Disclaimer : Mon premier paragraphe copie presque littéralement (sans les noms) le premier passage du roman Stupeur et Tremblements, sorti chez Albin Michel en 1999, d'Amélie Nothomb, mon auteure préférée. Je trouvais que c'était une façon à la fois adéquate et ludique de commencer ce chapitre. J'en profite en même temps pour rendre hommage à cette académicienne qui me procura par ses livres moult réjouissantes heures de lecture.


Chapitre 1 – Nouveaux débuts

2017, Delaware, États-Unis.

Monsieur Armstrong était le supérieur de monsieur Sundowner, qui était le supérieur de monsieur Monsoon, qui était le supérieur de mademoiselle Mistral qui était ma supérieure. Et moi, je n'étais la supérieure de personne. J'étais ainsi la subordonnée de tous chez Desperado Enforcement LLC.

Mon premier jour en tant que stagiaire me fit rendre compte de plusieurs choses. D'abord, leurs bureaux étaient rutilants : une tour haute d'une trentaine d'étages, cubicules à baies vitrées, salles communautaires hi-tech et dernier cri, avec ses machines à café puissantes comme des fusées, capables de rendre le breuvage aussi brûlant que lave d'un volcan, et la technologie de fine pointe des équipes d'analystes, qu'on ne retrouve autrement qu'en laboratoire universitaire.

Ensuite, le personnel de recherchistes n'avait rien à voir avec le personnel d'agents de terrain. Mademoiselle Mistral, qui m'accueillit personnellement ce jour-là, était agente de terrain en plus d'être le chef de notre flopée de chercheurs. Grande comme une statue, hissée sur des talons hauts de métal, la crinière d'un rose satiné, la silhouette taillée dans le marbre, elle m'impressionna de sa présence à la fois ferme et suave. Je n'étais pas de taille à rivaliser avec quoi que ce fut d'elle : plus petite, moins svelte, le cheveu brun, je n'offrais pas exactement le même portrait. Sa gentillesse compensa pour le court laps de temps qu'elle m'impartit (exactement quinze minutes trente secondes) avant de retourner se consacrer à son travail, aux étages supérieurs où les analystes n'avaient pas accès.

Puis, je remarquai que personne ne savait exactement à quoi œuvrait la compagnie. Ma cohorte et moi-même furent appâtés par le pedigree international de la firme, l'expérience de travail, le salaire exorbitant, mais nous restâmes mystifiés quant à ce qu'elle ferait véritablement avec notre travail.

La lettre de recommandation ressemblait à ceci :

« Desperado Enforcement LLC a le plaisir de vous faire parvenir cette offre d'emploi inédite en tant que recherchiste pour notre prestigieuse firme. En vos qualités d'étudiante diplômée, nous sommes disposés à vous compenser d'un salaire extrêmement compétitif et à vous concéder immédiatement un poste parmi une équipe constituée des plus compétents chercheurs du pays. Votre travail servira à des fins privées de recensement de données et d'évaluation de faits relatifs à la sécurité internationale. »

Après consensus avec mes nouveaux collègues, nous ne pûmes trouver véritablement un sens à cette dernière ligne. Cela n'allait pas nous chasser, toutefois.

Une semaine de formation s'écoula et je reçus en bonne et due forme un poste à temps plein à la compagnie. Mes jours se composèrent durant un mois de levers précipités, de soirées écourtées et de dîners reportés.

Rien ne sortait de l'ordinaire chez Desperado : le matin je m'installais devant un ordinateur pour ne le quitter qu'à l'heure de dîner. Je papotais avec d'autres analystes. Celles-ci avaient un penchant pour ragots et cancans : ce qu'elles entendaient sur Radio Couloir par inadvertance devenaient alors des perles de conversation. L'une d'elle se pâma une fois d'avoir aperçu un agent de terrain en arrivant au travail.

« Oh, vous auriez dû le voir. Il était si grand. Très beau aussi. Des traits taillés au couteau. »

En retournant à mon ordinateur, peut-être me perdis-je aussi un instant à souhaiter croiser monsieur Taillé-au-Couteau. Ce travail devenait rapidement bien moins excitant qu'au départ. Je cessai à un certain point toute tentative de dépister le sens des séries de chiffres, d'articles, de rapports, qui s'alignaient sur l'interface de mon écran. Le travail demandé ne requérait de moi que de les ratisser par pertinence, de les classifier et de les envoyer dans la base de données cryptée de mon équipe. En soit, ce n'était pas bien difficile comme travail, sa redondance permettait sa maîtrise en quelques jours seulement. L'interprétation de ce labeur se faisait par après au moyen d'algorithmes prévus, et non avec la pauvre cervelle d'une étudiante sortant de l'université. Le doute me taraudait tout de même : pourquoi garder les recherchistes dans l'ombre? Pourquoi tant de précautions?

À la fin septembre, après une journée en tous points similaire aux autres, je reçus la visite de mademoiselle Mistral dans mon cubicule. Je ne la vis pas tout de suite, ce n'est que lorsqu'elle tapota le cadre de mon écran de son long doigt manucuré que je relevai la tête et m'extirpai de mon siège en sursaut.

« -Mademoiselle Saville, j'ai été en mesure d'évaluer votre progression ce mois dernier, et, beau travail! Très impressionnant, me flatta-t-elle de sa voix de velours aux accents Français, sa tignasse rose s'agitant fil par fil comme une onde de soie. »

Roucoulante de bonheur, je me confondis en remerciements. Elle alla s'asseoir devant moi, sur une table adjacente, les jambes croisées. Aussi renversante qu'au début, je ne pus qu'admirer sa posture, sa maîtrise d'elle-même. Toutes des choses que, simultanément, je lui enviais. Elle poursuivit, soudainement sérieuse, en m'intimant de regagner mon siège.

« -Asseyez-vous. Ce que je m'apprête à vous confier est très important. Il en dépendra de votre travail ici, à Desperado. »

Mon attention se précisa à ces mots tout désignés pour me secouer.

« -Je chercherai ce mois prochain à identifier les meilleurs éléments de votre équipe : à cette fin, je vous confierai à tous un dossier différent, où vous devrez chacun assumer l'entièreté de sa recherche. Évidemment, je ne sélectionne déjà pour ce projet que ceux qui m'ont le plus impressionné ce mois dernier, dont vous, mademoiselle. Je m'attends donc de votre part un dévouement total. Est-ce clair? »

Ses yeux, très clairs, perçants, doux et tranchants à la fois, me saisirent au dépourvu. Je balbutiai :

« -Parfaitement. Je serai à la hauteur, vous pouvez compter sur moi.

-Je l'espère! Je m'attends à ce que vous rendiez le fruit de votre travail d'ici deux semaines. Voilà pour vous. »

Elle sortit d'un rutilant attaché-case frappé de l'estampille rouge de Desperado le faramineux dossier qui m'incombait, et me le tendit en se penchant juste assez pour me montrer la naissance de son glorieux décolleté. Rougissante, je m'en emparai en la remerciant encore, toujours une fois de trop. Elle se leva sans attendre et, magnanime, me remonta tant bien que mal le moral :

« Ne vous en faites pas : vous serez épatante. J'ai bon espoir que vous réussirez. »

Un petit rire délicat ponctua ses dires et elle quitta mon antre dans un claquement métallique de talons aiguille.

Angoissée, je me refusai à consulter le dossier jusqu'au lendemain.

La nuit, je fis des rêves de samurais et d'autres guerriers armés de lames d'argent. Je me rêvai plus grande que tous, belle et invincible, écrasant mes ennemis sous mes talons d'acier trempé, les perçant et faisant s'écouler le sang de leur poitrine béante. Je me vis aux côtés d'hommes dangereux, et ensemble nous formions une tornade de lames tranchantes et de coups chorégraphiés, terrassant avec art et maîtrise le camp adverse. Et, à la fin, un des guerriers s'approcha de moi, me regardant avec insistance, et je l'accueillis comme amant dans ma tente de camp, pour qu'enfin nous…

Mais non.

Le matin, je retrouvai mes draps blancs et résolument froids, ma chevelure emmêlée et sans lustre, mon visage pâle et les cernes d'une analyste. Je me mis assez vite au boulot. J'entamai le dossier aux petites heures, j'en arrivai au quart en fin d'après-midi. Sans l'aide de la base de données partagées, tout prenait plus de temps : je devais ratisser encore plus largement, trier encore plus finement et tout consigner moi-même, sans logiciel ni algorithme central pour m'assister. De toute évidence, mademoiselle Mistral avait voulu me torturer. Était-ce aussi difficile pour les autres, me demandai-je. Où en étaient-ils rendus? Allais-je me retrouver supplantée?

Je me dédiai corps et âme durant deux semaines à ce fastidieux dossier, appelé Projet N'mani. L'échéancier indiquait que ce travail servirait à conduire une importante opération au sein du pays africain du même nom, pas plus tard qu'en 2018. Les tenants et les aboutissants ne m'étaient pas révélés, cependant, j'avais comme une impression que ce travail-ci, versus celui effectué lors du mois dernier, avait une importance autrement plus significative.

Après les deux semaines de travail exécuté en forcenée que je fus, je reçus un message vocal de ma supérieure, le matin avant de partir au travail. Sa voix veloutée me parvint de mon téléphone vieillot et chatouilla mon oreille de ses gracieuses inflexions :

« -Mademoiselle Saville, votre travail arrive à échéance. Soyez gentille de venir nous en faire la présentation aux étages supérieurs ce matin, au tout dernier palier. Les hautes instances seront là pour juger de la qualité de votre dossier. À tout à l'heure, bonne chance. »

Les étages supérieurs. Les hautes instances de Desperado. Mon cœur fit un bond si démesuré que je crus me perdre. Les grosses huiles allaient être là, toutes, pour m'entendre débiter mon travail. Jamais je n'avais été si stressée, enfin, seulement une autre fois à ma soutenance de thèse, de retour à l'université. Je courus presque jusqu'au bureau, à moitié peignée, maquillée, habillée, et alla m'enfermer dans mon cubicule, en proie à la crise de nerf.

Ça allait bien se passer.

Rassemblant mon courage et mes papiers, je filai à l'ascenseur, et composai fébrilement le numéro de l'étage numéro trente. J'allais entrer où nul autre analyste n'avait mis les pieds. Est-ce que mes autres collègues allaient eux aussi pouvoir se rendre au trentième? Était-ce un privilège inédit qu'on m'accordait ou simplement un mal nécessaire qu'on expédierait rapidement et sans souvenir? Pleine d'appréhension, je figeai quand l'ascenseur émit un bip contrit et me refusa l'accès au-delà du quinzième. Pantelante, je repassai mille fois ma carte devant le scanneur, mais rien n'y fit. Mademoiselle Mistral avait-elle oublié de me donner l'accès? Était-ce un test? L'intercom s'alluma soudain et cracha d'une voix sévère :

« -Identification vocale requise. Nom et fonction chez Desperado Enforcement LLC.

-Euhh. », répondis-je aussitôt, sans me rendre compte.

« -'Euhh' est incompatible à l'accès aux étages supérieurs. Nom et fonction chez Desperado Enforcement LLC. », réitéra la voix à mon grandissant agacement.

Je rétorquai, respirant une bonne et seule fois avant de répéter :

« -Hope Saville, analyste. »

«- Saville, Hope. Analyste. Accès autorisé aux étages supérieurs. Bonne journée. »


Merci pour votre lecture! J'espère que ce cadre de l'entreprise Desperado vous a plu. L'histoire commence doucement : l'évolution de Hope est très lente et sa relation avec les personnages sera amenée à changer. Je vous ai appâtés avec mes pairings de façon non-mensongère : Sam viendra bientôt, Raiden, plus tard. N'hésitez jamais à laisser vos commentaires/prédictions/critiques, je serai heureuse d'y répondre en messages privés! À la prochaine fois!