Titre : Gueule cassée

Auteur : Sloe Balm

Pairing : Stiles x Derek (Sterek)

Disclamer : Les personnages de Teen Wolf ne m'appartiennent toujours pas !

Genre : Univers alternatif, pas de surnaturel. Inspiration historique (période : Première Guerre mondiale).

Dédicace : Un très joyeux anniversaire à la douce Neliia ! :D Une fic cadeau pour toi, qui j'espère te plaira. Sans oublier un bon gros cookie virtuel au beurre de cacahuètes et pépites de chocolat. Bisous

Merci à Ptit Bou (alias Trotop) et Ryopini pour avoir effectué la bêta lecture de ce chapitre :)

Note :

Cette fanfiction m'a été inspirée par l'histoire d'Anna Coleman Ladd, sculptrice américaine connue pour avoir façonné des masques aux « gueules cassées » à Paris durant la Première Guerre mondiale.

Pour avoir un aperçu des masques qu'elle a sculptés pour les gueules cassées, je vous encourage à taper sur Google images : "gueule cassée masque" ou "Anna Coleman Ladd" ou "face Richard Harrow" (qui est un personnage de la série Boardwalk Empire revêtant une prothèse de visage). Vous pourrez ainsi mieux vous projeter dans cette histoire.

Je suis une grosse quiche en histoire (et en sculpture), je m'excuse donc d'avance si certains éléments sont incorrects : cette fic n'a pas la prétention d'être historique.

Très bonne lecture !


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Chapitre 1

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Paris, automne 1917.

Stiles Stilinski était un jeune sculpteur américain. Il avait grandi dans une petite ville de Californie avant de venir en Europe étudier l'art, particulièrement celui de la sculpture et de la peinture. En Italie, puis en France, il avait perfectionné son talent et sa culture de l'art. Il avait rencontré de nombreux artistes lui permettant de forger son style, ses créations, sa vision artistique de la vie. La belle vie. Jusqu'à ce que la guerre éclate.

L'Europe, le monde, se déchirait. Stiles le savait aujourd'hui, parce que les soldats qu'il voyait revenir du front étaient marqués par la souffrance, par l'horreur. Alors que le pays se portait bien, que les gens vivaient presque comme si tout était normal… Il savait que par-delà les frontières, tout n'était que chaos.

Cela faisait trois ans que le jeune artiste s'était installé à Paris. Il avait établi son atelier et exposait dans des galeries. Son ami d'enfance, Scott McCall, avait également pris le chemin de l'Europe, de Londres plus précisément. Son jeune ami américain s'était engagé sur le front en rejoignant les troupes anglaises. Il avait fait la bataille de la Somme. 650 000 morts parmi les alliés. Et ce sacré Scott McCall y avait survécu mais y avait été cassé.

Le jeune américain avait reçu un débris d'obus en plein visage. La partie inférieure de son corps avait été écrasée par une mitrailleuse qui s'était écroulée lors des tirs ennemis, broyant une de ses jambes de manière irréversible. Il avait été retrouvé, à moitié mort, mais tout de même en vie. Scott McCall ne le savait pas encore, mais il venait de rejoindre les 20 000 gueules cassées qui survivraient à cette guerre ignoble.

Dû à ses graves blessures, il avait été rapatrié dans les terres françaises, atterrissant à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris. Durant de longs mois, on avait pansé et soigné - comme on pouvait - ses blessures. C'était le début de la grande chirurgie des visages. On apprenait à reconstruire les gueules cassées, à reboucher les trous, à greffer peaux et os manquants qui avaient été arrachés violemment. La souffrance d'avoir eu des parties de son corps détruites n'était presque rien en comparaison aux douleurs des multiples opérations subies.

Depuis son lit d'hôpital, le soldat blessé avait réussi à contacter Stiles Stilinski, son ami de toujours, établi non loin de là dans la capitale. Le jeune sculpteur venait lui rendre visite chaque semaine. Chaque visite était difficile. Nombreux étaient les soldats abîmés, usés, tous plus détruits les uns que les autres qu'on essayait de remettre d'aplomb comme on pouvait. Beaucoup mouraient d'infections. Si pour Scott McCall, l'horreur de tout cela n'était que le résultat de ce qu'il vivait depuis son entrée au front, pour son ami sculpteur, ce fut un choc. Cela lui ouvrit les yeux. La guerre était devenue tout d'un coup visible et palpable. La guerre avait un visage, un visage de gueule cassée. Au diable les prospectus des poilus bien portants et fiers de se battre pour leur patrie. Tout n'était que mensonge et désolation.

Le jeune Stilinski avait aidé son ami à faire face à l'horreur d'un visage arraché, d'une jambe manquante. Comment se reconstruire ? Comment continuer à vivre ? S'il y avait bien quelque chose qui unissait Stiles et Scott, c'était leur force, leur goût pour la vie. Alors, à deux, ils s'épaulèrent et y arrivèrent.

La jambe amputée de McCall cicatrisa correctement. Il avait une césure propre au niveau de la cuisse, et à l'aide d'une béquille il réussit à remarcher progressivement. Le sculpteur fit des pieds et des mains pour lui trouver une prothèse en bois digne de ce nom. La Croix Rouge américaine subventionnait un bon nombre d'ateliers de prothèses et d'hôpitaux militaires pour accompagner les soldats blessés dans leur réinsertion à la vie civile. Le visage de Scott, en revanche, dû subir de nombreuses opérations, lourdes et difficiles. Les tissus cicatrisèrent ainsi, dans leur déformation. Le jeune américain avait le bas du visage presque entièrement détruit. Il n'avait plus de bouche, plus de lèvres, juste un trou béant. Ses joues étaient marquées par de longues cicatrices. Son nez avait été à moitié arraché et brûlé, mais cela restait encore noble en comparaison à ce qu'il y avait en dessous. Un trou. Un trou aux bords fripés. Il parlait avec des difficultés d'articulation, mais pour tout le reste, tout fonctionnait. Il avait dû réapprendre à manger et boire en fonction de sa nouvelle condition. C'était plus long, plus minutieux, mais rien qu'il ne trouva insurmontable.

Ce qui était insurmontable ou presque, c'était les regards. Il n'osait pas sortir ainsi, c'était hors de question. Il cachait son visage par un masque en tissu attaché à ses oreilles, comme ceux utilisés dans les hôpitaux. Ce qui lui servait de bouche ainsi que son nez étaient recouverts, cachés, et il apprenait à vivre avec. Stiles détestait ce masque en tissu et détestait le regard des gens. Mais ce qu'il haïssait par-dessus tout, c'était cette putain de guerre.

Quand McCall sortit de l'hôpital, il vint naturellement s'installer chez son ami. Le jeune sculpteur apprit rapidement qu'à Londres, une boutique se proposait de "réparer les gueules cassées anglaises". Une équipe de sculpteurs travaillait sur la recomposition des visages via des masques créés sur mesure. Il n'en fallut pas plus pour que le jeune artiste ne se penche, avec toute la frénésie dont il était capable, sur la question. Il voulait réaliser cela pour Scott, parce qu'il en avait besoin pour retrouver un semblant de vie. Stiles Stilinski passa de longues semaines à se renseigner, à faire des tests et peaufiner sa technique. Il essaya de trouver la manière la plus adaptée pour créer un masque parfait pour son ami, et il y arriva.

Le masque était en plâtre galvanisé d'une fine plaque de cuivre pour le solidifier. Il était léger, comme morphé sur le visage du brun. Stiles l'avait sculpté dans la continuité de ses traits, il l'avait refait tel qu'il avait été avant, dans ses souvenirs. Il lui refit même son petit menton légèrement de travers. Puis il peignit le masque avec réalisme. La couleur de la peau, les détails de l'épiderme, la création de la bouche, des lèvres. Le masque reprenait toute la partie inférieure du visage du brun, son nez, sa bouche, ses joues, presque à la perfection. Comme celui en tissu, il s'attachait et se maintenait par des élastiques que l'on passait autour des oreilles.

Quand Scott se regarda pour la première fois dans le miroir avec le masque terminé, ses mains tremblèrent doucement. Parce qu'il avait retrouvé un visage, parce que son ami avait fait un miracle qu'il pensait impossible. C'était émouvant et c'était un signe de renaissance. Lorsque Stiles Stilinski vit à quel point son ami marchait la tête haute dans la rue, il réalisa qu'il n'avait jamais rien accompli d'aussi fort. Qu'aucune œuvre produite jusqu'alors ne pouvait rivaliser avec ça.

La vie de l'artiste venait de prendre un autre tournant sans même qu'il ne le réalise alors. À l'aide de financements venant de la Croix Rouge américaine, il décida d'ouvrir à Paris un atelier de fabrication de masques pour soldats mutilés. Scott l'aida et ils montèrent ce projet ensemble, tous deux enivrés par l'excitation de faire quelque chose qui avait du sens dans toute cette pourriture ambiante due à la guerre. C'est ainsi que la boutique s'ouvrit et qu'ils s'engouffrèrent dans un quotidien exaltant.

Cela faisait maintenant dix mois que l'atelier avait ouvert ses portes. Stiles s'occupait de toute la partie sculpture, création des prothèses de visage et peinture. Scott maîtrisait la soudure et s'occupait de la métallurgie, façonnant le cuivre qui renforçait les masques. Ce dernier aidait également Stiles à gérer l'approvisionnement des matériaux et les échanges avec la Croix Rouge. Enfin, le jeune McCall allait régulièrement dans les hôpitaux et dispensaires pour aviser les soldats revenus du front, et par là même, montrer le résultat des prouesses de l'atelier via son propre masque. Le bouche-à-oreille fonctionnait totalement et le nombre de soldats passant les portes de la boutique ne faisait que croître. C'était autant gratifiant qu'horrible en un sens.

Certains poilus venaient de très loin mais la plupart des soldats qu'ils voyaient passer étaient établis en région parisienne. Certains avaient un visage légèrement déformé, d'autres n'en avaient presque plus. Le sang froid de Stiles Stilinski fut mis à rude épreuve. Il apprit à regarder les gueules cassées, à fixer les trous béants sans ciller et à ravaler la rage qui serrait son estomac pour la mettre dans tout son savoir-faire.

xxx

C'était un matin d'octobre. Le temps était encore doux pour la saison, laissant juste un vent légèrement frais caresser les arbres dont les feuilles commençaient lentement à changer de couleur. Le vert se mêlait à l'orange foisonnant et au rouge qui prenait progressivement place, formant un camaïeu de couleurs des plus époustouflants. Quelques oiseaux sifflaient joyeusement et le bruit de quelques voitures sur la rue principale retentissait.

L'atelier Stilinski était une immense verrière aménagée dans la cour d'une maison parisienne typique. Bordé d'arbres, l'endroit semblait retiré, calme. La devanture était un peu cachée et il fallait pénétrer dans la cour pour se frayer un chemin jusqu'aux portes de l'atelier, faites de vitres en croisillons peints en vert.

La porte de l'atelier s'ouvrit, laissant la sonnette accrochée en haut de l'entrebâillement jouer son rôle, retentissant dans un léger tintement. Le bruit était doux et harmonieux, comme le semblait être l'atmosphère de l'immense pièce. Cela sentait le plâtre et le bois, mélangé à une douce odeur de torréfaction de café.

L'homme qui venait d'entrer dans la pièce avança d'un pas lent mais assuré, ses larges boots frottant le sol poussiéreux. Il portait un pantalon gris foncé assorti à sa veste élégamment ajustée sur une chemise blanche et un veston gris lui aussi. On apercevait une cravate noire ressortir au niveau de l'encolure, lui donnant un style élégant et tout à fait approprié à l'air du temps. Ses pieds étaient vêtus de boots noires et vernies, extrêmement luisantes et probablement cirées il y a peu. Ses cheveux bruns étaient impeccablement coiffés, rasés sur les côtés et plus longs sur le dessus. L'homme avait une stature droite et carrée, tout à fait imposante autant de par sa carrure que son attitude assurée. Tout dans sa démarche respirait l'aplomb. La seule chose étrange dans tout son accoutrement distingué était son visage, seulement à moitié apparent, recouvert de tissu. On ne pouvait voir que ses sourcils, noirs et fournis, ses yeux verts, perçants, ainsi que le haut de son nez droit. Pour le reste, un masque en coton écru, qui semblait attaché à ses oreilles, recouvrait la partie inférieure de son visage.

L'homme détailla la pièce d'un regard circulaire. La verrière était vaste, spacieuse et éclairée par la douce lumière extérieure. De longues plantes grimpantes mangeaient les bords des fenêtres pour s'élever jusqu'en haut du toit forgé d'acier. Du côté gauche de la pièce se trouvait une longue table en bois recouverte de matériaux et produits en tout genre, de bouts de masques et de plâtre sec. Au mur on pouvait voir suspendus une trentaine ou quarantaine de masques en plâtres, parfaitement moulés. Ils étaient alignés fièrement, formant une farandole de visages des plus originaux. La plupart représentaient toutefois des visages partiels, juste une moitié basse, haute, droite ou gauche. Il y avait aussi quelques sculptures déposées çà et là le long des vitres et des armoires. Un coin semblait dédié au matériel de peinture, regroupant divers flacons, pinceaux, boîtes en tout genre. Au sol se trouvait un vieux parquet brut clair, un peu poussiéreux où plusieurs tâches de peintures s'étaient incrustées à certains endroits. Tout dans la pièce traduisait d'une activité artistique bien présente.

Au fond se trouvaient de nombreux étals et armoires, remplis de produits variés et agrémentés de plantes qui envahissaient une partie de l'espace. Il y avait un large évier en céramique dans lequel se trouvaient divers seaux et produits. Au fond à droite, il y avait un petit espace cuisine composé d'une table, d'un énorme poêle où était posée une cafetière fraîchement utilisée, et d'un deuxième évier, bien plus petit, dans lequel était entreposée un peu de vaisselle.

Du côté droit de l'immense pièce, il y avait une toute petite cheminée aménagée en forge et du matériel métallurgiste entreposé contre le mur, composé de beaucoup de pièces métalliques, de tenailles. Le jeune homme brun qui était en train d'y travailler jeta un œil par-dessus son épaule. Il détailla quelques secondes l'homme dans l'entrée et ce dernier le salua d'un signe de tête ferme. Avec empressement, le travailleur retira ses gants épais et les posa contre l'étal. Il avança d'un pas claudiquant vers le nouvel arrivant.

Les yeux verts du visiteur se posèrent rapidement sur le visage avançant face à lui. Il était revêtu d'un masque, comme ceux exposés au mur, donnant l'illusion l'espace de quelques secondes seulement d'être un vrai visage. L'homme portait un maillot de corps blanc et un pantalon gris dont le bas était enfoui dans une botte au niveau de sa jambe valide. L'autre jambe n'était qu'un bâton de bois taillé sur lequel il se maintenait de manière bancale pour avancer jusqu'à l'entrée.

C'était une gueule cassée, comme lui.

L'homme diminué tendit sa main au nouvel arrivant qui le fixa sans ciller.

"B'onjour 'ien'enue dans l'atelier."

Les mots étaient légèrement hachés et mal articulés. Le masque ne bougeait pas, seuls le regard et les sourcils du travailleur montraient signe de mouvance alors que les mots continuaient pourtant de retentir dans la pièce.

Le visiteur tendit sa main pour serrer celle qui lui était offerte.

"V'ous 'enez p'our v'ous je p'arie ?" continua le jeune homme face à lui.

Une pression ferme et leurs mains se lâchèrent.

L'homme brun aux yeux verts fronça légèrement les sourcils alors que son cerveau tentait d'analyser les paroles de son homologue.

Voyant son trouble, l'amputé émit un rire franc et reprit.

"Désolé, c'est p'as é'ident de m'e comprendre." continua-t-il en pointant du doigt le masque rigide sur son visage qui restait tout aussi immobile. C'était étrange de voir quelqu'un parler alors que ce qui lui servait de visage restait immobile, figé.

Le visiteur hocha la tête.

"Lieutenant Derek Hale." se présenta-t-il poliment. Le tissu écru autour de sa bouche bougeait faiblement et le son qui en sortait était clair.

"Scott M'cCall." répondit le jeune homme en le saluant pareillement. "Installez-'ous." continua-t-il en montrant les assises autour de la grande table, puis il tourna les talons pour se diriger vers le fond de l'atelier. Il ouvrit la porte de l'espace cuisine qui menait probablement à la maison attenante à la verrière.

"Stiles !" cria-t-il à l'entrebâillement. Il croisa ses bras et attendit patiemment.

Le lieutenant s'assit sur le long banc contre la table et attendit quelques instants. Son regard perçant continuait de scruter la pièce, découvrant au fur et à mesure quelques détails qui lui avaient échappé précédemment.

Un bruit de pas précipité se fit entendre et un jeune homme radieux entra dans la pièce, frôlant Scott McCall de quelques centimètres.

"Client." souffla ce dernier en pointant le lieutenant assis près de l'entrée.

Le jeune homme qui venait d'arriver tourna son visage et croisa le regard sombre de l'homme d'armes qu'il ne connaissait pas. Il sourit de toutes ses dents et s'avança d'un pas enjoué vers l'inconnu.

Le militaire se releva, détaillant le châtain qui venait à son encontre. Son visage fin, dont la peau était blanche, était parsemé de grains de beauté. Ses cheveux marrons étaient totalement en bataille, laissant penser qu'il venait peut-être de sauter du lit. Il portait une chemise blanche dont les manches étaient retroussées, un pantalon en laine marron retenu par des bretelles foncées qui froissait son haut au niveau de ses épaules. Sa chemise semblait d'ailleurs bien trop fripée et sortait à moitié de son pantalon, lui donnant un air plus que débraillé. Il avait cet aspect totalement négligé que pouvaient parfois avoir les artistes. Pour un cliché, s'en était un vivant.

Le jeune châtain passa sa main nerveusement dans ses cheveux avant de la tendre à l'homme imposant face à lui dont la stature élégante était à l'opposée de la sienne.

"Bonjour." salua-t-il avec entrain. "Stiles Stilinski, je suis le propriétaire de l'atelier."

L'homme brun attrapa la main tendue pour la serrer fermement. Son regard vert et froid plongea dans celui chaud et ambré du sculpteur. Avant que le soldat ne puisse répondre, la main glissa d'entre ses doigts et la voix vibrante et animée se fit entendre à nouveau.

"Euh, bienvenue ici. C'est un peu le chaos en ce moment, désolé. Vous vous appelez ? Vous étiez soldat j'imagine ?" déclara-t-il en pointant le masque en tissu autour du visage face à lui. "Vous venez pour vous ?" continua-t-il en souriant plus que de raison.

Le militaire gradé se tendit doucement face au flot de paroles et aux questions qui l'assaillaient. N'en montrant rien, il hocha la tête fermement.

"Lieutenant Derek Hale. Oui, je viens pour mon visage." déclara-t-il d'une voix imperturbable.

Le sculpteur sourit gracieusement.

Le militaire le dépassait seulement de quelques centimètres mais était bien plus carré que lui. Ses vêtements étaient élégants et sa carrure imposante. Il devait à peine être plus âgé, peut-être de cinq ou six ans. L'artiste-sculpteur le regarda dans les yeux dont le vert était joliment teinté de doré. Le regard était pénétrant et captivant.

"Je vais vous montrer un peu ce que nous faisons." enchaîna-t-il en hochant la tête, puis il se dirigea vers l'étagère contre le mur pour en attraper un masque.

Scott McCall avait repris position auprès de sa cheminée, continuant à nouveau son travail sur les matériaux métallisés entreposés sur l'étal. Le lieutenant lui jeta un regard avant de reporter son attention vers le propriétaire des lieux qui revenait se positionner face à lui pour lui parler, une de ses productions en main.

"Donc, nous faisons tout d'abord un plâtre de votre visage. Nous récupérons ainsi vos traits, et puis, pour la partie non existante je la sculpte en fonction de l'ossature éventuelle. Si vous avez une photo de votre visage avant, cela peut aider grandement." suggéra-t-il. "Le plâtre est renforcé par une couche de cuivre légère pour le solidifier. Et ensuite je le peins."

Il tendit le masque dans sa main pour le présenter au lieutenant. Ce dernier hésita à le prendre, puis s'en saisit pour le détailler lentement. Le sculpteur reprit :

"On peut recréer l'illusion des lèvres, de la structure des os, du nez…" Il pointa un masque accroché au mur dont la finalisation était très avancée. "Sur celui-ci, nous avons attachés et collés de vrais poils pour former les sourcils et les cils, avec des morceaux d'aluminium. Le masque que vous avez dans les mains tient avec des élastiques que l'on attache au niveau des oreilles, un peu comme vous le faites aujourd'hui avec votre tissu." déclara-t-il en scrutant le visage du brun face à lui. Il jeta un œil à l'objet dans les mains du lieutenant. "Ce type de masque est fait pour un bas de visage, quand celui-ci a été complètement détruit. Mais s'il faut refaire le nez, les pommettes ou les yeux, souvent nous utilisons des fausses lunettes pour maintenir le masque. Attendez..." Il se retourna et se dirigea à nouveau vers l'étagère pour attraper un autre masque sur lequel des lunettes fines et rondes étaient posées. Il revint le tendre au soldat. "Voilà. Tenez, prenez-le." suggéra-t-il à l'homme face lui.

Le lieutenant Derek Hale attrapa le masque de sa main libre. Il scrutait les deux modèles différents dans chacune de ses mains. Ses sourcils se froncèrent légèrement. Le sculpteur le regarda silencieusement pendant de longues secondes, puis déclara :

"Hm, ça tient assez bien en fait, contrairement aux apparences."

Il reprit le dernier masque entre ses doigts, le récupérant avec douceur des mains du militaire, puis le positionna sur son propre visage. Il avait posé les lunettes sur le haut de son nez et le bas du masque rigide tombait naturellement sur son visage. Derek Hale le regarda quelques instants et le sculpteur attendit quelques secondes avant de finalement enlever le masque.

"Bon, celui-ci n'a pas été moulé sur mon visage, forcément le rendu n'est pas optimal, mais vous voyez le principe." déclara le jeune châtain en esquissant un faible sourire.

"Oui." répondit le lieutenant en hochant la tête.

"Nous avons déjà fait une cinquantaine de masques, que ce soit des hauts ou bas de visages, qu'ils aient été détruits par éclats d'obus, balles, même lance-flammes, hein Scott ?" continua le châtain en jetant un regard à son collègue à l'autre bout de la pièce qui s'affairait sur ses objets métalliques.

Le dit Scott se retourna et leur jeta un regard entendu, hochant la tête.

"Testé et a'p'rouvé." rigola-t-il en pointant son propre visage recouvert. Le sculpteur soupira un semblant de rire puis reporta son attention sur l'homme face à lui qui restait de marbre. Le jeune châtain se mordit la lèvre inférieure.

"Hm, est-ce que vous avez des questions ?" demanda-t-il poliment.

"Combien de temps cela prend ?" questionna le militaire d'une voix sans émotion.

L'artiste écarquilla les yeux.

"Oh, euh…" Il se gratta l'arrière de la tête d'un geste nerveux. "Je dirais une bonne semaine en fonction de l'activité ici. En ce moment, c'est plutôt calme." continua-t-il en penchant sa tête sur le côté. "Cela dépend aussi, hm, du travail à faire. Il faut que je regarde votre visage et que je vois si l'on peut faire une moulure en une fois ou en plusieurs, cela dépend des dommages causés. Et puis, il nous faut quelques jours pour fignoler le masque, poser le cuivre. Ensuite vous devez l'essayer. Nous pouvons réajuster au besoin à ce moment-là. La dernière étape est la peinture, finalisation des détails esthétiques. Tout au mieux, oui, cela prend une grosse semaine."

Le lieutenant Hale acquiesça.

"Très bien." répondit-il simplement.

"Est-ce que vous voulez que l'on commence aujourd'hui ? Si vous êtes disponible, je peux faire le moulage maintenant." annonça le sculpteur en haussant les épaules. Il n'avait pas de rendez-vous avant plusieurs heures.

Le militaire hocha la tête.

"Installez-vous dans ce cas, je vous en prie." murmura le jeune Stilinski en montrant le banc où s'était assis l'homme quelques minutes auparavant. "Pouvez-vous enlever le tissu sur votre visage ?" demanda-t-il poliment alors qu'il restait debout face à lui.

Le lieutenant se tendit et fixa le sol quelques instants.

Scott McCall leur jeta un regard en biais et ses prunelles chocolat rencontrèrent celles ambrées de son meilleur ami. Ils semblèrent échanger un accord silencieux et le jeune estropié délaissa son travail et déclara soudainement :

"Stiles, je dois aller chez Longchamp récu'érer les li'raisons de p'lâtre. As-tu 'esoin de quelque chose ?"

Il se dirigea d'un pas claudiquant vers l'entrée pour attraper son manteau et l'enfila rapidement.

"Oh oui, merci Scott. Est-ce que tu peux lui dire que j'irai le voir vendredi pour le paiement ? Excuse-moi mille fois auprès de lui s'il te plait, je ne voudrais pas qu'il nous lâche lui aussi." murmura-t-il, un poil agacé. Ils avaient quelques difficultés financières et honnêtement, Stiles ne savait pas s'ils allaient encore tenir à ce rythme-là.

"P'as de soucis. À tout à l'heure." Le jeune brun salua les deux hommes d'un geste de la main et attrapa la poignée de la verrière pour en sortir, le pas pressé.

Le sculpteur le regarda franchir le pas de la porte et se retourna à nouveau vers son client. Il attrapa une chaise et la tira pour s'installer devant ce dernier. Leurs visages étaient face à face, à quelques centimètres l'un de l'autre.

Il plongea ses yeux dans ceux inflexibles du lieutenant face à lui et sourit avec amabilité.

"Hm, désolé. Donc... pouvez-vous retirer votre masque ?" demanda-t-il doucement à nouveau.

Le lieutenant Derek Hale pencha légèrement la tête et sa main vint dénouer l'élastique derrière son oreille droite d'abord, puis le tissu glissa doucement, dévoilant son visage progressivement.

"Faites vite s'il vous plaît." déclara-t-il d'une voix froide, alors qu'il retirait définitivement le bout de tissu et relevait la tête face au sculpteur. Son regard fixa un point au-dessus de l'épaule du jeune châtain, refusant de croiser ses yeux alors qu'il le savait en train de le détailler.

Le jeune Stilinski acquiesça doucement alors qu'il posait ses orbes sur le visage dévoilé. La partie droite du bas du visage était normale mais la gauche, elle, avait été ravagée. Il pencha sa tête légèrement pour observer davantage le côté gauche de l'homme face à lui, scrutant la peau arrachée, les cicatrices grossières. La bouche et le nez avaient souffert de déchirures et de probables brûlures, détruisant une bonne partie de la chair et de la peau. Les lèvres sur la partie gauche avaient été totalement arrachées, formant une énorme plaie qui s'étirait sur la joue, elle-même déformée. La peau avait été recousue en une longue et horrible cicatrice prenant naissance dans le coin des lèvres, tirant vers le bas, agrandissant la bouche déformée, éclatée. La partie gauche du bas du visage ne ressemblait qu'à une longue lacération mal recousue. Le sculpteur put juger qu'au niveau de la commissure, la bouche ne se fermait pas complètement, formant un trou tout à fait anormal à cet endroit qui laissait entrapercevoir une partie des dents et de la gencive. Le jeune artiste fixa plus attentivement l'arête du nez qui était restée droite, jugeant qu'elle pourrait servir d'attache pour un masque à lunettes. La narine gauche avait été brûlée et n'était pas esthétique à voir, mais le nez en lui-même n'était vraiment pas le plus à plaindre.

Le sculpteur contempla l'ensemble des traits. Ce Hale avait dû être un très bel homme avant son accident.

Il lécha ses lèvres rapidement pour les humidifier avant de reprendre la parole.

"Comme la moitié droite de vos lèvres et de votre nez est encore intacte, ce sera assez facile de reproduire la partie gauche." murmura-t-il doucement, en restant le plus neutre possible.

Le brun continuait de fixer un point par-delà l'épaule du jeune artiste, se refusant visiblement à le regarder. Il n'avait pas l'air à l'aise d'être épié de la sorte.

"Vous me laissez prendre quelques mesures ?" demanda le châtain poliment et sans attendre la réponse il se leva pour récupérer un papier, un crayon et une ficelle.

Il griffonna rapidement sur son cahier une esquisse du visage, annotant quelques éléments en parallèle. Il utilisa la ficelle pour repérer quelques points de symétrie et se remit à crayonner sur son cahier. Pendant qu'il écrivait et dessinait, il marmonna :

"Qu'est-ce qu'il vous est arrivé exactement ?"

La voix était douce et détachée. La question ne paraissait presque pas intrusive. Le lieutenant Derek Hale déglutit et le regarda pour la première fois depuis qu'il avait son visage à nu. Il détailla rapidement le jeune homme, rivé sur son calepin. Leurs regards ne se croisèrent pas, puis il articula avec froideur.

"Un tir allemand qui a ricoché. L'éclat est venu se loger dans la partie inférieure gauche de mon visage."

Stiles releva la tête vers lui et ils se regardèrent quelques secondes avant que le soldat ne détourne les yeux à nouveau.

"Vous avez eu de la chance." murmura-t-il. Le lieutenant étouffa un début de rire sarcastique et le sculpteur se sentit obligé de préciser : "J'ai reçu plusieurs soldats avec des éclats de tirs vous savez." Derek Hale ne répondit rien alors le jeune homme n'en rajouta pas. Il termina de dessiner les esquisses du visage qui lui permettraient de se projeter sur la sculpture. "Très bien, ça suffira." déclara-t-il finalement. "Nous allons pouvoir passer à la création du plâtre."

Le soldat hocha la tête et le sculpteur se leva doucement avant de continuer à expliquer ce qu'il allait faire. "Laissez-moi quelques minutes pour préparer le plâtre." Puis il se dirigea vers le fond de la pièce pour récupérer du matériel.

Le lieutenant sortit son masque en tissu et le repositionna sur lui en expirant doucement. Son regard s'attarda sur la table, balayant du regard le croquis de son visage que venait de faire l'artiste. Le bas de sa figure avait été dessiné de manière très juste, la partie gauche semblait être celle d'avant son accident.

"Comment avez-vous entendu parler de nous ?" demanda le sculpteur alors qu'il attrapait une bassine en fer dans laquelle il versa un peu de poudre blanche.

"Les chirurgiens et infirmiers de la Croix Rouge. Ils parlent de votre atelier lorsque nous sommes en convalescence à l'hôpital."

Stiles se tourna vers lui et écarquilla les yeux.

"Oh oui, très bien." déclara-t-il satisfait. "La Croix Rouge nous subventionne une partie de l'atelier. Sans ça, nous n'aurions jamais pu ouvrir." conclut-il. Il se dirigea vers les lavabos en céramique et se lava les mains rapidement. Il versa un peu d'eau dans sa bassine puis reprit. "Scott et moi avons ouvert il y a une dizaine de mois cet endroit, je ne vous cache pas que ça n'a pas été... facile. Et ça ne l'est toujours pas vraiment d'ailleurs." Il attrapa un des torchons et le plaça sur son épaule avant d'embarquer son seau et de revenir vers le lieutenant.

"Votre ami." déclara le lieutenant Hale en fronçant les sourcils. "Il était au front ?" demanda-t-il avec sérieux.

Le sculpteur posa la bassine qu'il tenait sur la table puis plongea ses mains dedans pour en mélanger la pâte blanche liquide.

"Oui. Il a reçu un éclat d'obus et une partie de son visage a été détruite. Il est le premier masque que j'ai réalisé. C'est grâce à lui que j'ai eu envie d'ouvrir cet endroit."

"Je vois." murmura le soldat calmement.

Il fixait les mains du jeune artiste finir de brasser la substance blanche plâtreuse. Le bruit de l'eau se mélangeant retentissait dans le silence de la pièce.

Le châtain attrapa le torchon sur son épaule et s'essuya rapidement les mains. Il se dirigea vers une étagère pour récupérer une boîte en métal et un pot en verre rempli d'une substance pâteuse un peu jaunâtre. Il posa le tout sur la table à côté du seau et ouvrit la boîte pour en sortir de fines bandes de papier.

Il se tourna vers l'homme d'armes et haussa un sourcil.

"Bon alors. Qu'est-ce qu'on vous fait ?" déclara-t-il, esquissant un sourire amusé.

Le militaire le regarda fixement et le sourire du sculpteur s'agrandit, puis il reprit :

"Nous avons la possibilité de couvrir toute la partie inférieure de votre visage : bas du nez, bouche et joues. Le masque tiendrait par fixation aux oreilles, exactement comme celui que porte Scott. Ou bien, je peux faire un masque plus adapté, qui ne couvre vraiment que les parties abîmées, c'est-à-dire la moitié gauche du bas de votre visage. La césure peut se faire à la moitié de votre bouche et nez. Cela laisserait visible toute la partie droite qui n'a pas souffert. Dans ce cas-là, comme il n'y aura rien à droite pour maintenir le support, l'attache sera faite avec des fausses lunettes."

Le brun sembla réfléchir quelques instants.

"Couvrez tout". murmura-t-il d'une voix froide.

Le jeune châtain fronça les sourcils.

"Vous n'aimez vraiment pas les lunettes ?" répondit-il en rigolant légèrement. Il avait bien compris que le brun souhaitait simplement se camoufler au maximum.

L'homme d'armes le fixa avec sérieux et le jeune sculpteur se gratta l'arrière de la tête avant de déclarer plus calmement.

"Ayez confiance en moi, la deuxième proposition sera la plus adaptée et la plus discrète. Vous pourrez en plus parler avec plus d'aisance que si l'on camoufle toute votre bouche."

Le militaire sembla hésiter et le sculpteur continua d'une voix se voulant persuasive :

"Si cela ne vous convient pas, on couvrira tout. Alors, vous êtes d'accord ?"

L'homme le fixa et hocha la tête de manière presque imperceptible. Le châtain était arrivé à le convaincre de le suivre, alors il se laissa porter.

"Très bien. Pouvez-vous enlever votre tissu à nouveau ?" déclara-t-il doucement. "Je vais appliquer de la vaseline sur votre visage pour que le plâtre n'accroche pas et n'abîme pas votre peau. Ensuite la pose des bandes de plâtre ne prendra que quelques minutes et il en faudra une quinzaine pour que le tout sèche."

Hale acquiesça, signe qu'il avait compris toute la procédure. Il retira à nouveau son masque en tissu, dénouant lentement les élastiques derrière ses oreilles pour découvrir le bas de son visage. Il détestait ce geste si simple et pourtant si brutal.

Il enfonça le morceau de tissu dans sa poche de pantalon et se remit droit sur son siège, alors que le jeune sculpteur s'installait à nouveau sur la chaise face à lui. La promiscuité ne semblait toujours pas ravir l'homme d'armes qui fixa l'épaule de son interlocuteur.

Le jeune Stilinski attrapa le pot en verre et en dévissa le bouchon. Il trempa ses doigts à l'intérieur pour récupérer un peu du produit gras et légèrement jaunâtre. Il étala une noix sur le dessus de sa main et se tourna vers le brun à quelques centimètres de lui.

"Ne bougez pas." murmura-t-il et il posa son index et son majeur sur la pommette du soldat, étalant doucement le produit gras sur la peau intacte du visage. L'ancien lieutenant fixait le mur devant lui sans ciller, mais son corps se tendit suite au contact. "J'y vais doucement, mais dites-moi si je vous fais mal ou que je vous gêne à un moment." continua-t-il. Puis ses doigts glissèrent sur la partie reconstruite, pleine de cicatrices. La peau y était lacérée et rougeâtre. Il étala le produit en restant concentré sur ce qu'il faisait, comme s'il manipulait quelque chose de très fragile qu'il ne fallait pas abîmer.

Le lieutenant Hale serra son poing contre sa jambe alors qu'il sentait les doigts glisser vers la partie gauche de sa bouche, vers sa commissure arrachée, vers l'endroit où il savait avoir un trou béant. Dans un réflexe vif, il détourna sa tête pour s'éloigner et attrapa le poignet du jeune sculpteur, arrêtant son geste.

Le châtain écarquilla les yeux et le fixa. Ils se regardèrent quelques secondes en silence. Le soldat desserra sa poigne et le jeune artiste baissa sa main.

"Désolé." murmura la voix froide et impassible du brun, puis il tourna légèrement la tête vers la gauche, comme pour essayer de cacher son visage.

"Non, je..." balbutia le jeune sculpteur en reculant de quelques centimètres. "Vous voulez le faire vous-même ?" demanda-t-il doucement.

Derek Hale hocha la tête et le jeune homme face à lui se recula davantage. Il attrapa le torchon sur la table et essuya ses doigts rapidement avant de reprendre :

"Mettez-en bien sur toute la surface. Je vais vous chercher un miroir."

"Ce n'est pas nécessaire." répondit simplement le soldat, puis il ouvrit son veston et en sortit un miroir de poche.

Stiles se leva et alla se laver les mains alors que le brun appliquait la vaseline, fixant son reflet au travers du petit objet.

Au bout de quelques minutes, le sculpteur osa se rapprocher de lui à nouveau et lui tendit un chiffon propre.

"Pour vous essuyer les mains." murmura-t-il puis il se réinstalla sur la chaise. Il attrapa plusieurs bandes de papier et les plongea dans la bassine, les faisant s'imbiber du plâtre liquide quelques instants.

Le brun avait la tête baissée, fixant le torchon dans lequel il essuyait ses mains d'un geste vif et brusque.

Le châtain le regarda et attendit qu'il termine pour reprendre.

"Penchez légèrement la tête en arrière." souffla-t-il et le soldat s'exécuta, releva le menton, posant son regard sur une des vitres qui couvrait la verrière.

Le sculpteur égoutta légèrement la première bande et la positionna sur le visage stoïque du brun. Ce dernier ne cilla pas au contact froid et humide contre sa pommette, semblant attendre patiemment. Stiles continua ce geste plusieurs fois, durant de longues minutes, positionnant les bandelettes les unes contre les autres aux endroits désirés, créant progressivement le masque sur la partie fragilisée du visage.

Le lieutenant sentait le regard posé sur lui, les doigts l'effleurer à chaque dépôt froid d'une bande imbibée de plâtre. Il percevait également le souffle du sculpteur qui le caressait parfois, lorsqu'il s'avançait un peu trop près. Lorsque les bandes humides commencèrent à recouvrir la partie la plus disgracieuse de son visage, le brun serra à nouveaux ses poings, prenant sur lui pour résister encore quelques minutes à ce contact qu'il ne supportait pas. Cela n'avait rien de physique pourtant. Il ne ressentait plus de douleur depuis longtemps, mais l'idée que quelqu'un puisse le toucher à cet endroit le dégoûtait au plus haut point.

Le sculpteur continua quelques minutes, superposant les couches pour créer plus de volume, puis finit par presser les bandes humides contre la peau. Les bandes de papier plâtrées, agglomérées les unes contre les autres, commençaient déjà à sécher lentement.

"C'est terminé." souffla le châtain et le lieutenant Hale dirigea automatiquement son regard vers lui, croisant ses prunelles ambrées et pétillantes.

Stiles esquissa un sourire.

"Vous voilà momifié pour l'éternité." déclara-t-il d'une voix solennelle et presque grave. Puis un rire amusé franchit ses lèvres.

Le soldat haussa un sourcil.

"N'essayez surtout pas de parler, grand bavard que vous êtes. Dans un quart d'heure je vous libère de ça." continua le jeune artiste en le fixant droit dans les yeux, puis il se mit à rire à nouveau. Le brun ne pouvait pas bouger sa bouche pendant les prochaines quinze minutes et cela sembla l'amuser.

Il se leva, attrapa la bassine sur la table et se diriger vers l'évier en vue de la rincer et de la nettoyer. Il la retourna ensuite contre la céramique pour la laisser sécher et s'essuya les mains avec une essuie posée à côté du lavabo.

En quelques enjambés, il se déplaça jusqu'à l'espace cuisine et récupéra deux journaux posés sur la table avant de revenir devant Derek Hale pour les lui tendre.

"Un peu de lecture ?" demanda-t-il aimablement. "Ce sont les journaux de ce matin et d'hier."

Le brun fixa le papier tendu devant lui et releva son visage dont le quart était recouvert de blanc vers le sculpteur. Il acquiesça doucement pour le remercier et attrapa un des périodiques. Le châtain posa l'autre sur la table à ses côtés.

Le soldat reporta son attention sur la une du canard entre ses mains dont la titraille en gros parlait de la résistance du front, vantant les louanges des alliés.

"Que de la merde, hein ?" murmura le jeune artiste mi-amusé mi-dégoûté. Le lieutenant Hale lui jeta un regard entendu.

Le châtain attrapa le pot de vaseline pour en revisser le couvercle, puis ferma la boîte à bandelettes en tissu. Il alla les repositionner dans l'armoire ouverte.

"En page 8 ce sont les publicités, les meilleurs textes de ce torchon." déclara-t-il en haussant les épaules et son sourire s'agrandit davantage. Le coin droit des lèvres du soldat sembla s'étirer de quelques petits millimètres.

Le quart d'heure passa rapidement. Le brun lut vaguement le journal pendant que son masque en plâtre séchait, tiraillant doucement sa peau sans pour autant l'abîmer. Le propriétaire des lieux rangea l'atelier quelque peu et mit sa cafetière en métal à chauffer.

Il revint se positionner devant son client qui releva la tête vers lui.

"Vous êtes prêt pour le retrait du masque ?" demanda-t-il avec entrain.

Le brun hocha la tête et le sculpteur se pencha pour toucher du doigt le bout de son nez plâtré. Il appuya légèrement dessus et croisa le regard vert intense qui ne lâchait pas. Il esquissa un sourire et son index effleura également le plâtre de la joue, totalement solidifié.

"Ça me semble bien." souffla-t-il, puis il sourit à nouveau en rencontrant les orbes verts teintés de doré. "Allez, je vous enlève ça, même si j'avoue que ça me divertit beaucoup de vous voir prisonnier de ce truc." s'amusa-t-il.

Le brun haussa à nouveau un sourcil et son interlocuteur agrippa les côtés du masque du bout des doigts puis tira doucement dessus. Il décolla les bords et le plâtre se détacha du visage tout aussi vite.

Sentant la partie détruite de son visage de nouveau à l'air libre et exposée, le lieutenant Hale baissa aussitôt la tête.

"Vous pouvez vous nettoyer derrière." déclara le jeune sculpteur en désignant les lavabos au fond de la pièce.

Le brun avait quelques résidus de plâtre sur la peau, notamment aux endroits de ses cicatrices. Il fit volte face et se dirigea vers l'évier pour se rincer le visage et s'essuyer.

Le sculpteur qui n'avait pas bougé fixa le masque entre ses mains avec attention. L'ensemble avait bien pris. Il le retourna pour voir l'intérieur qui avait parfaitement moulé la peau et en sembla satisfait.

Il déposa le masque sur la table et relut ses annotations sur la page de son calepin, comparant son croquis avec l'objet plâtré face à lui.

Le lieutenant Hale revint vers lui et se positionna à ses côtés, attendant sûrement la suite de la procédure. Stiles releva son regard vers l'homme, remarquant qu'il avait revêtu son masque en tissu et esquissa un sourire.

"Alors, on se sent mieux ?" demanda-t-il.

"Vous n'avez pas idée." répondit le brun alors qu'il retrouvait enfin l'usage de sa mâchoire librement.

"Le moulage est très bien. Je vais pouvoir sculpter l'extérieur pour lui donner la forme voulue. Je peux recréer toute la partie déformée ici, en me basant sur le côté droit de votre visage. Il faut juste donner une belle forme au plâtre en créant des lignes propres : la moitié de la bouche, la joue, le bas de votre narine… Ce ne sera pas difficile."

L'homme d'armes hocha la tête.

"Avez-vous encore besoin de moi ?" demanda-t-il d'une voix plate.

Stiles grimaça légèrement.

"Eh bien… J'ai pris mes proportions et j'ai déjà le modèle de ce qu'il faut réaliser. Mais, ça reste un croquis et la moitié droite de votre visage est…" Il suspendit sa phrase et pointa son doigt devant le brun. "Eh bien, sur votre visage. Ce serait idéal que je puisse l'avoir en regard durant la sculpture du masque." déclara-t-il un peu gêné mais souriant. Il avait bien remarqué que l'homme n'était pas du genre à vouloir s'exposer plus que de raison.

Le brun croisa ses bras nerveusement contre son torse ne semblant pas emballé par l'idée suggérée.

"Je n'ai pas du tout besoin de voir la partie gauche." déclara le sculpteur d'un ton se voulant détaché. Il avait dit ça l'air de rien, mais il savait que là était tout le problème.

"Très bien." soupira le lieutenant de mauvaise grâce, puis il s'assit à nouveau sur le banc alors que le garçon face à lui retenait un petit sourire un coin.

La cafetière se mit à siffler doucement et l'artiste se dirigea vers la petite cuisine en s'excusant pour couper le feu et se servir une tasse.

"Voulez-vous un café ?" demanda-t-il poliment, même s'il en connaissait déjà la réponse.

"Non." répondit placidement le lieutenant Hale.

Il était difficile de penser qu'il accepterait de boire devant lui étant donné le trou béant qui étirait la moitié de sa bouche.

Le sculpteur vint déposer sa tasse de café sur la table et alla chercher une large trousse en cuir noir, de la taille d'un gros sac à main. Il la posa également sur le plan de travail et s'assit sur la chaise, se rapprochant au maximum de la table. Il ouvrit le sac et en sortit une ribambelle d'outils de sculpture avec des formes toutes plus étranges les unes que les autres. Il y avait des spatules en forme de cuillers ou de couteaux, parfois petites, larges, droites ou incurvées, certaines avec un petit grattoir au bout, d'autres un cercle arrondi. Il déposa également des pinceaux, éponges et petites râpes devant lui.

Il attrapa le masque et le regarda attentivement avant de s'armer d'un premier outil et de râper doucement le plâtre à un endroit. Le lieutenant le regarda faire attentivement.

"Je travaille d'abord sur la forme générale de votre visage, sculptant les endroits bombés ou les creux. Et puis progressivement j'affinerai les traits en fonction des vôtres." murmura le châtain en lui jetant quelques coups d'œil alors qu'il continuait en parallèle son travail minutieux.

Il changea d'outils assez rapidement pour continuer à polir le plâtre, faisant tomber à chaque geste un peu de poudre blanche sur le plan de travail. Ses mouvements étaient très habiles et rapides et il regardait de temps à autre son calepin.

"Hm." reprit-il doucement. "Si vous pouviez me laisser revoir la partie droite de visage." demanda-t-il faiblement en gardant les yeux rivés sur le bout de masque qu'il sculptait entre ses doigts.

Il entendit le militaire soupirer légèrement à ses côtés et aperçut un léger mouvement de main. L'homme devait probablement retirer à nouveau le tissu qui le recouvrait.

Le jeune artiste tourna la tête vers lui et le brun avait positionné sa main sur la partie de son visage amochée, laissa parfaitement voir les traits de son côté droit.

Stiles le fixa et retint un sourire. Il attrapa sa tasse de café pour en boire une gorgée et leurs regards se croisèrent avant que le jeune sculpteur ne continue doucement son travail. Il fit de plus en plus d'allers-retours entre le visage et le masque, comparant allègrement les deux pour juger de l'évolution et de la qualité du travail qu'il exécutait.

Au bout d'une dizaine de minutes il leva le bout de plâtre et le positionna en l'air, devant la partie du visage du militaire recouverte de sa main. Il regarda attentivement le brun durant de longues secondes et ce dernier bougea nerveusement les épaules alors qu'il se sentait épier de manière continue.

Stiles esquissa un sourire.

"On avance !" déclara-t-il d'un ton qui se voulait rassurant. Il reposa le plâtre sur la table et attrapa sa tasse de café pour la porter à ses lèvres, buvant quelques gorgées de la boisson chaude. "Ça va le bras ? Pas trop mal ?" se moqua-t-il gentiment alors que cela faisait un petit moment maintenant que le lieutenant Hale avait le bras suspendu pour cacher sa bouche et sa joue gauche. La position devait être inconfortable.

Le brun ne répondit pas et grogna simplement avec agacement.

Le sculpteur étouffa un rire et attrapa le journal sur la table avant de le plier en quart et de le positionner devant la main. Cela cachait proprement la partie du visage.

"Tenez, ce sera plus confortable." murmura Stiles, encourageant l'homme face à lui à retirer sa main et attrapa le papier à la place pour le maintenir devant sa peau meurtrie.

Le lieutenant Hale s'exécuta. Mal à l'aise, il attrapa le journal et regarda à sa gauche d'un geste nerveux. Il suspendait un vulgaire bout de papier devant un quart de son visage pour le cacher c'était…

"C'est ridicule." s'exclama-t-il finalement, amorçant un mouvement pour se lever et arrêter tout.

Surpris, Stiles posa sa main sur son genou et déclara rapidement :

"Hé. Non, restez assis." Le brun croisa son regard quelques secondes et le jeune homme reprit doucement. "Ce n'est pas ridicule. S'il vous plaît, tenez-vous tranquille. Je fais au plus vite."

Hale soupira et capitula. Il posa son coude sur la table et continuait de cacher la partie de son visage qu'il ne voulait pas exposer alors que le châtain en scrutait longuement l'autre. L'artiste continua son travail pendant une petite vingtaine de minutes, sculptant proprement le masque pour qu'il soit un miroir parfait de la partie droite de l'homme assis devant lui. Il avait rarement sculpté le visage de quelqu'un dont les traits étaient si beaux à vrai dire. Cela lui rappelait les centaines de sculptures de visages gréco-romains qu'il avait modelés et taillés. Le nez droit, le visage carré à l'ossature saillante… les traits de lèvres fins. Le visage du lieutenant Derek Hale était une œuvre à lui-même.

Le jeune Stilinski eut du mal à ne pas se sentir mal pour cet homme qui semblait si froid et distant. Son visage était proche de la perfection et il avait dû être, par le passé, un homme qui savait séduire facilement. Il l'imagina quelques instants avoir été ce genre de militaire sur lequel toutes les femmes devaient se retourner de par sa beauté, sa stature et son charisme. Et même si l'homme avait conservé ces deux derniers aspects, il était évident que son visage, maintenant à moitié défiguré, avait dû considérablement affecter son charme.

Stiles déglutit, tentant vainement de faire sortir ces idées de son esprit tortueux. Il regarda le masque devant lui et esquissa un sourire. Il avait fini.

Il leva le bout de plâtre parfaitement sculpté et poli et le positionna devant le visage du brun.

"Retirez le journal." murmura-t-il doucement, alors que ses prunelles ambrées entraient en contact avec celles du soldat face à lui.

D'un geste hésitant, le militaire bougea sa main pour abaisser le papier, alors que Stiles maintenait le masque devant, le remplaçant instantanément dans sa tâche. Leurs regards étaient toujours plongés l'un dans l'autre et l'artiste esquissa un fin sourire alors qu'il venait déposer doucement le plâtre contre la peau abîmée. Le moule se fondit contre le visage, épousant à merveilles l'endroit où il était positionné. Stiles se recula légèrement, maintenant toujours du bout des doigts le plâtre contre la peau du brun. Il observa de longues secondes le visage devant lui dont la partie blanche faisant presque illusion. Hormis la couleur évidemment, le morceau de plâtre semblait être la continuité exacte du visage du militaire.

"C'est parfait." souffla-t-il, son regard jovial pénétrant à nouveau les orbes verts du lieutenant Hale. Ce dernier détourna les yeux, gêné. L'artiste ne put s'empêcher d'esquisser un sourire un peu triste.

"Hm, je vous laisse le retirer." souffla-t-il, incitant le brun à poser sa main sur le masque pour le maintenir et s'en débarrasser par la suite lorsqu'il le voudra. Le sculpteur ne souhaitait pas dévoiler son visage d'un geste brusque qu'il saurait être mal perçu.

Le militaire vint poser sa main sur le plâtre et le maintint alors que Stiles se retournait pour attraper un chiffon et essuyer ses mains pleines de poudre blanche. Il attrapa un stylo et son calepin pour annoter quelques éléments dessus.

"Je fignolerai sûrement légèrement le polissage dans les jours à venir. Il faudra également que je mette un peu de cire à l'intérieur pour combler l'espace au coin de votre bouche et l'affaissement au niveau de votre narine. Ce sera confortable pour vous à porter ensuite. Et puis nous effectuerons également le trempage dans le cuivre pour solidifier et imperméabiliser le tout."

Le lieutenant Hale ne répondit rien. Il baissa la tête rapidement, retira le morceau de plâtre et repositionna son bandeau en tissu d'un geste mécanique et rapide. Le sculpteur continua de parler rapidement.

"Donc, vous nous laissez quelques jours pour faire tout cela et vous pouvez repasser… disons, mardi prochain ? Dans l'après-midi, est-ce que cela vous irait ? On fera l'essai définitif, et si tout va bien, la peinture dans la foulée. Cela prendra une bonne heure je pense."

Il se tourna vers le brun pour l'interroger du regard.

"Très bien." murmura le soldat, hochant sa tête d'un geste ferme. Il se leva et déposa ce qui allait être bientôt une partie de son nouveau visage sur la table, à côté du cahier du sculpteur.

Le jeune artiste se leva aussitôt et ils échangèrent un regard entendu. Le lieutenant Hale tendit sa main et le jeune châtain l'attrapa pour la serrer doucement. Il frissonna doucement au contact des doigts encerclant sa paume. Cet homme qui était distant et froid le touchait de par sa pudeur et le charisme qu'il dégageait.

Stiles Stilinski souffla un "au revoir" alors que la silhouette élégante du lieutenant Hale fuyait vers la porte.

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À suivre…

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Note :

Alors ?! J'espère que ce début d'histoire vous plaît et que vous avez envie d'en lire la suite. Elle est en cours d'écriture en tout cas, mais n'arrivera pas tout de suite.

Merci vraiment pour vos premiers avis et encouragements (j'en ai besoin pour cette fic).

Des bisous !