Il était une fois... une famille de Jägerbar (1) qui vivait dans une confortable maison au fond des grands bois.
Le père était bûcheron, il travaillait dans la forêt pour faire vivra sa femme et leur petit garçon de six ans. Son épouse tenait la maison et s'amusait à faire en sorte que chaque objet du quotidien soit bien présent en trois exemplaires et trois tailles différentes, pour son mari, son enfant et elle. C'était une famille très unie qui vivait même à l'écart de ses semblables et ne s'occupait de personne sinon d'elle-même.
Un jour la mère fit une délicieuse bouillie d'avoine et en versa dans trois bols.
- Nous ne pouvons pas la manger tout de suite, dit-elle, c'est beaucoup trop chaud !
Le petit garçon, qui s'appelait Helmi et ne tenait jamais en place, sauta sur l'occasion :
- Si nous allions nous promener tous les trois en attendant que cela refroidisse ? proposa-t-il. Oh allons-y, ce serait bien !
Les parents sourirent et acceptèrent de faire un petit tour avec lui. Ils laissèrent donc là leurs bols et s'enfoncèrent dans les grands bois, humant l'air frais le long des sentiers pendant qu'Helmi courait derrière les papillons et cueillait des fleurs pour sa mère.
Pendant ce temps, une petite fille aux magnifiques cheveux blonds passait par là. Elle s'appelait Boucles d'Or. Elle aussi avait voulu se promener dans les bois de bon matin. Lorsqu'elle aperçut la maison elle y entra sans se gêner, car sa mère la gâtait un peu trop et cette enfant n'avait pas beaucoup de manière. De plus elle était bien fatiguée et avait grand faim.
- Oho ! Y a-t-il quelqu'un ? cria-t-elle
Mais personne ne répondit.
- Huum ! Huum ! Comme ça sent bon ! s'exclama Boucles d'Or en voyant les trois bols sur la table.
La fillette n'était pas très bien élevée. Elle grimpa sur un tabouret pour goûter la bouillie du père de famille.
- Aïe ! Elle est trop chaude ! fit-elle en reposant la cuillère.
Elle passa au bol suivant et grimaça :
- Oh ! Elle est trop froide.
Elle plongea la troisième cuillère dans le troisième bol et trouva la bouillie parfaitement à son goût. Elle la mangea donc entièrement, sans en laisser une seule bouchée. Rassasiée, Boucle d'Or décida de grimper sur les trois chaises, pour s'amuser. Elle essaya la plus grande mais il n'y avait pas de coussin et elle la trouva trop dure. Elle s'assit ensuite sur la seconde mais là c'était l'inverse, il y avait trop de coussins et elle eut l'impression de s'y enfoncer. Elle s'installa donc enfin sur la troisième chaise, que le père de famille avait surélevée car c'était celle d'Helmi qui de cette façon était à la bonne hauteur pour manger.
La fillette trouva cette chaise, différente des autres, juste bien pour elle. Aussi commença-t-elle à sauter tant et plus, tant et si bien qu'elle défonça la chaise et tomba par terre. Vexée, elle se releva et sans se soucier des dégâts occasionnés passa dans la pièce voisine pour voir ce qui s'y trouvait. C'était la chambre et elle contenait trois lits qui n'avait pas encore été faits ce matin-là.
- Je suis fatiguée, soupira Boucles d'Or.
Elle grimpa dans le lit du chef de famille mais redescendit aussitôt. Il était beaucoup trop dur, le matelas lui évoquait une planche. Elle essaya ensuite celui de la mère, mais celui-là était trop mou et plein de bosses. Elle s'allongea enfin sur le lit d'Helmi, qui était juste comme il fallait. Boucles d'Or s'y pelotonna et s'endormit aussitôt.
Au bout d'un moment, les trois Jägerbar, très contents de leur promenade dans la forêt, rentrèrent à la maison et s'aperçurent que l'on avait touché à leurs bols.
- Quelqu'un a goûté à ma bouillie ! dit le père de sa grosse voix bourrue.
- Quelqu'un a goûté à ma bouillie ! fit la mère de sa moyenne voix.
- Quelqu'un a mangé toute ma bouillie et vidé mon bol ! cria Helmi de sa petite voix d'enfant.
- Quelqu'un s'est assis sur ma chaise ! gronda le père de sa grosse voix bourrue.
- Quelqu'un s'est assis sur ma chaise ! dit la mère de sa moyenne voix.
- Ma chaise ! Regardez ma chaise, pleura Helmi de sa petite voix. Quelqu'un l'a cassée.
La petite famille constata alors que la porte de la chambre était entrouverte alors qu'elle était fermée lorsqu'ils étaient partis. Ils passèrent donc dans la pièce voisine et, comme ces événements commençaient à vraiment les inquiéter, les parents « woguent » en franchissant le seuil.
- On s'est couché sur mon lit ! s'écria le père de sa grosse voix.
- On s'est couché sur le mien ! dit la mère de sa moyenne voix.
- Venez voir ! Quelqu'un est couché dans mon lit ! s'exclama le petit garçon tout surpris.
Le bûcheron avait une si grosse voix que Boucles d'Or crut entendre en rêve le tonnerre. Quand la mère prit la parole, elle crut que c'était le vent. En entendant Helmi, elle crut être piquée à l'oreille par un gros bourdon velu et elle s'éveilla en sursaut. Elle aperçut alors les trois Jägerbar et poussa un cri en voyant les parents métamorphosés. Aussitôt, elle bondit hors du lit et s'enfuit à toutes jambes. Elle ne s'arrêta de courir que lorsqu'elle atteignit sa maison à la lisière des grands bois. Comme elle avait peur d'être grondée pour tout ce qui s'était passé, elle raconta ce qu'elle avait vu en précisant que la famille du bûcheron l'avait attaquée et qu'ils avaient voulu la retenir de force.
- Sûrement pour me manger ! assura-t-elle, tremblante.
Ses parents, sa mère tout particulièrement, jeta les hauts cris et ameuta toute la population. On fit appel à un Grimm. Ce dernier se fit guider jusqu'à la maison dans les bois. Il repéra les lieux, chargea son fusil et grimpa dans un arbre juste en face de l'entrée. Il s'installa dans une fourche et patienta. Lorsque le bûcheron sortit, le Grimm attendit qu'il ait fait une dizaine de pas avant de le mettre en joue et de tirer. Le Jägerbar s'écroula. Il ne se passa guère qu'une ou deux secondes avant que la porte s'ouvre à la volée et que la femme apparaisse, affolée.
- Helmi, reste à l'intérieur ! cria-t-elle.
Puis elle se précipita vers son mari mais elle n'eut pas le temps de l'atteindre, la seconde balle la coucha avant qu'elle puisse y parvenir. Enfin, le petit Helmi passa la tête à l'extérieur. Il avait déjà oublié que sa mère lui avait demandé de ne pas sortir.
- Maman ! cria-t-il.
La troisième balle l'atteignit au milieu du front. Alors le Grimm descendit de son arbre, tira les corps à l'intérieur de la maison et y mit le feu.
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Adapté d'un conte de Grimm, Boucle d'Or et les trois ours.
(1) homme/femme ours