1 - Mardi : Les paris vont bon train

o Londres, Division des Aurors

"Tu vas le trouver dans votre bureau normalement", indique Tanya quand on a expédié toute la procédure nécessaire à mon retour en service actif pour arriver au sujet de ma nouvelle affectation : dans l'équipe de Finnigan qui dépend directement d'elle, au poste de premier adjoint en vertu de mon Rang Trois tout neuf : "Je sais que tu connais Seamus, mais c'est différent d'être le premier adjoint, le second d'un chef d'équipe. On pense tous que tu en es consciente et que tu es prête pour ce rôle mais je me sens obligée d'insister. C'est de la responsabilité de tout le monde qu'une équipe fonctionne bien, mais plus on est gradé plus on doit s'obliger à une vision large des enjeux, des dynamiques et des problèmes. Surtout que là tu dois accueillir et former un Aspirant", elle ajoute avec un sourire entendu. Je crois que je n'arrive pas à totalement cacher mon excitation. Elle sourit plus largement : "Je l'ai envoyé t'y attendre. Un aspirant désœuvré, tu sais l'effet que ça fait sur le moral général."

Imaginant que je grimperais sans doute aux rideaux à la place du pauvre Mark Wang, j'essaie de ne pas le faire attendre davantage et je me rends droit vers mon nouveau bureau - en face de l'ancien. Je suis contente de me retrouver de nouveau avec Finnigan même si l'autre équipe en tandem avec nous est celle d'Albus Ogden avec qui je n'ai toujours pas réellement de relations. J'ai été un assez long moment dans la même équipe que sa femme Zoya et je m'entends bien avec elle mais, lui et moi, on n'a jamais bossé ensemble ou même partagé une bière. C'est un phénomène assez étonnant quand on y pense. Son adjointe actuelle, Nydia Lytton, est une chouette fille, plus âgée que moi mais pas hautaine. Je me répète que ça ne peut qu'aller tout en m'arrêtant à chaque pas ou presque pour confirmer que je suis bien de retour et en forme.

Je sais que personne n'en doute - sinon je ne serais pas là. Certains posent des questions sur l'Italie en général et Venise en particulier, mais ce que tout le monde veut savoir, en vrai, c'est si j'ai rencontré "mon" aspirant. Je répète que j'y vais là et je crois bien que la moitié aimerait suivre pour voir. Je suis sûre que Tanya s'est interdit de le convoquer dans son bureau. On est tous pareils. Les paris doivent aller bon train. Je m'interdis de me demander sur quoi ils portent. Je le saurais assez tôt.

"... moi, je te dis que l'Irlande sera en quart de finale", estime un jeune homme presque aussi roux qu'un Weasley quand je pousse la porte.

"Pari tenu", répond Mark Wang en se retournant vers la porte. Il me reconnaît et se fige dans son mouvement avant de penser à un truc qui peut ressembler à un garde à vous - pas que j'attende réellement ça de "mon" aspirant. "Auror Lu..."

"Iris", je le coupe. "Sauf le jour où je te passerai un savon peut-être.. où dans des situations formelles que tu reconnaîtras facilement : on sera en uniforme", je développe en lui tendant la main et en souriant. "Contente de te revoir, Mark."

"Moi aussi", il répond avec un air incertain qu'il essaie de cacher. "Bon retour."

"Merci." Je me tourne vers son compagnon qui est prudemment retourné à son bureau et a l'air de se construire à coups de rouleaux de parchemin des raisons d'aller se faire pendre ailleurs. "Aspirant aussi ?"

"Non. Je suis Auror. Thomas Coughlin", il me répond en se décidant lui aussi à me serrer la main. "Je suis le premier Auror venant de la Division de Dublin. Je viens d'avoir ma promotion, et ils ont pensé qu'il fallait que je vois des choses... plus complexes, des équipes plus grandes. D'où mon transfert ici."

"Oh, très bien. Bienvenue", je lui souris. "Je me disais que tu avais l'air un peu âgé pour sortir droit de l'Académie."

"Je reste l'exception", commente Mark avec un air entendu.

"Vous étiez de la même promotion", je suppose.

"À peu près", "On se connait", ils confirment.

Je n'ai pas le temps de trouver comment continuer la conversation. Tanya pousse la porte du bureau avec un : "Iris, j'ai un truc pour vous" qui nous tourne tous les trois vers elle. "La Police vient d'appeler. Ils ont une mort pas nette, d'après eux, sans compter que c'est le genre de décès qui va intéresser les foules. Ils veulent notre expertise."

"On attend Finnigan ?", je questionne prudemment quand j'ai réalisé que je suis, de loin, la plus gradée de l'assemblée.

"Non, le petit ne t'a pas dit ? Seamus est en procès pour la journée. On s'est dit lui et moi que, si des choses tombaient, tu répondrais avec Mark", explique Tanya en me tendant un morceau de parchemin avec une adresse. "Emmène donc Coughlin pendant que tu y es. Le reste de son équipe est en audience préliminaire et, comme il ne savait rien de l'affaire, ils l'ont laissé ici pour finir des rapports, mais si ce n'est pas fini, ça attendra. Le terrain, c'est ce qu'il leur faut."

"Ok", je commente sobrement, tout en me demandant ce que Coughlin pense de la présentation de Tanya qui dit bien qu'il n'est pas réellement considéré comme autonome. Sans parler du "petit" pour Mark. "Qui à la Brigade ?"

"Shannen Sherbune - quand je te disais que c'était pour toi."

"Et qui est le célèbre macchabée ?", se risque Coughlin. Un très bon point pour lui.

"Oh, Myron Wagtail - l'ancien chanteur des Bizarr Sisters mais sans doute que votre génération ne les connaît pas. Il est producteur de nos jours. C'est son assistante qui l'aurait trouvé mort, ce matin."

"C'est Wintringham qui devrait y aller", je remarque. "Wagtail devait après tout être un ami de son père ; j'imagine qu'à sa place, j'aimerais en être."

Tanya secoue la tête.

"Au contraire, vu la presse qui d'après Sherbune est déjà là, on ne va pas mélanger les genre. D'ailleurs, si tu voulais bien décoller avec ta jeune classe et nous dire à quoi on a affaire..."

"Bien sûr, chef", je promets avec un signe de tête aux deux autres. Je n'ai pas eu le temps d'enlever mon manteau.

oo Finchley, domicile de Myron Wagtail

Myron Wagtail habite à Finchley à quelques rues de chez mon grand-père, et sa maison n'a rien à envier à celle du président du Magenmagot. C'est un quartier mixte et tranquille. Comme le veut le règlement, la Brigade a mobilisé une équipe de police moldue laquelle a établi un cordon de sécurité derrière lequel il y a quelques curieux dont un groupe notable de journalistes sorciers.

Je sors ma carte de la "police scientifique - brigade spéciale" qui permet de pénétrer le périmètre ; je dois me porter garante de mes deux jeunes collègues, mais Shannen doit avoir bien fait son boulot : ils ne s'accrochent pas à leurs procédures qui n'ont rien à envier aux nôtres.

Parmi les journalistes, Brutus Warden me reconnaît, je pense, à voir les commentaires abondants qu'il fait à ses voisins, mais il a la bonne idée de ne pas m'interpeller. J'hésite à aller leur parler mais comme je ne sais rien de l'affaire, je décide au contraire de rentrer le plus vite possible dans la maison. Coughlin essaie de cacher son excitation devant tout le processus et Wang regarde autour de lui avec une curiosité franche et tranquille, comme s'il était en vacances. "Ta jeune classe" a dit Tanya, et je mesure ce que j'ai perdu en excitation et en curiosité.

Mon vieux pote Aidan Logan est sur le pas de la porte avec un air blasé jusqu'à ce qu'il me reconnaisse : "Iris, je te croyais en maladie !" est son exclamation ravie. "Ça va mieux ?"

"Nickel, Aidan. Est-ce qu'il ne faudrait pas faire circuler nos amis journalistes avant que les Moldus se posent trop de questions ?"

"D'après l'assistante de Wagtail, les voisins savent qu'il travaille dans le music-hall et ne s'étonnent jamais de la dégaine des gens qui entrent et sortent ici mais, si tu l'ordonnes..."

"J'en parle avec Shannen mais, en attendant, tu les surveilles, d'accord ?", je coupe court. Je ne vais pas commencer par donner des ordres à tout le monde, non plus, avant d'en savoir davantage.

"Bien, ce sera fait", annonce Aidan. "Tu ne me présentes pas ? Pour mon rapport", il insiste avec son humour pince sans rire.

"Ah, si. Auror Coughlin qui nous arrive de Dublin et Aspirant Wang... "

"Ah oui, c'est vrai que t'es chef maintenant ! Félicitations !", il s'enthousiasme avec sincérité, et Coughlin et Wang écarquillent un peu les yeux, je réalise. Eh bien, qu'ils apprennent que le mieux est d'avoir des amis à la Brigade.

"Merci, Aidan. On prend un verre bientôt ?", j'abrège quand même, mais Logan note les noms dans son calepin et me fait un signe d'assentiment de la tête, sans insister cette fois.

"Tu trouveras Shannen au premier avec l'assistante et le type du labo", il indique avant de sortir à la rencontre de l'équipe moldue. On va dire qu'il fait son boulot ; à moi, de faire le mien.

Le grand escalier est couvert d'affiches de concerts et de prix divers. La plupart des chanteurs sont en pleine action, et le son a certainement dû être coupé sinon on aurait une drôle de cacophonie, je me dis, en reconnaissant même des groupes assez contemporains pour que je sois allée les voir en concert. Sur le palier, j'entends la voix de Shannen.

"Non, tu fais autant de prélèvements que tu le souhaites, Jago, mais on m'a promis des Aurors. Rien ne bouge avant leur accord."

En s'orientant à cette voix, on trouve Shannen face à Jago Botterril, un expert relativement expérimenté du labo. Il me voit avant elle.

"Les voilà. T'as pas dû convaincre grand monde, Agent Sherbune, on n'a pas de gradés", il commente.

Shannen se retourne et me reconnaît avec un sourire. "Botterril, tu as manqué la promotion de Lupin visiblement. Serait-on ta première affaire, Iris ?"

"Je suis revenue ce matin", je confirme en leur serrant la main tour à tour. "Mes collègues : l'Auror Coughlin et l'aspirant Wang". Le nom de Mark réveille chez Botterril un regard que je connais bien, mais je ne lui laisse pas le temps de creuser. "Alors, c'est quoi l'histoire ?"

"Quelqu'un s'est donné beaucoup de mal pour que Wagtail ait l'air de s'être suicidé", répond Jago Botterril, l'air sûr de lui. Shannen acquiesce à la formulation.

"On vous suit. Mark, Tom, nous avons ici l'agent principal Sherbune et l'Analyste Botterril", je précise alors qu'on s'exécute. "Thomas, je peux te confier les notes ?" Coughlin a brièvement l'air de se demander s'il peut refuser mais doit décider du contraire. Il sort de sa poche un carnet et un crayon. "Mark, ouvre tes yeux et tes oreilles pour l'instant", je rajoute. Je n'ai aucune peine à me rappeler que ce sont exactement les premiers mots que m'avait adressés Charity Perkins quand elle m'avait emmenée pour notre première affaire.

Wagtail est allongé, face dans le tapis, au milieu de son bureau, vêtu d'une robe de chambre de brocart jaune. Du sang a formé une mare autour de sa tête. Il tient dans sa main gauche un pistolet moldu. A ses pieds, il y a un rouleau de parchemin. Ok, ça pourrait ressembler à un suicide baroque, encore que le nombre de sorciers qui se suicident par des moyens moldus est relativement élevé. Certains soulignent que la dépression fait généralement baisser le contrôle de la magie et que donc la corde ou le couteau restent de bons alliés du suicidaire.

"Pistolet", je remarque en me tournant vers Botterril. Les statistiques disent que mes congénères sorciers les utilisent quand même bien moins que le chanvre ou les armes blanches, et j'imagine qu'il le sait.

"Oui, oui, un projectile à percussion a bien été placé et projeté par ce pistolet. A bout portant. On voit les traces de poudre", me répond l'expert en pointant son doigt sur lesdites traces. "Le projectile a pénétré la boîte crânienne de notre ami producteur et certainement fait des dégâts, mais il était mort avant. Le sang que tu vois, Auror Lupin, vient de sa bouche et non de la blessure."

"C'est ce que j'ai tout de suite remarqué", intervient Shannen.

"Et le sang, je viens de faire un test rapide, a été vomi après ulcération majeure de l'estomac", s'empresse de continuer Botterril, visiblement soucieux d'apparaître comme le seul expert de l'affaire. "La balle ou la chute n'y sont pour rien."

"Poison ?", je vérifie que je les suis bien.

"Très certainement. Dès que je peux aller à mon laboratoire avec suffisamment d'échantillons, je te confirme ça."

Il y a une impatience certaine chez Botterril, et je regarde Shannen pour savoir s'il n'y a que de la procédure derrière son opposition.

"Jago voudrait aussi emporter les bouteilles du bar et je trouvais ça prématuré. On n'a pas fini l'étude de la pièce."

"Elle a raison, Botterril. A ce stade, ça reste là. Priorité sur la confirmation du poison."

"Auror Lupin... à plein nez, je peux te dire qu'il a bu du whisky et ..."

"Je note", je réponds avec un regard insistant pour le jeune rouquin irlandais qui tend à bâiller aux corneilles, je le vois bien. "Tout ce qui te semble pertinent, tu l'indiques à Coughlin. Dès qu'on a fini notre premier tour, on t'envoie ça."

"Bien", soupire l'Analyste.

"Et la lettre ?"

"On l'a laissée en place pour les photos", s'empresse de me promettre Shannen.

"Faudrait authentifier l'écriture", souligne Botterril. Ils doivent s'être opposés là-dessus avant aussi.

"Mais vous l'avez lue ?", je questionne en me rapprochant du parchemin. Les pieds nus de Wagtail me laissent perplexes car le sol est très froid. Mais est-ce que je mettrais des chaussons pour me suicider ? Ou me faire suicider ?

"Pardon à tous ceux qui ne comprendront pas - je cite", soupire Shannen. "Et c'est tout."

Je sors ma baguette pour manipuler le rouleau sur lequel il n'y a en effet que cette phrase. "Pas de signature", je remarque. "Ok, Jago, c'est à toi. Empreinte, écriture, traces magiques... la totale."

"Certainement, Auror Lupin", il s'empresse de placer le parchemin dans une boite magique à échantillon. Quand on se relève, il fait signe qu'il va y aller.

"Et rien à nos amis de la presse dehors", je rajoute.

Il se retourne et essaie d'avoir l'air de me mépriser. Il y arrive presque.

"Bon, l'assistante de Wagtail ? Elle est toujours dans le coin ?", je demande à Shannen.

"Colleen est dans la cuisine avec elle. Elle essaie d'établir une chrono... Moi, je suis sur la scène : on a pris les photos et tout, mais je veux faire une fouille... et il y a le reste de l'étage."

"Je te laisse Coughlin", je décide en me tournant vers mon jeune collègue. "Thomas, oublie le Manuel et écoute Shannen, d'accord ? Si vous avez besoin d'une décision, je ne suis pas loin." Ils acquiescent tous les deux. "Mark, allons voir cette assistante."

"Thomas aurait dû diriger l'opération, non ?", vérifie Wang quand on descend les escaliers.

"Shannen a bien plus d'expérience en scènes de crime que lui et, dans tous les cas, je reste la responsable", je développe.

"Si un juge pose des questions ?", il vérifie encore.

"On ne peut rien te cacher."

"Ok, je pige", il commente sobrement.

On est arrivés dans la cuisine où Colleen Temple fait face à une petite femme très brune, avec une peau presque translucide et des yeux bleu pâle fatigués.

"Auror Lupin", m'accueille assez formellement Colleen allant jusqu'à se lever. "Voici Sandy Haley, l'assistante de Monsieur Wagtail."

"C'est vous qui avez trouvé le corps et donné l'alerte, Madame Haley", je vérifie en m'asseyant. "Mark, tu prends des notes - Mark Wang est Aspirant", j'explique. Colleen qui aurait voulu être Auror et sort avec mon collègue Wintringham le regarde avec une drôle d'expression - plus de la curiosité que de l'envie, je crois. Enfin, j'espère.

"Myron... hier, Myron m'a dit qu'il serait debout tôt ; il devait partir rejoindre un groupe en France pour une tournée et il voulait qu'on voit ensemble certains dossiers avant. J'étais donc là à sept heures moins le quart comme prévu. J'ai sonné mais il n'est pas venu... J'ai une clé, je suis entrée", elle répond d'une voix fatiguée. J'imagine qu'elle a déjà raconté ça plusieurs fois mais je ne suis pas là pour sympathiser.

"Il n'y a pas d'elfes ?"

"Myron est très progressiste ; il refuse l'exploitation des elfes. Il fait appel à un service payant deux fois par semaine. Il embauche un chef quand il donne des dîners. Le reste du temps, il se fait livrer - quand il est là, bien sûr."

"Je vois", je ponctue tout en vérifiant que Mark écrit bien tout cela. Colleen apprécie notre manège. "Hier soir, vous l'avez quitté où et quand ?"

"Au Cercle de la nuit, près du chemin de Traverse, vers deux heures du matin..."

"Courte nuit."

"Ça fait partie du boulot."

"Il n'avait donc pas dîné ici", je commente en regardant la cuisine pimpante autour de moi.

"Non", répond Sandy Haley. Elle a ce bref regard perdu mais patient qui indique qu'elle ne comprend pas pourquoi je lui pose les mêmes questions que Colleen mais respecte les Aurors.

"J'imagine que vous avez déjà raconté tout cela à l'agent Temple, mais je suis Auror et je reprends l'enquête. Il suffit qu'un détail de plus vous revienne en mémoire pour que nous ayons une piste."

"Vous... vous pensez.. Il s'est suicidé, non ?"

"Vous aviez rendez-vous ce matin et vous l'avez quitté à deux heures du matin. Il vous a paru troublé, déprimé ?", je questionne sans lui répondre.

"Pas du tout... rien de spécial. Il était content du concert et de la tournée en France... Mais ce sang et ce pistolet.."

"Je sais bien, mais d'autres détails nous font nous demander si ce sont les réelles raisons de sa mort. L'autopsie va nous le dire mais je prends de l'avance. Vous connaissez ce pistolet ?"

"Il l'a acheté au Mexique; j'étais là. Il y a deux ans. Il aimait bien le montrer, le démonter et le remonter très vite comme le marchand le lui avait appris", elle raconte avec un sourire las. Elle doit revoir la scène.

"Donc des tas de gens savent que ce pistolet existe", je note avec un regard insistant pour Mark qui replonge sur son parchemin. Je sais bien ce que c'est : on entend des trucs, on aimerait y réfléchir voire poser des questions, mais, en fait, quand on est aspirant, on n'est pas là pour réfléchir ou interroger les témoins - pas tout de suite en tout cas. Colleen réprime un petit sourire de celle qui réalise qu'elle n'est plus une bleue.

"Oui, des dizaines de personnes ont dû le voir faire ça", confirme Sandy Haley, les yeux légèrement écarquillés par les implications soulevées par mes questions.

"Il y a une lettre à ses pieds, vous l'avez lue ?"

"Je l'ai vue mais... non, je...Merlin, quand j'ai vu le sang, je me suis dit qu'il était mort, qu'il fallait appeler la police - c'est tout ce que j'ai réussi à penser... La lettre.. non, je ne l'ai pas regardée... Elle est adressée à qui ?"

"Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur la vie personnelle de Monsieur Wagtail ?", je préfère continuer mes questions.

"Oh... Myron vivait pour son travail d'abord... Il avait des aventures, généralement en voyages, loin d'ici... Il n'aimait pas les complications, ni la routine."

"Personne de régulier ?"

"Non", elle sourit. "On vous dira qu'il est ou a été avec moi, mais c'est faux. Nous sommes des amis de longue date. C'est tout. Même pas un ancien flirt."

"Parmi les anciens des Bizarr' sisters ? Certains sont plus proches de lui ?"

"Ils se voient. Sans aucune régularité. Parfois un projet commun les réunit tous - toujours initié par Myron... Merlin, mais qu'est-ce qu'on va faire sans lui ?"

"C'est certainement une perte pour notre communauté", je concours de manière un peu automatique. "Dites-moi, Madame Haley, est-ce qu'à votre connaissance, monsieur Wagtail a reçu des menaces ?"

"Oh... des fois des responsables de salles ou des artistes pouvaient être mécontents mais jamais... Vous croyez vraiment que quelqu'un l'a tué ?" Il y a de l'incrédulité pure dans sa voix.

"On vérifie", je tempère. "Est-ce que Monsieur Wagtail buvait beaucoup ?"

"Pas réellement beaucoup. Dans nos métiers, on vous offre vite un verre, mais Myron était un chanteur, il faisait attention à sa voix", elle affirme. "Quel rapport ?"

"Ça vous paraîtrait possible qu'en rentrant ce matin, il se soit servi un whisky ?", je continue d'ignorer ses questions.

"Myron ? Pas vraiment... même s'il aimait les bons whiskies... en même temps, s'il était déprimé... mais vous n'y croyez pas", elle se souvient.

"Mais vous, vous pensez qu'il pouvait être déprimé ?", je la presse en soutenant son regard. Elle m'a dit le contraire il y a quelques minutes.

Elle écarquille les yeux.

"Merlin... non, non... Je sais, c'est moi qui viens de dire ça mais, en fait.. tout allait bien ! En ce moment, en tout cas, pour l'agence de production, tout allait bien, et il ne m'a rien dit qui puisse me faire penser qu'il... Vous pensez qu'on l'a tué !"

Haley est en train de se convaincre de l'hypothèse, je le vois bien.

"Je ne pense rien, encore. Je vérifie", je répète. "Une enquête, c'est d'abord éliminer des possibilités", j'explique. Quand je me rends compte que Mark vient d'écrire ça verbatim, je dois ravaler le sourire qui me vient et éviter les yeux de Colleen ; il ne manquerait plus qu'on éclate de rire.

"Merci, madame Haley. Nous n'avons plus besoin de vous. Nous allons terminer la fouille de l'étage et continuer notre enquête. Nous reviendrons certainement vers vous. Merci de rester discrète quand les journalistes vous poseront des questions. Ne divulguez rien sur les causes de la mort. Ne parlez ni du pistolet ni de nos doutes. Pour Myron. S'il vous plaît", j'insiste en soutenant son regard.

"D'accord", elle souffle, intimidée maintenant. Elle a un temps d'hésitation puis elle ose : "Mais il y a des tournées en cours, des cachets à payer..."

"Évidemment. D'où gérait-il ses affaires ? D'ici ?"

"Non, nous avons un bureau à Soho - un quartier assez animé en musique... Myron aimait toutes les musiques". Le "même moldue" est implicite.

"Laissez-nous l'adresse, nous allons venir vous voir, mais j'imagine que vous pouvez continuer les activités de routine. Vous savez qui hérite de ses biens ?"

"Non, aucune idée", elle répond l'air sincèrement frappée de la question. Colleen grimace, elle devait l'avoir oubliée celle-là. "Myron m'a toujours dit que j'aurais une part de son affaire... mais c'était un peu... Je me disais qu'on mourrait au même âge de toute façon", elle commente d'une voix tendue. La réalité est en train de la rattraper.

"Donc, il a sans doute établi un testament ?", je continue.

"Oh très certainement. Myron n'aimait pas laisser ce genre de choses au hasard. Je pense que Maître Deauclaire pourra vous renseigner. C'est son avocate."

"Nous allons nous rapprocher d'elle", je commente. Il me semble qu'on a fait le tour de ce qu'on peut lui demander à ce stade. "Colleen, dis à Aidan qu'il faut trouver un taxi ou une voiture de police moldue pour madame Haley. Pas de transplanage, madame, vous êtes sous le coup d'émotions fortes." Elle opine. "Et rejoignez-nous en haut tous les deux qu'on en finisse avec la fouille", je termine pour ma collègue policière.

Mark sur mes talons, je me mets à la recherche de Coughlin et Shannen. Ils sont dans la chambre à coucher.

"Il n'a pas dormi là. Son lit n'est pas défait", indique la policière quand elle me voit.

"Son assistante l'a quitté à 2h du matin sur le chemin de Traverse. Il va falloir trouver ce qu'il a fait de son temps et déterminer l'heure de sa mort... et l'heure à laquelle on lui a fait se tirer dessus... ça va réduire les possibilités", je réfléchis à haute voix. "Vous avez fait tout l'étage ?" Ils opinent. "Des empreintes ?"

"Les siennes essentiellements, des elfes aussi... pas d'autres humains", répond Shannen au moment où Aidan et Colleen nous rejoignent.

"Aidan, tu peux demander un transport du corps à Sainte-Mangouste et une autopsie ? Mets bien mon nom."

"C'est parti, chef", lance Logan en ressortant.

"Colleen, Mark, vous vous trouvez une table et vous vous mettez à la chronologie. J'ai l'impression que ça va nous aider. Et, Mark..."

"J'oublie le manuel et j'écoute Colleen ?", il propose avec un sourire entendu puis il hésite à s'excuser de ne pas m'avoir laissé finir.

"Tu apprends vite", je le félicite avant qu'il ne s'inquiète.

Je refais le tour des pièces avec Coughlin et Shannen pour vérifier qu'ils n'ont rien oublié et me faire ma propre image des lieux. Je contresigne leur rapport et autorise l'envoi des échantillons réclamés par Bottarril. En regardant Shannen fermer la boîte, je remarque : "Du whisky peut-être, mais pas de verre sorti, nulle part... Soit on l'a pris, soit il l'a bu ailleurs... soit il a bu à la bouteille", je continue à haute voix. Une nouvelle idée me frappe brutalement alors que mes yeux retombent sur le corps : "Ses vêtements, ses chaussures... vous les avez vus ?"

On retourne tous les trois dans la chambre. Sur un valet, il y a une veste en cuir d'un étonnant bleu et une écharpe aux couleurs de Flaquemare, mais c'est tout. Rien non plus dans la salle de bain attenante.

"Ok, faut qu'on demande à son assistante comment il était habillé et si elle connait cette robe de chambre jaune", je conclus, et les deux autres opinent.

"Tu vois la suite comment, Iris ? On est à tes ordres", s'enquiert Shannen.

"Il faut aller à leur bureau à Soho - zone moldue, c'est pour nous", je décide. "Vous trois vous allez au Cercle de nuit." Elle a un regard pour Coughlin, mais je secoue la tête. "Il vient d'arriver, Shannen, il ne va pas avoir une image assez large... Quoi ? Ils vont râler à la Brigade, si je te fais confiance ?"

"Tu sais comment ils sont. S'il y a des Aurors, les Aurors doivent mener les équipes. Point", elle confirme stoïque.

"Bon, on change alors", je soupire quand j'ai mesuré où les chances de dérapage sont les plus importantes. "Tu vas à Soho avec Aidan et Thomas", je décide. "Vous interrogez Haley sur les vêtements - comment il était habillé hier soir ; la robe de chambre. Vous voyez s'il y a des documents comptables pertinents, un coffre, une correspondance... Vous placez ça sous scellés. Elle va râler sans doute, mais on ne prend pas de risques, on ne sait pas de quoi on aura besoin." Ils acquiescent, je me tourne vers mon jeune collègue irlandais : "Thomas, tu es hiérarchiquement et légalement responsable, et ce n'est pas à prendre à la légère. Tu prends ton temps, tu m'appelles si tu doutes et tu écoutes Shannen - si elle secoue la tête, tu t'arrêtes."

"J'ai compris, Auror Lupin", il me promet ; il est un peu pâle. Il faut dire ce qui est. Mais j'aime mieux ça qu'un air sûr de lui.

"Shannen, tu n'hésites pas ; tu me le surveilles", je rajoute - ce qui me vaut un acquiescement souriant de la policière et un soupir réprimé de Coughlin. Je décide que je ne serais jamais trop transparente : "Thomas, je ne suis même pas ta responsable attitrée ; je prends des tas de risques en faisant ça ; je le fais pour gagner du temps parce que s'il y a un petit malin derrière, il ne va pas attendre sagement qu'on le trouve. Mais si l'arrangement te déplait, on fait tout ensemble", j'explique.

"Je suis sûre qu'on va coopérer avec souplesse tous les deux, Iris", commente Shannen.

Coughlin s'empresse d'opiner : "Bien sûr, je vais être patient, méthodique, écouter les conseils de l'agent Sherbune et ne pas hésiter à t'appeler. Je ne suis pas une tête brûlé, Auror Lupin. Même si tu n'as pas de raison de me faire plus confiance que cela, tu peux. Je n'ai pas envie de commencer ici par une bourde."

On se mesure du regard et je me dis qu'il a l'air d'avoir compris.

"Je garde Colleen avec moi en renfort", je précise pour Shannen.

"Ouais, ouais, pour surveiller l'aspirant", elle persifle

"Je vais le faire moi même, sinon j'aurais aussi gardé Aidan", je réponds sur le même ton. J'espère trop tard que Mark va prendre ça pour ce que c'est - des blagues de corps de garde.

"Bah, c'est lui qui va être déçu. Il avait bien envie de te voir en action !", badine encore Shannen.

"Ne me dites pas que vous aussi vous prenez des paris ?", je fais mine de m'inquiéter.

Elle part en riant, Coughlin, intrigué, est sur ses talons.

ooo Chemin de Traverse, Mardi 11h

On est en train de remonter le chemin de Traverse en direction du Cercle de la nuit quand mon miroir vibre. C'est Finnigan.

"Chef", je réponds.

"Iris, désolé de t'avoir jetée dans le grand bain comme ça. Je viens d'avoir le message de Tanya. Tu en es où?"

Je sors ma baguette pour répondre et jette une bulle de silence qui nous englobe tous les trois.

"La suspicion de la Brigade semble fondée ; j'attends le rapport du labo et de l'autopsie, mais il semble bien qu'il ne se soit pas suicidé tout seul", je raconte. Il écoute mon rapport sur les décisions prises et nos découvertes avec une grande concentration.

"Bon, je te suis à cent pour cent, mais ça va dans le sens d'Ogden. C'est une grosse affaire et te la coller à toi toute seule, ce n'est pas un cadeau très malin. Il parlait de t'envoyer Nydia en renfort. Elle pourrait aller à Soho, non, et prendre la main ?", il propose;

"S'il peut se passer d'elle", je formule lentement; "Sherbune est capable de s'en sortir, je pense."

"Moi aussi mais elle n'a pas tort ; on flirte avec les règles, et ça n'en vaut pas la chandelle."

"Oui, Chef", je me range prudemment avant que quelqu'un me ressorte que je devrais en être convaincue vue mon histoire personnelle. Il n'y a rien de mieux que les vieilles conneries pour vous coller à la peau le reste de votre vie.

"Préviens-les qu'elle arrive. Je te dis dès que je sors de mon audience", continue Seamus avant de soupirer : "Le juge prend son temps..."

"Qui ?", je questionne par pur automatisme et je sais la réponse avant que Seamus ne soupire de nouveau. "Ok, j'ai pigé. A tout à l'heure, chef."

Sans laisser le temps à Mark de poser de question, j'appelle Shannen et Thomas qui prennent assez bien l'arrivée de la hiérarchie. Ils allaient m'appeler parce qu'ils hésitent sur l'ampleur des scellés. Je leur dirais bien le maximum mais ce n'est plus mon problème. Je les presse plutôt sur les vêtements de Wagtail. Tout ce qu'ils ont pu tirer de Haley, c'est qu'ils étaient sombres mais pas noirs, sans doute quelque chose comme bordeaux. Quant au peignoir jaune, ils ont dû lui remontrer une photo qui l'a fait fondre en larmes, et elle a dit qu'elle n'en savait rien. Je mets fin à l'appel en me disant que cette affaire est bien partie pour être un sacré casse-tête, bien au-delà de ce que je peux accomplir toute seule. On est arrivé au Cercle de la nuit ou presque et me plaindre n'y changera rien, je décide.

La direction du Cercle n'est pas là. Il y a une équipe d'elfes chargés du nettoyage, et c'est tout. Je mets un coup de pression pour qu'ils réveillent qui de droit, et on nous sert un café excellent le temps que le propriétaire et le responsable de la sécurité arrivent.

"Chef", commence prudemment Mark avec l'air d'un gars qui a retourné dans sa tête longtemps l'opportunité de même poser la question. J'acquiesce. "Le juge que devait voir Finnigan..."

"Oui", je confirme. Je ne pense pas que Mark soit un idiot et je n'ai jamais jugé utile d'étaler la morgue hautaine des Aurors.

"C'est pour ça qu'il a dit que je n'avais rien à faire là à ce stade ?", il vérifie. Pas besoin de légilimantie pour savoir qu'on est pile face à ce qui lui a fait visiter l'hémisphère sud de cette planète pendant plus d'une année avant de revenir comme aspirant.

"Ce n'est pas faux : tu ne sais rien de l'affaire - moi non plus d'ailleurs", je souligne. "Et dans une situation... où le personnel et le professionnel peuvent se mélanger, crois-moi, vaut mieux que tes motivations professionnelles soient solides, Mark", je lui confie. "En observateur, je crois que tu ne créerais que des distractions inutiles... pour tout le monde", je rajoute. Faudrait-il que je lui raconte le temps qu'il a fallu à ma mère et moi pour trouver un point d'équilibre entre se fuir ou se prendre la tête ? Est-ce que ça le rassurerait ou ça le ferait fuir ?

"Mon père... a dit qu'il refuserait les premiers dossiers où je serai", souffle Mark. Colleen lui offre un sourire plein de compassion.

"Dommage parce que généralement, les jugements de ton père me vont bien", je commente avec sincérité.

"Oh", il lâche apparement sidéré de ma remarque.

"On va s'en sortir quand même, t'inquiète", je tente alors que les deux responsables visiblement tirés du lit arrivent. Un elfe leur amène un café à chacun, et ils se présentent :

"Chad Keighley, ce lieu... m'appartient", m'explique le premier. "Enfin, j'en suis le principal propriétaire et le directeur."

"Greg Wardell, je m'occupe de la sécurité."

Je leur résume brièvement que nous cherchons à reconstituer l'emploi du temps du producteur Wagtail retrouvé décédé chez lui. Passé le choc de la nouvelle, ils reconnaissent que Myron était là la veille comme tous les soirs ou presque. Ils ont l'un et l'autre échangé des mots avec lui dans la soirée sans rien remarquer d'inhabituel dans son comportement ou son humeur.

"Il était seul ?"

"Myron passe son temps à parler à tout le monde : les jeunes artistes viennent lui présenter leurs projets ; les jeunes filles jolies - et les moins jeunes et jolies - essaient bien toutes une fois de le séduire mais je ne l'ai jamais vu céder... pas ici en tout cas... les investisseurs de tout poil... Enfin, vous imaginez. Il dit souvent que mon établissement est son second bureau. On sait qu'il peut être trouvé ici", développe Keighley.

"Est-ce que vous vous souvenez de comment il était habillé ?" je demande ensuite.

Les deux responsables se regardent et finalement le chargé de la sécurité se colle à une réponse.

"Il me semble qu'il portait une de ces tenues qui rappellent ses tenues de scènes... pas une robe déchirée non, je vous rassure mais un pantalon de cuir sombre... rouge bordeaux et une chemise et une veste de la même couleur... des vêtements moldus - enfin de coupe moldue", il précise. Le directeur opine comme si l'image correspondait à ses souvenirs.

"Ok. J'apprécierais si vous arriviez à me dresser une liste des personnes avec qui vous l'avez vu parler. Pas obligatoirement dans l'instant. Vous pouvez nous l'envoyer à la Division au besoin... Son assistante nous a dit qu'elle l'avait quitté ici. Comment est-il parti ? Par cheminée ?"

"Non. Myron, la plupart du temps préfère sortir par notre entrée moldue. Nous lui avons appelé un taxi comme d'habitude", répond Wardell. "Je peux vous donner les coordonnées de la compagnie. Ils enregistrent tous les trajets. Ils pourront vous dire qui l'a conduit et où."

"Vraiment ?" j'apprécie. "Très bien !"

Wardell fouille ses poches et sort une carte de visite qui correspond en effet à une compagnie de taxis : la Wardell Travel.

"Le patron est un cracmol", il rajoute très vite . "C'est pour ça que nous travaillons avec eux. En fait... c'est mon cousin."

"Oh", je réalise en prenant la carte. "J'imagine que ça facilitera la conversation."

J'entraîne donc sans attendre Colleen et Mark à la société de taxis à laquelle Wardell a téléphoné pour les prévenir de notre venue. C'est donc le fameux cousin lui-même qui nous accueille. Il a trouvé le conducteur de la veille. Un homme assez jeune, sans doute indien ou pakistanais d'origine même si son accent est plutôt écossais. Je n'ai même pas besoin de poser de questions, il me fait presque un rapport.

"J'ai conduit le monsieur à Soho Square. Il m'a dit qu'il finirait à pied."

"Vous l'aviez déjà vu ?", j'essaie de creuser, parce que les rapports, ça ne fait que très rarement avancer les enquêtes.

"Je l'ai déjà pris", il reconnaît. "Toujours le même trajet : depuis cette boite de nuit", il me semble qu'il se retient de commenter sur le lieu, "à Soho... souvent sur Berwick street, parfois sur la place et parfois devant des clubs de jazz précis. Non, une fois, je l'ai ramené à Finchley. Chez lui, si je me souviens bien."

"C'était il y a longtemps ?", je continue en vérifiant que Mark a bien pris la liste des lieux cités. Le bureau de Wagtail est sur Berwick street. Il suit visiblement puisqu'il souligne l'adresse avec un infime soupir de bon élève déçu de se voir soupçonner de manque de sérieux.

"Oh oui... plusieurs mois ! A l'automne. Il m'a dit : 'je suis trop fatigué ce soir, allez à cette adresse' et il m'a tendu un papier et il s'est endormi dans la voiture. La course est longue, faut dire. Il m'a laissé un pourboire", il rajoute. "Je l'ai réveillé en arrivant."

"Hier, il s'est endormi ?"

"Non, ce n'était pas assez long."

"Vous avez parlé ?"

Le chauffeur de taxi semble se creuser la tête.

"On a échangé des banalités. Le printemps qui arrive... Je lui ai demandé s'il pensait qu'Arsenal allait gagner son prochain match et il a ri", il se souvient. "Il lui est arrivé quelque chose ?"

"On l'a retrouvé mort", je lui annonce en le regardant droit dans les yeux. Il se défait.

"Il allait très bien quand je l'ai laissé ! Je vous le jure, Inspecteur ! D'ailleurs.. d'ailleurs, je l'ai laissé au métro, la vidéosurveillance vous le dira !"

Je connais vaguement le mot - c'est-à-dire que je sais que les autorités moldues ont des dispositifs technologiques qui leur permettent de surveiller de loin les lieux publics, de visualiser ce qu'il s'y passe.

"Vous n'avez qu'à demander les enregistrements ! Il doit bien y en avoir un où on le voit descendre de mon taxi !"

Je sens bien que le cousin Wardell se retient de rire ouvertement de nos têtes de sorciers.

"Marwan, je crois que madame l'inspecteur y aurait pensé seule", il commente suavement.

"Évidemment", je concours.

Le cousin Wardell a l'extrême gentillesse de me donner l'immatriculation du véhicule conduit par le jeune Marwan la veille et même de s'enquérir de si je sais à qui m'adresser pour avoir accès à la vidéosurveillance parce que lui connait des flics. Le monde à l'envers.

"La Division a de bonnes relations avec la Police, mais je vous remercie de votre bonne volonté, M. Wardell."

"Iris", questionne Mark quand nous sortons de la société moldue. "Tu as compris de quoi ils parlaient ?"

"Suffisamment pour penser que ça vaut le coup de rentrer à la Division et faire une demande formelle", je réponds. "Ils disent que l'endroit est surveillé et qu'il existe des images des lieux. Si c'est vrai, on pourrait savoir comment il était effectivement habillé."

"Oui !", s'exclame Colleen, excitée. "Je n'étais pas sur le coup mais, il y a quelques mois, ils nous ont donné des images pour un voleur qu'on poursuivait et qui se croyait malin en ayant fui dans des magasins moldus... tout était filmé, par contre, dès qu'il y a sortilège ou magie, ça casse leur machine", elle rajoute.

"Intéressant", je commente en pressant presque inconsciemment le pas. Dire qu'il y a deux jours, je mangeais du poisson grillé sur une île de Venise avec Sam, ma mère, mon jumeau et sa toute nouvelle amoureuse. J'ai dû rêver parce que je me retrouve bien à Londres avec sa complexité et la rivalité entre toutes les autorités policières. "On va voir si ça nous mène quelque part."

"Qui va écrire la demande ?", s'enquiert Colleen avec une expression semi innocente que je ne comprends pas de prime abord. "Moi ?"

"Non, non. Toi, je veux que tu restes sur la chronologie, que tu rajoutes tous les détails qu'on a glânés. La demande... Mark va l'écrire", je décide. "Ça va lui apprendre des trucs", je rajoute inutilement. Sans doute en écho à toutes les fois où j'ai entendu des Aurors plus expérimentés dire ça à mon propos. Désolant.

"Je l'aurais parié !", se réjouit ouvertement Colleen Temple.

Ok, je me suis faite avoir comme une bleue

oooooooooo

Voilà, le début. Mise en place réalisée avec une équipe enthousiaste : Alixe, Dina, Fée Fleau et LN que je serre sur mon coeur. Ca vous plait ?