Juste une mise en garde : malgré la nature des protagonistes, cette histoire n'est pas le miroir de Vingt-Cinq Jours d'Humanité
- un autre Lupin et une autre Tonks en quelque sorte.
C'est aussi l'envie de me mettre dans la peau de quelqu'un qui ne me ressemble pas...mais alors pas du tout !
Et qui mieux que Tonks sait changer d'apparence ?
Sinon toujours aussi redevable à l'univers de Mme Rowlings, à mon amie Alixe et à ma complice Vert...
L'histoire s'appelle :
Le bréviaire (amoureux) d'une Auror métamorphe
Ça commence par une citation :
« If you want another kind of love I wear a mask for you »
Leonard Cohen - qui d'autre ?
I- La faiblesse de l'adversaire
Ça n'aurait jamais dû finir comme ça.
Je m'entends : je ne regrette pas qu'on ait baisé – c'était le but de l'affaire, et j'ai pris davantage de plaisir que je ne m'y serais attendue - à croire que ce Remus Lupin ait eu une vie sexuelle plus riche qu'on le supposerait à première vue ! Non, ce qui n'était pas prévu, c'est que Sirius me jette de Square Grimmaurt le lendemain matin, en me traitant de « Putain de Black ! ». Il n'était pas plus prévisible que je me retrouve à boire un café dégueulasse dans un troquet moldu pourri en me demandant à quel moment j'avais tant merdé pour que je mérite un pareil traitement. Ni que mes mains tremblent comme si tout cela m'atteignait. Comme si le jeu avait cessé de l'être.
Comment tout ça a-t-il commencé ? Le café insipide ne m'aide pas à m'y retrouver. Quand Sirius m'a présenté Lupin ? Non, jamais ce jour-là je n'ai vu en lui une quelconque menace, un quelconque défi. Il m'a paru gentil, usé – comme la vieille légende qu'il était pour moi. On devrait toujours se méfier des pouvoirs cachés des vieilles légendes.
Lorsque Kingsley m'a fait en grande pompe entrer dans l'Ordre ? Non plus. Je crois que ce soir-là, j'étais tellement excitée et tellement soucieuse de ne pas faire de gaffe que j'aurais pu jurer sur ma baguette que jamais je ne jouerais à mon jeu favori en son sein. J'aurais peut-être mieux fait, d'ailleurs... La vitre du café me renvoie mon image quand je passe une main nerveuse dans mes cheveux roses en pétard. Je ferme les yeux, gênée par ma propre apparence. J'essaie de me concentrer. C'est là, ancien, tapi au fond de moi même.
Quand j'ai découvert – bonne et surprenante nouvelle ! - que j'avais un cousin moins pourri que Drago Malefoy ? Plus loin, je crois. Et je reprends du café pour regarder cette petite vérité en face : Je crois bien que ça me renvoie dans la gueule mon identité – le fait ancien et têtu que je sois métamorphomage.
Une bénédiction diront certains. Un don affirment la plupart. Une vraie saloperie – je leur réponds à tous. Il paraît que tout le monde rêve ou a rêvé de changer d'apparence – c'est ce que me répétait ma mère quand je ne trouvais pas le sommeil. Aujourd'hui encore, je me demande bien pourquoi ! Que redoutent-ils tant devant leur miroir ?
Pouvoir changer d'apparence, pouvoir prendre n'importe laquelle, présente bien sûr des avantages techniques de l'âge où l'on cueille des cerises dans le jardin des voisins à celui où l'on file des mangemorts dans les rues de Londres. Mais croit-on que l'apparence n'est que superficielle ? Que l'âme est si profondément enfouie qu'elle ne subit aucune altération quand on joue avec la forme du corps ? Oui, je parle de santé mentale. Et, même si le prix n'est pas aussi élevé, le changement n'est jamais gratuit.
Moi même, j'ai mis longtemps à m'en rendre compte. J'ai mis encore plus de temps à décider ce pour quoi j'étais prête à jouer avec les limites de mon corps – qui sont aussi celles de mon esprit. Et, après pas mal d'errements, je me suis tenue à deux règles : mon propre plaisir – de la blague innocente à la séduction - , et mon boulot – qu'on me paie (en or ou en honneur) pour cela me semble rééquilibrer la balance du risque.
Dans la pratique, c'est, reconnaissons-le, la première utilisation qui a été la plus courante. Et c'est aussi celle-là qu'a si violemment condamnée Sirius ce matin.
Mon café tremble sur la table parce que je ne peux toujours pas penser à cette scène sans avoir envie de taper sur quelque chose – et la table moldue n'est pas très solide. Est-il bien placé cet adolescent attardé, séducteur mythique et inconséquent, Gryffondor jusqu'à la parodie par peur de faire montre de la moindre ruse serpentarde pour me juger ? Quel grand crime ai-je donc commis ? N'est-ce pas lui qui m'a présentée Lupin et, fort de ce que nous ayons ri des mêmes choses, m'a plus ou moins directement demandé de mettre le même Lupin dans mon pieux ? Si, si, comme au grand temps des Black où le chef de la famille décidait des droits de cuissage.
Le gars en face de moi dans le café s'étonne que je frappe une nouvelle fois sur la table. J'inspire. Evidemment, Sirius n'a pas présenté ça comme ça – plutôt comme un à-côté, une bonne action que je ferais. Il faut dire qu'il suffit de passer trois soirées d'affilée avec les deux pour ressentir leur frustration, leur quasi-castration. Ils n'ont pas quarante ans mais ils en semblent soixante pas certains côtés – et pas seulement parce que leurs corps sont prématurément usés, mais parce que leurs rires tremblent, comme leurs mains.
Le pire est quand cette impression s'efface – fugitivement, sans prévenir, quand leur vieille connivence prend le pas sur leur déception. C'est terrible parce qu'il semble que cette éclaircie est, toujours et encore, enracinées dans un passé sublimé et éphémère – sept ans de leur vie comme une parenthèse.
Je me décide à payer mes cafés et à sortir marcher parce que cette table, je vais finir par la réduire en miette. L'air frais du matin m'aide à trier mes pensées confuses. Je perçois bien une des raisons qui m'a fait me prendre au jeu. Je ne suis pas totalement dupe de mes faiblesses. Il est certain que comme n'importe quel gosse, j'adore les histoires de Maraudeurs. D'abord, parce qu'ils sont restés dans la légende de Poudlard, mieux que si un chapitre de l'Histoire officielle de l'école leur était consacré. Ensuite, parce que quatre garçons brillants, réunis et farceurs, ça fait un bon support pour l'imagination - et le fait que mon cousin y soit mêlé y a toujours joué un rôle, comme si le sang que nous partagions me donnait un droit sur ses aventures même si son nom était alors chargé d'opprobre. Alors, quand on voit les deux êtres blessés que la légende a finalement engendrés, la photo devient assez amère, et on a vite envie de lui donner d'autres couleurs.
Et hier soir n'a pas été différent des autres soirs. Sirius était content de nous voir rester avec lui dans sa trop grande baraque lugubre après le départ des membres de l'Ordre. Molly m'a même demandé pourquoi je restais. À sa réaction quand je lui ai répondu « Sirius », elle doit déjà l'avoir classé comme une cause perdue – et, ça aussi, ça m'a donné envie de lui donner tort. Non que je ne respecte pas l'expérience positive que Molly a de l'existence, mais parfois sa bonne conscience me pousse à la rébellion, à trouver des excuses aux pas-raisonnables, aux ténébreux, aux désespérés. Il faut dire que je ne crois pas devoir creuser beaucoup pour trouver mes propres démons – tant mieux si les autres les pensent lointains ou inconsistants à cause de ma carapace rose.
Remus n'avait pas trop l'air épuisé pour quelqu'un qui revenait d'un séjour chez les partisans de Greyback. A le regarder, j'avais même cette intuition que, pour difficile et dangereuse qu'elle soit, cette mission, que seule quelqu'un comme Dumbledore pouvait avoir imaginée, lui donnait une énergie nouvelle – celle qu'on ressent quand on a quelque chose à faire, même si on doit y laisser sa peau. Une ânerie plutôt que rien. Je le sais, je suis comme ça.
On a commencé à plaisanter, lui et moi – un homme de son âge ne délire pas. Pourtant, c'était du même ordre. On faisait comme si les horreurs qui encombraient la maisonnée Black pouvaient nous comprendre et on leur demandait de partir, de nous laisser, nous les humains, vivre une vie digne. On a commencé à danser à tour de rôle avec une armure qui traînait dans un coin et quand elle perdait une partie, on lui reprochait de ne pas savoir se tenir... D'autres choses du même genre... J'ai un peu perdu le compte. Sirius nous regardait en buvant du whisky de feu, souriant, et parfois ponctuait nos frasques d'un rire d'aboiement.
Sirius avait parlé de dîner quand il nous avait retenus, mais il y eut surtout à boire. Ni Lupin ni moi n'avons trouvé à y redire. On s'enfonçait tous ensemble dans ce bienheureux coton où tout est lointain et sans conséquence. Sirius avait de l'avance et il a très vite sombré, les yeux clos et la bouche ouverte, dans un vieux fauteuil près de la cheminée.
« Il ne mange pas assez », a constaté Lupin, en allant le couvrir avec cette prévenance soucieuse qui m'avait posé des questions sur leur relation quand je les avais rencontrés.
« Pourquoi mangerait-il ? » ai-je rétorqué, légère et inconséquente. Je m'attendais à qu'il saisisse la perche et me parle des phénix qui se nourrissent de vent ou qu'il invente même des nourritures invisibles, mais j'ai réveillé la profession de foi.
« Parce que... », il avait du mal à parler, comme si l'air lui manquait. La révolte en quelque sorte, me suis-je dit. « Il ne doit pas abandonner ! Harry, Harry a besoin de lui ! »
Harry. Je ne l'avais encore jamais rencontré ce gamin. Je me méfiais de mes propres attentes sur le sujet d'ailleurs. Trop de légendes pour trop peu d'années, il me semblait. En même temps, la magie est assez irrespectueuse de l'âge. On devient rarement un grand sorcier par hasard, me semble-t-il. A moins que je n'aie été polluée à mon insu par les opinions de ma famille maternelle. Mais bref, Harry était sans doute une des raisons multiples et indicibles qui m'avaient faite adhérer à l'Ordre.
Pourtant j'étais souvent gênée de la manière dont son nom était invoqué pendant les réunions de l'Ordre – et le fait est que son nom n'intervenait pas si souvent que cela. Il m'aurait semblé normal qu'il soit là quand nous débattions ab nauseam mais à mots couverts de ses chances face à l'horreur absolue que constitue Voldemort. Mais j'ai découvert ensuite que c'était encore pire quand Sirius et Lupin en discutaient.
Oui, ils étaient inquiets pour lui, ce qui est normal. Mais à les entendre, ils auraient su quoi faire à sa place et regrettaient avant tout de ne pas avoir même la possibilité d'essayer. Enfin, ça c'est Sirius. Lupin, lui, me semble profondément divisé entre un amour inconditionnel pour ce môme – il peut pendant des heures le décrire son intelligence, son agilité, sa loyauté, son courage... - et une terreur quasi mystique de devoir s'occuper de lui.
« Harry peut compter sur plus que Sirius », j'ai donc constaté à haute voix, parce que la question a fini par m'intéresser et que je ne suis plus à une provocation près.
« Bien sûr », il a reconnu, un peu mécaniquement. Par bonne éducation – on ne contredit pas les dames - plutôt que par conviction. « Mais James et Lily...voulaient que ce soit Sirius », il m'a opposé. Et nous touchions là à deux autres icônes, je l'avais déjà appris.
« T'as été son prof ? » j'ai demandé pour couper au pathos. Oui, sans doute, ce James et cette Lily auraient dû avoir une autre vie – je voulais bien l'admettre. De là à priver quiconque leur aurait survécu de la sienne, ça me paraissait un peu exagéré. Mais je n'étais pas là pour les psychanalyser. Qu'est-ce que je foutais là, d'ailleurs ? Je me souviens m'être demandé pourquoi je n'étais pas plutôt sortie danser avec ce petit stagiaire espagnol au corps souple et aux yeux de braises qui me le proposait depuis des semaines.
« Une année », il a répondu – et il ne faisait aucun doute que cette année avait compté pour lui. « mais tu le sais déjà », il a aussi remarqué.
C'est le truc dérangeant avec Lupin. Il paraît totalement barré dans sa névrose mélancolique, et puis, d'un seul coup, il est tellement précis et malin qu'on le croirait légilimens.
« Oui, je le sais déjà », j'ai humblement reconnu. Je sais accepter les défaites, je crois. « En fait... je voulais dire : toi aussi, tu... », j'ai repris, puis j'ai manqué de cran et j'ai essayé de me défiler : « Tu disais l'autre fois que tu lui avais appris à faire un patronus... »
Sirius adorait cette histoire – l'alliance du prof et de l'élève contre les règles, la puissance de Harry – il ne s'en lassait pas. Et Remus trouvait sans doute qu'elle le mettait à son avantage – ce qui était vrai. J'étais pas encore assez vieille pour avoir oublié mes démêlés théoriques et pratiques avec le patronus ; je trouvais d'ailleurs que le mien n'avait jamais l'air totalement convaincu de m'appartenir ; comme s'il n'était pas là pour rester. Alors, qu'un môme de treize ans soit capable d'en faire un aussi puissant que ce que Remus décrivait...il y avait de quoi être impressionnée et supporter une énième version de l'évènement.
Mais Lupin haussait les épaules, pas dupe de mes efforts pour revenir à une conversation sympathique.
« Un résultat remarquable, mais je ne sais pas si c'est le professeur qu'on doit admirer ou le gamin qui a su faire face à des choses monstrueuses... »
S'il le fallait, le loup-garou était là pour donner un corps au monstre, semblait-il dire. J'ai pas pu m'empêcher de frissonner un peu. Cet homme, à la fois élancé et légèrement voûté, fin et usé, joueur et désabusé, charmant à sa façon et indifférent aux effets de son charme, cet humain en deux mots, se transformait tous les mois en monstre – en fait, je ne crois pas que j'arrivais à bien le concevoir. Et l'alcool n'aidait pas. Je me suis réfugiée dans notre conversation :
« Tu l'as quand même un peu aidé, non ? » j'ai demandé en me moquant. Il aurait pu entendre que c'était du badinage, mais il peut parfois s'enfermer dans un fonctionnement moi-je-suis-un-monsieur-sérieux :
« Et donc ? » il a demandé.
Ça m'a fatigué. J'ai tout déballé. Tant pis si je bousculais son petit Panthéon. J'en avais assez du jeu.
« Il doit bien savoir qu'il peut compter sur toi ! Tu ne vas pas me dire que ses parents n'auraient pas voulu ça !? »
Ses yeux dorés se sont furtivement voilés.
« Non », il a répondu comme à regret. « Mais je ne peux pas lui laisser espérer plus que ça : une aide technique et marginale. ».
J'ai retourné sa réponse dans ma tête sans bien comprendre.
« Par opposition à quoi ? » j'ai demandé, en me tournant presque inconsciemment vers Sirius. Remus a suivi mon regard et a eu un curieux sourire.
« Ne te méprends pas, Tonks. Sirius pourrait apporter à Harry tout ce dont il manque : un peu de fantaisie, une loyauté sans faille, une oreille attentive... »
« Et pas toi ? » je me suis franchement étonnée.
Il a secoué la tête.
« Que tu le veuilles ou non, je suis encore plus proscrit que Sirius. Ce n'est pas parce que je peux encore me déplacer que mon statut est meilleur. Je suis une ombre, Tonks. »
Ce coup-là, je me suis dit qu'il fallait mieux laisser tomber. Je le sortirais pas par une discussion, raisonnable ou non, de son misérabilisme. J'ai laissé s'installer le silence ; il allait bien avec l'ambiance. Comme il durait, j'ai fini par aller remettre du bois dans le feu. La chaleur physique était agréable ; j'ai retiré mon pull. D'abord sans préméditation et puis, quand je me suis rendu compte de la longueur du tee-shirt que je portais en dessous, je me suis dit que ça provoquerait peut-être cette étincelle qui élargirait mon tableau de chasse.
C'était venu comme ça, pas vraiment innocemment mais sans réelle préméditation. Comme des tas d'autres fois. Je ne crois pas que j'en aurais fait une maladie si rien de plus ne s'était passé.
Mais, en contemplant les flammes, j'ai pensé relativement objectivement que la lumière sur mon corps devait être jolie, vue d'où il était. N'importe quel mec normalement constitué serait venu me rejoindre. Mais lui, il a mis un putain de temps à bouger. Et en plus, ça a été pour aller regarder la bibliothèque et en sortir un épais volume. Non mais vous avez vu ça ? Il me préfère un livre. Ça m'a fait bouillir le sang de dépit. Puis je me suis calmée. En fait, ce mec là, il n'était que comme les autres. Il ne s'intéressait pas à moi ou uniquement comme un amusement. Et là, à la guerre comme à la guerre.
Je suis venue derrière lui. Il regardait un album photo. Et il ne m'a pas fallu deux pages pour reconnaître tous les acteurs du temps doré de leur jeunesse.
« Tu sais, Dora...jamais...jamais j'aurais crû que ça finirait comme ça », il a dit finalement. Preuve qu'il avait repéré mon approche. Je n'ai même pas relevé qu'il se mettait à utiliser le même surnom débile que Sirius à mon égard. C'était moins pire que mon vrai prénom de toute façon.
« Je n'ai jamais pensé que ma vie serait facile... ou qu'il n'y aurait pas une vraie guerre, vu l'ennemi que nous avions laissé se développer parmi nous... Mais... » Sa main a glissé sur la page et s'est arrêtée sur un portrait de Lily, les premiers boutons de sa robe d'école ouverte sur un chemisier d'été, hautement suggestif. Elle riait, la tête en arrière. Un rire léger et musical – à moins qu'il n'ait été arrangé par le photographe après, je me suis méchamment dit.
« Que...quelqu'un comme elle... », sa voix s'est brisée.
Il ne restait qu'une chose à faire, et ce n'était pas la première fois que j'offrais à un compagnon d'un soir de coucher avec son fantasme favori. J'ai laissé de longs cheveux roux cascader sur mes épaules, mes pupilles changer de couleur, mon visage s'allonger... Je n'ai pas eu besoin de métamorphoser mes vêtements. Il avait déjà lâché l'album. Ses mains tremblaient. J'aurais pu demander s'ils avaient déjà baisé ensemble – il y a toujours un risque de briser le charme sur des détails; mais j'avais la certitude que jamais un Remus jeune, orgueilleux et gryffondor avait pu oser imaginer basculer la parfaite Lily sur la table de la salle commune. Mais il avait vieilli ; il avait appris que la vie repasse peu de plats et que l'orgueil était trop cher pour lui... Peut-être même avait-il décidé que le courage n'était pas là où on il le plaçait plus jeune.
On a vite roulé sur le tapis devant les flammes de la cheminée. Sirius n'a même pas grogner dans son sommeil d'ivrogne et pourtant... pourtant on n'a pas fait ça en catimini et en vitesse. La puissance du fantasme... ce n'était pas la première fois que je vérifiais ça, mais... disons que j'en ai eu pour mes gallions. Jusqu'au bout.
C'est une sensation de froid qui m'a réveillé. Le tapis élimé était rêche sous mon corps nu et une couverture inconnue était jetée sur moi. Mais le froid était intérieur - l'alcool, je me suis dit en me redressant pour croiser les yeux globuleux, dégoutés et réprobateurs de Kreaturr. On fait mieux comme réveil. J'ai cherché Lupin des yeux mais il n'y avait que le vieil elfe de maison et moi dans le petit salon des Black.
« Maître Sirius – le méchant maître...est dans la cuisine... avec le demi humain », il a crachoté comme s'il avait lu en moi la question.
Ça m'a fait une autre douche. C'est pas dans mes habitudes de dire au revoir. Généralement je me casse avant le petit-déjeuner. Ça évite les faux serments, les remettons-ça ma chère ou tout autre développement indésirable... J'aimais pas l'idée qu'ils s'étaient réveillés avant moi. Je les imaginais confusément côte à côte me regarder dormir et je frissonnais. J'espérais sincèrement que c'était Lupin qui avait eu l'initiative de la couverture et que Sirius ne m'avait pas vue nue au milieu du tapis. En pensant ça, je me suis rendu compte que j'avais toujours l'apparence de Lily Potter... C'était facile à corriger, mais ça renforçait mon sentiment de malaise. Décidément, ça m'échappait totalement cette histoire.
En me rhabillant, j'ai espéré qu'ils n'aillaient pas être hypocrites – on avait tous eu ce pour quoi on était venus, non ? Et eux encore plus que moi, non ? On était tous des adultes ? Pas la peine de se raconter des salades. C'était logique mais pourtant, j'avais un drôle de creux à l'estomac en me dirigeant vers la cuisine – non, je n'avais pas faim... enfin pas tant que ça.
Je les ai entendus avant de les voir.
« Laisse tomber Sirius, c'est de ma faute », disait Lupin, avec une voix résignée, fatiguée, comme si ça faisait plusieurs fois qu'il répétait ça. Et connaissant Sirius, ça devait être le cas.
« Quoi, elle te saute dessus, déguisée en Lily, et c'est de ta faute !? », éructa mon cousin, invoquant les icônes de la maisonnée au secours de la bienséance. Etait-ce moi qui avait besoin de baiser ? Je vous le demande. Ça m'a quand même figée dans le couloir de me voir condamnée avant même d'être entendue.
« J'aurais pu refuser », contra doucement Lupin.
« Putain Remus ! T'es pas en bois ! Tu l'aurais sautée de toute façon, non ? » l'excusa Sirius magnanime – à la vie, à la mort, les deux potes unis contre le reste du monde. Ça avait presque un côté attendrissant ! Je n'ai pas compris ce que Lupin répondait.
« Pourquoi elle a fait ça ? » a repris le même cousin, avant qu'il ait fini, il m'a semblé.
Parce que tu me l'as demandé, rappelle-toi ! J'ai eu envie d'hurler de l'encoignure de la porte.
« Ça n'a pas le même sens pour elle que pour no... » essaya Remus plus fort. Ça m'a agacé de le sentir réduit à son sempiternel rôle de raisonnable. Je préférais le loup que je voyais briller au fond de ses pupilles la nuit dernière. Je me suis demandée ce qu'il dirait si je balançais ça. Je ne sais même pas trop ce qui m'a retenu de le faire d'ailleurs.
« Du sens ? Quel sens tu veux trouver à ça, à part que c'est une putain de perverse ? » hurlait en réponse mon charmant cousin.
« Sirius, je ne crois pas... » - soupira Lupin. Peut-être voulait-il défendre le piment sexuel mais moi, sur le seuil de la cuisine, j'ai décidé que j'en ai assez entendu.
« Je vois qu'on a des regrets », j'ai lancé en entrant. Et ils m'ont d'abord regardé avec stupeur comme si j'avais réussi à transplaner dans l'enceinte de Poudlard – ils croyaient quoi que j'allais partir comme une voleuse ?
« Tonks », a balbutié Remus comme une prière. Il avait l'air presque inquiet le pauvre chou. Il semblait oublier que j'étais Auror et que j'étais en âge de me défendre seule.
« Tiens, tu t'es changée ? » m'a balancé Sirius sur un ton comment dire, sarcastique ?
« Tu me préférais rousse ? » j'ai rétorqué – il m'a semblé que Remus désapprouvait, sans que je puisse totalement décider ce qu'il désapprouvait : que j'assume ?
« Tu n'as aucun respect ! », m'est tombé dessus Sirius, la barbe en bataille, les cheveux emmêlés, l'haleine à faire reculer un dragon – et ça me parlait de décence ?
« Il s'agissait de se faire du bien Sirius, tu te rappelles ? » j'ai crâné.
« Ramener les fantômes ne fait de bien à personne », il m'a hurlé – et je crois qu'il parlait de lui avant tout. Est-ce qu'il en avait pincé aussi pour cette Lily ? je me suis demandée. Désespérant.
« Il suffit de te regarder », j'ai donc contre-attaqué. C'est plus fort que moi, dans ces moments-là faut que je la ramène. J'ai cru que Sirius allait me frapper, avec ses poings. Et puis il a sorti sa baguette, j'ai fait de même, et Remus s'est interposé. Ça s'est passé très vite, avec très peu de gestes inutiles. On aurait pu croire qu'on avait répété.
« Il n'en est pas question ! » lui a affirmé Lupin. J'aurais jamais cru que ça suffirait, mais Sirius a eu l'air de remettre à plus tard son envie de me faire exploser.
« Casse-toi », il a craché, en rempochant son arme. « Casse-toi, misérable putain de Black ! »
J'ai regardé Lupin qui se tenait devant lui, les bras ouvert, comme un stupide joueur de rudby moldu prêt à un placage. Il me tournait le dos et c'était difficile de savoir ce qu'il pensait. Pourtant je venais de décider que je ne partirai pas sans qu'il me le demande. Alors on est resté planté là. Tous les trois. Plusieurs secondes. Il a fallu que Sirius se détourne pour que Remus jette un coup d'oeil par dessus son épaule.
« Nymphadora, je crois que le mieux est de faire ce qu'il dit... » il a finalement murmuré quand il a compris que j'attendais son avis.
Devant autant de mauvaise foi, j'ai préféré partir.
Ils sont pas près de me revoir.
Et pourtant, je vous jure qu'il y a une suite. ça s'appelle même Garder l'initiative...
A bientôt.