Bonjour à tous !
... Ça se voit que j'ai envie d'en finir ? :D Je pensais procrastiner jusqu'à jeudi prochain, mais comme dit, j'ai quand même envie de mettre rapidement un point final à ce projet. Et comme il n'y avait pas grand-chose d'intéressant à lire dans les remerciements, j'enchaîne avec ce bonus promis.
Donc. Ce bonus. Pour l'expliquer, il faut remonter aux sources de cette idée : Je voulais montrer de la façon la plus réaliste possible le quotidien d'une relation abusive, mais surtout, sensibiliser sur ce sujet. Et il y a un point qui mérite une plus grande sensibilisation que les autres : Le début de la relation. Dans Why does he do that, l'auteur l'explique de façon magistrale en disant : "Si l'homme avec qui vous avez un rencard vous traite de salope, vous pensez sincèrement que vous allez lui proposer ou accepter de vous revoir par la suite ?". Bien sûr que non. Et c'est là que je veux en venir : Les débuts de relation abusive sont utopiques, idylliques, c'est l'homme ou la femme le plus parfait.e que l'on ait jamais rencontré, au point que l'on devienne très vite dépendant.e à sa présence. Et pourtant, même dans cette phase, il y a des signes. Des indices qui, à eux seuls, sont trop insignifiants pour attirer l'attention mais qui, mis bout à bout, peuvent et doivent interpeller sur le fait que la personne face à vous a des traits de caractère propres aux abuseurs et qui peuvent et doivent vous faire fuir si ces indices se reproduisent trop souvent.
Ce bonus, c'est un chapitre que vous connaissez. Le chapitre 1, celui qui marque le début de la relation entre Victor et Boris. Mais ma plume s'est glissée en gras au milieu pour vous pointer tous les indices en question qui, à eux tous, hurlaient que leur relation avait de fortes chances de devenir abusive. Je vous laisse découvrir ça et je vous retrouve en bas.
ENJOY !
(2 avril 2004, 15h23)
- Allez, en route tout le monde ! lança Yakov à son équipe, amassée dans le hall de l'aéroport.
Victor poussa difficilement son chariot métallique sur lequel ses valises s'entassaient en équilibre instable pour suivre l'équipe vers la sortie. A l'instant même où ils franchirent les portes battantes, il fut frappé par un véritable concert de cris stridents et de hurlements surexcités. Devant eux, une foule de fans se pressaient pour mieux les voir, mieux les prendre en photo. Mais Victor remarqua rapidement que les fans ne semblaient pas être là pour toute l'équipe. Seul son prénom résonnait parmi les cris et, à l'exception de quelques personnes, tout le monde semblait vouloir se rapprocher de lui pour le féliciter et demander une photo ou un autographe. Il hésita quelques secondes, cherchant l'assentiment de Yakov.
- Profites-en, souffla l'intéressé. Tu l'as mérité.
D'abord surpris, il remercia son coach d'un sourire avant de se diriger vers la foule de fans, dont les cris redoublèrent. Il passa les vingt minutes suivantes à serrer des mains, signer des autographes ou prendre des photos avant d'estimer que chacun des fans présents avait eu ce qu'il voulait.
Il parvint enfin à se faufiler jusqu'à la sortie de l'aéroport où seul Yakov se trouvait encore. Celui-ci était déjà au téléphone et, à en juger par son ton passablement énervé et colérique, Victor n'eut aucun mal à deviner qu'il était au téléphone avec Lilia. Si les choses s'étaient petit à petit envenimées entre eux depuis quelques années, la situation devenait franchement explosive ces derniers temps. Désormais, toute l'équipe savait que leurs échanges ne servaient plus qu'à essayer de trouver un accord sur les modalités de leur divorce. D'un signe de tête, Yakov indiqua à Victor le minibus qui les attendait un peu plus loin.
Il le rejoignit rapidement, encore sonné et enchanté par l'accueil de ses fans. Alors qu'il arrivait à proximité du minibus, un jeune homme de 19 ans en descendit et le rejoignit. Bien qu'ils n'aient que quatre ans de différence, sa taille, sa carrure musclée et ses cheveux blonds strictement coupés le faisaient paraître beaucoup plus âgé. Ses yeux gris s'éclairèrent en voyant le patineur avancer vers lui.
- Salut Victor ! Toutes mes félicitations !
- Merci Boris ! répondit le patineur en lui rendant son sourire.
- Fais voir tes valises.
Sans lui laisser le temps de protester, Boris lui prit son chariot métallique des mains et partit charger ses bagages à l'arrière du véhicule. Victor monta à l'intérieur et s'assit sur l'un des derniers sièges disponibles. Essoufflé et transpirant légèrement après avoir traîné ses bagages sur le parking, il sortit un élastique de sa poche pour attacher ses cheveux longs en un chignon rapide. A côté de lui, une patineuse lui sourit :
- Tu arrives au bon moment. Ça parle de toi !
Il se demanda un instant ce qu'elle voulait dire avant d'avoir sa réponse par la radio du minibus :
- Et c'est le sommet de la gloire pour Victor Nikiforov ! A 15 ans, le jeune prodige du patinage clôture sa carrière de junior en raflant la médaille d'or des championnats du monde de sa catégorie ! Il aura marqué cette saison en devenant le premier patineur au monde à réussir des quadruples dans son programme libre, ces sauts dont chaque patineur a rêvé mais qu'il a été le seul à réussir à ce jour ! Ce jeune homme ne cessera jamais de nous surprendre par son talent, et nous l'attendons de pied ferme pour son arrivée chez les séniors à partir de la saison prochaine !
- En effet, confirma un autre journaliste, aucun russe n'avait remporté le titre de champion du monde junior depuis Boris Dorokhov, il y a maintenant six ans, et nous attendions de voir cette médaille revenir dans notre pays depuis trop longtemps ! Nous ne doutons pas un seul instant que le jeune Victor continuera sur sa lancée pour faire briller notre réputation à l'international pendant encore de nombreuses années !
Le sourire fier et satisfait de Victor s'était élargi au fur et à mesure des paroles des journalistes. Le bonheur de sa victoire aux mondiaux, ainsi que l'engouement qu'il avait suscité par la suite auprès des photographes et journalistes, avaient réussi à atténuer le trac de son entrée chez les séniors. A présent, il n'avait plus qu'une seule envie : Continuer. Patiner encore et encore, briller encore et encore, remporter un maximum de titres et de médailles et passer le plus de temps possible à se délecter de l'admiration de son public.
Boris remonta dans le minibus et s'assit sur le siège conducteur.
- Tout le monde est là ? Où est Yakov ?
- Au téléphone, répondit Victor. Avec Lilia.
- Ah.
Intérieurement, Victor se fit la réflexion que la réponse de Boris pouvait résumer à elle seule la complexité de la relation entre le coach et sa femme. En reposant son regard sur Boris, les paroles du journaliste lui revinrent en tête. Boris Dorokhov. Un ancien patineur de génie, l'un des plus prometteurs de l'équipe de Yakov. Il avait remporté le titre de champion du monde junior à 13 ans et avait passé encore deux ans à être présent sur tous les podiums des compétitions auxquelles il participait. Sa carrière s'était arrêtée brutalement lors de son entrée chez les séniors, au trophée NHK du Japon, pour la première étape du Grand Prix. En plein milieu de son programme libre, il s'était effondré sur la patinoire, secoué de violentes convulsions, provoquant le choc du public et l'inquiétude de tous ses proches. Il avait aussitôt été évacué vers l'hôpital de Tokyo où le diagnostic était tombé. Crise d'épilepsie. La première d'une longue série. Malgré son rapatriement à Saint-Pétersbourg et ses rendez-vous en urgence chez un neurologue réputé, une nouvelle crise l'avait obligé à déclarer forfait pour les nationaux quatre mois plus tard et ainsi à clôturer sa saison.
Yakov lui avait dit que cette pause lui permettrait au moins de prendre le temps de se soigner, de trouver avec les médecins le traitement qui lui assurerait de ne plus jamais avoir de telles crises. Mais cela avait pris plus de temps que prévu. Il avait passé deux ans à enchaîner des traitements qui, tour à tour, n'avaient fait qu'atténuer ses crises en ne lui provoquant que des spasmes dans les bras ou les jambes, avaient provoqué trop d'effets secondaires pour qu'il puisse le continuer, ou avaient été complètement inefficaces. Lorsque, au bout de deux ans, ils avaient enfin trouvé le traitement qui lui convenait et avait mis un terme définitif à ses crises, il était trop tard pour qu'il revienne sur le devant de la scène. Ne pouvant se résoudre à abandonner le patinage, Yakov lui avait proposé un poste d'assistant. Boris les escortait en voiture dans les aéroports, préparait leurs plannings d'entraînement, gérait les commandes de costumes ou de survêtements officiels de l'équipe. Depuis plus récemment, il lui arrivait même de remplacer Yakov pour certains entraînements, quand celui-ci était trop occupé par son divorce avec Lilia.
La porte du minibus claqua, arrachant Victor à ses pensées. Yakov venait de monter à côté de Boris. Son regard fermé et colérique laissait clairement comprendre qu'il ne tolérerait pas de question sur la conversation qu'il venait d'avoir et Boris lança :
- Allez, en route ! Je nous ai réservé une table dans un bar pour fêter la victoire de nos champions !
- Sans moi, grommela Yakov. Dépose-moi à la patinoire avant.
- On a déjà pris du retard, protesta Boris, on doit y être dans vingt minutes…
- Fais ce que je te dis ! 1
1) Un grand point commun de tous les abuseurs, c'est leur obsession du contrôle : Ils veulent tout programmer, tout gérer, ne rien laisser au hasard. C'est parfois ce trait-là qui va faire qu'ils ne supporteront pas que leur victime fasse quelque chose d'imprévu/contre leur volonté, et qui va découler sur l'abus. Donc ici, on perçoit déjà un peu ce côté maniaque.
Boris et Yakov s'affrontèrent un instant du regard et, pendant quelques secondes, Victor eut clairement l'impression que seule la présence des autres patineurs dissuadait Boris de lui répondre sur le même ton.
- Comme tu veux, finit-il par souffler. Mais ça te ferait du bien de te détendre un peu…2
2) Ici on est sur du dénigrement, de Yakov en l'occurrence mais de tous les autres en général. Beaucoup de choses qu'ils vont dire ou faire sont destinées à faire croire à leur entourage (et leur victime en particulier) que tous les autres sont des cons et que lui seul est mieux que les autres.
Yakov ne prit pas la peine de répondre et Boris démarra le minibus, quittant rapidement le parking de l'aéroport.
(2 avril 2004, 21h30)
Victor haussa les sourcils de surprise quand Boris déposa devant lui un verre de bière.
- Tu veux me saouler ? sourit le jeune patineur.
- Tu as bien mérité de fêter ta victoire avec une boisson appropriée ! répondit Boris. Et le bar commence juste à se remplir suffisamment pour que les barmen ne fassent pas attention à qui boit ce que je commande… Ne me dis pas que tu n'avais jamais bu d'alcool avant ?
- Pas autant, avoua Victor.
- Désolé. J'oublie souvent que tu n'as que 15 ans, tu parais beaucoup plus mature que ton âge. 1 Tu veux que je te commande autre chose de plus léger ?
1) Quelque chose qui se retrouve souvent dans les débuts de relation abusive, la mise en valeur de la victime. Il lui fait comprendre qu'il le voit comme plus mature/plus doué/plus intéressant que tout ce qu'il est en vrai. Par la suite, ce sera un levier énorme pour justifier la déception qui arrivera et qui justifiera les abus, reproches, disputes…
Victor haussa les épaules avec un sourire.
- Désormais, maintenant que cette bière est là…
Boris répondit par un léger rire et leva son propre verre.
- A ta victoire, champion !
Ils trinquèrent ensemble et Victor but une gorgée du liquide amer – mais pas désagréable.
- J'ai oublié ce que ça faisait d'être une star mondiale… souffla Boris après quelques secondes de silence. 2
- Je ne me considère pas comme une star mondiale, nuança Victor. Ce n'est qu'un titre junior…
- Ne sous-estime pas ce titre. Quand je l'ai remporté, j'avais clairement l'impression d'être au sommet du monde ! 2
2) Une autre chose qui se retrouve très souvent : L'égocentrisme. Peu importe le sujet de discussion, il le ramène à lui.
Victor hésita quelques secondes avant de demander :
- Ça n'a pas été trop dur pour toi de devoir arrêter ?
- Je m'y suis fait. Et puis, ce n'est pas comme si j'avais complètement décroché… Je reste l'ombre de Yakov, il serait vite débordé sans moi. Je n'ose pas imaginer la pagaille que seraient vos entraînements sans mon boulot. Donc je me console en me disant que vos victoires, ce sont un peu les miennes aussi ! 3
3) Comme dans la scène précédente, un dénigrement des autres qui a pour but de se mettre lui-même en valeur
- C'est une bonne façon de voir les choses !
Ils passèrent encore une heure à discuter de leurs carrières. Victor n'avait jamais eu l'occasion auparavant de discuter autant avec Boris en dehors du complexe, mais il devait avouer qu'il adorait l'entendre parler de ses propres exploits et expériences passées. Quand le verre de Victor fut vide, celui-ci jeta un œil sur sa montre et souffla :
- Je ne vais peut-être pas traîner. Même si je ne patine pas demain, Yakov va me tuer si j'ai l'ombre d'une cerne en arrivant jeudi matin.
Boris jeta un œil autour d'eux. Leur groupe de patineurs avait considérablement diminué au fil de la soirée et, à l'exception de deux filles qui dansaient un peu plus loin, la plupart étaient partis pour rejoindre leur famille et fêter leurs résultats avec eux.
- Tu habites loin ? Quelqu'un vient te chercher ? s'inquiéta Boris.
- C'est à trois rues d'ici, mais non, je rentre seul.
- Je vais te raccompagner, proposa Boris. Je n'allais pas traîner de toute façon.
Victor fut surpris mais soulagé de sa proposition. Sans l'avoir avoué, il devait reconnaître qu'il n'avait jamais aimé rentrer seul chez lui une fois la nuit tombée. Ils récupérèrent leurs affaires et sortirent du bar. La nuit était glaciale, malgré l'arrivée du printemps, et ils marchèrent assez rapidement pour mettre le moins de temps possible à rentrer.
- Tes parents habitent trop loin pour venir fêter ta victoire ? supposa Boris.
- Non. Non, ils sont à Saint-Pétersbourg. Mais… Ils s'en fichent. Ils ne considèrent pas ça comme… Disons, comme une vraie carrière. Ils attendent juste que j'arrête pour faire des études et avoir un travail digne de ce nom.
- Sérieusement ? s'étonna Boris. Mais… Pourtant ils ont accepté que tu t'entraînes avec Yakov ? Tu es mineur, tu n'aurais jamais pu rejoindre l'équipe sans leur accord ?
- Ils ne voulaient pas, à la base. Mais j'ai insisté. Je leur cassais les pieds avec ça, je ne faisais plus rien à l'école, je ne pensais qu'à patiner… Ma grande sœur a aussi beaucoup pris ma défense. Mes parents l'ont toujours vue comme leur enfant modèle, tout le contraire de moi, mais en même temps, elle m'a plus aidé et soutenu qu'eux durant toute mon enfance. Mon comportement, avec en plus l'appui de ma sœur… Ma mère a fini par demander à Yakov plus de détails sur la vie dans son équipe. Quand il lui a expliqué qu'il y avait plus de footing et de musculation que de temps de glace, et pas mal de règles strictes de rythme de vie, d'alimentation, et tout ça, elle a décrété que je ne m'y ferais jamais. Et elle a signé en étant persuadée que je serais dégoûté du patinage en un an et que je passerai à autre chose après.
- Et maintenant, ils n'ont pas compris que c'était le bon choix ? Je veux dire… Tu es une légende vivante du patinage et ils s'en fichent toujours autant ?
Victor rougit légèrement sous le compliment et mais son regard s'assombrit pendant qu'il répondait :
- C'est limite pire qu'avant. Plus je continue, plus ils sont persuadés que je suis en train de gâcher ma vie. Et… Enfin, parfois, je me demande s'ils n'ont pas raison. Je te l'ai dit, je ne trouve pas que je sois exceptionnel.
- Tu l'es, crois-moi. Victor, dans un an, tu fais ton entrée chez les séniors et je ne serai pas du tout étonné de te voir réussir à rafler la médaille d'or du Grand Prix et des Mondiaux dès ta première année ! 4
- Tu plaisantes ? Personne ne l'a jamais fait !
- Parce que toi seul en es capable. 4
4) On revient sur une mise en valeur de la victime
A la lumière du réverbère, Victor capta le regard de Boris. Il y avait dans ses yeux un mélange d'admiration et de détermination qui le fit frissonner. Il avait beau douter de ses capacités à conquérir le public, ça n'empêchait pas qu'il avait passé des années à rêver de voir ce regard là posé sur lui, le regard de quelqu'un qui serait fier de lui et qui lui soutiendrait qu'il était capable de gravir les sommets. Gêné par l'effet que Boris avait sur lui, il s'empressa de détourner la conversation :
- Et toi, comment ça se fait que tu n'aies rien d'autre à faire que de me raccompagner ? Tu n'as pas de famille ? De petite-amie ?
- Ma famille habite à Torjok, c'est trop loin pour les rejoindre pour une soirée. Je flirte parfois mais je n'ai plus eu de relation sérieuse depuis un an. J'avais fait une crise d'épilepsie et ma copine ne l'a pas supporté.
- Quoi, elle t'a quitté parce que tu avais eu une crise ? s'étonna Victor, choqué.
- A peu près. Elle a eu trop peur sur le coup et a refusé de revivre ça, elle n'en avait pas le cran. 5 Et elle n'a jamais voulu admettre que c'était loin d'être aussi choquant qu'on le croit. Les médias nous mettent en tête des images de personnes qui meurent en faisant des crises, mais ce n'est pas mon cas. Il en faut plus pour me passer dessus ! ajouta-t-il avec un clin d'œil.
5) Encore un gros point commun des abuseurs : Le dénigrement de ses anciennes relations, et présentation de la situation comme « C'est de la faute de l'autre si ça a pas marché, moi je n'y pouvais rien ». De manière générale, quelqu'un qui dénigre et insulte ses anciennes copines, ça doit absolument attirer l'attention. De plus, il dit que la crise était un an auparavant, alors que je dis un peu plus haut qu'il a son traitement depuis deux ans. Donc on peut déjà supposer qu'il y a un truc qui ne colle pas.
Victor laissa échapper un léger rire. Ils continuèrent à discuter tout en marchant et arrivèrent rapidement devant l'immeuble de Victor.
- C'est là. Merci de m'avoir raccompagné !
- Je t'en prie. On se voit jeudi à l'entraînement !
Victor passa la porte de l'immeuble et monta les trois étages qui le séparaient de son appartement. Il entra et vérifia l'heure. Beaucoup trop tard pour aller chercher Makkachin chez la voisine à qui il le confiait pendant ses déplacements. Dommage. L'appartement payé par la fédération avait beau être splendide et luxueux, il n'en demeurait pas moins beaucoup trop grand à son goût. Il avait adopté Makkachin un an auparavant, pour essayer de combler la solitude qui le rongeait dès qu'il sortait de la patinoire et, si le caniche avait éclairé sa vie, l'appartement redevenait encore plus monotone et silencieux lorsqu'il n'était pas là. L'espace d'un instant, il repensa à la soirée qu'il avait passée à discuter avec Boris et regretta amèrement de ne pas lui avoir proposé de monter.
(4 avril 2004, 08h03)
Victor franchit la porte du Palais des Glaces en ralentissant à peine, essoufflé. Sans le vouloir, il s'était rendormi après que son réveil ait sonné et le fait d'avoir couru sur le chemin ne l'avait pas empêché d'être en retard. Il n'était même pas encore changé et il devrait déjà être sur la glace. Il fonça à toute allure vers les vestiaires mais, en passant devant le bureau de Yakov, il entendit deux voix qu'il connaissait par cœur se disputer. Il se demanda pendant une seconde ce que Lilia faisait ici si tôt le matin, avant de réaliser que, grâce à elle, Yakov ne remarquerait peut-être pas son retard. Il se dépêcha quand même d'enfiler ses vêtements de sport et ses patins avant de s'élancer sur la glace pour s'échauffer. Il avait à peine fait un tour de piste quand une voix le réprimanda :
- Sept minutes de retard, jeune homme ! 1
1) Encore une fois, une obsession du contrôle et du respect de ce qui est prévu
Il leva les yeux vers Boris qui le regardait depuis le bord de la patinoire. Victor sourit intérieurement. S'il existait au monde une seule personne plus attachée à la ponctualité que Yakov, c'était bien Boris, il aurait dû se douter que lui ne le louperait pas.
- Désolé… souffla-t-il en le rejoignant.
- Ça va, disons que j'ai rien vu. Bon, aujourd'hui…
Avant qu'il n'ait pu lui dire ce qu'il devait travailler aujourd'hui, une voix rugit :
- Victor ! Tu as vu l'heure ? Tu n'es même pas encore échauffé ?
Visiblement, Yakov avait réussi à se débarrasser de Lilia et les avait rejoints au bord de la piste.
- Ton titre ne te donne pas le droit de te pointer ici à l'heure qui t'arrange ! renchérit le coach sur le même ton. Les mondiaux sont finis mais il te reste encore un mois avant les vacances, et je peux les annuler si tu décides de trop te reposer sur tes lauriers !
Sans arrêter de crier, Yakov inonda le patineur de reproches et de réprimandes pendant que Victor pâlissait à vue d'œil en répétant des excuses à peine audibles. Ce fut finalement Boris qui intervint :
- Yakov… Depuis le temps que tu lui cries dessus, il aurait eu le temps de finir de s'échauffer… 2
2) Dénigrement de Yakov pour passer pour le gentil de l'histoire
La réflexion stoppa net la colère de l'entraîneur russe. Il resta immobile deux secondes, semblant digérer ce que Boris venait de lui dire, avant de désigner la piste d'un signe de tête pour ordonner à Victor de retourner patiner. Encore intimidé par les réprimandes, Victor adressa un regard de remerciement à Boris avant de s'engager à nouveau sur la glace.
(11 avril 2004, 18h20)
Tout en se forçant à respirer lentement pour reprendre des forces, Victor s'élança en ligne droite et prit de la vitesse avant d'effectuer un pas de trois. D'une pression de la jambe, il sauta et effectua deux tours sur lui-même. Son manque d'élan l'empêcha d'en faire plus et de se réceptionner correctement, et il chuta lourdement en laissant échapper un gémissement de douleur.
- Relève-toi ! rugit la voix de Yakov. Recommence !
L'ordre agressif lui arracha une larme d'épuisement et il resta étendu sur la glace quelques secondes avant d'essayer de se relever. Ses jambes tremblèrent violemment quand il se redressa et Yakov soupira :
- Tu as passé trois ans à vouloir faire des quadruples alors que tu n'avais pas l'âge requis, et maintenant que tu peux en faire tu en es incapable ? Tu me déçois ! Il va falloir t'activer un peu si tu tiens à rester dans la course chez les séniors !
- Je sais. Je vais le refaire.
Il s'apprêta à reprendre de l'élan mais Yakov lui saisit fermement le bras.
- Non. Dans ton état, tu vas juste réussir à te blesser si tu insistes. Va te changer, et je veux te voir en forme demain matin.
Il acquiesça d'un hochement de tête et sortit de la glace avant de se laisser tomber sur un banc. Plongeant sa tête dans ses mains, les coudes sur les genoux, il tenta de se ressaisir. Il était habitué aux réprimandes de Yakov, il savait que celles-ci tombaient beaucoup plus souvent que ses compliments. Mais il n'était pas habitué à son agressivité, à ses cris et ses reproches personnels qui lui minaient le moral. Il avait beau savoir que le comportement de Yakov n'était dû qu'aux problèmes qu'il rencontrait avec Lilia, ça ne l'empêchait pas de ressortir de chaque entraînement avec de plus en plus de doutes sur ses capacités et ses possibilités de carrière.
- Eh… Ça va ? murmura quelqu'un en posant une main sur son épaule.
Victor cligna rapidement des yeux pour en faire disparaître les larmes qui avaient commencé à monter avant de relever la tête vers Boris.
- Oui oui ça va aller ! assura-t-il.
- Ça te dit d'aller boire un verre ? proposa l'aîné. Tu as l'air d'avoir besoin de te changer les idées…
La proposition surprit Victor. Il s'était tellement habitué à la routine des entraînements, où les heures à la patinoire laissaient directement la place à celles qu'il passait seul chez lui, qu'il en avait presque oublié la possibilité de faire autre chose après ses séances. Et il devait reconnaître qu'il appréciait de plus en plus de passer du temps avec Boris. Parfois, il avait l'impression que seules la douceur et la patience qu'il lui réservait sur la glace arrivaient à lui faire supporter les réprimandes de Yakov.
- Pourquoi pas, ouais !
Victor se changea rapidement et rejoignit Boris à l'entrée de la patinoire. Celui-ci l'entraîna vers un café proche du complexe, où ils s'assirent en terrasse. Victor ferma les yeux, profitant de la chaleur timide du soleil sur son visage.
- Qu'est-ce que je vous sers ? demanda un serveur qui s'était avancé près de leur table.
- Un chocolat viennois, s'il vous plaît, annonça Victor.
L'espace d'une seconde, Victor aurait juré que le regard de Boris s'était assombri, comme s'il désapprouvait son choix, mais il passa également sa commande sur le ton aimable qu'il lui connaissait. Lorsque le serveur se fut éloigné, Boris esquissa un sourire :
- Tu es conscient du sermon que tu prendrais si Yakov apprenait ça ?
Le coach russe obligeait ses élèves à se soumettre à un certain nombre de règles de vie plus ou moins contraignantes pour s'assurer que leur forme physique ne faiblisse pas, et le régime alimentaire en faisait partie. La plupart des boissons sucrées – ou en l'occurrence, couvertes de chantilly – figurait en premier sur sa liste d'aliments interdits. Bien sûr, si Yakov avait été présent, il n'aurait jamais osé faire ce choix là mais il réalisa soudainement qu'il avait complètement oublié que Boris était son assistant. Pendant quelques secondes, il ne l'avait plus vu que comme un ami.
- J'ai… Oublié, tenta-t-il de se justifier. Tu vas le lui dire ?
- Pourquoi je ferai ça ? s'étonna Boris. De toute façon, tu es assez grand pour gérer ton entraînement et ton alimentation seul. Et puis tu t'es regardé ? Tu es aussi épais qu'un cure-dents, tu peux bien te le permettre. 1
1) Les commentaires de ce genre sur le physique, qui frôlent autant l'insulte, doivent attirer l'attention, même si ça paraît être pour rire
Victor esquissa un sourire amusé et soulagé et Boris reprit :
- Tu peux arrêter de me voir comme un assistant coach en dehors de la patinoire, tu sais ? Je m'adapte aux règles de Yakov mais je suis loin d'être aussi psychorigide que lui ! 2
2) Encore une fois, dénigrement de Yakov pour se mettre en avant
- Merci, rigola légèrement Victor. Je sais que je ne suis pas censé avoir le droit, c'est juste que…
- Que tu en as marre de manger toujours la même chose et que, quand on n'a pas le moral, il n'y a rien de mieux que du sucre pour se remettre d'aplomb ? coupa Boris.
Victor parut étonné qu'il ait aussi bien deviné ce qu'il ressentait.
- J'ai été patineur aussi, tu te souviens ? Quand j'ai pris la décision d'arrêter définitivement, la première chose que j'ai faite a été de dévorer une boite entière de chocolats. J'ai passé les deux jours suivants à être malade, mais ça en valait la peine ! 3
3) Égocentrisme, il ramène la conversation sur lui alors qu'on parlait de Victor deux lignes plus haut
Victor rigola en même temps que lui. Avant qu'il n'ait trouvé quelque chose à répondre, le serveur leur amena leurs boissons. Le jeune russe dévora avidement les premières cuillères de chantilly et savoura le goût sucré.
- Ça va mieux ? sourit Boris.
- Un peu. Merci. Tu… Tu sais pourquoi Yakov est autant sur les nerfs ? Je veux dire, un divorce n'est pas une partie de plaisir, mais de là à le mettre dans une fureur pareille en permanence…
- Il n'a jamais été un modèle de patience, pour commencer, nuança Boris. Et Lilia n'est pas décidée à se laisser marcher sur les pieds. Si j'ai bien compris, telle que la situation est partie, ça devrait déboucher sur un divorce assez classique, avec partage équitable des biens. Sauf que Lilia cherche à tout prix à trouver une faute conjugale que Yakov aurait faite et qui pourrait être avantageuse pour elle si c'est ce motif de séparation qui est retenu par les juges. Donc elle passe sa vie à lui chercher des noises pour tout. Elle a essayé de mettre en avant le fait qu'il n'était jamais là à cause des entraînements et des compétitions à l'étranger, son tempérament colérique, mais pour l'instant elle ne trouve rien de suffisamment grave et avéré pour faire valoir une faute de la part de Yakov.
- C'est dégueulasse… murmura Victor.
- Yakov n'est pas tout blanc non plus dans l'histoire, précisa Boris. Je crois que tu commences à comprendre de quoi il est capable quand il est en colère ? Je n'en reviens toujours pas des soufflantes qu'il peut passer, quand il le décide. Le temps que je ne passe pas à vous entraîner, je le passe à le retenir et à le calmer pour l'empêcher de vous incendier encore plus. Si je ne le retenais pas, la moitié des patineurs auraient déjà annoncé prendre leur retraite ou changer d'entraîneur tellement il les aurait poussés à bout. Alors je suppose que vivre au quotidien avec lui n'était pas qu'une partie de plaisir, et que Lilia est en droit de lui remettre dans la figure tout ce qu'elle a pu subir depuis qu'ils sont mariés…
Victor acquiesça lentement. Il ne pouvait pas nier qu'il avait mal digéré les dernières remontrances de Yakov, et que seul Boris l'avait aidé à les supporter. Malgré tout, il ne comprenait pas cette attitude que Yakov et Lilia avaient l'un envers l'autre.
- Je trouve ça stupide, fit-il remarquer. Je veux dire, s'ils ne veulent plus se voir, ils iraient beaucoup plus vite à prendre sur eux pour s'asseoir deux heures et se mettre d'accord plutôt que de se disputer pendant des mois…
- Que veux-tu… L'amour pousse parfois à faire des choses un peu bizarres. Surtout quand on n'accepte pas que la personne qu'on aime veuille nous quitter. 4 Quand la fille avec qui je sortais est partie, j'ai vraiment cru que j'allais sombrer. J'étais encore hospitalisé suite à ma crise d'épilepsie quand elle me l'a annoncé. 5 Je suppose qu'elle n'avait pas le courage de me le dire dans une situation où on aurait été à égalité…6 En une journée, elle a emmené toutes les affaires qu'elle avait chez moi et est revenue me rendre mes clés. Mon boulot avec Yakov m'a bien aidé à me remettre sur pieds, c'est le fait d'avoir des gens à qui parler et des choses à penser qui m'a permis de tenir le coup.
Cette réplique est un combo de plusieurs choses. Déjà, la 4 , qui justifie tout ce qui va se passer après, à savoir : Il est normal de faire n'importe quoi pour refuser une rupture. En 5 , il enchaîne sur une victimisation de lui-même, pour attirer de la sympathie et de la pitié. Et il conclut en 6 en remettant une couche de dénigrement de son ex-copine.
- Je suis désolé… murmura Victor. Elle ne t'a rien dit d'autre ? Pas d'autres explications sur la raison pour laquelle elle partait, à part le fait que tu aies eu une crise ?
- Elle n'était pas du genre à s'encombrer de ces amabilités…7 Mais bref, c'est du passé et je vais beaucoup mieux sans elle. Et toi, tu as déjà eu quelqu'un dans ta vie ?
7) Et re-dénigrement
- Non. Je me suis même jamais posé la question et… A moins de rencontrer quelqu'un de l'équipe, je vois mal comment une relation pourrait être possible…
- Tu verras bien en temps voulu !
Tout en discutant, ils avaient fini leurs verres et le serveur était revenu pour les encaisser. Victor fouilla dans la poche de son manteau pour prendre son porte-monnaie mais Boris souffla :
- Laisse.
Il déposa le montant des deux consommations devant lui et Victor rougit légèrement.
- Merci mais… Enfin, t'es pas obligé…
- Ça me fait plaisir. 8
8) Excès de générosité, au point de mettre mal à l'aise et que la victime se sentira redevable. Ici ça reste soft bien sûr, ce n'est qu'un verre, mais sur le chapitre 2 quand il lui offre ses patins à lame dorée, c'est flagrant : Devant de tels cadeaux ou services, la victime se sentira d'autant plus mal à l'aise de partir alors qu'elle estime lui devoir de l'argent ou que l'abuseur s'est mis en quatre pour la satisfaire.
(19 avril 2004, 13h26)
Allongé sur son canapé, Victor zappa une nouvelle fois et la télé afficha une émission aussi inintéressante que la précédente. Un jappement à ses pieds lui indiqua que Makkachin venait de lui ramener la balle qu'il lui avait lancée. Machinalement, il se pencha pour la rattraper et la renvoyer pendant que le chien repartait la chercher à toute allure. Il était censé être habitué à la solitude. Ce n'était pas comme s'il avait toujours vécu entouré. Même avant que ses parents ne commencent à désapprouver ses choix, ceux-ci avaient été loin d'être aussi présents et aimants qu'il l'aurait voulu. Eva, sa grande sœur, lui avait donné toute l'affection et l'amour dont il avait eu besoin, mais elle ne pouvait pas être toujours disponible pour lui. Elle avait des études, des amis, une vie, et Victor refusait de la voir renoncer à tout ça pour lui. Il avait cru trouver un père de substitution en Yakov, mais son attitude explosive de ces derniers temps lui avait fait clairement comprendre qu'il ne devait pas en attendre autant que d'habitude. Les seules fois où son coach lui avait adressé la parole ces dernières semaines se résumaient par des réprimandes toujours plus sèches et plus violentes. Au final, les seuls moments qu'il appréciait étaient ceux en présence de Boris.
Tout au long de la semaine précédente, il avait passé de plus en plus de temps avec l'assistant coach, que ce soit pendant les entraînements ou en dehors. Et il réalisait petit à petit à quel point il adorait ça. Ses encouragements et sa patience compensaient l'agressivité de Yakov sur la patinoire, et les discussions qu'ils avaient en dehors faisaient passer son temps libre à une vitesse folle. Il avait l'impression que cela faisait une éternité qu'il ne s'était pas ennuyé comme aujourd'hui, alors que cela avait été son quotidien depuis de trop nombreuses années.
Il hésita quelques secondes. D'un côté, il mourrait d'envie de retrouver Boris, de repartir dans une de ces longues conversations qu'ils avaient ensemble, d'entendre l'ancien patineur lui raconter des anecdotes toutes plus passionnantes les unes que les autres sur sa vie et sa carrière. De l'autre, il ne voulait pas l'étouffer. Il avait 15 ans et Boris en avait déjà 19, est-ce qu'il ne pourrait pas se lasser de passer autant de temps avec quelqu'un d'aussi jeune ? Avoir envie de faire autre chose, voir d'autres gens ? Pourtant, Boris lui avait fait comprendre à plusieurs reprises à quel point il aimait autant que lui les moments qu'ils partageaient ensemble… Pour autant, il ne s'imaginait pas l'appeler ou lui envoyer un message uniquement pour lui demander de passer du temps tous les deux, Boris avait certainement beaucoup mieux à faire que de supporter un patineur qu'il supervisait déjà six jours par semaine.
D'un geste, il éteignit la télé et sortit son ordinateur portable, qu'il posa sur ses genoux. Il retrouva rapidement l'adresse du blog que Boris tenait, et où il affichait principalement des photos et articles en rapport avec le patinage ou les compétitions. Il parcourut les premières pages et laissa quelques commentaires sur certaines photos. Alors qu'il s'apprêtait à aller voir les blogs d'autres patineurs que Boris avait référencés, son téléphone sonna pour annoncer l'arrivée d'un message.
- Tu n'as vraiment rien d'autre à faire que de laisser des commentaires sur le blog d'un ancien patineur ?
Victor laissa échapper un petit rire. A l'évidence, Boris non plus ne devait pas avoir une journée de repos très palpitante.
- Pas vraiment. Pourquoi, tu as mieux à proposer ?
- J'arrive.
La réponse surprit Victor. Boris débarquait chez lui uniquement parce qu'il lui avait dit qu'il s'ennuyait ? Rapidement, il se leva et trouva d'autres vêtements que le pantalon de jogging qu'il mettait quand il restait chez lui. Boris frappa à sa porte au moment où il finissait d'arranger ses cheveux. Il ouvrit et fit face au blond qui lui adressait un large sourire. Victor balbutia :
- Tu as fait vite… Je… Désolé, je voulais pas te déranger…
- Tu ne me déranges jamais. Je m'ennuyais aussi. On peut aller au cinéma, pour voir le nouveau film d'Alexandre Sokourov, la séance est dans une demi-heure ? Et après, on pourra traîner dans le Jardin d'été du centre-ville, avant d'aller manger au Sedmoye Gost' juste à coté ! 1
- Je… Oui c'est parfait ! sourit Victor, soudainement emballé par le programme qu'il lui proposait. Juste… Il faudra quand même que je sorte Makkachin avant ce soir…
- On ne va pas rentrer si tard que ça non plus, tu pourras t'occuper de lui après ! suggéra Boris. Allez, viens si on ne veut pas rater le début ! 2
1) Déjà, non seulement il a encore prouvé son obsession du contrôle en prévoyant le programme à la seconde près, mais surtout, il se fiche complètement de l'avis de Victor. Il lui annonce ce programme, à aucune seconde il ne lui demande s'il pourrait aimer ce film ou ce resto, si ça lui convient…
2) Et quand Victor oppose une objection, il la balaie d'un revers de main. Ce que Victor pense ou veut n'est pas important par rapport à ce que lui-même a décidé
(26 avril 2004, 19h30)
Victor frissonna violemment en sortant du Palais des Glaces. Il avait commencé l'entraînement plus tard que d'habitude et n'avait pas jugé nécessaire de prendre un manteau en partant de chez lui. Il commençait à regretter amèrement ce choix quand Boris, qui marchait à côté de lui, passa un bras autour de ses épaules et le serra légèrement contre lui pour le réchauffer tout en marchant. D'abord surpris, Victor se laissa rapidement aller à cette étreinte chaude et réconfortante. Depuis combien de temps n'avait-il pas eu une telle marque d'affection ? Depuis combien de temps quelqu'un ne s'était-il pas préoccupé de lui autant que Boris l'avait fait depuis leur retour des mondiaux ?
Ils continuèrent à marcher comme ça, en silence. Victor avait beau adorer leurs conversations passionnées, il n'en aimait pas moins les moments, de plus en plus fréquents, où ils n'avaient rien besoin de dire. La simple présence de Boris à côté de lui était tout ce qu'il désirait et, à ce moment précis, il aurait été prêt à donner tout ce qu'il avait pour que ce trajet ne se termine jamais, pour qu'il reste éternellement blotti dans ses bras.
Malheureusement, ils arrivèrent assez vite – trop vite – devant son appartement. Il aurait bien eu envie de dire quelque chose, n'importe quoi qui retarderait le moment où ils se sépareraient, mais ne trouva rien d'autre que :
- Merci.
- Je t'en prie.
L'espace d'une seconde, Victor réalisa à quel point Boris non plus ne semblait pas avoir envie de partir. Sa voix douce, son regard brûlant posé sur lui, la main qu'il avait gardée sur son épaule même après qu'ils aient fini de marcher, toute son attitude laissait entendre qu'il n'avait pas envie de repartir.
- Tu veux rester chez moi ce soir ? proposa Victor.
Le regard de Boris s'éclaira, visiblement surpris et terriblement tenté par cette proposition, mais il murmura :
- Je ne sais pas… Ce n'est pas que je ne veux pas mais…
- Mais quoi ? s'étonna Victor.
Boris réfléchit quelques secondes avant de fixer à nouveau son regard dans les yeux du patineur.
- Victor, vu nos âges, ça s'appelle ni plus ni moins du détournement de mineur.
Victor laissa échapper un léger rire, surpris et soulagé que ce point soit la seule chose qui retenait l'aîné.
- Les seules personnes qui pourraient te chercher des ennuis sont mes parents, et ils se fichent complètement de moi. Je te jure que ça ne posera pas de problèmes. S'il te plaît… Reste.
En murmurant ce dernier mot, il se rapprocha encore plus de Boris, qui l'enlaça tendrement, le serrant contre lui. Il ne lui répondit pas – il n'en avait pas besoin. Son étreinte et la douceur de ses lèvres lorsqu'elles se posèrent sur le coin de sa bouche suffirent largement.
Et voilà pour ce chapitre 1 commenté. J'espère que ces détails et explications vous ont plu. Encore une fois, chaque chose pointée ici, individuellement, n'est pas grand-chose. Ça peut n'être qu'une remarque, ou un trait de caractère. Mais l'obsession du contrôle, le dénigrement des autres pour lui-même se mettre en valeur, le peu d'importance accordée aux désirs de l'autre et surtout, le dénigrement systématique des anciennes relations, chez une même personne, doivent absolument alerter. L'auteur de Why does he do that va même jusqu'à dire : "Quand un homme critique et insulte son ex devant vous, ne vous engagez pas avant d'avoir pu contacter cette personne, obtenu sa propre version des faits et avoir décidé de quelle version vous paraît la plus crédible". Je peux encore faire une fic et demie sur le sujet de "Comment repérer un abuseur" mais je vais m'arrêter là. Si vous voulez continuer à en discuter, n'hésitez surtout pas par MP.
Et c'est la fin officielle de cette fic qui passe en Complete avec la publication de ce bonus ! Encore un gros merci à tous pour m'avoir suivie jusque là !