Rating : K+
Genre : Romance/Angst
Disclaimer : L'univers et les personnages de One Piece appartiennent à Eiichiro Oda.
Résumé : Elle n'avait jamais été qu'une putain d'emmerdeuse. [Genzô/Belmer]
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Note : Ce premier texte date un peu, il a été écrit en 2013, et déjà publié sur le site fanfic-fr. Je l'ai écrit dans le cadre du Défi 'Les Cent Discours', une liste de cent mots pour faire cent One-Shots. J'en ai fait cinq. Et demi. Je sais.
Note 2 : C'était ma période « citations à tout-va ! »
Amour
« L'amour est un genre de suicide. »
Jacques Lacan
Elle n'avait jamais été qu'une putain d'emmerdeuse.
Les doigts de l'homme se refermèrent convulsivement sur la bouteille en verre. La main se leva, la bouche asséchée cueillit le goulot comme les lèvres d'une femme. Le geste était si naturel. Instinctif. L'alcool glacé dévala dans sa gorge, laissant derrière lui une brûlure apaisante. Réconfortante. Un peu de liquide coula sur son menton, suivant le tracé de ses cicatrices avant de venir tacher ses vêtements usés.
Elle n'avait jamais été qu'une saloperie de tête brûlée.
Il bascula la tête en arrière, un râle primitif s'échappant de ses lèvres gercées. Emporté par l'élan, il s'échoua au sol comme la vieille loque qu'il était. L'herbe humide n'eut même pas le bon vouloir d'amortir sa chute. Étalé en étoile au beau milieu d'un champ, il sentait les cailloux dans son dos, appuyant sur ses vieilles blessures. Ses doigts n'avaient lâché la bouteille, ultime réflexe de survie. Il cligna des paupières devant la toile noire du ciel, parsemée de poussière d'étoiles.
Elle avait toujours été sacrément allumée, plus encore que tous les astres nocturnes réunis.
Regard perdu dans le vide de la nuit, il se dit que les constellations étaient plus brillantes que jamais ce soir. Jusqu'à ce qu'il sente des perles brûlantes sur ses joues, et qu'il comprenne que les larmes embuaient sa vue. Les gouttes, salées et amères, glissaient sur sa peau tannée comme du vieux cuir, se heurtaient aux lignes de ses cicatrices, qui étaient comme autant de coutures grossières sur un patchwork. Les marques, sombres et granuleuses, le démangeaient. Il avait envie de se gratter le visage, le torse, les bras, quitte à s'écorcher vif, tout pour faire disparaître ces affreux stigmates qui ne lui rappelaient que trop bien celle qu'il n'avait pu sauver.
Elle avait toujours été égoïstement fière. Et c'est ce qui l'avait perdue.
Son poing se crispa violemment dans une convulsion involontaire et la bouteille se brisa entre ses doigts. Les morceaux de verre entaillèrent sa paume, l'alcool lui brûla la chair à vif. Il secoua la main en pestant. À la lueur de la lune, il observa son membre ensanglanté. Une cicatrice de plus. T'es un vrai puzzle humain, vieux ! lui disait le Doc. C'était chaque jour un peu plus vrai. Hélas, il lui manquait une pièce. On la lui avait volée. Pire, elle avait été détruite.
La mort avait cet aspect irréversible tellement agaçant.
L'homme laissa retomber son bras. Il se sentait terriblement las soudain. Ses yeux s'étaient asséchés, et il regardait les étoiles sans les voir. Il ignorait si la torpeur qui l'envahissait était due à un incongru apaisement ou à son désespoir habituel. Le parfum des arbres fruitiers lui faisait tourner la tête. Le fracas des vagues, au loin, lui donnait le vertige. En réalité, elle ne l'avait jamais quitté. Elle était toujours là, dans les fruits oranges des mandariniers de Nojiko, dans le murmure de l'Océan que Nami s'était jurée d'explorer. Elle était partout. Et nulle part.
Il grogna.
Elle était têtue et butée, grossière et vulgaire, irrespectueuse et provocatrice. Carrément insupportable.
Elle avait les manières d'un homme et le charme d'une femme. Elle savait utiliser aussi bien ses poings que ses formes, maniait avec autant de dextérité la menace que la séduction. Elle se foutait de la gueule du monde et lui faisait un doigt d'honneur en guise de salut. Mais elle était animée d'une telle flamme, elle brûlait de l'intérieur, enflammait tout ce qu'elle touchait. Elle irradiait d'une lumière éclatante, aveuglante. Elle avait le même effet qu'une lampe sur les papillons de nuit …
Elle était déterminée et volontaire, simple et directe, insouciante et taquine. Carrément attirante.
Il soupira et chercha de sa main gauche la flasque qu'il gardait toujours dans une poche. Elle était morte sous ses yeux. Ses doigts engourdis trébuchèrent sur le bouchon et ses lèvres se ruèrent sur le goulot. Elle était morte et il n'avait jamais pu lui dire qu'il l'aimait.
Alors, seul sous les étoiles de minuit, Genzô buvait.
Il buvait à cet amour qui n'avait pas eu le temps de brûler. Il se saoulait avec ferveur, cherchant l'oubli et le repos qu'il ne parvenait, autrement, à trouver. Il buvait à cette vie qui avait été soufflée trop tôt. Il se bousillait le foie comme elle se bousillait autrefois les poumons. Il buvait à tous les « si » qui l'empêchaient de dormir, à tous les « si » qui auraient pu changer sa vie, leurs vies, et qu'il avait lâchement laissé passer.
Il buvait pour ne plus penser à celui qu'il était, il buvait pour ne plus songer à ce qu'il était advenu, il buvait pour rendre la mort un peu moins définitive.
Et au cœur de l'ivresse, il arrivait presque à y croire...

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