Chapitre VII:
Splendeurs et Leurres du Château d'Or.
Ce chapitre est dédié aux lecteurs/lectrices qui attendent la venue d'un certain personnage féminin dans les lignes de cette histoire depuis bien longtemps. Comme le dit l'adage, la petite histoire rencontre la grande. C'est aussi le cas ici. Cette note mise à part, il est toujours possible de voter au sujet de la prochaine histoire via le poll/ sondage de ma page de profil. Bien qu'il ne s'agisse que d'une simple option, cela me permettra de voir si le temps consacré à ces écrits est apprécié. N'hésitez pas à me dire si ce chapitre vous a plu. Bonne Lecture.
" Il vaut mieux avoir à faire aux corbeaux qu'aux flatteurs ; car ceux-ci dévorent les morts et ceux-là les vivants"
Anthistène
La silhouette penchée d'un homme s'activait au travaux des champs. Ses sabots de bois s'enfonçaient profondément dans le sol trempé et la sueur coulait sur son front et ses cheveux. Il parcourait péniblement les champs, proscrit dans une tâche entre la faux et la charrue. La récolte avait été passable, le plus préoccupant étant cette pluie qui ne cessait plus depuis près d'un mois. Même un grenier à grain n'offrait pas une protection très élevée face à l'humidité. Alors qu'il regagnait les chevaux et la charrue, un son grondant lui parvint depuis l'Est, éclipsant sa progression difficile et pataugeante parmi la boue.
Il leva les yeux et aperçut un groupe de cavaliers à l'horizon le long de la route. Il vit en premier celui qui chevauchait en tête, très grand, vêtu de mailles, coiffé d'un casque à cimier à la longue queue de cheval blanche, monté sur un beau destrier, puissant et rapide. A sa suite, venaient entre quinze et vingt autres cavaliers. Leurs chevelures blondes et capes vertes ondulaient sous le jeu du souffle de l'Ouest et l'un d'entre eux portait le bel étendard du cheval blanc galopant dans un champ vert. Il se gonflait fièrement au vent, emporté par l'élan fougueux de la course. L'homme des champs fut frappé par l'éclat et la force des cavaliers, les braves gardiens du Riddermark lancés à vive allure. Il s'en retourna à ses tâches, les pensées soudain plus légères alors que la troupe disparaissait à l'horizon sur la route d'Édoras.
Éomer et son escorte eux ne remarquèrent pas l'attention de l'homme attelé aux travaux des champs. Ils allaient, lancés dans une leste course, autant que le permettait l'état du sol boueux. Cela faisait plusieurs heures depuis Aldburg à présent et la lumière n'avait plus percé depuis l'aube, ses doigts pâles masqués par de sombres humeurs.
Le Maréchal chevauchait en tête suivi de près par Éothain, l'écuyer restant toujours au plus près de son seigneur. Venaient ensuite plusieurs autres dont Wenda. Le groupe se terminait avec quatre cavaliers dont deux chevauchaient côtes à côtes, Gárulf et Cínéad. Éomer avait rassemblé à la hâte des hommes de confiance pour son départ, laissant l'agile Folstred en charge d'Aldburg pendant son absence.
Cínéad restait intrigué par ce voyage soudain. Dans ses attentes du lointain, c'était un tournant auquel il n'avait pas du tout songé. Mais il était heureux de découvrir enfin la capitale, de voir le roi et surtout fier d'avoir été choisi par le Maréchal pour l'y accompagner. Sa famille avait pensé la même chose lorsqu'il les avait informé tard la veille à son retour. Il avait beau être moins incertain qu'autrefois, une partie de lui s'agitait impatiemment à l'idée de contempler Édoras, Méduseld et le souverain de la Marche en personne. Tout le monde en Rohan louait la bonté et la sagesse de Théoden. Il ne siégeait pas sur le trône de Méduseld seulement par le sang et la lignée, il était celui le plus digne pour mener et guider les Éorlingas par ses propres qualités et c'est à cela que l'on reconnaissait un homme véritablement digne du titre de Roi. " La meilleur forteresse qu'un seigneur puisse posséder c'est avant tout l'amour de son peuple ", lui avait dit Gyldwine lors d'un récit sur les plus vieilles histoires du Riddermark. Peu d'hommes en Terre du Milieu aimaient leur seigneur comme les Rohirrim aimaient Théoden, cela ne faisait guère de doute.
Le cavalier devant Cínéad passa dans une large ornière et de l'eau boueuse jaillit dans le sillage de sa monture. Quelques gouttes d'une gerbe rencontrèrent le visage de Cínéad qui grimaça au contact. Après de brèves éclaircies, la pluie avait repris son cour sur la région, occupant le ciel sans partage depuis près d'une semaine. Ce n'était au pire qu'une légère bruine mais ce manteau de gouttes chancelantes fut de trop pour la terre qui ne put l'accueillir en son sein. Un coup d'œil à ses voisins de course informa Cínéad qu'il n'était pas le seul à subir les éclats de l'eau boueuse. Gárulf lui adressa une grimace en secouant la tête, son heaume à cimier moucheté par le fruit des intempéries.
Alors que la journée était déjà fort avancée, Éomer leva le bras et décida d'une halte. Éothain relaya son ordre et l'escorte ralentit sa course. Un des cavaliers décida de mettre pied à terre avant de se maudire lorsqu'il s'enfonça jusqu'à la cheville dans le sol fangeux. Il y eut quelques rires et Gárulf lui tendit une main secourable. Le Maréchal et son escorte prirent un peu de temps pour un repas, le premier depuis l'aube. Cinéad, lui observa, comme à son habitude, les environs.
Depuis là où ils se trouvaient, le regard portait loin, englobant les formes dominantes des montagnes enneigées. On pouvait voir plusieurs percées à leurs pieds, autant d'espaces qui s'ouvraient en de multiples petites vallées, similaire à celle d'Aldburg. Assez loin au Sud-Ouest, parmi l'un des creux les plus imposants, Cinéad crut percevoir une forme. Il plissa ses yeux perçants, une main sur son front. L'astre solaire choisit ce moment pour faire un retour bref mais fugace parmi les nuages et le jeune cavalier fut ébloui par un éclat puissant.
_" Quelle est cette lumière vive à l'horizon dans le creux de cette vallée "? Demanda-t'il à Gárulf. Ce dernier buvait à sa gourde.
_" Le château d'Or de Méduseld, jeune Cinéad ", répondit une voix derrière lui.
Éomer s'avança à ses côtés, ses yeux noirs fixés sur le rayon d'or à l'horizon.
_ " Lorsque le ciel se dégage et que la journée s'illumine, le reflet de son éclat se voit à bien des lieues à la ronde. C'est là que réside tous les Rois de la Marche depuis Brego et mon oncle nous y attend ".
Éothain se présenta et le Maréchal lui tendit les rênes de son destrier, Pieds de Feu, et mis à son tour pied à terre avant de s'éloigner.
_" J'en déduis que tu n'as jamais vu Édoras? Voilà une belle occasion pour toi alors. Tout homme de la Marche devrait pouvoir voir les salles de la Maison d'Éorl. Je t'envie à l'idée de les découvrir ", dit Gárulf.
Il avait l'air songeur en revoyant les souvenirs se rejouer devant ses yeux.
_" Je me rappelle la première fois où je les ai vu. La Grande Salle de Brego, illuminée dans l'aura rose de l'aurore montante, les halls de nos aïeux nobles et fiers devant les visages pâles où naissent les rivières du Riddermark. Et jamais je n'oublierai les lignées de souvenirs fleuries de blancs devant les portes ".
Le Maréchal choisit ce moment pour se rapprocher et s'adresser à ses hommes.
_" Nous devrions atteindre les murs d'Édoras d'ici le coucher du soleil. Maudit soit ce temps! J'aurai voulu y être au plus tôt. C'est comme si quelque chose œuvrait pour nous ralentir ".
Nul ne reprit la parole, et la halte retomba dans le silence. Le Maréchal ne lâcha pas la vallée des yeux. Les hommes, préoccupés par les inquiétudes de leur Seigneur, parlaient peu.
En retrait un peu plus loin, Cínéad et Gárulf observaient toujours la forme incertaine de la ville dans la distance.
_" J'ai de la famille à Édoras, dit ce dernier au jeune cavalier, si le devoir me le permet je serai heureux de les revoir à nouveau. Mes filles me demandant souvent des nouvelles de leur oncle. Nul ne devrait oublier les siens.
_ Je te comprends Gárulf mon ami, parla un des cavaliers. La famille inspire les hommes que nous devenons ".
Tous deux engagèrent ensuite la conversation, évoquant leurs femmes et leurs enfants. Cínéad resta poliment en retrait, écoutant d'une oreille distraite.
Prendre soin des siens était le devoir de tout rohirrim et aussi celui d'un père. Le jeune cavalier voyait un bel exemple en la matière en la personne de Gárulf, homme loyal et honorable s'il en était.
_" Il y a autre chose mes hommes ", reprit alors le Maréchal, tous faisant silence pour l'écouter.
Il paraissait réticent à continuer et ceux qui servaient à ses côtés depuis longtemps et le connaissaient bien comprirent que ses paroles étaient graves ;
_" Vous savez que je n'apprécie guère le conseiller du Roi, l'estimé Gríma Langue de Serpent et cela est réciproque. Le prestige de sa fonction et la confiance que lui accorde le Roi lui ont permis d'accroître considérablement son influence. On ne devient pas conseiller du roi sans avoir des yeux partout et cela vaut double concernant Gríma. Je ne suis pas venu pour converser avec lui mais aussi déplaisante que sera cette tâche il faudra l'assumer. En entrant à Méduseld à mes côtés, vous vous exposez à son regard tout comme moi, soyez-en conscients ".
Un murmure d'approbation et de cliquetis métallique causé par le hochement des têtes casquées se répandit parmi les hommes. Ils étaient tous des cavaliers du Riddermark mais leur loyauté allait avant tout à leur Seigneur.
_ " Qu'importe les paroles du Serpent, je serai à vos côtés Seigneur, parla Éothain.
_ Si je puis me permettre Seigneur, quelle est l'objet de votre visite? Nous sommes plus nombreux que la dernière fois, remarqua Wenda.
_ Il me faut voir mon cousin, Théodred. Certains sujets ne conviennent guère aux lettres et aux messages".
Éomer n'en dit rien mais il s'inquiétait aussi pour son oncle et sa sœur. Pourtant, Théodred lui avait assuré qu'il n'avait pas à s'en faire à leur sujet. Le Prince aimait beaucoup sa cousine et tous deux passaient beaucoup de temps ensemble quand il était à Édoras. Éowyn avait sa plus proche famille auprès d'elle malgré l'absence de son frère. Le fils de Théoden avait le cœur pur et l'âme généreuse. Néanmoins, Éomer ne pouvait s'empêcher de se dire que Théodred sous-estimait la portée des mots et des gestes d'un homme comme Gríma. L'honneur et la loyauté le rendait aveugle et insensible au mensonge et à la fourberie, des armes que le serpent ne maniait que trop bien. Si seulement son oncle pouvait retrouver la vigueur de sa jeunesse tempérée par la sagacité de ses longues années de règne!
Détournant la tête du reflet doré dans la distance, le Maréchal reprit son air droit et sévère et parla d'une voix forte :
_" Allons! Hâtons-nous! Il nous faut atteindre Édoras avant la nuit ".
Les hommes s'empressèrent de s'exécuter et l'escorte reprit sa course vers les pentes de la vallée scintillante.
Une peu plus d'une heure était passée quand le groupe de cavalier atteignit les berges d'une blanche rivière. Ils passèrent le cour d'eau à gué, entre les pierres et le remous ambiant de l'eau.
Elle jaillissait des collines bordant les montagnes. La rivière décrivait un cercle pour s'en aller au loin dans la plaine verdoyante, descendant parmi les roseaux pour rejoindre le cour de l'Entalluve. D'autres petits ruisseaux, partageant le même foyer en amont, couraient aussi à travers l'herbe des prairies jusqu'aux eaux sylvestres du fleuve. Le gué était large et bien entretenu par le passage fréquent des hommes et des chevaux. Dans la distance, on pouvait voir les formes oscillantes de plusieurs grands saules dont les ombres couvraient les fraîches eaux. Dans la dernière heure du jour, des rayons pourpres apparurent depuis la couronne des montagnes sur leur gauche, tamisant la route d'une teinte rougeoyante jusqu'à ce que le grand astre disparaisse derrière les géants enneigés.
La nuit était tombée quand ils atteignirent les portes d'Édoras. Les dernières traces du jour disparurent du ciel et le reflet éclatant du château d'or se ternit avec la chute du crépuscule. La haute forme de la capitale du Rohan se détachait parmi les flancs de la vallée. Le groupe de cavalier ralentit l'allure à mesure que le fossé et les murs entourant Édoras se faisaient plus nets dans la pénombre montante.
Gárulf fit alors signe à Cínéad et il les vit : la route s'étirait jusqu'aux portes mais peu avant s'étendait une double rangée de tertres. Ils se trouvaient là, gardiens endormis de l'entrée de la capitale du Rohan. De petites fleurs blanches en couronnaient les sommets, pâles et brillantes sous le regard des étoiles et du lune. Les symbelmÿne fleurissaient là où reposent les hommes valeureux, souvenirs éternels des vies passées. Éomer et les siens avaient atteint les deux lignes de tertres des Rois de la Marche où reposaient les seigneurs du Riddermark. Deux rangées pour deux lignées et cinq cents printemps et autant d'hivers. Grâce aux nombreuses histoires et chansons de Gyldwine, Cínéad connaissait chacun d'entre eux :
Tout commençait avec Éorl le Jeune, Vainqueur du Champ du Célébrant et père du Riddermark. À sa suite venaient les tertres de Brégo constructeur de la salle, Aldor l'Ancien, frère de Baldor l'infortuné, Fria, Fréawine, Goldwine, Déor, Gram et Helm Poing de Marteau qui se réfugia dans le Gouffre de Helm lorsque ceux du Pays de Dun envahirent la marche lors du Long Hiver. Sur ce dernier tertre, fleurissaient tant de symbelmÿne, qu'il semblait recouvert de neige. Avec Helm, s'acheva la première rangée car le Roi avait perdu ses fils, Hàma et Haleth au cours d'une sortie et lorsqu'on le découvrit sans vie lors du siège, un matin d'hiver, ce fut son neveu Fréalaf qui fut choisi pour lui succéder. Ainsi commençait la deuxième lignée des Rois de la Marche et avec elle la seconde rangée de tertres ; Fréalaf, Brydda dit Léofa dont Gyldwine avait chanté les exploits la veille, Walda, Folca Vainqueur du Sanglier d'Everholt, Folcwine, Fengal, et enfin Thengel père du Roi Théoden.
Le regard des étoiles sur les enfants endormis d'Éorl créa un climat étrange en ce lieu de contemplation où calme et tristesse ne faisaient plus qu'un. Cínéad ne put détourner son regard des pelouses fleuries, une impression solennelle dans sa poitrine. Derrière lui, Éomer observait chacun des tertres, comme il le faisait à chaque visite à Édoras. Il honorait les rois du passé, présentant ses respects silencieux aux seigneurs du royaume auquel il avait voué sa vie. Le groupe de cavalier marqua une halte et chacun rendit hommage aux seigneurs d'autrefois. Néanmoins, ils ne purent s'attarder car, soudain, on cria depuis les murs. Cínéad perçut du mouvement sur les remparts et plusieurs flammes s'agitèrent sur le parapet surmontant les portes. Une voix forte et remplie de soupçons s'adressa à eux dans la langue de la Marche :
_ " Halte là! Par ordre de Messire Gríma, Conseiller de Théoden Roi, toute personne souhaitant pénétrer à Édoras doit présenter le motif de sa venue, fut-elle du Riddermark ou étrangère ".
Il y eut un flot de murmures parmi l'escorte du Maréchal et plusieurs hommes parurent indignés.
Cínéad entendit Éothain retenir sans succès un juron en crispant ses mains sur sa bride. Gárulf lui même, d'ordinaire calme et réfléchi, parut surpris et blessé mais Éomer reconnut la voix s'adressant à eux et parla d'un air haut et franc :
_" Allons Derngel! Voilà des mots bien durs dans ta bouche. Mes cavaliers et moi chevauchons depuis l'aube! La route est longue depuis Aldburg par un tel temps! Ouvrez-nous donc et allez quérir Háma, j'ai à lui parler avant d'aller voir mon oncle et d'après ce que je vois, le plus tôt sera le mieux ".
Son ton était clair et imposait le commandement et beaucoup à ses côtés virent la majesté de la Maison d'Éorl émanait de lui telle une aura.
On entendit l'étonnement de l'homme et il fut proche de défaillir sous le choc.
_ " Bien entendu Maréchal, mes excuses. Il en sera fait ainsi. Allez tas de paille on se secoue! Ne fais pas attendre le Seigneur s'exclama la sentinelle en secouant un de ses camarades à moitié assoupi. Ouvrez les portes "!
Éothain passa devant Cínéad et le jeune cavalier put voir son visage marqué par l'amertume et les prémisses de la colère. Le fidèle écuyer s'emportait facilement et à ses yeux, il était inconcevable que l'on s'adresse de la sorte à son seigneur.
_ " Pourquoi tant de méfiance? À quoi joue Gríma murmura Gárulf pour lui-même. Tout fils ou ami du Riddermark devait être le bienvenu à Édoras ".
Cinéad fronça les sourcils à cette remarque. Lui aussi était une sentinelle et il avait du mal à concevoir que ses camarades guetteurs d'Aldburg puissent agir de la sorte envers ceux visitant son foyer. Il était difficile d'imaginer que le Roi ait pu relayer de telles instructions aux sentinelles. Théoden n'était pas un seigneur méprisant. Sans un mot, l'escorte du Maréchal passa les portes.
Édoras s'ouvrit sur une large allée pavée de pierres taillées. Elle poursuivait sur une certaine distance jusqu'aux hauteurs du piton rocheux où se dressait le château. De nombreuses maisons et chaumières de pailles et de bois longeaient chaque côté de l'avenue. La nuit était encore jeune mais peu de lumières s'y voyait hormis les quelques rares éclats d'un feu à l'intérieur. Une rigole abritant un petit ruisseau clair et vif bordait la grande allée. Ils remontèrent son cour jusqu'aux écuries où chacun mit pied à terre et confia sa monture au palefrenier. Cínéad fit ses adieux à Fenrhim et suivit son seigneur, Gárulf devant lui. L'allée pavée s'éleva avant de déboucher sur une place surmontant la colline qu'ils venaient de gravir.
Au dessus, se voyait une terrasse et les contreforts mêmes des hauteurs sur lesquels reposait le château d'or de Méduseld. La source du ruisseau jaillissait d'une fontaine à tête de cheval. Elle retombait dans un bassin où l'eau filait calmement avant de descendre par la rigole le long du chemin d'où ils étaient venus. Un large et bel escalier de pierre montait depuis la place jusqu'aux seuil des portes du château. Des bancs et sièges de pierre étaient creusés à même le roc le long des marches et on distinguait la forme de plusieurs hommes s'y trouvant assis.
En les voyant, l'un deux se leva et vint à leur rencontre. D'autres le suivirent, torches en main et bientôt une quinzaines de gardes se retrouvèrent au pied de l'escalier devant Éomer et les siens. Celui à leur tête parla en premier. Il avait une riche chevelure blonde teintée de feu qui vibrait d'un bel éclat à la lueur des torches. Son nom était Háma, conseiller et Huissier du Roi Théoden et membre de la Garde Royale du Riddermark.
_ " Seigneur Éomer, un honneur de vous revoir.
_ Salut à toi Háma. Pardonnes mes rudes manières mais il me faut t'avouer ma surprise. J'ai rencontré nombre d'hommes, en ce pays, à Mundburg et dans les collines mais jamais ils n'ont eu des mots si froids que ceux des sentinelles en poste aux portes.
Háma parut triste et résigné :
_ " Cela est, je crains, de ma faute Seigneur. Messire Gríma est un homme très prudent, il m'a demandé d'accroître la vigilance de la garde. Les ordres en vont ainsi.
_ Voilà qui est malheureux mais guère surprenant. Puis-je voir mon oncle?
_ Je ne sais pas si le roi sera apte à vous recevoir Seigneur, il semblait fatigué lors du repas. Mais votre sœur sera certainement ravie de vous revoir.
Le Maréchal s'avança et son escorte lui emboîta le pas mais Háma et les siens ne bougèrent pas. Les deux groupes d'hommes de La Marche se firent face et la tension monta dans l'air doux de la nuit.
L'huissier parut hésitant et Éomer s'en aperçut, l'interrogeant du regard.
_" Qui a t-il?
_ Gríma a donné l'ordre de saisir toute arme en possession de quiconque sera admis à Méduseld. Je doute toutefois que cela s'applique au neveu même du roi et à ses compagnons mais la voix du conseiller du roi fait loi ".
Éomer ne dit rien, frappé par la surprise. Un flot de protestations s'éleva parmi les hommes. Obéir et remettre ses armes signifiait perdre son honneur et sa fierté d'homme libre. Nul parmi les Rohirrim ne pouvaient accepter une telle chose. Éothain, s'emporta, mue par la colère et oublia la retenue de son seigneur :
_" Pour qui se prend ce Serpent? Malheureux, sais-tu à qui tu t'adresses?
_ Mon épée sert le Maréchal et Théoden Roi en homme libre, nul ne m'imposera le contraire s'indigna un autre.
_ Autant nous cracher au visage! Quelle est cette insulte ? Sommes-nous traités en laquais? Pensez-vous vraiment que nous oserons tirer l'acier contre Théoden Roi? S'exclama Gárulf, très touché par une telle mesure.
Beaucoup approuvèrent avec ferveur les paroles du cavalier et la contestation n'en fut que plus vive. Wenda s'avança même de quelques pas, prêt à défier ouvertement l'huissier et les siens mais le Maréchal l'arrêta d'un regard. Car Éomer, bien qu'affecté par toutes ces paroles, restait un seigneur apte à guider et mener les hommes. Il parla d'un ton aimable mais franc :
_" Allons Háma, nul besoin d'en venir aussi loin. Que diraient nos ancêtres qui dorment parmi les symbelmÿne s'ils nous voyez? Nous sommes tous fils d'Éorl ici.
Les mots du Maréchal touchèrent Háma et il comprit la folie d'appliquer pareille requête et s'en dissuada dans l'instant.
_" Bien-sûr Seigneur, vous avez raison. Je vous présente mes excuses, oubliez mes paroles hâtives.
La tension s'envola aussi vite qu'elle était apparue et les hommes se relâchèrent. La méfiance ne quitta toutefois pas certains des visages parmi l'escorte du Maréchal. Jusqu'à présent, les mises en garde de leur seigneur ne s'étaient révélées que trop vraies.
_" Je vais donner des ordres pour que votre escorte soit cordialement reçue. Il compta rapidement la file des hommes d'Aldburg. Vingt couches donc, vingt-et-une avec vous Seigneur bien-sûr. Veuillez me suivre ".
La file d'hommes gravit le grand escalier jusqu'aux larges portes du château d'or. Elles s'ouvrirent devant eux dans un grincement imposant alors que les gardes ôtaient les lourdes barres les maintenant closes.
Il faisait sombre lorsqu'ils pénètrent à l'intérieur et un air chaud les enveloppa. Ceux qui avaient gardé heaumes et casques s'empressèrent de les enlever. C'était le lieu le plus grand et majestueux que Cínéad ait jamais vu. Une salle large et imposante s'étendaient devant l'escorte du maréchal. Les lumières et les ombres oscillaient parmi de puissants piliers richement sculptés tenant en place la haute voûte au dessus d'eux. Dans l'axe central se trouvait un âtre où brûlait un feu aux faibles flammes tombantes. Au sein des premières heures de la nuit, la salle était enveloppée d'un voile de pénombre et le ciel se dégageaient peu des fenêtres et de l'ouverture de la voûte par où s'échappait la fumée. Loin, en face d'eux, se dressait une estrade surélevée par trois marches sur laquelle on distinguait un unique fauteuil dorée vide. La lumière ne portait pas au delà du siège royal.
Les cavaliers emboitèrent le pas d'Éomer lorsque celui s'avança d'un pas lent parmi les piliers. Cínéad remarqua que le sol était recouvert de multiples dalles et tomettes aux teintes variées porteuses de symboles et de runes dans la langue de la Marche. Au delà des colonnes, les murs étaient habillés de nombreuses teintures et tapisseries dont les motifs paraissaient effacés dans la faible lumière. La plupart reconnurent toutefois sans problème la figure de la plus imposante d'entre elles, celle d'un homme jeune à la longue chevelure de lin blond, monté sur un splendide cheval blanc dont la robe vibrait parmi les couleurs malgré l'obscurité de la salle. Son cavalier, sonnait d'un grand cor et le destrier hennissait fièrement, prêt à porter son compagnon vers les éclats de la bataille.
_" Éorl et Felaróf aux Champs du Celebrant ", murmura Cínéad en contemplant la scène brodée.
Gárulf hocha la tête en suivant le regard de son jeune camarade mais lui fit signe de continuer car le reste de l'escorte les précédait à présent de plusieurs mètres. Éomer se présenta à une dizaine de pas de l'estrade mais le trône était vacant. Il n'y avait nulle trace du Roi. L'huissier Háma sembla surpris mais cela passa quand quelqu'un se présenta devant eux.
Une femme jeune , pâle, vêtue de blanc et d'argent, s'avança. Le Maréchal s'élança à sa rencontre et la serra dans ses bras sans retenue. Elle avait des cheveux blonds plus éclatants que la teinte lin habituelle des Rohirrim. Un air fier et droit figurait sur son visage blanc aux yeux clairs, l'image des eaux froides des neiges traversant les plaines verdoyantes du Rohan. Elle était Fille de Rois, femme d'un peuple fort et hardi et nul homme ne pensait le contraire.
La droiture disparut lorsque le Maréchal la prit dans ses bras et elle parut heureuse et soulagée comme si des semaines d'inquiétudes avaient soudain disparu des traits de son beau visage. Cínéad n'avait jamais rencontré une dame semblable et il en fut troublé. Sa vue inspirait des images inconnues en lui. Il pensa un instant que le seigneur Boromir et elle se ressemblaient d'une certaine manière.
_" Qu'il est bon de te revoir Éowyn, ma sœur. Où est notre oncle?
_Il se sentait las après le repas et a regagné sa chambre. Je pensais lui rendre visite pour voir comment il se portait quand on m'a annoncé ton arrivée. Te voir me réchauffe le cœur Éomer "!
Le Maréchal sourit et la fatigue et les soupçons de la chevauchée s'évanouirent. Cínéad ne l'avait jamais vu aussi candide et ravi. Mais cela ne dura pas.
_" Et quand est-il de Gríma?
_ J'ignore où il p...
_ Qu'il est aimable de votre part de vous inquiéter à mon sujet, Éomer fils d'Éomund "! Parla alors une voix profonde d'un air faussement enjoué.
Un homme sombre vêtu de noir émergea de la pénombre derrière le trône vide. Sa peau était blanche comme la neige et ses yeux pâles aux lourdes paupières brillaient d'un éclat vigilant. Il n'accorda pas un regard à la petite troupe derrière Éomer, son attention fixée, telle celle d'un prédateur en chasse, sur le Maréchal.
_" Serpent... ", salua ce dernier
L'homme pâle baissa très légèrement la tête, comme si ce geste de respect lui en coûté.
_" Quel bon vent vous amène à Édoras? C'est toujours un plaisir de voir le fringant neveu du Roi à Méduseld.
_ Épargnez-moi les fausses modesties Gríma, je ne suis pas d'humeur à m'entretenir avec vous. Où est Théodred?
_ Le Prince est en Ouestfolde depuis deux jours. Il y œuvre avec une grande attention, faisant honneur à ses fonctions * . Son père le Roi compte beaucoup sur lui. Quel dommage que si peu de descendants de la Maison d'Éorl aient hérité de sa mesure et de sa bravoure!
_ Et quel regret que la fonction de certains prévienne tout dommage fait à leur langue! Parla Éowyn.
_ Allons gente dame, je ne suis qu'un humble serviteur du Rohan, conseiller du Roi, par la vénérable grâce de votre oncle. Ma vie est dédiée au Riddermark autant que celle de votre fougueux frère. La force de l'esprit tout comme celle du bras agissent au nom du Roi. Il est malgré tout regrettable que la première ait tendance à se perdre chez les hommes de hauts lignages.
Cela sembla beaucoup l'amuser. Ses joues étaient gonflées par un rictus tiré. L'escorte du Maréchal resta figée dans le silence, spectatrice de l'échange tendu entre deux des plus puissants hommes du royaume. Éomer perdit sa retenue et s'emporta. Il allait répondre d'une réplique cinglante quand sa sœur s'interposa :
_" Gríma, soyez-aimable, mon frère est fatigué de sa chevauchée. Arrangez-donc une audience avec le roi demain voulez-vous?
_ Bien-sûr, gente dame, je suis certain que le Roi sera transporté de joie à l'idée de revoir son cher neveu. Après-tout, il y a bien longtemps que vous ne lui avez pas fais l'honneur de votre présence... "
Un sourire narquois, plein de malice se dessina sur ses lèvres et le conseiller se retira parmi les ombres derrière le trône d'où il était apparu. Son départ laissa place à un climat lourd et glacé où nul n'osa prendre la parole. Seul les rares craquements du feu mourant se firent entendre.
Enfin, Háma, l'huissier, brisa le silence :
_ " Mon seigneur, je vais conduire vos camarades à leurs quartiers, à moins que vous n'ayez besoin d'autre chose "?
Éomer n'ajouta rien la main de sa sœur dans la sienne. L'huissier hocha la tête et quitta la grande salle, les cavaliers d'Aldburg à sa suite. Éothain s'attarda un moment, une question dans le regard mais finit par comprendre que le Maréchal n'avait pas besoin de ses services pour le temps présent.
_" Ce vil serpent! S'exclama Éomer, une fois qu'Éowyn et lui furent seuls dans ses quartiers.
_ Oublies-le mon frère, tu le reverras bien assez tôt. Comment vas-tu? Tu as l'air fatigué.
_ Ce n'est rien, juste un voyage las. Il y a des sujets plus pressants à l'ordre du jour.
_ Rien ne s'arrangera si tu te surmènes, tu le sais ".
Éomer approuva faiblement de la tête. Cela ressemblait bien à Éowyn, toujours à s'inquiéter du plus profond de son cœur pour ses proches. Il l'ignorait en partie mais sa sœur pensait la même chose à son sujet.
_ " Quand est-il de toi? Ça c'est important ".
Éowyn soupira et sa main se mit à trembler.
_" Souvent, quand Théodred n'est pas là, j'ai l'impression que ces murs se referment sur moi, d'en être prisonnière.
_ Nous avons grandi ici, chaque pierre de ce château nous est familière.
_ Ce n'est pas Méduseld mais l'atmosphère qui s'en dégage. Tout se fait froid, silencieux.. comme une veillée pour les morts. Je n'aime pas ça Éomer.
_ Est-ce lui?
La blanche Dame de Rohan mit un long moment à répondre, des souvenirs remplis de regards dérobés et insistants hantant ses pensées.
_" Il n'est pas le seul, enfin il ne l'est plus. Notre oncle s'affaisse de jour en jour tel un vieil arbre. Il perd l'adage de la parole. Háma ne reçoit plus aucun ordre de lui. C'est à peine si mes mots ou ceux de Théodred lui parviennent. Seul Gríma a sa pleine attention. J'ai peur mon frère, que notre oncle ne puisse bientôt plus agir sans lui, tel un vieillard dépendant de sa cane.
_ Pourtant, notre oncle a toujours été véloce et vigoureux même dans la vieillesse. Il allait en selle plus vite que certains des meilleurs cavaliers de mon éored il y a seulement quelques années!
_ C'est lui mon frère, j'en suis convaincue. Tout ce qu'il approche devient âpre et finit par dépérir.
_ En es-tu certaine? Tu sais que je hais ce serpent et ses murmures mais pour les viles conseils qu'il dissimule sous ses sifflements, il n'est qu'un conseiller. Aucun homme ne peut en contrôler un autre par la parole.
_ Il y en a qui le peuvent...
_ Ce sont là des ruses et des artifices maléfiques ma sœur, les armes de l'ennemi, celles du Seigneur du Pays Noir avec lesquelles il a dressé les Haradrims et les Hommes de l'Est contre nos alliés de Mundburg. Gríma a beau être sournois et méprisable, il n'est rien face à cela. Ses crocs ne détiennent pas un tel venin ".
Éowyn regarda son frère avec intensité, ses yeux brûlant d'émotions trop longtemps enfouies et réduites au silence.
_" Tu ne le connais pas Éomer. Tu ne le vois que pour échanger des piques et t'opposer à ses décisions. Il est plus dangereux qu'il n'y paraît à biens des égards ".
Éomer saisit les mains de sa sœur et les serra. Sa voix fut droite et solennelle comme s'il jurait un serment :
_" Je te promet qu'il ne tentera jamais rien sans en payer le prix. Comme il se plaît à l'insinuer, ce serpent est rusé, il ne t'approchera plus directement sous les yeux de Théodred et Aldburg à moins d'une journée de cheval d'Édoras. Tout conseiller du roi qu'il soit, il n'est rien devant la Maison d'Éorl et mon épée, autant que cela l'amuse de m'insulter ".
Elle approuva mais ne parut pas totalement rassurée. Son frère était rarement à Méduseld et les devoirs de son cousin l'éloignaient souvent d'elle. Hélas, avec la lente descente de Théoden dans le mutisme rien n'allait s'arranger.
_" Comment va Théodred? Je ne l'ai pas revu depuis la venue du Seigneur Boromir et sa dernière lettre était coure et hâtive.
_ Il se portait bien à son départ il y a quelques jours mais je crains que ce ne soit qu'une façade. Je crois que de nous tous, l'état de son père l'affecte le plus. Il prend ses devoirs comme une occasion d'échapper ces couloirs et le triste spectacle de notre oncle. Le pire est qu'il s'y retrouve impuissant et cela le désespère. Gríma n'est pas le seul à murmurer. Beaucoup entre ces murs pensent que le temps de Théodred approche à grands pas.
Éomer n'avait pas de réponses à ces inquiétudes et resta pensif, le regard plongé dans les cheveux de sa sœur. Il savait que son oncle n'était pas éternel et il était fier à l'idée de servir son un jour son cousin quand l'heure serait venue mais quelque chose le perturbait. La volonté de fer de Théoden roi n'était pas si facilement ébranlée. Il avait connu des heures sombres tout au long de son règne ; la perte de son épouse, la reine Elfhild en couche peu après la naissance de Théodred, la mort de son vaillant parent Éomund et de sa sœur Théodwyn, emportée par le chagrin. Malgré toutes ces terribles épreuves, le fils de Thengel n'avait jamais cédé. Le voir dépérir si facilement en quelques mois n'avait rien de réconfortant.
_" Nous avons aussi eu des nouvelles du seigneur Boromir. Mais je crains qu'elles ne soient pas bonnes ".
Le Maréchal interrogea Éowyn du regard. Sa famille souffrait déjà suffisamment, fallait-il y ajouter les peines d'un des hommes qu'il admirait le plus en ce monde? Le malheur n'arrivait jamais seul.
_" Son cheval est revenu sans cavalier. Ce sont les hommes de Théodred qui l'ont reconnu. Il ne portait aucune blessure ni traces de combats et était chargé de provisions et de couvertures.
_ Hélas! Dur est le monde pour les hommes vaillants en ces jours! Nous ne pouvons plus rien pour lui à présent! J'espère dans mon cœur qu'il saura trouver son chemin jusqu'à cette vallée elfique où réside les réponses à ses questions. Le Gondor et les Hommes ont cruellement besoin d'un meneur tel que lui en ces temps de misères. Je suis déjà allé à Mundburg en temps de paix et beaucoup là-bas l'observaient avec une admiration brillante dans leurs yeux. Jamais je n'avais vu une telle dévotion envers un capitaine ".
Éowyn approuva, se rappelant l'image du fier homme de Gondor lors de son passage à Édoras, deux mois auparavant.
_ "Il m'a semblé distant, comme si un grand fardeau reposait sur ses épaules.
_ C'est bien compréhensible. J'ai une grande admiration pour lui et pourtant je ne pourrai suivre son chemin. Cruel doit être le sentiment qui est le sien, s'engager dans un voyage à l'aveugle pour sauver son peuple alors que tous en Gondor l'adulent de louanges et placent leurs espoirs en lui. Il doit véritablement aimer son frère plus que tout.
_ Tu songes bien trop aux regards des autres et pas assez à ce qui réside dans leurs cœurs mon frère. Beaucoup dans ce pays voient en toi et Théodred ce que le Seigneur Boromir est en Gondor.
_ Et je donnerai tout en mon pouvoir pour remplir mon devoir et honorer cette confiance. Théodred m'a presque tout appris, il sera un grand roi un jour, j'en suis persuadé ".
Éowyn était absente et son visage pâle alors qu'elle scruta la nuit depuis la fenêtre.
_" Il est tard mon frère et tu es fatigué. Nous avons bien trop conversé et l'heure avance. Tu as besoin de repos et tu le sais ".
Elle baisa son front. Les Enfants d'Éomund se séparèrent pour la nuit.
Les Hommes d'Aldburg étaient plongés dans une discussion animée. On les avait conduit dans deux larges salles dans lesquelles on avait disposé une longue table et des couches pour la nuit. Il était assez tard mais l'accueil inattendu qu'on leur avait réservé et l'échange entre leur Seigneur et Gríma étaient encore trop présents dans les esprits pour que les hommes songent à s'en remettre au sommeil. Éothain fut le dernier à les rejoindre. Il avait l'air contrarié et désemparé. Wenda le railla en riant d'un ton quelque peu moqueur :
_" Allons Éothain! Relâches un peu tes épaules! Tu n'es pas un valet ou une servante! Le Maréchal peut bien vaquer quelques heures sans que tu t'en inquiètes! Ah, ces écuyers!
Il y eut quelques rires parmi les hommes. Éothain en revanche fut piqué au vif, le visage écarlate.
_" Voilà donc à quoi ressemble le château d'Or. Je n'arrive pas à croire que je vais dormir là où tout les Rois depuis Brego ont résidé ", dit Cínéad en observant la haute et puissante charpente du plafond. Rien que la salle où ils se trouvaient pouvait contenir une vingtaine de fois la modeste chaumière où il avait grandi.
_" Je te comprends commenta Gárulf. Au moins nous dormirons en paix ici bien que ma joie de revoir ce lieu ait été de courte durée. Sommes-nous des Rohirrim ou des étrangers en ces murs? À quoi joue donc Gríma "?
Il y eut plusieurs approbations chez ses camarades.
_" Théoden roi est sage et si Messire Gríma a sa confiance alors cela devrait nous suffire à tous. Les temps sombre attisent la vigilance, parla un autre, plus mesuré.
_ Que le Dwimorberg emporte Gríma! Pesta Éothain. Croit-il être en mesure d'insulter un membre de la maison d'Éorl ?
_ Et c'est exactement pour cette raison qu'il est le conseiller du roi et toi un simple écuyer Éothain, intervint Wenda. Ceux de sa fonction s'échangent les mots et les remarques comme les chevaux s'échangent ruades et coups de sabots. Ces propos cyniques ne sont qu'un outil de la parole. Tout comme vous, je n'ai pas aimé l'accueil qu'on nous a fait et je suis pas d'accord avec toutes ces positions mais c'est un homme habile, on ne saurait le nier.
_ Habile ne veux pas dire juste où sage dit Gárulf.
_ Certes, reprit Wenda, mais je ne pense pas qu'il soit dépourvu de l'un comme de l'autre. Mais nous ne devrions pas parler de pareils sujets. Ce sont des affaires entre Messire Gríma et le Maréchal, cela ne nous regarde que fort peu. Il est insultant de converser ainsi de son hôte sous son propre toit ".
Cínéad avait été surpris par la facilité avec laquelle le conseiller du roi maniait les mots. C'était sans doute l'une des raisons qui expliquait l'importance de sa fonction auprès du Roi. En pensant à ce dernier, Cínéad imaginait déjà de quoi serait faite la journée de demain. Peut-être aurait-il la chance de voir Théoden Roi. Il tourna la tête pour admirer les fresques et autres scènes figurées autour d'eux, des images et des gestes plein la tête.
Gárulf s'en aperçut et sourit :
_" Je ne te pensais pas si émotif. Les couloirs de Méduseld t'affectent tant que ça? Peut-être que ce ménestrel t'as trop rempli la tête de chansons et de légendes ".
Le jeune cavalier ria. Ce n'était toutefois pas à Gyldwine et à ses histoires qu'il pensa en rejoignant sa couche mais au Roi et au visage fier de la Banche Dame d'Édoras.
La dernière heure de la nuit parut, tout Méduseld était endormi et la pénombre régnait dans le château d'or. C'est dans ce théâtre plongé dans la torpeur nocturne que le serpent entra en jeu. Une forme noire glissa tout près de l'estrade et du trône pour disparaître derrière l'un des grands piliers soutenant le plafond. Et elle attendit, grimaçant à la lueur des étoiles qui perçait à travers les fenêtres jusqu'à sa face pâle aux lourdes paupières. Enfin, Grima perçut le son léger des pas d'un homme qui s'annonçait. Son ombre se profila entre les piliers et seuls les visages des fresques et tapisseries furent témoins de son passage. Grima ne bougea pas, le dos appuyé contre la pierre froide du pilier. Lorsque les pas furent tout près de sa cachette, il aborda le nouveau venu :
_" Enfin! Tu m'as fais attendre "!
Son ton étais mauvais et dangereusement bas.
_" Mes excuses seigneur, j'ai pris soin de ne pas être vu.
_ Il vaudrait mieux oui. Ma fonction me permet d'agir à ma guise entre ces murs mais tel n'est pas ton cas ... Bien, qu'as-tu à m'apprendre depuis ton dernier rapport? Sois-bref!
_ Je crains qu'il n'y ait beaucoup à dire et assez peu à en tirer. Le Maréchal a été fort occupé ces dernières semaines. Il a de nombreuses affaires à gérer et s'y attèle avec un authentique dévouement et un profond sens du devoir. Il est très proche de ses sujets, généreux, bon et juste dans ses actions ".
Le conseiller du Roi pinça des lèvres. Ce n'était jamais bon signe.
_" Est-ce de l'admiration que je perçois dans ta voix? Rappelles-toi qui tu sers, Théoden Roi en mon nom ou Éomer?
_Vous bien-sûr seigneur, s'empressa de répondre son informateur, mais un homme est libre d'éprouver du respect pour une personne comme le Maréchal.
Cette réponse ne plut pas du tout à Grima. Il cracha au sol. Éomer le dégouté, il était tout ce que le conseiller ne serait jamais ; grand, fort, beau, juste et surtout aimé de tous.
_" Parles-moi de ces mouvements. En-vois tu un d'exploitable? Un homme si admirable doit forcément s'exposer à quelques reprises.
_ Difficilement Seigneur. Il est très prudent, attentif et toujours bien entouré comme vous l'avez vu. Ses compagnons lui sont entièrement dévoués. Ils ne vous apprécient guère d'ailleurs ".
Grima ricana.
" Pas entièrement non, sinon tu ne serais pas là ", pensa-t'il.
_" Nous n'aurons plus une occasion telle que celle de Juillet avant un moment continua l'homme.
_ Ah oui, cette fameuse horde de Montagnards du Pays de Dun *. Une honte que ce plan ait échoué. Éomer avait mordu à l'appât avec des mâchoires d'aciers. Il m'avait fallu des jours pour mettre en place un tel piège. Mais cette racaille a tout fait échouer! Des larves tous autant qu'ils sont! Même une engeance de gobelin leur est supérieure!
_ C'est la faute de cet idiot, Aethriff. Il devait me retrouver au relais des gardes cette nuit-là afin de planifier l'embuscade. Le signal était une torche éteinte mais ce crétin est venu trop tôt! Il s'est présenté à portée d'arc et l'un des guetteurs l'a accueilli d'une flèche en plein cœur! Sans leur chef, la vermine de Dun n'a pas duré un jour sans mutinerie. L'attrait du pillage n'a pas tardé à les déchirer.
_ Oui, voilà qui fut fort fâcheux. Heureusement son idiotie lui a couté la vie. Les conséquences auraient été terribles s'il avait parlé. Le piège aurait pu se retourner contre nous...
Et Grima en savait bien plus que l'entendaient ces quelques mots. Il avait tout planifié dans le moindre détail : l'appât, l'échange entre son informateur et les hommes de Dun, ainsi que la missive convoquant Éomer sur le champ à Édoras. L'idée, était bien évidement que le messager lui rapporte la triste et malheureuse nouvelle de la mort du Maréchal. Mais il n'en fut rien, bien au contraire.
Éomer s'était bien-sûr empressé d'apporter la nouvelle devant Théoden. Le Roi avait été interloqué ; des Hommes du Pays de Dun, en plein sur ses terres? Mais fort heureusement, Gríma avait facilement réussi à balayer les soupçons du Maréchal d'un revers de la main. Pour toutes ses qualités, Éomer était encore bien loin d'être aussi malin que lui. Théoden avait rapidement jugé qu'il s'agissait d'un cas isolé et l'affaire avait disparu comme si elle n'avait jamais existé. Gríma se flatta devant ses qualités de persuasion mais un rictus tiré apparut sur ses joues en songeant à quel point ses "agents" du Pays de Dun étaient passés tout près du désastre.
_" Ah qu'il est ingrat de devoir s'en remettre à des idiots "! Cracha t-il, un éclat peu rassurant dans le regard. Il fallait dire que les serviteurs de son maître étaient loin d'être aussi intelligents que lui.
L'échange se poursuivit un moment et son "espion" lui en appris davantage. Apparemment, Éomer s'était retrouvé confronté à plusieurs ouargues errants ce qui surpris grandement Gríma qui n'en montra rien toutefois. La nature bestiale de ces créatures faisait qu'il était difficile de les faire obéir. Même la voix de son maître ne pouvait soumettre les instincts d'une bête sauvage. Une chance que ces monstres ne se soient pas attardés ici et aient filé vers Aldburg. Gríma s'intéressa ensuite à ceux accompagnant le Maréchal. Au vu des réponses de son informateur, il paraissait difficile d'en convaincre de se tourner contre leur Seigneur. Il allait lui falloir réfléchir à tout cela avec attention.
_ " Bien. La nuit se fait vieille et l'aube ne va pas tarder, les affaires m'appellent. Tiens tes sens en éveil. Tu seras informé de la suite en temps voulu ".
La rencontre était close. Le conseiller du Roi se dirigea vers ses quartiers. Le Maréchal était peut-être prudent et vigilant mais Gríma connaissait Éomer. Tout comme son père, sa fougue était son point faible. Elle finirait par l'emporter d'une manière ou d'une autre et le conseiller comptait bien en tirer profit. Un regard à la fenêtre lui révéla la naissance lente des ongles roses de l'aube dans le lointain. Il devait être prêt. Éomer avait demandé à être reçu dés la première heure de la journée. Une audience des plus intéressantes s'annonçait.
* Depuis ses premières années, le Rohan est divisé en trois régions, ou " Marches ", chacune confiée à un Maréchal. Du temps de la Guerre de l'Anneau, Éomer était le troisième Maréchal, chargé de la Marche Orientale. Théodred, lui, dirigeait la Marche Occidentale en tant que second Maréchal. Cette partie du Riddermark comprend l'Ouestfolde, les Gués de l'Isen, la Trouée du Rohan et le Gouffre de Helm où le prince avait établi son quartier général.
* Voir le Prologue si besoin.