Bonjour à tous et à toutes,
Une nouvelle fois je voudrais remercier toutes les personnes qui ont pris le temps de lire et surtout de laisser un commentaire sur le chapitre précédent. Je n'ai pas encore eu le temps de répondre à tout le monde mais j'ai bien lu chacun de vos commentaires et ils sont toujours autant source de motivation pour moi.
Je vous laisse aujourd'hui avec un nouveau chapitre et ce sera probablement le dernier avant un bon moment puisque je pars en vacance à l'étranger pendant les 3 prochains mois. J'espère avoir le temps d'écrire pendant cette période mais je ne pourrais pas publier.
Je vous promet que je n'oublie pas cette histoire, il y aura une fin, peu importe le temps que ça prendra. Tout est déjà en place, chaque intrigue a été pensé et réfléchis du début à la fin, alors je serais la première déçu si je n'allais pas jusqu'au bout de mes idées.
J'espère que ce chapitre vous plaira.
Bonne lecture à tous et à bientôt pour la suite :)
XXXV-
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent et j'entre rapidement dans le grand appartement. Je dépose mon sac au pied du meuble de l'entrée avant de m'avancer jusque dans le salon. Lexa n'est pas là. En face de moi, l'immense écran blanc a disparu, offrant une vue toujours aussi imprenable sur la ville, mais je ne prends pas le temps de m'y attarder. Anya avait l'air réellement soucieuse pour sa cousine, assez en tout cas pour me dire de venir, et à la vue de son expression quand je l'ai croisée dans le hall d'entrée, je partage maintenant son inquiétude.
Je n'ai aucune idée de ce qui a bien pu se passer, tout ce qu'elle m'a dit dans son sms c'est que Lexa aurait sûrement besoin de moi après sa réunion. Chose qu'elle m'a confirmée à mon arrivée lorsque je l'ai croisée dans le hall, avant de m'informer qu'elle était directement remontée au penthouse et que c'est là-bas que je pourrais la trouver. Elle n'a pas voulu m'en dire plus et puisque tout ce qui m'importait était d'être là pour Lexa, je n'ai pas insisté et je suis montée rapidement.
Le salon désert ne peut vouloir dire qu'une chose, Lexa doit être sur le toit, ce qui signifie également qu'Anya avait raison et qu'elle ne va pas bien. Je franchis les marches en courant et ne ralentis qu'une fois dehors. Il est midi, le soleil est haut dans le ciel, et malgré la fraîcheur de l'air de ce mois d'avril, ses rayons puissants réchauffent considérablement l'atmosphère, rendant le temps très agréable.
Un rapide coup d'œil autour de moi confirme ma première intuition et je me dirige vers l'immense serre qui occupe la plus grande partie de ce toit. Il ne me faut pas longtemps pour la trouver, assise en tailleur dans ce petit salon improvisé meublé uniquement de gros coussins confortables. Je m'approche doucement. Elle a beau me tourner le dos, je sais qu'elle m'a entendue arriver parce que tous ses muscles se sont tendus l'espace d'une seconde.
- Hé.
Je me laisse glisser doucement à côté d'elle, sur l'un des nombreux coussins. Ce n'est qu'à ce moment-là que je remarque la jolie boîte en bois sculpté posée devant elle et la photo dans ses mains qu'elle ne quitte pas des yeux.
- Salut. Comment…
- Anya.
Ses bras se posent sur ses genoux sans lâcher la photo et elle tourne enfin le visage vers moi. Son regard est terne, comme voilé, lointain, et ce constat me serre le cœur.
- Elle n'aurait pas dû.
Sa remarque me blesse presque qu'autant qu'elle m'agace. Je sais qu'elle n'a pas dit ça pour me faire du mal. Elle ne voulait pas sous-entendre qu'elle ne voulait pas me voir, c'est simplement sa fierté qui parle. La fierté d'une jeune femme qui n'a besoin de personne pour régler ses problèmes. Enfin, c'est ce qu'elle s'acharne à vouloir faire croire, ou peut-être même à s'en persuader elle-même.
- Elle s'inquiète pour toi. Et moi aussi.
Son regard s'adoucit, faisant voler en éclat mes défenses tandis que je peux enfin deviner un voile de tristesse et d'incertitude derrière son masque de marbre.
- Je vais bien.
- Tu n'es pas obligée de mentir pour me protéger.
Ma remarque le surprend. Je suppose qu'elle ne s'attendait pas à autant de franchise de ma part mais j'ai de plus en plus de mal à supporter cette distance qu'elle maintient entre nous. Pour être honnête, je ne l'avais même pas remarquée avant, mais plus le temps passe et plus j'en prends conscience.
Quand je repense à notre première rencontre, je ne peux que constater tous les progrès que nous avons faits et pendant un certain temps, j'ai même cru avoir réussi à passer outre ce mur de glace qu'elle s'est construit pour se protéger. Je pensais bien naïvement la connaître, et même s'il y avait encore quelques zones d'ombre et de mystère, je pensais qu'elle me faisait suffisamment confiance pour laisser tomber ses barrières avec moi.
- Ce n'est pas… Je suis désolée.
La sincérité de ses mots me prend au dépourvu. Je ne pensais pas qu'elle s'excuserait. Plutot qu'elle nie l'évidence, j'esperais au mieux un silence, mais certainement pas des excuses. C'est dans ces moments-là, lorsqu'elle me surprend de la sorte, que je me dis que j'ai encore énormément de chose à apprendre sur elle. Je ne connais qu'une infime partie de son passé, et si certaines des raisons qui l'ont poussée à se protéger de la sorte sont évidentes, je sais maintenant qu'il y a plus que ça.
Je tiens à elle, énormément. Bien plus même que je n'ose me l'avouer. Alors même si elle s'acharne à me repousser par moments, même si elle s'évertue à maintenir une distance entre nous, je ne baisserai pas les bras. Je n'abandonnerai pas, parce que malgré tout ça, ses gestes et ses regards ne trompent pas. Je sais qu'elle aussi tient à moi, je le vois autant que je le ressens. Peu importe à quel point c'est dur, à quel point parfois ça peut me blesser, je serai patiente. Je lui laisserai le temps qu'il faut pour me faire suffisamment confiance et me laisser une place à ses côtés, dans sa vie et dans son cœur, sans barrières et sans filtre.
C'est pourquoi je ne relève pas ses excuses. Ce n'est probablement pas une chose qu'elle a l'habitude de faire, s'excuser, encore moins pour ce qu'elle est.
- Tu veux en parler ?
Elle semble hésiter un court instant, avant de détourner le regard et de le reposer sur la photo qu'elle tient toujours.
- Il n'y a pas grand-chose à dire en réalité.
Mon regard suit le sien.
- Ce sont tes parents ?
Elle se contente de hocher la tête sans prononcer le moindre mot.
- C'est une belle photo.
Sur le rectangle de papier glacé, dans un sublime paysage vert typique des forêts canadiennes, un homme d'une petite trentaine d'années sourit de toutes ses dents. Dans ses yeux vert-gris brille une fierté non dissimulée tandis qu'il regarde les deux femmes à ses côtés, enfin… La femme et la fillette. Toutes les deux brunes aux cheveux longs, la première aux doux yeux noisette, à la peau légèrement mate et à la silhouette fine ne doit pas avoir plus de trente ans. Le visage empli de tendresse, elle tient dans ses bras une enfant au regard émeraude plein de malice. Je n'ai aucun mal à reconnaître dans cette petite fille d'environ trois ans les traits de Lexa, même s'ils sont maintenant bien différents.
L'innocence et la pureté sur ce visage de poupon tranche incroyablement avec la froideur et la dureté qui la caractérisent si bien aujourd'hui. Au fond de moi, je suis rassurée de savoir qu'une part, même minuscule, de cette enfant existe encore, cachée là, quelque part, sous cette épaisse carapace. J'ai eu la chance d'en avoir un infime aperçu, comme ce jour-là à Whistler lorsqu'elle a initié une bataille de boules de neige, et cet autre jour au parc de Capilano lorsqu'elle courait presque au milieu de toutes ces petites lumières et sur ces passerelles en bois perchées à plusieurs mètres de hauteur. Oui, cette enfant est encore là, je le sais, et c'est ce qui me prouve que tout n'est pas perdu.
Du bout du pouce, elle caresse doucement l'image de l'homme.
- C'est mon père, Phillip Wood. Et ma mère, Elizabeth, mais ses amis et sa famille l'appelaient toujours Beth.
Elle marque une pause, réfléchissant à ses prochains mots ou peut-être à tout autre chose. Je n'ose pas dire quoi que ce soit. C'est la première fois que je l'entends prononcer le nom de ses défunts parents. Le peu de fois où je l'ai entendue parler d'eux, elle le faisait avec tellement de recul et de détachement que j'avais presque l'impression qu'elle parlait d' inconnus, voire de personnes imaginaires. Mais aujourd'hui, pour la première fois, je peux entendre la fêlure dans sa voix, signe de sa blessure évidente due à cette perte.
Je ne sais pas trop bien comment réagir. Je ne voudrais pas la brusquer, et encore moins la blesser. Je ne veux pas non plus qu'elle ait l'impression que j'ai pitié d'elle, ni que je la vois comme une petite chose fragile, dieu sait que ce n'est pas le cas. Pourtant j'aimerais qu'elle m'en dise plus. Je voudrais qu'elle s'ouvre un peu plus à moi, qu'elle me montre un autre facette de la véritable Lexa Wood.
- Tu ne parles pas souvent de ta famille.
Ce n'était pas une question mais plutôt une invitation. Elle peut décider de parler ou de se taire, elle n'a même pas besoin de refuser quoi que ce soit. À mon plus grand soulagement, je la vois réfléchir à ses prochains mots.
- Elle avait deux sœurs : Eleanor, la mère d'Anya et de Lincoln, et Grace, la mère de Luna, mon autre cousine. Eleanor et ma mère étaient très proches, j'ai quasiment grandi avec mes cousins. Grace elle, était plus distante, je ne la connais pas bien.
- C'est pour ça que tu es aussi proche d'Anya ?
- Oui. Lincoln, elle et moi on a passé presque toutes nos vacances dans la tribu.
Elle doit lire l'incompréhension dans mon regard parce qu'elle précise presque immédiatement.
- Comme je te l'ai déjà dit, ma mère vient d'une tribu indienne. Des Lakota pour être exacte. Elle est née et a grandi avec ses deux sœurs dans la tribu dans le nord des États-Unis. Mon grand-père est mort quand elle était jeune, et ma grand-mère a tout fait pour leur offrir la meilleure éducation possible. Elle leur a offert l'opportunité de vivre une vie loin de la tribu si elles le souhaitaient, en leur permettant de faire des études entre autres. Grace est la première à être partie. Elle ne revenait presque jamais. Je n'ai dû la voir qu'une dizaine de fois et si Luna n'avait pas elle-même demandé à passer plus de temps avec nous, je ne l'aurais probablement jamais connue.
- Elle est où maintenant ? Il me semble t'avoir entendue parler d'elle le soir du gala, non ?
- Oui, au début elle venait passer quelques semaines de vacances avec nous dans la tribu mais en grandissant elle venait de moins en moins. Aujourd'hui elle vit sur une petite île du Pacifique, ça fait plusieurs années que je ne l'ai pas vue.
- Mais tu as gardé contact avec Anya et Lincoln ?
- Avec eux c'était plus simple. Nos mères étaient très proches et elles n'ont jamais renié leurs origines. Même si elles aspiraient à une vie plus… classique, elles ont toujours gardé un pied dans la tribu. A chaque période de vacances on se retrouvait là-bas. Il leur tenait à cœur de nous transmettre leurs origines qui étaient aussi en partie les nôtres. Je me souviens que ma grand-mère nous racontait des histoires et de vieilles légendes indiennes. Quand elle est morte il est devenu plus difficile pour ma tante et ma mère de retourner dans la tribu, mais avec Lincoln et Anya on aimait le temps passé là-bas alors on a continué d'y aller. Moins souvent c'est vrai mais c'était un peu notre refuge. En plus Telma, une amie de la famille, semblait toujours ravie de nous accueillir alors on ne s'en privait pas.
- C'est quand la dernière fois que tu y es allée ?
Le silence pesant qui suit ma question me serre le cœur. Il ne dure pourtant pas longtemps mais son intensité est lourde de sens.
- Longtemps.
- Et ton père ?
- Il est fils unique.
- Ses parents ?
- Je ne les ai jamais vraiment connus. Mon père et eux étaient en désaccord, je n'ai jamais su pourquoi. Je ne les ai rencontrés qu'une seule fois. Pour ce que j'en sais, elle est morte il y a quelques années et lui est dans une maison de soins spécialisée.
- Et tu n'as jamais cherché à reprendre contact avec lui après… Enfin…
- Pourquoi faire ? A l'époque, ils allaient assez bien pour venir à l'enterrement mais ils ne l'ont pas fait. Certes il n'y avait aucun corps à enterrer mais s'ils avaient voulu me connaître, ils seraient probablement venus. S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils ne le voulaient pas. C'est leur choix.
Elle a probablement raison mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est dommage. Cet homme est le seul lien qui lui reste avec son père et elle ne le connaît même pas. D'un autre côté, s'il n'a rien fait pour connaître sa petite-fille, c'est peut-être qu'il ne la mérite pas, tout simplement.
Mes yeux retombent sur la photo et je me rappelle les raisons de ma présence ici. Anya m'avait parlé d'une réunion qui aurait été difficile mais je ne vois pas le rapport avec cette photo.
- Que s'est-il passé ?
Il faut quelques secondes à Lexa pour comprendre de quoi je parle. Une fois qu'elle a fait le rapprochement elle semble hésiter et je la supplie intérieurement de ne pas se refermer maintenant, de ne pas me repousser encore une fois. Elle vient de s'ouvrir un peu plus à moi, je n'ai pas envie d'être rejetée une nouvelle fois.
- Nia.
Son nom suffit à me glacer le sang. Qu'est-ce qu'elle vient faire dans tout ça, cette sorcière ?
- Elle a été interrogée par les enquêteurs et par mes détectives à propos de l'affaire Wallace. Elle a confirmé la quasi-totalité de son histoire et donc par la même occasion confirmé ses motivations et le fait qu'il était impliqué implication dans la disparition de mes parents et dans… dans ton accident.
Un frisson désagréable me parcourt. Ce n'est pas le moment de repenser à tout ça. Je suis là pour soutenir Lexa et comprendre ce qui a pu la mettre dans cet état, et ce n'est certainement pas cette révélation qui est loin d'être une surprise. Il y a forcément autre chose.
Je me remémore les mots de Cage ce soir-là. Son obsession malsaine pour Nia Queen, les raisons de son rapprochement avec l'entreprise Wood, et…
- Il ne mentait pas. Quand il parlait du lien qui unissait mon père et Nia, il disait la vérité. Nia a une lettre qui le prouve. Une lettre écrite et signée de la main de mon père qui date de quelques mois avant ma naissance.
Elle marque une nouvelle pause et je tente rapidement de remettre toutes les pièces du puzzle en place mais j'ai l'impression qu'il me manque encore des morceaux.
- Il a dû l'écrire juste avant, ou peut-être juste après sa rencontre avec ma mère. Personne ne sait réellement puisqu'on n'a jamais rien su des circonstances de leur rencontre. Dans cette lettre, il s'excuse auprès d'elle de ne pas pouvoir tenir ses engagements. Il lui annonce qu'il ne l'épousera pas.
Sa voix se casse imperceptiblement, et je devine que ce qu'elle s'apprête à dire est la véritable raison de son mal-être actuel.
- Pour expliquer son refus, il annonce deux raisons : la première est le manque de sentiment amoureux entre eux, le seconde est… Son incapacité à avoir des enfants.
Il me faut un peu de temps pour saisir pleinement le sens de cette révélation, temps que Lexa utilise pour se ressaisir. En un claquement de doigts, toute trace d'émotion disparaît de son visage et de son regard. Il ne reste plus rien que cet éternel masque sans âme que je commence à tant détester.
- Mes détectives sont toujours à la recherche des analyses médicales qui prouveraient ces faits, mais ils ne trouvent rien. A l'heure actuelle il ne s'agit que de mots sur un papier et des paroles de deux personnes en lesquelles je n'ai aucune confiance. Pour ce que j'en sais, ma présence dans ce monde est plus réelle qu'aucune de ces informations. Si ça se trouve, il lui a écrit ça pour avoir une raison valable et tangible de rompre l'accord qu'avaient passé leurs parents et maintenant elle se sert de ça pour me retirer tout droit sur la société de mon père. Après tout, elle a toujours voulu être à la tête de cette entreprise. Ça ne serait pas étonnant que ça soit juste une façon d'arriver à ses fins. Titus pense que je devrais faire un test génétique pour faire disparaître tout doute possible et que jamais Nia ne puisse contester mes droits sur cette entreprise.
- Et tu serais prête à faire ça ?
- Si c'est ce qu'il faut pour faire taire ces rumeurs, oui.
- Et si jamais…
D'un geste rapide elle range la photo dans la petite boîte en bois devant elle avant de se retourner vers moi.
- Tu sais quoi, je n'ai pas envie d'y penser pour le moment. Il fait beau, et j'ai envie d'aller me balader. Tu veux bien venir avec moi ?
Son changement d'humeur et de ton est aussi brutal que déroutant. J'ai envie de … Je ne sais pas bien. Une partie de moi a envie de la secouer, de lui crier dessus, et de pleurer aussi. J'ai envie de pleurer cette petite fille devenue une jeune femme beaucoup trop forte pour son propre bien. J'ai envie de lui hurler qu'elle n'a pas besoin de faire semblant avec moi, qu'elle me fait autant de mal qu'elle s'en fait à elle-même en agissant de la sorte. Au fond de moi je lui en veux mais j'en veux surtout au destin d'avoir été si dur qu'elle a dû apprendre à refouler tous ses sentiments pour tenir le coup. Et je m'en veux. Je m'en veux de ne pas être capable de franchir ses barrières, de ne pas pouvoir l'atteindre pour pouvoir la protéger. Je m'en veux de ne pas pouvoir être la bouée de sauvetage sur laquelle elle n'aurait aucune crainte de s'appuyer pour se reposer dans ses moments de doute. J'ai mal pour elle et je suis totalement impuissante.
- Hé…
Sa voix douce accompagne son pouce qui glisse délicatement sous mon œil, faisant disparaître une goutte que je n'avais même pas sentie. La boule dans ma gorge est tellement grosse que j'en ai presque du mal à respirer, et comme si mon corps savait mieux que mon esprit de quoi il avait besoin pour aller mieux, il fait disparaître la distance entre nous, mes lèvres capturant les siennes dans un baiser lourd de sens.
Je l'embrasse sans douceur mais avec tout mon cœur. J'y mets toute l'énergie et la force que je suis prête à déployer pour elle si elle voulait bien m'en laisser la chance. J'y mets aussi ma frustration, ma tristesse et ma colère face à toute cette situation tellement injuste, mais surtout j'y mets tous mes sentiments pour elle parce qu'en ce moment, c'est la seule chose que je suis en mesure de faire pour l'aider.
C'est elle qui rompt le baiser lorsque l'air commence à manquer mais elle ne s'éloigne pas, laissant son front reposer contre le mien. Je garde les yeux fermés, n'osant pas croiser son regard de peur de ce que je pourrais y lire. A défaut, je me concentre sur ma respiration ou plutôt sur sa respiration légèrement tremblante qui me caresse le visage.
Elle déglutit difficilement et petit à petit je sens son souffle se faire plus régulier, plus profond, plus contrôlé. Elle m'embrasse délicatement une dernière fois avant de s'éloigner un peu plus. Je dois me faire violence pour trouver le courage d'ouvrir les yeux et d'affronter son regard. Un regard tendre, accompagné d'un demi-sourire qui me donnerait presque un haut le cœur tellement il semble, non pas faux, mais dénué de sens.
- Tout va bien.
Encore une fois elle tente de me rassurer et de me protéger mais elle comprend vite que je ne suis pas dupe alors elle se reprend, laissant tomber les faux-semblants l'espace d'une demi-seconde.
- Ça ira, je te le promets.
Cette fois je la crois. Je ne sais pas quand elle sera capable de tenir cette promesse mais je veux y croire et je ferai tout mon possible pour qu'elle puisse la tenir, peu importe si ça doit prendre plusieurs jours, plusieurs semaines ou plusieurs années.
Je me contente de hocher la tête sans rien ajouter.
OoOoO
L'après-midi est belle, idéale pour une balade dans les bois. Lexa a tenu à me montrer ce coin du nord de la ville parce qu'il est, selon elle, un de plus beaux, des plus reposants et des plus agréables de Vancouver. Loin du monde de Stanley Park, Lynn Canyon est plus reculé et plus sauvage. Son pont suspendu au-dessus de la rivière est plus petit que celui de Capilano, et n'attire donc pas autant de touristes. A vrai dire nous n'avons même croisé personne pour le moment.
L'endroit est calme. L'odeur des sapins et de la mousse encore humide qui flotte tout autour de nous est des plus agréable, tout comme le bruit de l'eau et des oiseaux qui deviennent de plus en plus nombreux avec le retour du printemps. Même si je n'arrive pas complètement à me sortir de la tête ce qui s'est passé un peu plus tôt dans la serre, Lexa elle semble réellement plus sereine au milieu de toute cette nature.
Ses doigts, délicieusement entremêlés aux miens, me guident au travers de cette immense forêt que je découvre pour la première fois avec admiration.
- Comment se présentent tes examens ? Tu te sens prête ?
Ça fait des semaines que je révise maintenant, et si j'avais pris un peu de retard il y a quelques temps, c'est aujourd'hui de l'histoire ancienne.
- Ça ne m'inquiète pas. En revanche, je suis moins sûre de moi pour l'examen d'entrée à l'école de médecine.
- Tu as encore un peu de temps, ce n'est que début juin.
- Les épreuves et le niveau de difficulté ne seront pas les mêmes, et puis c'est un concours, on ne peut jamais être sûr de rien.
- C'est vrai, mais je crois en toi. Tu sais déjà quelle spécialité tu aimerais avoir ?
- Je n'y ai pas encore vraiment réfléchi. Je pensais à la neurologie pendant un temps mais je ne suis pas sûre que ça me corresponde vraiment. La médecine interne pourrait m'intéresser, ou les urgences peut-être, je ne sais pas trop. En tout cas,ça ne sera probablement pas l'orthopédie.
- Pourquoi ça ?
- Je n'aime pas vraiment les os. Passer mes journée à les découper à la scie, placer des plaques de métal et de vis dedans, non, vraiment ça ne me tente pas trop.
Je sais qu'elle imagine et visualise la scène que je décris quand une adorable grimace déforme ses traits, me faisant sourire.
- Oui, je vois. Quoi qu'il en soit tu feras un excellent médecin, ça ne fait aucun doute.
- J'espère.
L'espace d'un instant, une question vient me troubler l'esprit : pourquoi est-ce que je continue ? Après tout, ma mère ne dirige plus ma vie, et si j'avais choisi médecine à la base c'était plus pour elle que pour moi. Aujourd'hui, je pourrais tout aussi bien choisir d'étudier l'art puisque c'est un domaine qui me passionne depuis toujours. D'ailleurs, ça fait un moment que je n'ai pas dessiné, et la sensation du crayon qui gratte le papier commence à me manquer.
- Et comment vont Octavia, Raven et Harper ?
- Oh, elles vont bien. Depuis qu'elles savent pour nous, elles ne me lâchent plus avec ça. En fait tu avais raison, c'était bien plus simple quand on gardait ça pour nous, même s'il faut avouer que ça a aussi quelques avantages.
- Ah oui ? Comme quoi ? Répondre aux questions déplacées d'Octavia ?
Cette perspective semble particulièrement l'amuser. Je suis sûre qu'elle ne sourirait pas comme ça si c'était elle qui devait répondre aux interrogation plus que personnelles et intrusives d'O'.
- Non, mais je n'ai plus besoin de trouver d'excuses pour passer du temps avec toi.
- C'est vrai que c'est un sacré avantage. Viens, je vais te montrer quelque chose.
Lexa tire doucement sur ma main pour m'inciter à la suivre. Elle sort rapidement du sentier et s'engage dans une descente abrupte dont le sol, glissant à cause de l'humidité, est également recouvert de racines qui dépassent du sol. Idéal pour se casser une jambe justement, ou le cou… Non mais vraiment, qu'est-ce qu'elle ne me ferait pas faire !
D'un pas peu assuré, je la suis tant bien que mal pour déboucher sur une petite plage de sable gris juste au bord du cours d'eau.
- Ce n'est pas magnifique ?
La petite étincelle qui brille dans ses iris, tout comme son sourire rayonnant, est magnifique c'est bien vrai. Elle est magnifique, tout simplement. Réalisant qu'elle ne me parlait pas d'elle mais du lieu où nous sommes, je retourne mon attention sur ce qui m'entoure.
La plage est minuscule, à vrai dire c'est juste un petit banc de sable entouré de gros rochers ronds lissés par les éléments. Derrière et devant moi, la forêt nous surplombe de toute sa hauteur alors qu'au milieu coule une rivière à la couleur presque surnaturelle et surtout d'une transparence incroyable. Plus clair que les yeux de Lexa, le vert de l'eau crée un contraste magnifique avec le bleu du ciel et le vert beaucoup plus foncé de la forêt qui l'entoure.
- C'est sublime. Comment as-tu trouvé cet endroit ?
Un petit sourire malicieux étire ses lèvres juste avant qu'elle ne réponde.
- Ça c'est un secret.
Etrangement, sa remarque ne me fait pas spécialement rire parce qu'elle me rappelle tous les secrets qui flottent autour d'elle et qui viennent inlassablement se mettre entre nous.
- Oh allez Clarke, ne fais pas cette tête. Viens, tu n'as pas encore vu le meilleur.
Je la regarde se mettre pieds nus avant de remonter légèrement le bas de son pantalon. Lorsqu'elle se redresse et remarque que je n'ai pas encore bougé, elle lève un sourcil interrogateur.
- Tu veux savoir comment j'ai trouvé cet endroit oui ou non ?
Je ne dis rien, trop déstabilisée par son humeur joueuse que je connais maintenant mais que je n'ai pas tant l'habitude de voir que ça.
- Bon, alors retire tes chaussures et suis-moi.
Je m'exécute en silence et la suis sur les gros rochers. Elle avance avec bien plus d'aisance et d'habileté que moi, et je m'efforce de bien observer chacun de ses pas et de les reproduire pour ne pas me tordre la cheville ou pire, tomber dans l'eau qui doit être glaciale.
Elle finit par s'arrêter sur un rocher un peu plus gros et plus plat que les autres dont le sommet frise dangereusement la surface de l'eau. Ce n'est que lorsque je la rejoins que j'aperçois la petite cascade sur ma droite.
- Waouh !
- Je te l'avais bien dit.
Elle retire sa veste qu'elle pose sur le rocher d'à côté avant de se laisse glisser sur la grosse pierre plate, remontant ses genoux contre sa poitrine. Je prends encore quelques instants pour observer ce lieu si paisible, si beau, si isolé. Lexa avait raison, c'est réellement magnifique. Je comprends pourquoi elle apprécie autant ce coin, c'est un vrai petit paradis.
- Alors, tu vas me révéler ton secret maintenant ?
Je m'assois à côté d'elle en prenant garde de ne pas glisser.
- Mes parents. Mon père et ma mère aimaient bien venir pique-niquer ici. On pouvait se baigner et profiter d'un moment en famille sans se sentir observé par toutes ces personnes trop curieuses de voir en chair et en os la famille de la célèbre entreprise Wood.
Cette révélation me touche sincèrement. Je ne sais pas si elle se rend compte à quel point c'est important pour moi. Je crois par contre qu'elle commence à comprendre que ses barrières me dérangent. J'ai bien conscience qu'elle ne pourra pas les faire disparaître en un claquement de doigts, elles sont là depuis tellement longtemps, elles sont tellement solides et si fortement liées à elle maintenant, mais elle a l'air de vouloir faire des efforts, ce qui est déjà énorme et me donne bon espoir pour la suite.
Sans que je comprenne bien ce qu'elle fait, je la regarde se relever avant de me faire face et de me tendre la main. J'hésite une seconde avant de la saisir et de me mettre debout à mon tour. J'ai à peine le temps de remarquer son sourire malicieux et plein de fierté qu'elle me tire à elle rapidement. Une alarme s'allume instantanément dans mon cerveau, sentant l'imminence du danger, mais elle s'efface à la seconde même où ses lèvres viennent capturer les miennes. Son bras libre s'enroule autour de ma taille, tandis que les miens trouvent leur place autour de son cou. Ce n'est que lorsque je sens ses lèvres se figer contre les miennes en un sourire redoutable que je comprends mon erreur et avant même que je puisse réagir, je me sens basculer.
Quand mon corps, toujours en contact étroit avec celui de Lexa, touche l'eau, je ne peux retenir le cri qui franchit mes lèvres. Je remonte à la surface et me sépare rapidement d'elle pour la foudroyer du regard.
- Non mais ça ne va pas ! Elle est gelée !
Pour toute réponse, Lexa éclate de rire. Un rire franc, sincère, tout ce qu'il y a de plus réel, et j'oublie l'eau glaciale. J'oublie mes vêtements trempés qui collent contre ma peau, j'oublie mes cheveux dégoulinants sur mon visage, j'oublie l'immanquable rhume, ou pire, qui ne manquera pas de me rattraper, j'oublie tout, et seule la vision de Lexa qui rit aux éclats m'importe et me réchauffe le cœur.
Ma colère s'envole aussi rapidement qu'elle est venue mais pour faire bonne mesure, je lui éclabousse le visage d'un geste de la main.
- Ça t'amuse, hein ?
Son rire s'arrête mais son sourire victorieux ne disparaît pas pour autant. Ce qu'elle est belle ! Le bonheur lui va tellement bien.
- Oui, beaucoup.
Elle avoue sans aucune honte avant de flotter jusqu'à moi et de m'embrasser à nouveau.
- Merci.
C'était presque un chuchotement et pour être honnête, je ne suis même pas sûre de savoir pourquoi elle me remercie, mais je m'en moque. Mon cerveau est trop occupé à gérer toutes les sensations contradictoires que le froid glacial de l'eau et la chaleur du contact de Lexa font naître en moi.
OoOoO
Dans la voiture qui nous ramène à la tour Wood, j'ai toujours le sourire aux lèvres même si ces dernières sont encore légèrement bleuies par le froid.
Une fois que Lexa s'est rendue compte de la température réelle de l'eau, on est sorties rapidement. On n'y est pas restées plus de cinq minutes, mais mon corps a eu l'impression d'avoir été plongé dans un bloc de glace pendant des heures.
Pour nous réchauffer, Lexa a suggéré l'astucieuse idée de nous déshabiller presque entièrement et de laisser le soleil nous sécher. Ce qu'on a fait parce qu'en réalité je n'avais pas de meilleure idée, n'ayant ni serviette ni tenue de rechange. J'y ai juste ajouté ma petite touche personnelle en venant me blottir dans ses bras, en espérant y trouver plus de chaleur que celle que le soleil printanier pouvait nous offrir.
Je me suis endormie un moment, bercée par le bruit de l'eau, l'odeur de la forêt et les caresses de Lexa. Finalement, il a fallu qu'on se rende à l'évidence : même si nous étions sèches, nos vêtements eux, ne le seraient jamais. J'ai donc dû faire la chose la plus désagréable au monde : remettre mes vêtements trempés et glacés le temps de rejoindre la voiture de Titus que Lexa a fini par appeler avant que la nuit tombe et qu'on meure de froid. Dans un geste de galanterie qu'elle regrettera sûrement demain en se réveillant malade, elle a insisté pour que j'enfile sa veste, seul vêtement sec à notre disposition. Je me suis enroulée dedans de bonne grâce, profitant de son odeur qui imprégnait le tissu.
Il ne nous a fallu que quelques secondes pour nous déshabiller de nouveau avant de nous enrouler dans les épaisses serviettes que Titus avait pris la peine de nous rapporter. Une fois au sec, je me suis glissée sur la banquette arrière du véhicule, avant de retrouver ma place au creux des bras de Lexa.
Ça fait maintenant bien vingt minutes que nous roulons et mon sourire n'a toujours pas disparu. Je lève les yeux sur le visage de Lexa pour constater que le sien non plus ne l'a pas quittée. Elle doit sentir mon regard sur elle parce qu'elle baisse légèrement la tête vers moi et son sourire s'agrandit encore un peu. Elle pose un baiser sur mon front avant de reporter son attention sur la route qui défile derrière la vitre, perdue dans ses pensées.
Un léger bip retentit dans l'habitacle et me surprend. Il attire évidemment l'attention de Lexa qui se redresse et appuie sur un bouton, faisant disparaître la vitre qui nous séparer de Titus, toujours au volant.
- Que se passe-t-il ?
- Un appel de l'hôpital de Toronto.
Aussitôt mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Je me redresse complètement. A côté de moi, Lexa a retrouvé son air sérieux. Mon sourire s'est évanoui et c'est avec une énorme boule dans l'estomac que je regarde Lexa décrocher en appuyant sur un bouton, emplissant l'habitacle du son de l'appel.
- Oui ?
- Mademoiselle Wood, docteur Lorelei Tsing de l'hôpital de Toronto. Je devais vous appeler dès qu'il y avait du nouveau au sujet de notre patient Finn Collins.
Le court silence qui suit le nom de mon ami me paraît durer une éternité.
- J'ai de mauvaises nouvelles malheureusement. Les constantes de monsieur Collins, stables jusqu'à présent, ont chuté dangereusement ces dernières heures. Nous faisons tout notre possible actuellement mais je vais être honnête avec vous, ses chances sont minces et diminuent d'heure en heure.
Je sens la bile me brûler la gorge. Non, je ne veux pas y croire. Il ne peut pas… Il doit se battre !
- Merci de m'avoir tenue informée, docteur Tsing. Faites tout ce que vous pouvez pour le sortir de là. L'argent ne doit en aucun cas être un de vos facteur limitants, est-ce que c'est clair ?
- Oui mademoiselle Wood, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir, je vous l'assure.
- Merci. Et tenez-moi informée de l'avancée de la situation s'il vous plaît.
- Bien entendu. Au revoir mademoiselle Wood.
- Au revoir.
Le silence se fait et je n'entends plus que ma respiration et les battements chaotiques de mon cœur. A côté de moi Lexa ne dit rien, elle se contente de glisser sa main dans la mienne et de la serrer doucement pendant tout le reste du trajet.