Bonjour !
Nous voici arrivés au terme de cette première partie. Si vous êtes arrivés jusqu'ici, je vous remercie de m'avoir lue !
my fire never goes out (i rise from my scars)
Chapitre 12
oOo
Il leur reste un dernier regret – peut-être le plus gros de tous. Celui-ci ne peut pas être symbolisé par un simple galet. Stallor Nestaar est si riche qu'il ne remarquera jamais la disparition d'un de ses rubis.
Ce regret-ci ne peut pas non plus être jeté dans la mer. Tyrion creuse un trou dans le sable et Cersei y dépose le rubis. Ils le contemplent longuement, en silence.
« Personne ne comprenait, » dit Cersei. « Personne n'a essayé de comprendre... Père, Ned Stark... ils n'ont pas essayé... ils trouvaient ça répugnant... »
Elle se tourne vers lui.
« Mais pas toi. »
« C'est vrai, » admet-il.
« Quand l'as-tu découvert ? »
« Je ne me rappelle pas... j'étais jeune, très jeune. »
« N'as-tu jamais été... dégoûté ? »
Cersei et Jaime. Jaime et Cersei. Deux corps, un seul être, un seul cœur.
« Non, » répond t-il honnêtement. « Ça n'a jamais semblé... mal. »
Cersei acquiesce. Il est trop tard pour les doutes, bien sûr – des dizaines d'années trop tard. Tyrion sait qu'il aurait dû trouver ça répugnant, mais il ne pouvait tout simplement pas. Jaime aimait Cersei et Cersei aimait Jaime. Ils étaient faits pour être ensemble, c'était aussi simple que ça.
« Les soldats de Daenerys l'ont capturé alors qu'il essayait de te rejoindre, » révèle t-il. « Je l'ai libéré. Je voulais qu'il te sauve et que vous vous enfuyiez tous les deux. »
« ...tu ne me l'as jamais dit. »
« Tu ne m'as jamais posé la question. »
(Ça ne l'intéressait pas, bien sûr. Il peut comprendre. Jaime était revenu – peu importe comment.)
« Je n'ai jamais voulu que tu meures, » répète t-il. « Je t'assure. Je n'ai jamais voulu détruire notre famille. »
Elle plonge ses yeux dans les siens. Aucun d'eux n'a plus aucune raison de mentir, à présent. Cersei acquiesce avec résignation.
« Je sais. »
Elle ramasse une poignée de sable.
« Devrions-nous dire quelques mots ? »
« Oui, » dit Tyrion en l'imitant.
Une boule se forme dans sa gorge. Il ne veut pas dire au revoir. La mort de Jaime semble toujours si irréelle. Il veut dire tant de choses. Il veut dire qu'il lui manque. Il veut dire qu'il est désolé. Il veut dire qu'il méritait mieux, qu'il méritait un meilleur frère et une meilleure sœur.
Les mots se coincent dans sa gorge.
« Au revoir, Jaime, » murmure t-il. « Je t'aime. »
Des larmes roulent sur les joues de Cersei.
« Je suis désolée. Je t'aime tellement. Tu me manques. »
Ils recouvrent le rubis de sable.
« Au revoir, » murmure t-elle.
Du coin de l'œil, Tyrion aperçoit brièvement le fantôme de Jaime qui leur sourit avant de disparaître.
(Je ne partirai jamais, Tyrion. Je serai toujours près de vous.)
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Quand le soleil se couche, ils hésitent tous les deux.
(Les lions et leur stupide fierté.)
« Est-ce que... est-ce que je peux dormir avec toi ? » demande t-il.
C'est presque drôle de la voir aussi mal à l'aise. Elle acquiesce sans le regarder. Jamais elle ne se serait abaissée à le lui demander elle-même, il le sait.
(Il faut bien que l'un d'eux fasse le premier pas.)
Ils se glissent tous les deux dans le grand lit qui ne paraît plus aussi vide à Cersei, maintenant. Tyrion effleure du bout des doigts son ventre gonflé.
« Je peux ? »
« Oui. »
Sa peau est chaude. Il ne peut s'empêcher de sourire quand il sent le bébé bouger. Les bougies font danser des ombres sur le visage de Cersei. Un léger sourire s'est emparé de ses lèvres mais ses sourcils froncés montrent son inquiétude.
L'ombre de la prophétie plane toujours entre eux.
« Tout ira bien, » fait Tyrion. « L'enfant ira bien. »
« Tu n'en sais rien. »
« Oublie cette prophétie. Elle t'a assez hantée comme ça. Nous sommes libres de choisir notre destin. Rien n'est écrit, rien du tout. »
Elle soupire.
« J'aimerais pouvoir y croire. »
(Daenerys croyait au destin, elle aussi. Elle croyait que sa destinée était d'être la reine des Sept Couronnes – elle a choisi d'être la reine des cendres.)
« Essaye de dormir, » dit Tyrion.
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« Pourquoi aimais-tu Daenerys ? » demande Cersei.
Sa question est dénuée d'hostilité. Elle semble juste curieuse. Il hésite à peine avant de répondre, comme si en parler était la chose la plus naturelle au monde.
« Elle m'a accepté malgré mon nom, en dépit de ce que notre famille avait fait à la sienne, en dépit de mon apparence. Elle ne m'a jamais traité comme un monstre. Elle était ferme mais juste. Elle me parlait de liberté et d'un monde meilleur à construire... j'aurais pu passer des heures à l'écouter parler. »
Les mots lui laissent un goût amer dans la bouche – un goût de cendres.
« Elle m'a trahi, » poursuit-il. « Elle m'a trahi moi et tout ce en quoi elle croyait, tout ce pour quoi elle se battait. Cette femme qui a brûlé Port-Réal... je ne sais pas qui elle est, mais ce n'est pas celle dont je suis tombé amoureux. »
Il a l'impression d'être en deuil.
(Un amour qui se meurt, c'est d'une tristesse infinie.)
« Je vois, » fait Cersei, songeuse.
Elle réfléchit encore quelques instants.
« Tu as dit que Jaime m'avait oubliée... »
Tyrion ne veut pas la blesser, cette fois, mais il ne sert à rien de mentir.
« Eh bien... c'est ce que je pensais, » admet-il. « Il semblait heureux avec Brienne. »
« Il l'aimait ? »
(Elle craint la réponse, il le sait.)
« Je ne sais pas... peut-être. Il ne me l'a jamais dit. »
S'il avait su ce que Jaime pensait réellement, peut-être serait-il avec eux aujourd'hui. Cersei baisse les yeux, peinée.
« Je pense qu'il avait beaucoup d'affection pour Brienne, » dit-il. « Mais Jaime t'aimait, Cersei. Il t'aimait plus que tout. Sinon, pourquoi serait-il revenu vers toi en sachant que seule la mort l'attendait ? »
Il aurait dû le savoir. Cersei et Jaime. Jaime et Cersei. Du berceau à la tombe – c'était tellement évident.
« Seul un Lannister peut aimer un Lannister, » conclut-il en soupirant. « Tu l'as dit toi-même. »
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« Tu as toujours l'intention d'y retourner ? »
Cersei peut à peine marcher, maintenant. Le bébé sera là dans à peine quelques jours. Elle doit s'appuyer sur lui. Ils contemplent la ville depuis le balcon de sa chambre.
Elle hausse les épaules.
« Je ne sais pas. Je pense... »
Ils observent Stallor Nestaar discuter avec deux autres magistrats dans les jardins.
« Abandonne le Trône, Cersei. Tu ne pourras jamais le récupérer. Tu n'en as pas besoin. Nous n'en avons pas besoin. »
Elle garde le silence. Il se demande s'il parviendra un jour à la convaincre.
« Nous pouvons construire quelque chose ici, » reprend t-il. « Stallor Nestaar ne pourra pas nous garder en cage pour l'éternité. »
Elle s'esclaffe.
« Cet imbécile se croit tellement intelligent. Il ignore que les lions ont toujours des griffes, » poursuit-il. « Plus sérieusement... Jaime est mort pour que tu puisses vivre. Ne gâche pas tout... »
(Ne gâche pas tout comme Daenerys l'a fait.)
« Port-Réal est ma maison, » rétorque t-elle.
« Un tas de pierre et de briques. »
« Castral Roc est ma maison. Je... j'aurais tant aimé y retourner une dernière fois. »
(Là où Jaime et elle sont nés, là où ils se sont aimés, peut-être le seul endroit où elle a été véritablement heureuse.)
Tyrion soupire, nostalgique.
« Nous en trouverons une autre. »
Il lui agrippe le poignet.
« S'il te plaît, Cersei. Abandonne. Nous sommes vivants. C'est tout ce qui compte. Ce Trône maudit nous a bien trop coûté. »
Elle se détourne et il l'aide à marcher jusqu'à son lit. Elle ne lui a pas répondu.
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« A quoi penses-tu ? » demande Tyrion.
« Sansa Stark. »
« Oh. »
Lui aussi pense aussi à elle, la reine de glace aux cheveux roux, celle qui aurait peut-être pu faire battre son cœur en d'autres circonstances, dans une autre vie, celle qui a le feu et les dragons en horreur.
« Je suis inquiet pour elle, » confie t-il.
Il n'a aucune idée de ce qui peut bien se passer dans le Nord, cet enfer gelé que Daenerys hait plus qu'aucun autre endroit à Westeros.
« Pas moi, » répond Cersei.
(Il se demande quelle est cette étrange lueur dans ces yeux, cette lueur qui ressemble un peu trop à celle du respect.)
« C'est une survivante. »
(Comme moi, ne dit-elle pas, mais il peut quand même l'entendre.)
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« Tyrion ? »
Il ouvre les yeux. Cersei le secoue avec force.
« J'ai fait un cauchemar. Daenerys nous retrouvait et elle disait qu'elle ne pouvait pas laisser vivre un héritier Lannister avant... avant d'étrangler mon bébé de ses propres mains. »
« Tout va bien. C'était un cauchemar, rien qu'un cauchemar. »
« Elle nous retrouvera. Tu sais qu'elle nous retrouvera un jour. »
Il aimerait pouvoir la rassurer, mais comment le pourrait-il ? Il ne sert à rien de se voiler la face.
« Je sais. »
« Elle le tuera. Elle nous tuera tous les trois. »
« Non. Je ne la laisserai pas faire. »
(Un lion ne s'incline devant personne.)
« Je la tuerai moi-même s'il le faut. »
(Ce n'est pas Daenerys du Typhon qu'il tuera. Daenerys du Typhon est morte il y a bien longtemps. Il ne reste que la Reine Folle, maintenant.)
« Rendors-toi. Tout va bien. »
(Tout ira bien. Il le faut.)
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Tyrion lui tient la main quand le moment est venu.
Il songe avec tristesse que Jaime aurait dû être à sa place. Lui aurait su quoi dire pour la rassurer, l'encourager, comme lors de la naissance de Joffrey, Myrcella et Tommen. Tyrion se contente de la laisser lui broyer les phalanges avec appréhension. Cela dure longtemps, très longtemps, si longtemps qu'il finit par perdre le compte des heures. La pensée terrifiante que Cersei connaîtra le même destin funeste que leur mère et que c'est son propre Tyrion qu'elle est en train de mettre au monde s'insinue dans son esprit.
Il peut voir qu'elle se retient de hurler et se mord les lèvres jusqu'au sang.
« Ce n'est pas le moment d'être fière, » lui murmure t-il. « Tu peux crier si tu veux. Promis, je ne me moquerai pas... »
Elle lui jette un regard courroucé.
(Il regrette presque d'avoir dit ça quand ses hurlements lui déchirent presque les tympans.)
« Je n'y arriverai pas... je ne peux pas... »
« Si, tu peux. Je sais que tu peux. »
(Ne meurs pas, s'il te plaît. Ne meurs pas. Ne me laisse pas seul. Je ne veux plus jamais être seul.)
Elle perd du sang, beaucoup de sang. Les guérisseurs que Stallor Nestaar a envoyé chercher ont la mine sombre.
« Tu y es presque, » l'encourage Tyrion. « Encore un effort, s'il te plaît. Pense à Jaime. Tu y es presque. »
Il sait exactement à quoi elle pense.
Tu auras trois enfants. Tu auras trois enfants. Tu auras trois enfants.
« Oublie cette prophétie. Oublie-la. Tu y es presque. »
Elle crie une dernière fois et puis le silence retombe.
Le bébé vient au monde.
Il hurle.
(Il n'a jamais entendu un son aussi beau.)
Il le prend délicatement dans ses bras.
« C'est une fille, » dit-il à Cersei en la lui donnant.
Elle voulait un fils, il le sait. Un héritier au Trône de Fer. Il cherche la moindre trace de déception sur son visage fatigué.
Cersei sourit, un vrai sourire, un sourire sincère, le sourire qu'elle réservait à Jaime, Joffrey, Myrcella et Tommen, le sourire qui lui crevait le coeur parce qu'il ne lui était jamais destiné.
Elle est en vie. Elle va bien. Tu vois, cette prophétie était fausse. Elle ira très bien.
Il observe le fin duvet de cheveux blonds qui recouvre son crâne.
Seul un Lannister peut aimer un Lannister.
De belles choses peuvent naître des pires malédictions, finalement.
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Le bébé s'est endormi dans son berceau. Cersei et Tyrion l'observent dormir en silence. Il a l'impression d'être dans un rêve, un douce illusion qui menace de se briser à tout instant et de partir en fumée, comme toutes celles qui l'ont précédée.
(Ça n'arrivera pas. Ce rêve là ne lui échappera pas.)
« Comment vas-tu l'appeler ? » demande t-il.
« Je ne sais pas. J'étais tellement persuadée que ce serait un garçon... »
« Tu es déçue ? »
Elle fronce les sourcils puis son visage se fend d'un sourire, peut-être parce qu'elle pense à Myrcella.
« Non. »
Elle lui jette un coup d'oeil.
« Tu aurais une idée ? » demande t-elle d'une voix hésitante.
(Bien sûr qu'il a une idée, un autre rêve qui s'est brisé au moment exact où il est né, un rêve que même Cersei a oublié, quelque chose dont personne ne se souvient mais qui ne devrait jamais être abandonné.)
« Joanna ? » ose t-il.
Le prénom de leur mère, celle qu'ils n'ont jamais eue, celle dont l'absence les a déchirés toutes ces années, un fantôme sans visage, un trou dans leur cœur. Cersei le fixe pendant de longues secondes, et puis quelque chose qui ressemble à un miracle se produit, elle lui offre un sourire, un vrai sourire, celui que seul Jaime et ses enfants voyaient.
« Joanna, » confirme t-elle.
(Joanna les a déchirés. Il espère qu'elle les rapprochera, cette fois.)
Le fantôme de Jaime apparaît dans la pièce, se penche au-dessus du berceau, attendri, et puis se tourne vers eux.
Il sourit.
Il les regarde longuement, hoche la tête d'un air approbateur, et puis leur adresse un dernier signe de la main avant de s'effacer.
(Tyrion sait que c'est probablement la dernière fois qu'ils le voient, mais ça n'a pas d'importance. Jaime vivra, dans le ciel et le soleil et les vagues, dans leurs rêves et leurs paroles, dans les cheveux blonds et les yeux verts de Joanna.)
« J'aime bien Pentos, » lâche finalement Cersei.
Il laisse le silence s'attarder, prend la mesure de ce qu'elle vient de dire. Il acquiesce.
« Moi aussi. Moi aussi. »
Il se rappelle de quelque chose que Daenerys avait l'habitude de dire dans ses nombreux moments de doute.
(Si je regarde en arrière, je suis perdue.)
« Ne regardons pas en arrière. Ne nous pourrons jamais oublier le passé, mais peut-être pouvons nous nous en libérer. »
L'avenir est comme le rire de Joanna, les questions qu'elle leur posera, les histoires qu'ils lui raconteront, l'avenir ne ressemble ni au feu ni à la glace, l'avenir ne connaît pas le jeu des trônes.
« Peut-être, » répond Cersei. « Peut-être... »
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Tyrion tremble. Il a fait un cauchemar, se sent glacé de l'intérieur. La main chaude de Cersei se pose sur son bras.
« Daenerys ? » demande t-elle.
« Non. Pas cette fois. »
Il se calme, pensif.
« Cersei ? »
« Oui ? »
« Quand je t'ai suppliée devant les remparts de la ville... pourquoi est-ce que tu ne m'as pas tué ? Tu aurais pu le faire, mais tu as renoncé. Pourquoi ? »
Silence.
Soupir.
« Tu sais pourquoi. »
(Les pires mensonges sont ceux qu'on se murmure à soi-même.)
Elle le laisse enrouler ses bras autour de sa taille. Il ferme les yeux et imagine que c'est Mère qui le console de ses cauchemars. L'illusion se dissipe, bien sûr. Il n'a plus de mère.
Il a une sœur. Elle a un frère.
Ce n'est pas ce qu'ils voulaient, mais c'est ce qu'ils ont.
Et ils ne sont pas seuls, plus maintenant.
Peut-être que c'est tout ce qui compte.
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FIN
C'est donc ici que nous quittons Cersei et Tyrion mais ce n'est pas la dernière fois que nous les voyons. La deuxième partie sera racontée du point de vue de Daenerys et Jorah et le premier chapitre sera mis en ligne dans quelques minutes.
Comme je l'ai dit, cette histoire était au départ un OS. Je ne le publierai pas mais si ça vous intéresse de le lire, envoyez-moi un mail à l'adresse blackangelisarobaseoutlookpointfr et je vous transmettrai le fichier.
Je sais que Cersei est un personnage qui est très loin d'être populaire sur ce fandom mais j'espère quand même que vous avez apprécié la suivre. En tout cas je vous remercie pour vos reviews qui m'ont fait énormément plaisir et qui sont toujours une grande source de motivation pour continuer d'écrire !

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