Cette série de textes se place dans le cadre d'un Writober. Les thèmes de chaque jour sont donc imposés mais j'ai choisi de parler exclusivement des Nordiques. Je partirais ainsi entre le VIIIe et le XIe s chez les Vikings (sauf un texte qui serait plus XIIe s).
Le nom Magnus est choisi parce qu'il est celui qui fait le plus viking dans la liste des noms de Danemark. J'avais hésité entre Ragnar et Sigfrid sinon x3. Juste un nom utilisé comme ça dans un voyage.
Writober 1 : Peluche/énigme
Islande, vers 950 de notre ère.
Le knörr était à peine amarré sur la plage partiellement enneigée que déjà les cris joyeux d'un bambin parvenait à ses oreilles ravies. Inconsciemment, Danmörk s'était langui de ce son tintant de joie de vivre. Les humains qui l'accompagnaient, et pour lequel il n'était qu'un compagnon de voyage comme tant d'autres, ricanèrent dans leurs barbes.
- Va rejoindre ton gamin, Magnus ! lui cria le capitaine, affairé sur une corde. On finira sans toi.
Les autres hommes éclatèrent d'un rire tonitruant, se moquant gaiement de leur compatriote tombé dans la vie domestique. Danmörk ne démentit pas leur croyance, facilement compréhensible, et leur adressa un grand sourire reconnaissant en sautant à terre, un sac de toile serré contre lui, sa lourde hache dans son dos.
Une sensation étrange l'étreignait toujours quand il posait le pied sur le territoire d'un Autre. Quoi qu'ils soient. Mais visiter ĺsland, d'autant plus en sachant y retrouver la présence caractéristique de Nóreegr, n'avait pas le goût de guerre qu'il ressentait en accostant les rivages de Francia, des Irlandais et autres Celtes, ou des Angles. Sur les terres des siens, malgré toutes les disputes qu'il pouvait y avoir entre leurs humains, Danmörk ressentait le goût de chez soi.
- Dan !
Il attrapa en riant l'enfant suivi d'un petit macareux qui venait d'arriver à sa hauteur, essoufflé de sa longue course, et le fit tournoyer, déclenchant une série de protestations, de malédictions et de rires. Craignant d'entendre quelques brides d'un seiðr, que Nóreegr laissait trop souvent échapper près des oreilles du petit, il cessa aussitôt qu'il le sentit pencher vers la colère.
La présence prégnante des Quatre Landvaettir qu'il devinait, sans pourtant les voir, lui rappelait qu'ĺsland avait une forte affinité avec le Monde du Double.
Il plaça donc l'enfant sur ses épaules, faisant attention de ne pas l'accrocher à sa hache, et prit le chemin de la petite ferme qu'entretenait Nóreegr sur la terre d'ĺsland quand il s'y attardait pour l'élever et prendre soin de lui.
- Où est Nór ?
L'enfant se pencha pour fixer ses yeux et rendre ses gestes visibles.
- Un rocher a boum ! brisé la salle d'un álf. Il aide, avec Gammur. Et Sve prépare une soupe. Du poisson, miam.
Et de se lécher les babines d'un air prédateur. Danmörk sourit doucement, le regard attendri. Puis il fronça les sourcils, remarquant une étrangeté dans le discours.
- Sve est ici ?! Je croyais qu'il était à l'Est.
- M'a ramené des cadeaux. Des petits chevaux. Et du tissu. Et des osselets. Et même un tapis pour cheval. Et…
- Moi aussi, j'ai un cadeau ! le coupa Danmörk, sans vraiment le faire exprès. Mais il était agacé de l'énumération des présents de Svea, se sentant comme toujours en concurrence. ĺsland se figea puis lui adressa un grand sourire dévoilant ses dents manquantes.
- Veux voir !
- A la maison, décréta Danmörk et fut soulagé que l'enfant accepte bien volontiers ce contretemps. ĺsland avait parfois tendance à rentrer dans de jaillissantes colères difficiles à maîtriser. L'odeur de la soupe que préparait Svea lui parvint en premier et son ventre réagit en conséquence, qu'importe la volonté qu'il instilla dans son cerveau pour refuser d'attendre quelque chose de son bróðir.
Rien à faire.
Et ĺsland se gaussait à gorge déployée de sa déconfiture.
- Je vois que tu as trouvé Imbécile, litli bróðir.
- Nór ! gronda sans conviction Danmörk, ne manquant pas le sourire en coin de Nóreegr. ĺsland se contorsionna sur son dos pour descendre au plus vite et courir dans les bras de son frère comme s'il l'avait perdu depuis de longues journées d'angoisse, son macareux toujours dans le sillage. Danmörk était étonné que l'animal n'ait pas encore grandi.
- Fini ? demanda l'enfant, agrippé aux chausses boueuses de son aîné qui lui caressa la tête, le visage animé et chaleureux qu'il n'avait que pour lui.
- Si fait, litli bró. Il n'y a plus de rocher.
Danmörk devinait aisément la façon dont Nóreegr s'était débarrassé du problème. Loin des yeux et des oreilles, il ne retenait pas sa magie. Le grincement de la porte leur fit tourner la tête pour trouver Svea fixer les gonds d'un air noir. Danmörk devinait que la mauvaise vue que leur bróðir tentait vainement de leur cacher l'empêchait d'observer en détail la raison du grincement, qu'il comptait bien évidemment réparer.
- Il y a de la graisse de phoque derrière, lui dit Nóreegr. On verra ça plus tard, je suis affamé.
- Hahaha, moi aussi ! s'écria-t-il. Il n'avait pas mangé un vrai repas depuis qu'il avait pris la mer. Quoi qu'il pense de Svea, il ne pouvait lui ôter le talent de savoir préparer un repas de bonne chère.
- Non !
Il haussa un sourcil étonné à la moue boudeuse d'ĺsland qui lui barrait la route en écartant les bras. Sur sa tête, son petit macareux avait étendu ses ailes en une mimique de son maître.
- Cadeau d'abord !
La réclamation arracha un pouffement de rire à Svea et un sourire à Nóreegr.
- Hâte toi donc, Dan, nous sommes pris en otages.
- Je me dois donc de contenter le terrible Grendel !
- Oui ! clama ĺsland en retroussa ses lèvres sur sa dentition remplie de trous : Grrrr !
- Je m'exécute au plus vite, ô terrible monstre ! surenchérit Danmörk en s'agenouillant pour sortir un paquet de chiffons de son sac de toile qu'il tendit à l'enfant. Interloqué, ĺsland en perdit son superbe grognement mais n'en attrapa pas moins vivement le paquet que ses petites mains potelées ne tardèrent pas à déballer, dévoilant le cadeau.
C'était une peluche.
Le tissu utilisé était un peu revêche mais rembourré d'une laine de qualité. Des crins de chevaux épais et solidement attachés garnissaient sa tête et son long cou. L'animal, ou l'être, avait quatre pattes aux bouts ronds, une longue queue de serpent, une tête aux bords doux, longue et surmontée de deux oreilles pointues et de deux petites cornes en andouiller. Les deux yeux étaient des coquillages à la vive couleur, d'une taille semblable et répartis parallèlement. La facture de l'objet était belle et Danmörk était fier de sa trouvaille.
Pourtant, ĺsland ne disait rien, ne réagissait pas, se contentant de fixer la peluche en la retournant dans tous les sens et Danmörk perdit son arrogante fierté.
- ĺs ?
- Dan t'a aussi offert une énigme, commenta soudainement Nóreegr qui s'était penché par-dessus l'épaule du petit pour observer l'objet. Danmörk fit la moue.
- C'est un dragon !
- Où sont ses ailes ? remarqua Nóreegr sans changer son ton ennuyé. La moue de Danmörk s'approfondit et il marmonna :
- Il y a des dragons terrestres en Francia.
Nóreegr haussa un sourcil circonspect. Derrière eux, Svea hocha la tête d'un air entendu.
- Cheval.
- La queue est serpentine, argua Nóreegr. Svea haussa les épaules.
- Pas assez de crins ? La tête est celle d'un cheval.
- Mais pas du tout ! gronda Danmörk, refusant que ses frères croient qu'il avait copié les petits chevaux en bois que Svea sculptait pour ĺsland. Il croisa les bras et martela avec conviction : - Un dragon ! C'est un dragon. Regardez les cornes.
- Un cerf à la rigueur, admit Nóreegr, soutenu dans l'idée par un hochement de tête de Svea. Aucun des trois adolescents n'avaient vu ĺsland quitter leur petit cercle pour aller ramasser deux feuilles et une ficelle pour les accrocher à la peluche.
- Nór, appela l'enfant en revenant secouer les chausses de son frère. Regarde.
Et il souleva la peluche avec ses deux ailes végétales et bancales, interrompant de fait la dispute. Sur sa tête, le petit macareux agitait ses vraies ailes en gazouillant du même contentement visible dans les yeux violets de son petit maître.
- Haha ! s'écria victorieusement Danmörk. Vous voyez, c'est un dragon !
- Non, le contredit doucement ĺsland. C'est un dragon-cheval-cerf.
A l'entendre calmer leur débat, Nóreegr ne put s'empêcher de le serrer contre lui, détruisant accidentellement l'une des ailes de la peluche. Les premières larmes menaçaient de couler sous leurs yeux consternés quand Svea posa une main rassurante sur les épaules tremblantes d'ĺsland.
- T'en ferais des belles.
- Je les peindrais ! ajouta aussitôt Danmörk en sautant sur ses jambes, prêt à contester qu'il s'agissait de son cadeau. Mais Svea hocha la tête avec un petit sourire satisfait. Nóreegr se pencha pour embrasser le front de son petit frère, murmurant sérieusement :
- Et je les enchanterai pour que ton dragon-cheval-cerf vole comme ton macareux.
Les yeux violets d'ĺsland, où la moindre larme avait été chassée, pétillaient maintenant d'une joie indescriptible.