Disclaimer : Downton Abbey est l'oeuvre de Julian Fellowes.

Résumé : Un train à l'arrêt permettait parfois de soigner de vieilles blessures.

Note de l'auteur: Cet OS est une réponse au défi d'écriture n°88 de la page Facebook « Bibliothèque de Fictions ». Les conditions étaient : 100 mots minimum, votre personnage est dans un train pour rentrer chez lui mais celui-ci est bloqué par la neige. Le voilà coincé pendant cinq heures à attendre que la route soit dégagée ! En plus, son voisin est insupportable...

Avertissements : Spoil sur l'ensemble de la série et possible spoil sur le film

Une pause forcée

Caressant son ventre rebondi, la tête posée dans le creux de sa main, le bras sur l'accoudoir, Edith observait la neige tomber sans réellement la voir. Noël arrivait et Cora avait insisté pour inviter toute la famille à se réunir à Downton. Rosamund, Mrs Pelham, la famille Talbot... C'était rare de convoquer ainsi tout le monde et la jeune femme avait le pressentiment que cela était lié à sa grand-mère. Elle n'avait pas l'air en très bonne forme depuis la visite royale quelques mois plus tôt. Bertie était parti avec Marigold de Brancaster pendant qu'elle était à Londres pour régler quelques affaires:

L'épouse de Michael venait de mourir et Edith avait senti qu'il était de son devoir d'organiser ses funérailles, elle qui avait été l'héritière de Gregson.

Il n'avait pas été sans laisser ce qu'il fallait pour sa pauvre femme malade mais elle avait eu ce besoin d'aider ce qui, très égoïstement, l'aidait elle-même. Mary était aussi à Londres pour un rendez-vous gynécologique. Elle avait eu quelques soucis de santé et s'était vue obligée de consulter son spécialiste à la capitale. Les soeurs avaient donc convenu de se retrouver et de voyager ensemble. L'éloignement leur avait fait du bien. Ne plus vivre sous le même toit depuis son mariage leur avait permis de mieux se retrouver quand la famille se réunissait. Sybil aurait été tellement fière d'elles! Seulement, à l'heure actuelle, Edith sentait toute sa patience fondre comme neige au soleil alors que, ironiquement, celle qui recouvrait les environs semblait toujours plus véhémente. Il avait tellement neigé que les rails étaient recouverts d'un épais manteau blanc, si dense que rouler à travers lui aurait été dangereux. Elles étaient donc bloquées entre Londres et Thirsk et on venait de leur annoncer qu'il faudrait au moins cinq heures avant de pouvoir redémarrer sans danger. Mary ne cessait de pester entre ses dents, accusant les agents d'entretien d'incompétence avant de passer dans une angoisse légitime mais lassante. Edith la comprenait: tout comme son aînée, elle ne souhaitait pas inquiéter leurs proches et elle mourrait d'envie d'embrasser sa fille, son neveu, sa nièce, de retrouver les bras chaleureux de son époux. Le fait était que sa soeur rabâchait cela sans cesse et cela en devenait insupportable. Elle se leva.

- Où vas-tu? Demanda Mary

- Je pensais aller chercher un thé dans le wagon restaurant, j'ai un peu froid. Mentit-elle.

Elle voulait bien un thé mais pour calmer ses nerfs.

- En veux-tu un aussi? Lui proposa-t-elle

- Je peux aller le chercher. Tu es enceinte de sept mois, tu ne dois pas trop te fatiguer.

Une idée traversa l'esprit de la marquise.

- Et si on y allait ensemble? Cela nous changera les idées, plutôt que de rester assises à regarder les flocons.

Mary acquiesça et se leva. Elles marchèrent jusqu'au restaurant où elles commandèrent un Earl Grey avec quelques biscuits. De plus, il faisait meilleur dans cette voiture. L'aînée Crawley sembla se détendre avec quelques gorgées du liquide ambrée et chaud entre ses mains.

- Je suis navrée. Lança-t-elle. J'ai conscience que je ne dois pas être une agréable compagnie en ce moment.

- Ce n'est rien, Mary. Tu es préoccupée, cela se comprend. Hélas, on ne peut rien contre la météo, juste attendre.

Mary reposa sa tasse et regarda rapidement autour d'elle. Elles étaient seules, le train n'était pas très bondé de base.

- Il y a quelque chose que je voulais te demander depuis longtemps, Edith. Avoua-t-elle.

- Vraiment? S'étonna la future mère

- Pourquoi ne m'avoir rien dit à propos de Marigold?

Edith se figea et sentit l'atmosphère autour d'elle se refroidir soudainement. Elle se sentait figée sur place, prise au piège.

- Je ne tiens pas à en parler. Dit-elle assez brusquement

- Je voudrais juste comprendre. Insista sa soeur.

Etrangement, elle avait l'air presque douce. Presque deux ans s'étaient écoulés depuis cet horrible jour où elle avait lâchement révélé la parenté de Marigold à Bertie, dans un acte de jalousie parce qu'elle était malheureuse en amour. De l'eau avait coulé sous les avait réparé son erreur, elle avait réuni les deux fiancés, permettant ainsi leur mariage. Elle avait aussi attendu son départ pour son voyage de noces avant de révéler sa deuxième grossesse. Cette affaire avait poussé Edith à être franche avec sa belle-mère, à ne pas répéter la même erreur: désormais, Mirada Pelham était l'une des défenseurs les plus farouches de sa bru. Et là, Mary se tenait devant elle, sans ce masque d'arrogance, cette attitude hautaine. Elle était là, comme une soeur face à sa cadette.

- Pour les mêmes raisons que Maman. Murmura-t-elle

- Maman ne voulait rien me dire ?!

- Tu étais différente, à l'époque. Nous avions peur que tu ne te serves de Marigold comme un moyen de pression contre moi, pour me rendre malheureuse chaque jour, comme un outil pour me nuire. Pour ma part, j'avais aussi peur que tu ne me fasses remarquer mon hypocrisie. Après tout, je t'avais causé du tort lors de... Lors de ce que tu sais. Moi qui te critiquais sur ce point, je me retrouvais fille-mère avec un amant, déjà marié, et porté disparu.

Edith vit alors son aînée pâlir, clairement sous le choc de sa réponse. Elle avait l'air mortifiée.

- Seigneur... Finit-elle par soupirer. Maman et toi deviez bien mal me considérer, à l'époque.

- Maman t'aime, Mary. Elle t'a toujours aimée, n'en doute jamais ! Intervint sa cadette.

- Mais elle n'est pas aveugle à mes défauts. Et c'est tant mieux. C'est juste que... Je trouve cela juste... Horrible. Horrible que vous ayez senti le besoin de me cacher toute cette histoire parce que vous craigniez ma réaction.

- Aurais-tu agi différemment si tu l'avais su avant ?

Elle fixa le contenu de sa tasse avant d'avoir la décence d'admettre qu'elle n'en savait rien. Elle aimait à penser qu'elle aurait soutenu Edith, ou à défaut d'un appui, elle l'aurait juste ignorée, la laissant gérer ses affaires, comme deux étrangères sous le même toit, indifférentes au sort de l'autre, le genre de relation où on s'émouvait d'apprendre ses malheurs dans un fait divers sans pour autant en être dévasté. Le fait que sa mère et sa sœur avaient pu penser qu'elle se serait abaissée à un tel niveau la blessait mais le temps leur avait donné raison. C'était bien ce qu'elle avait fait quand Bertie avait annoncé vouloir épouser Edith, par pure jalousie : Edith était aimée alors que sa relation avec Henry était compliquée et en plus, elle allait lui être supérieure en rang et en fortune. Qu'est-ce qui avait pu mal se passer dans leur enfance pour en arriver à de telles inimitiés ?

- Mary... Tenta Edith, inquiète de la voir si préoccupée. C'est du passé. Tu as fait amende honorable de la plus belle des manières : tu nous as réunis, Bertie et moi. Je t'ai pardonnée il y a longtemps.

Elle acquiesça, tentant de retrouver une certaine posture.

- Quant à moi... Je ne suis pas toute blanche non plus. Je ne t'ai jamais demandé pardon pour le mal que je t'ai causé avant la guerre. Mary... Pour Pamuk...

- Inutile. La coupa-t-elle, le nom de Pamuk clairement douloureux pour elle. Tu m'as soutenue de ton mieux quand Matthew est mort : tu ne faisais pas étalage de ton propre bonheur, tu faisais attention à tes mots. Déjà, à la mort de Sybil, tu m'as tendu la main en signe de paix. Je maintiens ce que j'ai dit à l'époque : je doute que nous soyons réellement proches. Mais je dois admettre que notre relation actuelle me plaît. C'est bon de pouvoir se parler sans sortir les armes.

- C'est vrai. Confirma Edith

Elles trinquèrent avant que la fille cadette des Crawley ne demande à sa sœur la raison de sa visite à Londres.

- Tu dois me promettre de garder le secret. Ordonna son aînée. J'en parlerai de suite à Henry dès notre retour, bien sûr, mais je ne révélerai ce secret à tout le monde qu'une fois que tout danger sera écarté.

- Tu as ma parole.

- Je suis à nouveau enceinte.

Le visage d'Edith s'illumina, ses lèvres s'étirant en un grand sourire.

- Oh Mary, c'est merveilleux !

- Oui... Dit-elle sobrement

- Que se passe-t-il ?

- J'ai beaucoup plus de nausées avec ce bébé qu'avec George et Caroline... Je suis épuisée. Et, selon le médecin, il se peut que mon âge joue aussi un rôle.

- Mary, tu n'as que trente-sept ans !

- Il me recommande du repos et d'attendre d'entrer complètement dans le deuxième trimestre avant d'annoncer la bonne nouvelle publiquement. Le risque de... de perdre le bébé est plus élevé avec mes symptômes.

Mary sursauta légèrement quand sa sœur lui prit gentiment la main.

- Tout ira bien, Mary. Nous sommes tous là pour toi. Nous sommes une famille, tu peux compter sur nous. Si je peux faire quoi que ce soit pour t'aider ! Peut-être que je pourrais accueillir George et Caroline en vacances l'année prochaine, pendant le printemps ? Tu pourrais te reposer et ils s'amuseront bien avec Marigold ! J'inviterai Sybbie aussi, je ne veux pas que la pauvre chérie se sente oubliée !

Mrs Talbot eut un léger rire.

- C'est une bonne idée, oui ! Mais ne seras-tu pas fatiguée avec ton nouveau-né ?

- S'ils viennent vers mai, le bébé aura déjà trois mois, je serai remise. Et puis, George pourra t'appeler tous les jours.

Un contrôleur arriva, enleva sa coiffe face aux dames.

- Un télégramme a bien été envoyé à Downton Abbey, Mrs Pelham.

- Merci beaucoup.

- Tu as envoyé un message à la maison ? S'étonna Mary.

- Tu connais Papa. Il est aussi angoissé que toi. Plaisanta-t-elle

Rassasiées et réchauffées, les deux sœurs décidèrent cependant de rester dans le wagon restaurant. Et si elles ne l'admettraient jamais face à l'autre, elles étaient presque reconnaissantes pour cet arrêt involontaire. Certains vieux abcès avaient été percés et le ciel savait combien cela avait été nécessaire. Elles ne seraient jamais les meilleures amies du monde mais elles étaient des sœurs, toutes les deux décidées à rendre leur existence plus douce, à améliorer leur relation.

Parce qu'au fond, comme le disait le dicton anglais, le sang était plus épais que l'eau.

FIN