A/N : Ceci est un OS écrit dans le cadre des Nuits du Fof, où nous avons une heure pour écrire à partir d'un mot, ici « partir ».

Oui, le titre vient de Brise Marine de Mallarmé (La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres. / Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres / D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !).

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Je sens que des oiseaux sont ivres

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C'est une sorte de fébrilité avec laquelle Phryne se réveille, une sensation qui vient comme ça, soudainement, sans raison et qui pulse contre sa nuque, l'irrite et l'impatiente.

Pendant longtemps, la seule réponse qu'elle pouvait apporter était de partir pour une marche. Sa mère lui raconte qu'elle était une enfant impossible, capable de disparaître en suivant une route à tout instant, capable de tisser des histoires de fées et de géants pour convaincre Jane de la suivre, jusqu'à…

Jusqu'à.

Après, elle a tenté de ne pas suivre cette chose égoïste qui s'agitait en elle du besoin de bouger, de s'activer. Elle a tenté de la raisonner, de prouver l'inanité de cette sensation qu'il lui fallait partir ou s'encroûter dans les murs comme la vase sur les rochets, ou encore de se remémorer la difficulté d'un départ – ses parents, la pension, l'absence d'argent, le futur.

Elle a tenté et tenté et tenté et a presque réussi à se convaincre. Et soudain, à la fin de l'adolescence, elle a vu les affiches de l'armée fleurir, lui parler de devenir infirmière et elle a cru qu'elle avait trouvé un échappatoire. Ce départ là ne pouvait qu'être bénéfique, elle se mettrait au service d'une cause plus grande qu'elle au lieu de suivre un instinct égoïste et destructeur.

Ah !

La guerre a été plus égoïste et plus destructrice que n'importe quelle envie humaine. Elle a appris, elle a fait sa part de son mieux, cela n'a été ni beau, ni romantique, mais elle ne regrette de rien.

Ensuite… Ensuite, il y a eu la démobilisation, l'idée répulsive de rentrer chez elle, et Paris. Devant la Bohème de Montmartre, elle a cru mettre des mots sur ce qu'elle quittait – les bourgeois, l'obligation de se marier et d'avoir des enfants, les cases étriquées qu'il fallait remplir pour appartenir à la bonne société. Elle y a cru longtemps et éperdument et a appris à noyer cette envie fébrile dans l'art, dans l'alcool, et dans l'enthousiasme effréné d'une époque qui voulait tout oublier.

Et puis… Un matin, seule dans la mansarde sous les toits où elle vivait avec René, elle a senti de nouveau cette agitation fébrile s'emparer de ses membres. Elle a regardé autour d'elle, a revisité le souvenir des tableaux et de l'agitation des soirées précédentes. Elle a passé ses doigts sur les bleus de sa gorge, a pensé aux mots d'excuse que René avait murmuré contre sa peau, à la manière dont il lui a fait l'amour comme si elle était la chose la plus précieuse au monde. Elle a rejeté les couvertures, a emballé ses tableaux et est revenue en Angleterre, laissant sur sa route quelques lettres d'excuses qui ne disaient pas où elle allait.

Elle est revenue chez ses parents et cette fois, elle a appris à écouter l'envie tremblante et vivace qui venait sporadiquement en elle pour partir et apprendre, encore et encore, suffisamment équilibrée, enfin pour dire : c'est moi, et j'en ai besoin.