Rating : M
Genre : Hurt/Comfort, soupçon de Angst, Romance, Hetero/Yaoi.
Disclaimer : L'univers et les personnages de One Piece appartiennent à Eiichiro Oda
Note : À l'origine, ce texte a été écrit dans le cadre du jeu 'Le Bordel du Cœur de l'Aurore', sur le Forum de Tous les Périls. Le principe est d'écrire un texte en 24h sur un thème et un personnage donnés. Ici, il s'agit d'Ivankov, sur le thème 'Peau d'Âne'. Je ne poste pas ce texte dans mon recueil consacré au topic du Bordel, parce que je ferais une suite (je ne sais pas quand, par contre, vu que je pars en vacances demain).
Note 2 : Je n'avais pas du tout prévu ça, le texte m'a complètement échappé et j'ai eu l'impression, à plusieurs reprises lors de l'écriture, de perdre complètement le thème. En m'y reprenant à plusieurs fois, je pense avoir réussi à rester relativement centrée dessus, mais le thème est à lire entre les lignes.
Avertissement : Mention d'inceste, c'est tout juste évoqué, mais c'est quand même présent.
Renaissance
– partie 1 –
Sur les dangereuses mers du Nouveau Monde, les marins craignent la météo aussi imprévisible que mortelle, et redoutent tempêtes de grêlons gros comme une maison, ouragans aux lames de vents plus tranchantes que le plus aiguisé des sabres, et tornades titanesques qui changent le ciel en mer furieuse. Mais les navigateurs, eux, savent que le danger le plus sournois du Nouveau Monde se cache ailleurs. Dans le calme plat d'une mer sans vents, dans l'immensité d'un ciel dépourvu du moindre nuage. C'est lorsque la météo semble la plus paisible que la mort sommeille, prête à frapper de la plus terrible façon.
Il se raconte tout bas, qu'il existe une zone en mer où le temps n'existe pas. Les navires qui s'y perdent errent des semaines entières sur une étendue d'eau indéfinie, sans vagues ni vents, et sans que jamais la nuit ne tombe. A l'horizon, l'océan se confond au ciel et le regard se perd dans ce mélange de bleu, sans rien à quoi se raccrocher. Le soleil brille, lumineux et agréable, la température reste confortable, appelle à l'oisiveté. Mais le temps passe, il coule et dérive comme une barque à l'abandon et jamais on ne trouve de fin à ce morceau de mer parfaite. Les heures s'accumulent et à minuit le soleil brille toujours dans le ciel, comme s'il refusait de se coucher. Alors, les marins comprennent qu'il sont perdus à jamais, suspendus hors du temps, et que rien ne peut plus les sauver...
... À moins d'un miracle ?
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– Iva-sama ! Iva-sama ! Un homme à la mer !
– Comment ?!
– Regardez, propose l'homme habillé d'un costume d'élan, en tendant à sa Reine une longue vue.
Ivankov colle l'instrument contre son œil et balaye d'horizon d'un bout à l'autre. Son regard tombe finalement sur une silhouette humaine, échouée sur un morceau de bois flottant. Ils sont trop éloignés pour juger de son état, mais l'abandonner ainsi dans le Nouveau Monde serait d'une cruauté sans nom.
– Préparez une barque et ramenez ce malheureux !
– À vos ordres, Iva-sama !
Les travestis s'affairent avec un enthousiasme virulent, heureux de pouvoir s'occuper après des heures d'inaction. Emporio Ivankov les regarde d'un œil distrait, cela fait trop longtemps qu'ils sont piégés sur cette mer étale, les voiles roses de l'Okabore pendant tristement contre le Grand-Mât, et les heures de cette journée se font trop nombreuses.
Après quelques manœuvres, l'équipage ramène le naufragé à bord, qui s'avère être une jeune femme. De petite taille et fluette comme une brindille, elle porte une chemise brune et un pantacourt beige, rendus rêches et blanchâtres par le sel. Son visage rond est creusé par la fatigue et la faim, ses courts cheveux blonds sont ternes et secs. Elle git, inconsciente, sur le pont, là où les travestis l'on délicatement déposée. Ivankov se penche sur elle, avec une mine sérieuse et affectée.
Soudain, son visage se défigure.
– Mon dieu, elle est morte !
Un souffle d'horreur circule parmi l'équipage qui frémit et gémit. Quelqu'un murmure qu'il s'agit d'une mauvaise augure, et qu'eux aussi vont mourir. Ivankov se relève d'un bond.
– Je plaisante ! Elle est juste inconsciente ! Hee-Ha !
Le soulagement explose parmi les travestis, comme une bulle de savon, et certains rient, pour la première fois depuis le début de cette interminable journée. Les cris résonnent et l'on acclame l'humour imprévisible de la Reine Okama.
Ivankov sourit.
– Il lui faut des soins, intervint doucement Inazuma, dans son dos.
– Peux-tu t'en occuper ?
Sa camarade hoche la tête avec sa délicatesse coutumière, exacerbée lorsqu'il est femme. Elle s'occupe de faire transporter la naufragée dans une cabine de libre et Ivankov la laisse faire en toute confiance. Une paire d'heures plus tard, la femme-ciseaux fait prévenir Ivankov que leur nouvelle passagère est réveillée. La Reine Okama se rend dans la cabine désignée et découvre que la malheureuse a repris quelques couleurs, même si elle reste affreusement maigre et faible. Ses yeux couleur vert d'eau semblent avoir vu beaucoup de choses.
– Quel est ton nom ?
– Marla, répond-t-elle d'une petite voix. Merci de m'avoir secourue.
Ivankov remarque qu'elle observe du coin de l'œil les extravagantes tenues des travestis venus voir son état de santé. Il n'y a cependant aucun jugement dans son regard, juste une timide curiosité.
– Comment t'es-tu retrouvée au beau milieu de l'océan ? poursuit la Reine Okama.
La naufragée baisse les yeux, triturant nerveusement l'ourlet de sa chemise.
– Je me suis enfuie du navire, avoue-t-elle à demi-mots.
– Quel navire ?
– Celui de mon père. C'est... c'est un riche dignitaire de Doerena.
La jeune fille se replie un peu plus sur elle-même, frissonnante. Ivankov sait que sa prochaine question sera difficile pour elle, mais la vérité doit éclore, ou la gamine aurait tout aussi bien fait de rester à la mer, condamnée à une mort lente et douloureuse, mais toujours plus douce qu'une vie de mensonges.
– Pourquoi t'être enfuie ?
Marla sursaute comme si elle venait de recevoir un coup.
– Je... Je n'avais pas ma place, là-bas...
– Et où est ta place ? demande Ivankov, les sourcils froncés et la voix dure.
La naufragée reste silencieuse, tremblante dans sa chemise délavée. Après quelques secondes, elle relève faiblement la tête.
– Je ne sais pas. Je suis partie pour la trouver.
Sa voix est toujours faible, mais il y a tout au fond de ses yeux, un éclat sombre et déterminé. Elle a le regard de ceux qui ont trop souffert, et qui disent : « Stop. Plus jamais ça. »
– Et tu es prête à mourir en mer, seule et abandonnée, pour ça ?
Marla déglutit difficilement, mais acquiesce.
Alors Ivankov affiche un large sourire, et sa posture jusque là dure et intransigeante se détend.
– Souris, petite Marla. Parce que ta place, tu viens de la trouver ! Hee-Ha !
La Reine Okama brandit son bras droit, et sous les yeux effarés de la naufragée, ses doigts se changent en seringues aiguisées. Avant que quiconque ne puisse réagir, Ivankov plante d'un coup sec ses aiguilles dans le bras de Marla.
Derrière, Inazuma sourit doucement.
La jeune fille laisse échapper un cri de douleur et de surprise mêlées. Elle presse son bras meurtri, dès lors qu'Ivankov s'éloigne. Une expression inquiète traverse son visage tandis que son corps change progressivement. Ses épaules semblent grandir alors que sa poitrine rapetisse. Sa mâchoire se fait plus carrée, même si son visage garde un peu de sa rondeur naturelle. Ses sourcils s'épaississent et son nez grossit. En l'espace de quelques minutes, Marla est devenue un jeune homme, plus grand, plus fort. Ses yeux verts d'eau gardent toutefois une douceur féminine.
– Mais qu'est-ce que...
Elle s'interrompt, surprise par la sonorité nouvelle de sa voix.
Inazuma lui tend un petit miroir et Marla découvre avec stupéfaction son nouveau visage. Ses doigts glissent sur son menton où pousse un début de barbe. Puis, avec un sursaut, la naufragée palpe son torse et laisse échapper une exclamation de surprise, dans laquelle Ivankov devine un soupçon de joie. Puis Marla serre les cuisses et rougit légèrement en découvrant l'étendue de sa transformation.
– Mais comment ..? demande-t-elle, ébahi.
– Tu as été choisi par la Faiseuse de Miracles ! annonce l'un des travestis ayant assisté à la scène.
– Emporio Ivankov, la Reine Okama, t'as révélé ta véritable nature, continue un autre.
– Aujourd'hui est le jour de ta renaissance. Tu es libéré des contraintes sociales !
Marla reste muet sur son lit, mais derrière la surprise et le choc, se devine comme une reconnaissance.
– Laissons-le reprendre ses esprits, intervient Inazuma. Il a besoin de vêtements propres et d'une bonne douche.
Ivankov acquiesce sans cesser de sourire et tous quittent la chambre. Inazuma guide le jeune homme vers la cabine de douche et lui laisse une chemise et un pantalon propres. Il semble perdu et déboussolé. La femme-ciseaux lui caresse doucement la joue, le faisant rougir encore plus, avant de le laisser seul.
Troublé, Marla referme la porte et laisse échapper un long soupir. Il s'adosse contre le mur et ferme les yeux. Il lui semble porter une nouvelle peau, son épiderme le tiraille comme un vêtement neuf auquel il ne s'est pas encore fait, ça le gratte et le démange à des endroits inédits. La sensation est troublante, mais pas vraiment désagréable. Il a la sensation de sentir chaque muscle sous cette peau, chaque cellule, chaque goutte de sang, comme si tout était enfin à sa place. Marla réalise qu'il respire mieux qu'elle ne l'a jamais fait, et son cœur semble battre avec une énergie nouvelle. Un sourire démange ses lèvres.
Pris d'une curiosité effervescente, il ouvre les yeux, relève la tête et se déshabille entièrement devant le miroir. Ses gestes sont rapides et effrénés, les vêtements tombent au sol avant qu'il n'ait le temps de changer d'avis. Le souffle court et le cœur battant la chamade, il observe chaque centimètre carré de son nouveau corps, de sa nouvelle peau. Son visage est plus anguleux, la mâchoire plus marquée, le nez plus imposant, le front plus large, pourtant Marla se reconnaît sans peine, retrouvant son regard vert d'eau inchangé, l'arrondi familier de ses joues, la ligne bien connue de son menton. Ses cheveux ont gardé la même couleur, et la même coupe courte, mais cela va beaucoup mieux à son nouveau visage qu'à l'ancien.
Du bout des doigts, il suit la courbe de ses épaules dont la nouvelle carrure semble capable de tout encaisser. Sa main descend sur son torse et il y a comme des papillons dans son ventre quand il découvre ses pectoraux, entièrement plats. Disparue, la poitrine féminine qui l'a toujours complexée, petite mais toujours trop grosse, mal formée, qui la gênait dans chacun de ses mouvements et l'empêchait de trouver une bonne position pour dormir. Marla découvre avec émoi son nouveau corps, qui semble coller à son âme mieux que jamais. Il explore sa peau, et ses doigts effleurent un téton. Un frisson étrange le parcourt, la pointe du téton durcit sous son pouce.
Troublé, il retire immédiatement sa main, le souffle court. Il est cependant incapable de cesser son observation, et même s'il n'ose plus se toucher, il étudie avec attention son sexe. La verge, de la hampe jusqu'au gland, et les testicules, sous une touffe de poils noirs. Marla a toujours détesté se voir nue, trouvant son entrejambe de femme vulgaire et laid, replis de chairs plissées et cramoisies. Pour la première fois de sa vie, il se trouve beau. Cette pointe d'orgueil le met vaguement mal à l'aise, elle a tellement l'habitude de se détester que cet amour-propre, inédit, lui paraît étrange et inapproprié.
Déstabilisé, il se détourne du miroir et se glisse dans la cabine de douche.
Le jet brûlant coule sur sa peau et l'apaise quelque peu. Marla trouve rapidement le savon et commence à se laver, retrouvant sous ses doigts mousseux les lignes de sa nouvelle peau. Il tente de rester détaché alors qu'il se savonne, mais ce corps qu'il ne connait pas encore, qui est déjà plus sien que l'autre ne l'a jamais été, ce corps, son corps réagit quand même et une chaleur plus brûlante que l'eau de la douche se répand dans son ventre. Presque malgré lui, une main descend vers sa verge déjà à demi-dure et l'enserre doucement. Une vague de désir le traverse, électrifiant tout son être et lui arrachant un gémissement incontrôlé. Emporté par le plaisir, il se caresse avec empressement, ayant à peine conscience des sons qu'il laisse échapper mais Marla s'en fiche.
Les questions et les doutes s'évaporent, il n'a plus peur ni de ce passé qui le hante, ni du futur qui le terrorise. N'existe plus que l'instant présent, le florilège de sensations délicieuses et brûlantes qui l'emportent dans les bras tendus d'une nouvelle vie à laquelle il n'avait jamais osé croire. Il se laisse porter par la fulgurance du plaisir qui le traverse, le transforme, faisant de lui l'homme qu'il aurait du être, depuis toujours.
La jouissance vient très vite, violente et incontrôlable.
Marla se laisse glisser au sol, recroquevillé dans la petite cabine de douche alors que l'eau brûlante coule toujours sur sa nuque. Il observe avec un étrange détachement les traces blanches sur ses doigts. Son souffle est erratique, et il a mal au cœur tellement ce dernier bat fort. Un vague sentiment de honte l'étreint à l'idée de ce qu'il vient de faire, mais il s'efface sous la douce sensation de plénitude qui l'envahit. De toute sa vie, il n'a pas souvenir d'avoir déjà lâché prise à ce point, chaque muscle de son corps se relâche, se détend et, quelque part tout au fond de lui, une pièce se met en place, comblant un vide qui l'accompagne depuis si longtemps qu'il n'avait plus conscience d'avoir un trou à la place du cœur.
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– Qu'on prépare une grande fête ! ordonne Ivankov, en jetant un coup d'œil au ciel. Dites aux cuisines de s'activer, sortez les tonneaux de vin, et que quelqu'un mette un peu de musique ! Hee-Ha !
Les travestis s'observent avec une certaine gêne.
– Euh... Iva-sama, c'est vrai que nous ne manquons pas de provisions... commence une femme avec des oreilles de lapin.
– ... Mais nous sommes sur la Mer Sans Fin ! s'exclame un jeune garçon en bas-résille roses.
– On est peut-être piégés ici pour toujours, renchérit un travesti déguisé en girafe.
– Il vaudrait peut-être mieux économiser la nourriture, au cas où... évoque une fille en costard-cravate.
– Et alors ? s'exclame la Reine Okama.
Ivankov tape du pied sur le sol et s'insurge :
– C'est une raison pour ne pas fêter la renaissance de notre nouvel ami ?
– Et bien, c'est à dire que...
– En fait...
Les travestis hésitent, partagés entre la peur de mourir de faim sur un océan où le temps s'est arrêté, et la volonté d'accueillir comme il se doit la nouvelle vie de leur camarade. Le regard de la Reine Okama les défie et les juge, et ils tremblent devant la personne qu'ils admirent le plus.
– Nous sommes des Okama ! s'exclame Ivankov avec force. Nous ne sommes ni femmes, ni hommes, mais seulement des êtres libres de toute contrainte, de tout choix, de tout genre ! Nous nous sommes défaits des chaînes de la société et ne vivons que pour l'amour de nous-même, et des nôtres ! Nous n'avons pas affronté toutes ces épreuves pour nous laisser impressionner par une mer sans fin, ou par une journée qui ne veut pas s'achever !
La Reine Okama saute sur le bastingage, s'adressant directement à l'océan infini.
– Nous sommes libres, et là où il n'y a pas de vent, nous soufflons la force de notre volonté !
Alors l'air semble se faire plus léger, une bientôt une puissante bourrasque de vent traverse le pont, faisant voler cheveux et oreilles de lapin, tandis que les voiles roses de l'Okabore se gonflent d'espoir. Les cris de joie explosent parmi les travestis :
– La Faiseuse de Miracles !
– Vive Iva-sama !
Ivankov n'a pas besoin de donner d'ordres que déjà une partie de l'équipage se précipite vers les cordages pour entamer les manœuvres qui leur permettront de quitter cette mer au calme trompeur, tandis que le reste des membres sortent tables, chaises et tonneaux d'alcool. Les cuisines s'activent et bientôt une odeur de viande rôtie se répand sur le pont.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, une fête démesurée éclot sur le navire. Un joueur de guitare en jupe échange des notes enjouées avec un trompettiste au masque de loup, tous deux accompagnés d'un chœur de femmes aux costumes de gazelles, qui de leurs voix charmantes chantent des paroles salaces. Les travestis se pressent autour d'une grande table qui déborde de viandes grillées, de poisson cru, de légumes savamment préparés, de soupes délicieuses et de desserts somptueux. L'alcool coule à flots, les rires résonnent dans la nuit enfin tombée et partout la joie respire et pétille.
Marla arrive au milieu de cette effervescence et une ovation lui est adressé. Le jeune homme rougit, mais serre les mains qu'on lui tend et sourit autour de lui, même s'il est un peu mal à l'aise lorsque certains travestis, plus démonstratifs que les autres, le prennent directement dans leurs bras pour lui souhaiter la bienvenue à bord.
Il se fraye un chemin au milieu de la foule, se faisant au passage offrir un verre de rhum et une brochette fumante, cherchant du regard la Reine Okama. Il l'aperçoit à l'autre bout du pont, en train de parler avec Inazuma, mais alors qu'il cherche à les rejoindre, un groupe d'hommes en porte-jarretelles l'entraîne dans une danse tourbillonnante. Marla cherche au début à se défaire de leur entrain, puis renonce peu à peu, et se laisse porter par la joie ambiante. Il boit et le rhum a un goût nouveau dans sa bouche. La nourriture est délicieuse et il réalise après avoir avalé la première bouchée, qu'il est affamé. Il ignore si c'est dû aux heures passées dans l'eau, au changement physique qu'il a subi, ou au cocktail d'émotions qui agitent son cœur depuis qu'il a repris connaissance à bord de cet étrange navire. Peu importe, il avale tout ce qui lui passe à portée de main, chaudement encouragé par ses nouveaux camarades qui célèbrent son appétit comme on célèbre la vie.
Alors Marla lâche prise, il danse et il rit, il rit si fort, plus fort que jamais, que les larmes perlent à ses yeux et qu'il a mal à la mâchoire tant il rit, mais il rit encore, et encore, à s'en péter la voix.
Jamais il n'a été aussi heureux.
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– Tout va bien ? demande Inazuma avec un sourire amusé.
– Oui, j'ai juste besoin de souffler un peu.
Marla s'est arraché à la foule tourbillonnante pour s'isoler contre le bastingage du navire. Le souffle court, les joues rouges et les mains légèrement tremblantes, il a besoin d'un peu de calme. Le regard de la femme-ciseaux le trouble.
– Ça fait beaucoup de choses d'un coup, justifie-t-il, maladroit.
– Tu as l'air de plutôt bien le vivre.
Il ne sait pas quoi répondre alors il se contente de hausser les épaules avec un mince sourire.
– Je vais te chercher un verre d'eau, décide Inazuma avant de s'éclipser.
Marla la regarde s'éloigner, un peu dérouté. Il a le regard perdu sur la porte battante par laquelle elle est partie, lorsque surgit devant lui le visage démesuré d'Emporio Ivankov.
– Hee-Ha ! Nous devrions atteindre la prochaine île dans la journée de demain.
– Ah, bonne nouvelle. J'ai entendu dire que certains craignaient de rester perdus en mer pour l'éternité... note Marla avec une pointe de curiosité dans la voix.
– Oui, approuve la Reine Okama. La Mer Sans Fin, où le temps s'arrête et où la nuit ne vient jamais.
– Mais... ce n'est qu'une légende de marins, s'étonne le jeune homme. Il a été prouvé que cette 'mer sans fin' n'existe pas. Ce n'est que le fruit d'une croyance populaire, et de la paranoïa des marins, tellement habitués à redouter les caprices de la météo du Nouveau Monde, qu'ils s'imaginent un danger, lorsque la mer est calme et le ciel dégagé. Ils perdent la notion du temps, et croient que les heures durent des jours.
– Je sais, avoue Ivankov avec un clin d'œil. Mais va expliquer à un paranoïaque qu'il se trompe.
Marla hoche la tête avec un petit rire.
Sans qu'il ne puisse l'expliquer, il ressent envers la Reine Okama une confiance absolue. Il la connait à peine pourtant, et ce qu'il a subi entre ses mains aurait largement de quoi aviver sa méfiance, voire même sa peur. Mais il n'y a pas une once d'angoisse en lui, et il ne se rappelle pas d'avoir déjà connu des instants aussi paisibles.
Cette sensation de sécurité est nouvelle, étrange, mais réconfortante.
– Comment avez-vous su ? demande-t-il d'une voix si basse qu'il pense un instant qu'Ivankov ne l'a pas entendu.
– J'ai su. C'est tout.
Le silence se pose entre eux. Il n'est pas doux, ni paisible, des choses indéfinies flottent autour de Marla, collent à sa nouvelle peau, vestiges d'un passé dont il ne peut se défaire, peu importe qu'il change d'apparence, de nom ou de genre. C'est en lui et ça fait parti de lui. Ça grossit dans sa gorge, ces choses qu'elle n'a jamais dites, qu'elle a toujours enfouies au plus profond d'elle-même, dans un endroit sombre et visqueux, là où personne ne les trouverait jamais... Il ressent aujourd'hui le besoin d'ouvrir la porte et de laisser sortir ce qui est resté caché longtemps, trop longtemps.
– Mon père... commence-t-il tout bas. Il m'a fait du mal...
Les bruits de la fête semblent s'estomper, fond sonore à peine perceptible qui finit par s'éteindre totalement. C'est comme s'il était seul au monde. Seul avec Ivankov.
– Ce qu'il m'a fait... Ça m'a fait me détester. Me haïr. Me sentir sale, et mauvaise. Mais je...
La Reine Okama ne dit rien, se contentant de le regarder. Et d'écouter.
Personne n'avait jamais écouté Marla comme ça.
– Mais en fait... c'était déjà en moi, je crois. Avant, bien avant que... quand j'étais une petite fille normale et que tout allait bien dans ma vie, j'étais déjà malheureuse, au fond. J'avais déjà cette sensation d'être piégée dans la peau d'une autre.
Le jeune homme inspire laborieusement et essuie les larmes qui embuent ses yeux. Il renifle et tourne un regard empli de reconnaissance vers Ivankov.
– Merci.
La Reine Okama hoche la tête.
– Que comptes-tu faire, à présent ?
– Comment ça ?
– Nous pouvons te déposer sur la prochaine île...
Marla sent aussitôt son cœur se serrer à l'idée de quitter l'Okabore et son équipage haut en couleurs. Il est à bord depuis à peine quelques heures, mais il se sent chez lui ici.
– J'ai entendu certains travestis parler... avoue-t-il. Vous faites parti du mouvement Révolutionnaire ?
Ivankov fronce les sourcils.
– Et si c'est le cas ?
– J'aimerais vous rejoindre.
Le regard de la Reine Okama est troublant mais Marla ne lâche pas.
– Pourquoi ?
– Je sais que le système en place est véreux, que certains gouvernements privent les gens de liberté et commettent des crimes en toute impunité, parce qu'ils sont protégés par leur position politique.
Ivankov se fait dur et intransigeant.
– Ton père ?
Marla serre les dents et hoche la tête.
– J'aimerais vous aider. S'il vous plaît.
– Ce ne sera pas forcément une voie facile, tu sais. On n'a pas besoin de mous-du-genou...
– Je ne me dégonflerai pas.
– Je n'en doute pas, affirme Ivankov, avec un sourire carnassier.
La Reine Okama observe cette petite âme esseulée, qui a fui un foyer perverti et qui revêt aujourd'hui une peau nouvelle, laquelle n'est peut-être pas aussi brillante et clinquante que celle de princesse de Doerena, mais cela lui va tellement, tellement mieux... Et Ivankov pense que lui accorder la Grâce était la chose la plus juste à faire, que Marla, sous sa nouvelle peau, pourra véritablement grandir.
Note : Je n'ai pas trouvé de navire spécifique aux Okama, donc j'ai inventé celui-ci : Okabore signifie en japonais 'amour secret, amour interdit, affection cachée'.

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