Libres de Toute Attache
Harry sortit lentement du bureau de Dumbledore avec un énorme poids sur la poitrine. Cela l'oppressait et l'empêchait presque de respirer. Il devrait retourner à son dortoir comme le directeur le lui avait demandé mais il avait besoin d'air. Il sentait qu'il étouffait.
Il marcha lentement, tel un automate, dans les couloirs en direction de la cour. Il faisait sombre dehors. Une nuit sans lune. Mais l'air chaud était tout aussi étouffant qu'à l'intérieur malgré la douce brise qu'il pouvait sentir dans ses cheveux.
Il ne put empêcher les larmes de couler sur ses joues alors que la peine lui enserrait le cœur. Sirius était mort … Il était venu le sauver. Il s'était … sacrifié pour lui. Et maintenant, il venait d'apprendre tout le reste, la prophétie, son destin… Dumbledore l'envoyait à la mort pour gagner cette guerre. Il ne l'avait pas dit ouvertement mais Harry n'était pas idiot, il y avait toujours cette petite partie serpentarde là, cachée sous des couches et des couches de griffondoritude et d'arrogance qui servaient à le protéger.
Ses membres tremblaient alors qu'il voyait son avenir proche. Ou plutôt son absence d'avenir. Il mourrait bientôt. Telle était la prophétie. L'un devait mourir de la main de l'autre. Aucun ne peut vivre tant que l'autre survit. Sauf qu'il n'avait pas encore seize ans ! Voldemort était un sorcier accompli depuis de très nombreuses années et était un Maître dans de nombreux domaines. Lui il dépassait à peine la moyenne sauf pour DCFM. Il était foutu.
Il voyait peu à peu son sombre futur comme des chaînes qui l'entravaient et l'empêchaient d'avancer. Mais il voulait avancer, il voulait courir, il voulait … vivre ! Il voulait quitter cette sombre grotte aux promesses de mille souffrances et de sa mort pour vivre pleinement dans sous la lumière du soleil. Il voulait parcourir de vastes de plaines et des terrains boisés au gré de ses envies, il voulait pouvoir faire ce qu'il voulait quand il le voulait sans que personne ne lui dicte sa conduite, il voulait pouvoir dormir où il voulait, il voulait … être aussi libre que l'air.
Il ne s'était pas rendu compte tout de suite qu'au fur et à mesure de ses réflexions, il s'était mis à courir. Il courrait toujours, accélérant le pas, frôlant à peine le sol de ses pieds, comme s'il ne faisait que le caresser alors qu'il se dirigeait vers la Forêt Interdite. Et autre chose qu'il n'avait pas encore remarqué, c'était qu'il avait enfin réussi l'exercice qu'il échouait sans cesse durant ces sept derniers mois. Il s'était enfin transformé, seulement poussé par son instinct et son désir de liberté.
Fort heureusement pour lui, une seule personne en était témoin. En effet, inquiet pour le jeune homme, Severus Snape l'avait suivi, toujours dissimulé dans les ombres des couloirs. Il avait cru voir une lueur d'horreur dans les yeux émeraudes et il craignait de ce que pourrait faire le Gryffondor. Une erreur comme tenter de se suicider ne le surprendrait même pas au vu des derniers événements. Potter était si bouleversé …
Il ne l'avait pas réprimandé quand il s'était dirigé vers l'extérieur et non vers sa salle commune. Des fois, le besoin d'air et de solitude pouvait faire du bien. Il l'avait lui-même souvent recherché durant les pires épreuves de sa vie. Ce dont il ne s'attendait absolument pas par contre, c'était de voir le jeune homme s'enfuir en courant. Le Maître des Potions avait fait trois pas avant de se figer, les yeux écarquillés sous la surprise. Il ignorait que Potter était un animagus.
En effet, Harry venait de se transformer en un magnifique cervidé. On ne pouvait pas à proprement parler de cerf dans son cas. Oui, il avait la belle ramure mais il avait d'autres bois qui lui sortaient tout le long de son encolure, telle une série d'épines comme on en retrouvait chez quelques espèces de dragons. On aurait pu croire à un être adulte et pourtant on pouvait encore voir les taches blanches du faon sur sa robe brun-gris, taches qui devaient normalement disparaitre avant la pousse des premiers bois chez le daguet. Quant à sa queue, elle était bien plus longue que chez un cerf classique et rappelait à Severus l'appendice des oiseaux-tonnerres.
L'animagus d'Harry Potter était une créature magique encore inconnue. Ce garçon ne faisait jamais rien comme tout le monde. Malgré le fait que l'animal ressemblait beaucoup à l'animagus de James Potter, le Serpentard ne put que sourire devant une telle beauté.
« Vous pouvez être fiers de votre fils, » murmura-t-il dans la nuit noire avant de se transformer à son tour en un magnifique corbeau.
Il prit son envol et suivit le Cervidé qui disparaissait déjà sous le couvert des arbres. Tout en le suivant, il se demandait ce qu'avait Potter en tête, puis tout fut clair alors qu'ils quittaient les terres de Poudlard. Il fuyait…
'Pas très Gryffondor,' ne put-il s'empêcher de penser.
Mais il ne pouvait pas blâmer le jeune homme. Lui-même aurait fui dans cette situation. Il aurait même fui plus tôt en découvrant qu'il était la cible du Seigneur des Ténèbres. Il serait parti se cacher là où personne ne le retrouverait. Il semblerait que l'annonce de la prophétie ait déclenché ce déclic en Potter, l'instinct de survie.
Il l'aurait bien laissé seul mais il avait fait une promesse. Il le suivit donc pour le protéger, veiller sur lui, comme il l'avait toujours fait à Poudlard. Ainsi, les deux animaux partirent loin, sans destination précise, le Cervidé dans un premier temps ignorant de son compagnon à plume.
En réalité, il le remarqua quand ce dernier se posa à quelques mètres de lui, sur un rocher, quand ils arrivèrent en bordure de mer. Severus était un brin amusé. Où Potter espérait-il partir ? Ils étaient sur une île. À moins d'avoir des ailes, il ne pouvait aller nulle part.
Le Cervidé repartit vers des plaines non loin et s'abreuva à un point d'eau avant de lever les yeux vers le Corbeau qui semblait le suivre comme son ombre. Il se doutait qu'il s'agissait d'un sorcier, un membre de l'Ordre peut-être, mais il ne voulait pas parler. Il voulait rester comme ça. Il était bien. Il se sentait enfin libre et la douleur de la mort de Sirius se faisait moins sentir sous cette forme. Ils voyagèrent encore ensemble durant une semaine, arrivant à une autre berge, de l'autre côté de l'immense île qu'était la Grande Bretagne.
Un soir, Severus choisit malgré tout de reprendre forme humaine pour pousser son élève à se confier afin de comprendre ce qu'il cherchait vraiment. Il se posa donc devant lui et s'approcha en trois bonds avant de réapparaître devant lui dans ses éternelles robes noires. Le Cervidé se redressa rapidement et recula.
« Ne t'en vas pas, Harry, » dit simplement le Maître des Potions. « Je cherche juste à comprendre tes actions pour mieux savoir comment t'aider. »
L'animal brama alors qu'il secouait légèrement sa tête et les poils de son encolure. Si le geste était simple, au vu des grandes ramures, cela restait impressionnant à regarder. Severus s'approcha lentement et tendit la main, paume vers le haut. Il lui fit un petit sourire en coin, doux, alors qu'il le voyait légèrement se rapprocher.
« Tu as un magnifique animagus, Harry. Tes parents seraient fiers de toi. Black aussi sûrement. »
L'animal émit un léger son qui ressemblait à une plainte.
« Je sais. C'est dur de perdre ceux qu'on aime… C'est pour ça que tu pars ? Que tu t'es transformé ? »
Il croisa le regard vert d'Harry.
« Je suis désolé, » murmura-t-il en glissant sa main sur son encolure. « Mais j'attends réellement une réponse et puisque tu es sous forme animale, je ne peux pas la récupérer en entrant dans ton esprit comme en cours d'occlumancie. Tu vas devoir te retransformer. »
L'animal émit d'autres sons plaintifs.
« Harry, s'il te plait, reprends forme humaine. Si tu décides de te retransformer après, je ne t'en empêcherais pas, tu as ma parole. Mais je dois comprendre si je veux pouvoir respecter une autre promesse. » Le Cervidé reporta son attention sur l'homme, le fixant dans les yeux. « J'ai promis à ta mère de te protéger, Harry, » continua Severus dans un murmure. « Quoi que cela m'en coute. »
La sincérité du Maître des Potions amena le Gryffondor à revenir pour un instant parmi les hommes, même si c'était avec reluctance. La main de Severus passa progressivement d'une encolure chaude et douce du Cervidé à l'épaule vêtue d'un simple T-shirt qui avait connu des jours meilleurs en l'espace de quelques secondes.
« Magnifique transformation, Harry. »
« Cela fait bizarre de vous entendre m'appeler par mon prénom, » murmura le jeune homme avant de renifler.
« Tu préférerais Potter ? » fit Severus en relevant un sourcil.
« Non … hmm… Harry, c'est bien. Juste… presque personne ne m'appelle ainsi. Juste … mes amis, le professeur Dumbledore, Remus et … Si… Sirius. »
« Et ta famille ? »
« Garçon, Gamin, Potter, … quand ce n'est pas directement Monstre. »
« Je ne savais pas… »
« Je ne le crie pas sur tous les toits non plus, Monsieur. » Harry renifla encore. « Que voulez-vous savoir ? »
« Pourquoi tu cours ainsi depuis une semaine ? Pourquoi être parti de l'école ? »
« Je … ne sais pas trop comment expliquer. Courir me fait me sentir … bien. Je peux oublier et courir pendant des heures sans penser à rien d'autre que la terre, l'herbe sous mes sabots… »
« Tu pourrais tout aussi bien ressentir cela en courant dans le parc à Poudlard, » nota Severus en faisant apparaitre un banc d'un coup de baguette.
Ils s'y installèrent et le Serpentard veilla à garder une main sur l'épaule du plus jeune, rassurant.
« Mais rester à Poudlard signifierait que je suis obligé à un moment ou à un autre, je devrais reprendre forme humaine et le laisser me tuer. »
« Pourquoi tu dis cela ? »
« Parce que je sais encore compter, professeur. Je vais seulement avoir seize ans. Je n'ai que cinq années d'expérience en matière de magie et je ne suis même pas spécialement doué. Voldemort a eu des dizaines d'années pour étudier et perfectionner sa magie. Il fait peur à tout le monde. Je n'ai aucune chance. Et cette prophétie… elle dit clairement que l'un de nous doit mourir. Je ne peux pas gagner. C'est impossible. »
Au fur et à mesure qu'il disait cela, la voix du jeune homme s'était faite plus tremblotante et des larmes avaient coulés sur son visage. Ses yeux exprimaient la peur.
« Oh … Harry… »
Severus fit la seule chose qu'il pensait pouvoir aider le Gryffondor. Il le prit dans ses bras et le serra doucement, rassurant. Il le sentit se tendre un instant avant de venir en chercher plus et de pleurer contre ses robes.
« Je suis tellement désolé, Harry, » murmura le Serpentard.
« Je voudrais tellement pouvoir faire ce que je veux pour une fois. Qu'on me laisse le choix, » pleura le jeune homme en le serrant plus fort. « Je veux être libre et non plus l'instrument que d'autres brandissent… Je ne veux pas mourir ! »
« Personne ne veut mourir, Harry, » répliqua doucement Severus, le cœur serré par les demandes simples du jeune homme.
Il le serra encore plus fort contre lui.
« Courir t'aide à te sentir mieux ? » demanda-t-il ensuite en s'écartant légèrement.
Harry hocha simplement la tête.
« Alors allons te trouver un endroit bien plus large pour te laisser courir. »
« Vous … et le professeur Dumbledore ? »
« Au diable, Dumbledore, Harry. Tu ne devrais pas te sacrifier pour nous. Tu devrais avoir le choix de te battre ou non. »
« Je ne veux pas. »
« Alors viens, » fit Severus en lui tendant la main.
« Où allons-nous ? »
« Sur le continent. Plus de limite de terrain comme ici. Il faudra juste être prudent pour les Moldus car tu n'es vraiment pas un cerf classique. Mais … Si tu veux être libre de courir et de vivre, je ne suis pas contre l'idée et cela ne m'empêche pas de continuer à te protéger. »
Harry lui fit un petit sourire timide et prit la main offerte. Severus sourit et le guida un instant avant d'attraper une branche de bois mort qu'il transforma en portoloin. Ils le saisirent tous les deux et ils sentirent comme un crochet les attraper au niveau du nombril. Ils réapparurent dans une forêt d'épicéas.
Le Gryffondor observa les lieux autour de lui, curieux. C'était boisé et montagneux.
« Nous sommes dans la Forêt Noire, en Allemagne, » révéla Severus avec un léger sourire. « Le temps qu'ils commencent à nous chercher, tant l'Ordre que les Mangemorts, nous serons déjà loin d'ici, suivant notre instinct de liberté. »
« Et vous ? Vous ne… vous ne risquez pas d'avoir des ennuis ? »
Severus posa une main rassurante sur l'épaule du jeune homme.
« Harry, j'ai trente-six ans. J'ai fait l'erreur de me soumettre au Seigneur des Ténèbres et depuis je fais tout pour me racheter. C'est ce qui m'a amené à devenir un membre de l'Ordre. Mais aujourd'hui, avec ce que tu viens de dire, je me rends compte que l'Ordre m'oblige à trahir le seul engagement que j'ai fait et que je ne regretterais jamais. »
« Lequel ? »
« Celui que j'ai fait sur la tombe de ta mère, celui qui te concerne, » répondit l'homme en serrant doucement l'épaule. « Je ne veux pas te voir mourir, Harry. Pas seulement parce que je n'y survivrai pas mais aussi parce que tu es ce qui reste de ta mère, son héritage. Elle s'est sacrifiée pour toi. Et je sais qu'encore aujourd'hui, elle se battrait pour toi parce que tu mérites de vivre. Alors, je vais te protéger en sa mémoire. »
« Mais vous me détestez… »
« Je détestais ton père, Harry, mais pas toi. Pas vraiment. Disons que je pensais que tu étais comme lui. A l'évidence, je me trompais. Tu ressembles beaucoup plus à Lily. »
« Merci, » murmura le Gryffondor, ému.
« Allez, viens, » fit Severus. « Allons nous trouver un endroit où passer la nuit. »
Severus se transforma en corbeau et quelques secondes plus tard, Harry avait retrouvé sa forme animagus également. Ils se promenèrent quelques instants avant de trouver un petit bosquet et le Cervidé se coucha. Mais cette fois, le Corbeau se posa sur sa ramure et veilla sur son sommeil tout en gardant un œil attentif sur les environs.
Durant les semaines qui suivirent, les deux compagnons parcoururent les contrées d'Europe et d'Asie, l'un volant, l'autre galopant, jouant parfois ensemble, insouciants de la guerre qu'ils avaient laissée derrière eux. Ils étaient libres de toute attache. Jamais personne ne les retrouva et ils purent vivre au rythme de la nature, reprenant parfois forme humaine le soir pour discuter.
FIN