre enfant ! Ton amour pour Lupin t'empêche de voir clair ! »
Longtemps, je n'avais voulu voir personne : ni ma propre fille, ni Lupin qui plaidait pour que j'accepte de le recevoir et de le laisser s'expliquer, et Cyrus moins que tout autre. Toute mon opposition n'avait servi bien sûr à rien. Pas plus que je n'avais empêché Dora de passer le concours des Aurors, je n'avais pu prévenir son mariage avec Remus. Au dernier moment, Ted m'avait traînée à la cérémonie.
« Tu n'as qu'une fille, Andromeda, une seule. Et tu veux lui faire la même chose que ce que t'a fait ta propre mère ? Ne pas bénir son union, ne pas connaître tes petits-enfants...? »
« Comment aurait-elle des enfants d'un garou ? »
« Elle adopte deux fils en même temps qu'elle se marie, je te rappelle. L'un des deux est Harry Potter. Ce n'est pas assez noble pour toi, Harry Potter ? Et je préfère ne pas te répondre sur les garous... »
Ted avait heureusement eu gain de cause. Et, malgré toutes mes préventions, Cyrus et Harry m'avaient complètement et progressivement séduite. Et finalement, c'est la manière dont Cyrus faisait clairement la distinction et le lien entre Sirius et lui qui m'avait ouvert la voie de l'acceptation. Le contrat était entre l'enfant et mon cousin - et non quelque chose d'imposé de l'extérieur par quiconque. Un choix de Sirius. Un choix de Cyrus. Remus n'avait fait que l'accepter. Je ne pouvais pas faire moins.
La voix de Ted me tire brutalement de ma rêverie :
« Bien, nous leur en parlerons. Nous n'avons pas le choix. Mais nous attendrons leur retour et nous allons arrêter d'imaginer le pire, d'accord ? »
« Nous ? »
« Nous. »
Il me prend par la main et me reconduit dans notre chambre. Dans ses bras, je finis par retrouver le sommeil.
Le repas se passait bien. Nous étions installés autour d'une longue table, dehors, sous les pommiers. Ça sentait l'herbe coupée, la terre chaude. La fin de l'été était belle. Autour de moi et Ted, il y avait tous ceux qui comptaient réellement dans notre vie : notre fille Dora, notre gendre, leurs quatre enfants – encore que les deux plus grands commençaient à atteindre une taille qui rend impropre le terme d'enfant. Ils étaient tous de bonne humeur, bronzés, comme des gens qui rentrent de vacances en Grèce. Mon bonheur de les voir chez moi aurait été parfait si je n'avais pas été terrifiée par ce que je devais leur dire. Depuis plus d'une semaine maintenant, j'avais chaque jour espéré leur retour tout en le redoutant.
Remus et Dora étaient là maintenant, en face de moi, et j'aimais à les penser à la hauteur de la tâche - leur passé le montrait facilement. Pourtant j'aurais donné tout ce que possédais, même ma vie, pour qu'ils n'aient pas à le faire, pour que leur famille soit épargnée par une nouvelle épreuve. Depuis le début du repas, j'avais fait de mon mieux pour dissimuler mon angoisse. J'avais évité de trop parler – je ne suis pas une bavarde, comme d'être trop silencieuse. Iris et Kane, leur fraîcheur et leur innocence, avaient été ma planche de salut.
Quand Kane s'est frotté les yeux, je me suis immédiatement proposée de les emmener faire la sieste. C'était un répit inespéré au jeu de dupes que je jouais maintenant depuis plus d'une heure. Les petits n'avaient plus faim et ils s'étaient facilement laissés attirer dans une chambre par la promesse d'une histoire. Ils devaient être réellement fatigués, parce qu'ils s'étaient endormis avant la fin du livre. Presque trop vite. J'aurais tant aimé rester là à les regarder dormir, à les savoir en sécurité. Ils dormaient les lèvres entrouvertes, les bras détendus comme des pantins désarticulés. La blonde Iris, le brun Kane. J'aurais pu passer l'après-midi là si Nymphadora n'était pas venue me rejoindre :
"Maman ? On se demandait si tu ne t'étais pas endormie avec eux."
C'en était fini de ma fuite et de mon alibi. C'était maintenant ou jamais, que je devais lui dire. Je souhaitais trouver les mots, la bonne manière de partager mes doutes. Je voulais donner à ma fille les moyens et la force d'y faire face... Sauf que le tâche semblait surhumaine. Se trompant sur mon expression, Dora m'apostrophe, un petit sourire aux lèvres :
"Alors, qu'est-ce que j'ai fait ?"
"Toi ?"
"Ou qu'est-ce que je n'ai pas fait", elle reformule, en faisant mine de se mettre à compter sur ses doigts : "Je t'ai pourtant envoyé un hibou ET une carte postale moldue de Grèce, mes enfants n'ont rien cassé depuis qu'ils sont arrivés, Remus n'a pas dû partir avant le dessert à cause de Poudlard..."
Je m'étais contentée de secouer la tête, toujours déchirée entre des envies contradictoires.
"Ne fais pas l'innocente, maman", reprend ma fille, sur le même ton. "Depuis que je suis arrivée, tu n'as pas réussie à rester deux secondes dans la même pièce que moi, à parler avec moi ou à me regarder... Je te connais... Tu as quelque chose à me dire mais tu ne veux pas de témoins... Alors ?"
Ce fut plus fort que moi. J'aurais voulu avoir la force de repousser encore, de porter seule le poids qui me pèse, mais ce n'était plus possible. Ça faisait trop de nuits d'insomnie; trop de journées d'angoisse. Je n'arrivais plus à donner le change. Instinctivement, je m'appuie contre le mur du couloir, sans rien trouver à dire.
"Maman ?" s'inquiète Nymphadora. La brave petite.
"Je suis désolée, Nymph...", j'essaie, les yeux toujours baissés sur le dallage, ayant peur de perdre tout mon courage si je la regarde. Mais une série de pas qui se précipitent vers moi, me coupent dans mon élan. Du monde arrive. Les choses se compliquent.
"Andromeda, vous ne vous sentez pas bien ?"
C'est Remus, je reconnais sa voix, ses chaussures, son pantalon. Quand j'ose relever la tête, je me rends compte que je suis entourée de toute part. Harry et Cyrus sont là aussi. Et Ted, derrière eux, me lance des regards furibonds.
"Non... je.. je suis seulement inquiète..."
C'est tout ce que je trouve à dire. Je n'élabore même pas, comme si j'avouais moi-même la faiblesse de l'argument. Il faut cependant un temps incroyable aux autres pour reprendre - un temps à la mesure de leur correction, de leur surprise et de leur patience envers moi. Je me dirai plus tard que c'était normal que ce soit Cyrus qui ait posé la question :
"Inquiète de quoi, Granny ?"
De stupides larmes ne sont pas loin.Sa sollicitude. Sa voix. Ma responsabilité...
"Rien... je suis une vieille femme qui croie voir des fantômes partout...", je reprends en prenant les mains du garçon. J'aurais tant voulu le protéger, mais ce que je lis dans ses yeux, c'est une peur sincère et instinctive. Je le terrifie avec mes yeux brillants, ma voix chevrotante et mes phrases compliquées, je comprends avec un certain désespoir.
"Quels fantômes ?" s'enquiert Remus de sa voix polie et ferme, celle pour laquelle il n'est nul besoin de sous-titres : si j'ai une crise d'angoisse en pensant à Sirius ou à la postérité des Blacks, j'ai mal choisi mon moment selon lui. Cyrus n'a pas besoin qu'on lui rappelle sa double identité, le paradoxe temporel qu'à lui seul, il incarne. Et, à tout autre moment je ne pourrais que lui donner raison. Mais puis-je me taire ? Je songe douloureusement. Et le silence paraît, plus que jamais, le meilleur des refuges.
"Qu'est-ce qui t'inquiète autant, Maman ?" me presse Nymphadora à son tour, plus doucement.
"Je m'étais promise...", je cède, toujours à la limite des larmes. Je relève la tête mais je ne les regarde pas ; les yeux rivés sur le mur devant moi et la nature morte moldue et classique qui l'orne : un faisan, des pommes, des noix ouvertes. C'est sombre, rouge et brun comme un automne. J'ai un peu froid. "Je m'étais dit que... que je...", je balbutie et les larmes coulent.
"Andromeda !" proteste Ted. Peut-être voudrait-il que je me taise finalement ? Je laisse au contraire les mots sortir comme mes larmes :
"Narcissa et Lucius sont revenus..."
"Ah, ça !" commente Nymphadora presque rassurée, "Severus nous l'a écrit..."
"Vous les avez vus ?" interroge Remus.
Je tourne la tête vers lui, son visage fatigué et sérieux, son air concentré et soucieux. Et je n'ai que nouvelles fatigues, de nouvelles nuits blanches et soucis à lui offrir.
"Et c'est ça qui te met dans cet état ?" demande Nymphadora presque sur un ton de réprimande. J'y reconnais, comme un écho, les innombrables leçons que moi-même lui ai tenues dans son adolescence sur l'absolue nécessité de séparer le fond de la forme, la famille Black de notre famille, le public et le privé. Et pour la première fois, j'estime que le fait que ma fille ait, un certain nombre de fois, mis fin à ces leçons en cassant un vase sur le sol... était relativement sain !
"Remus, Dora", intervient alors Ted, avec un mélange très étudié d'autorité et jovialité, "je pense que vous devriez aller dans le bureau avec Dromeda, et nous, les garçons, si on allait aux écuries, comme on avait prévu ?"
Il aurait été compréhensible que tout le monde accepte sa médiation, que les garçons saisissent sa perche tendue d'échapper à une discussion d'adultes qui ne semblait aller nulle part, qu'ils fuient les larmes d'une grand-mère, qu'ils se tournent vers le plaisir et l'action. Mais le destin voulut que non. Ont-ils senti l'importance de ce qui pourrait se dire ? Les deux aînés de Remus se regardent et prennent la même décision :
"Que pourrait-il bien y avoir à dire sur les Malefoy que nous ne puissions entendre ?" demande Harry, en remontant machinalement ses lunettes. Et le sous-entendu est très clair : nous savons déjà bien que ce sont d'affreux Mangemorts ; ils ont déjà plusieurs fois comploté à ma mort ou à celle de mon frère ; qu'est-ce que nous ne pourrions pas savoir ? "Cher Harry, qui croit avoir déjà fait le tour de l'immensité de tours retors qu'une vie peut contenir !", je m'alarme encore.
"Maman ?" insiste Nymphadora.
En croisant son regard, je vois son inquiétude ; je me tourne vers Remus et comprends qu'il ne dira pas aux garçons de partir. "Sans doute n'est-il pas capable lui-même d'imaginer de telles abominations", je regrette. Ted, lui, semblait avoir renoncé à faire diversion. Il ne reste qu'à faire face. "Maudits Blacks, maudits Sangs-purs", je songe avant de souffler d'une voix rauque comme un regret un tout début d'explication :
"Narcissa m'a invité."
Tous me regardent ; tous attendent ; mais les mots se dérobent. De nouvelles larmes m'offrent une issue temporaire à mon angoisse et à ma frustration.
"Ce que Droméda n'arrive pas à formuler", intervient alors Ted, changeant radicalement de stratégie, "c'est qu'ils ne sont pas revenus seuls. Ils ont adopté un gamin de onze ans en Bulgarie..."
"Adopté ?" demande Harry, et à son expression, on voit que c'est la noblesse de la démarche qui l'étonne.
J'ai envie de lui dire que toutes les adoptions ne sont pas des chances ou des deuxièmes vies, mais les seuls mots qui glissent hors de mes lèvres sont :
"Il s'appelle Nero."
Mon intervention semble relancer Ted, même s'il a pas mal de difficulté à trouver ses mots :
"Et il.. je ne l'ai pas vu moi-même évidemment - mais Droméda trouve qu'il a l'air d'un Black..."
"C'est le portrait de Regulus Black", je conclus. Ma voix me paraît étrangement lointaine, comme si ces paroles avaient été dites par une autre que moi.
"Quoi ?" est le cri étouffé de Nymphadora.
"Vous voulez dire qu'il lui ressemble ?" reformule Remus pour tous les autres.
"Plus que ça", je les détrompe. Et c'est la chose la plus difficile à faire qu'il m'ait été donné de réaliser depuis longtemps.
"Maman, comment veux-tu...", commence Nymphadora, avant de s'arrêter elle-même, coupée dans son élan par les possibles.
"Je ne sais pas comment, mais je connais Regulus Black...", je réponds. Mes larmes ont cessé de couler. J'ai dit ce que j'avais à dire."Andromeda", intervient Remus, mais il n'eut pas le temps d'en dire plus. La colère me saisit, et je me dresse et hurle, image bien involontaire de la pure tradition des matrones Black :
"Ne me croyez pas Remus ! Je comprends que vous n'ayez pas envie de me croire, mais cet enfant... Une telle ressemblance, non seulement dans les traits mais aussi dans les manières, dans le maintien, dans la voix... ne se créé pas, même par magie ! Ne sous-estimez pas Lucius et Narcissa, leurs savoirs, leurs richesses et leurs capacités à obtenir ce qu'ils veulent..."
Tous d'abord semblent saisis par ma voix et par l'hypothèse que je développe. Ted le premier se secoue, poussant Harry de côté pour s'approcher de moi. Nymphadora et Remus s'interrogent du regard sur la conduite à tenir quand un cri retentit dans le hall, se répercute sur les murs. Un cri d'enfant, de refus et de chagrin :
« Regulus est mort », hurle Cyrus, en partant en courant, traversant le jardin, sautant la barrière vers le verger et les champs, Harry et Remus sur les talons.
Voilà le décor.
Le prochain s'appelle Une trop grande mémoire...
C'est Cyrus qui raconte.