Chapitre 1 : Dans un autre monde – Grotte sous-marine - Jour 1
La situation semblait désespérée, d'une minute à l'autre Phorcys allait revenir et nul doute alors qu'il mettrait un terme à l'existence de ses prisonniers, non sans avoir auparavant obtenu d'eux les informations qu'ils détenaient.
Ils étaient là, tous les trois, dans cette caverne sous-marine sinistre et humide, les mains entravées par des liens, l'homme un peu à l'écart, attaché à un piquet et les deux femmes, liées dos à dos à un autre poteau. Le gaillard, un grand colosse, avait des cheveux rouges, en bataille qui lui tombaient sur les épaules et une barbe légère. De toute évidence c'était un pirate, tout comme ses deux compagnes, leurs vêtures le signifiaient clairement. Il était blessé à un bras et son visage portait des traces de coups. Attaché à son poteau il essayait toujours de défaire ses cordes mais ne parvenait qu'à les serrer davantage. Les deux femmes quant à elles ne semblaient pas blessées mais essayaient, également, par tous les moyens, de dénouer leurs entraves.
L'une avait les cheveux mi long, d'un châtain clair et soyeux. Elle ressemblait à une guerrière. Son regard était sombre et dur et une profonde cicatrice ornait son arcade sourcilière gauche. Elle se contorsionnait pour attraper sa botte avec ses mains liées. Quant à l'autre femme, un peu plus jeune, elle était d'une beauté saisissante, grande et élancée elle avait une longue chevelure d'un brun cuivré et des yeux diaphane d'une couleur entre le bleu et le vert lagon. Ses attaches étaient les moins serrées mais quoiqu'elle fasse la corde refusait de se détendre.
- Approche-toi Mary, j'ai enfin pu défaire une boucle de ma botte. Avec le morceau de métal, je parviendrais peut-être à trancher tes liens, dit la femme au regard sombre.
La dite Mary se rapprocha au plus près des mains de sa compagne qui frotta sur la corde avec frénésie.
- Bien joué Bonny, je suis sûr que tu vas y arriver ! Mais ne traîne pas, ils ne vont pas tarder à revenir. Dit l'homme aux cheveux rouges en regardant la jeune femme avec affection.
Anne Bonny était sa compagne, ensemble ils commandaient un navire pirate du nom de Revenge et écumaient les mers. Quant à l'autre femme, Mary Read, ils l'avaient accueilli à bord après un abordage, et elle avait rejoint la piraterie pour se transformer en un flibustier hors du commun. En plus d'être devenue leur second sur le bateau, elle était aussi devenue leur amie.
- Dépêche-toi Anne, ils peuvent arriver d'un moment à l'autre, répéta la beauté à la longue crinière.
- Ces cordes sont solides, je ne sais même pas si j'arrive à entailler quelque chose !
Mary ne dit rien mais elle savait que la boucle était assez aiguisée : chaque coup qui ne tailladait pas les liens, lui lacérait les bras et elle ne doutait pas que ses poignets étaient déjà couverts d'incisions. Ces grosses boucles de botte en métal étaient une astuce de sa vieille amie. Elle s'en servait d'armes cachées qu'elle affutait de façon à ce qu'elles soient : tranchantes d'un côté et pointues de l'autre. Une arme, que, bien entendu, leurs geôliers n'avaient pas songé à lui retirer.
Tout à coup Mary sentit la corde se rompre et put bouger les mains.
- Ca y est, tu as réussi !
La jeune femme se frotta les poignets pour raviver sa circulation sanguine et s'accroupit auprès de son amie pour défaire à son tour, grâce à la boucle métallique, la sangle qui la retenait captive. Mais lorsque celle-ci se rompit, un bruit de pas résonna à travers la grotte où ils étaient détenus. Des gardes arrivaient et au tapage, ils étaient nombreux. Ils seraient là dans quelques secondes… Anne Bonny s'exclama :
- Fuis Mary, je vais essayer de les retenir aussi longtemps que possible.
- Il est hors de question que je vous laisse ici, je vais me battre avec toi.
- Ne sois pas bête, mourir ici tous les trois ne rimerait à rien. Vas chercher de l'aide. Ils ne nous tueront pas, tu le sais aussi bien que moi, Phorcys ne prendra aucun risque si tu n'es plus avec nous. Pars, vite, je reste avec Rakham.
Mary se tourna vers son autre capitaine. Rakham le Rouge, approuva d'un signe de tête. Mary regarda à nouveau son amie, lui prit la main pour y glisser la boucle et dit :
- Je reviendrai Bonny, je te le jure. Bonne chance à vous deux.
- A toi aussi. Pars maintenant…
Elle fut interrompue par les cris d'alerte des gardes qui venaient de découvrir l'évasion des deux pirates. Rapidement ils dégainèrent leurs armes. Anne Bonny s'interposa entre eux et Mary pour permettre à la jeune femme de fuir. C'était une redoutable combattante et même armée d'une simple boucle aiguisée elle pouvait être terrifiante. Mais elle fut rapidement submergée par le nombre et quelques gardes passèrent pour poursuivre la fuyarde. Mary avait un peu d'avance et elle espérait bien pouvoir en profiter.
Vive et souple elle s'enfonça à travers les couloirs de la grotte. Elle courrait à perdre haleine et finit par arriver à une sorte de quai où devaient accoster les bateaux. Malheureusement, d'autres hommes se trouvaient au bout du ponton où étaient amarrées les embarcations… Dès qu'ils aperçurent Mary ils vinrent à sa rencontre, elle était cernée, ses poursuivants n'étaient plus très loin et elle n'avait plus aucune issue… si ce n'était l'océan.
Elle n'hésita pas longtemps et plongea tête la première dans l'eau salée. Elle nagea aussi loin que possible du quai, repris sa respiration et replongea dans les eaux sombres. Autour d'elle des flèches fusèrent dans l'eau. Son salut était les profondeurs et l'espoir qu'elle aurait couvert suffisamment de distance avant d'avoir à remonter à la surface. Hélas un autre souci de taille l'attendait…
Un terrible monstre marin tapi dans les abysses de la grotte surgit vers elle : Scylla, la propre fille de Phorcys, ou du moins ce qu'il en restait depuis que la nymphe avait été transformée en monstre marin. L'hydre se jeta sur Mary qui n'eut d'autre solution que de se cacher entre les anfractuosités des pierres pour échapper aux terribles mâchoires qui essayaient de l'attraper. Ses poumons commençaient à la brûler à force de retenir sa respiration, mais remonter à la surface aurait été du suicide. Le monstre énorme empêchant toute retraite à la jeune femme, la noyade l'attendait. Mary glissa alors sa main à travers l'ouverture de sa chemise, arracha une poche secrète et en retira un petit objet. Entre ses doigts elle tenait un haricot magique qu'elle lança devant elle en espérant qu'elle pourrait se retenir de respirer encore quelques secondes le temps que le vortex s'ouvre… Cela lui sembla une éternité, sa vue se brouillait, elle craignait de s'évanouir tant son corps commençait à manquer d'oxygène, et pensa à la seule personne qui pourrait l'aider. Malheureusement Mary ignorait où demeurait cette personne… En désespoir de cause, elle pensa au seul endroit où elle avait une chance de la trouver, quel que soit le royaume où elle était. Au moment où le vortex l'aspira, au moment où l'eau salée emplie ses poumons, Mary pensa au Jolly Roger.