Chapitre 3 : Des morts inassouvis - Partie 2

24 décembre 1869, salon de Mr Sneed

Gwyneth s'affaire à servir le thé dans la belle porcelaine pour les ''invités'' et son maître. Mr Sneed est avachi dans son fauteuil de velours du XIXe siècle – ça tombe bien, on y est justement – , épuisé par sa journée des plus excentriques. Mr Dickens est assis au bord de sa chaise, préparé à s'enfuir à la moindre occasion. Le docteur est tranquillement accoudé à la cheminée, riant du spectacle qui s'offre à lui. En effet, Rose, faisant les cents pas devant Mr Sneed, laisse libre coure à sa rage contenue depuis le début de la soirée :

- Tout d'abord, vous me droguez ! Ensuite, vous me kidnappez, et surtout n'allez pas croire que je n'ai pas senti vos mains s'égarer, espèce de vieux cochon !

- Je n'accepte pas d'être traité de la sorte !

- Et vous m'avez enfermé avec des zombis ! Et, en plus de ça, vous... vous m'avez laissé pour morte ! Alors j'attends : expliquez-vous !

- Mais ce n'est pas ma faute ! C'est cette fichue maison !

À ces mots, le silence se fait, et tout le monde reste suspendu aux paroles de Mr Sneed qui entame son récit :

- Voyez-vous, elle a toujours eu la réputation d'être hantée, mais je n'ai jamais eu de problèmes, jusqu'à il y a trois mois. C'est là que les maccha... Je veux dire, les chers disparus, se sont mis tout à coup à s'agiter.

Charles Dickens repose sa tasse à thé brusquement, renversant, par la même occasion, quelques gouttes de ce breuvage si cher aux anglais sur la nappe à motifs fleuris. Il est sceptique, et je dirais même plus, indigné :

- Oh, balivernes !

Mr Sneed se tourne vers l'auteur de ces propos avant de déclarer d'un ton condescendant mais néanmoins épuisé :

- Vous les avez vu vous-mêmes. C'est impossible de les faire tenir tranquille ! Ils déambulent... Et, ça va vous sembler curieux, mais ils s'accrochent à ce qu'ils étaient avant de mourir.

Tandis que son maître tente d'expliquer la situation, Gwyneth fait le tour de la pièce en distribuant les tasses emplies de thé. Elle s'approche du docteur qui lui souri :

- Tenez : deux sucres, comme vous aimez.

Il la regarde en fronçant les sourcils mais accepte la tasse avant de se reconcentrer sur les paroles de son hôte :

- Écoutez ça : un vieillard qui avait été bedeau a failli officier à son propre service funéraire ! Quant à la vieille Lady, elle a été à votre spectacle, exactement comme elle l'avait prévue.

Mr Dickens se lève, énervé par sa propre incompréhension :

- Bouffonneries morbides et grotesques !

Le docteur, agacé par toute ces interruptions, intervient :

- Voyons Charles, vous étiez là !

- Oui, et tout ce que j'ai vu n'est que mensonges et illusions.

- Si vous niez l'évidence, ne me faites pas perdre mon temps : la ferme !

Choqué par de telles paroles, l'assemblée garde le silence jusqu'à ce que le docteur relance la conversation :

- Oui, mais le gaz ?

- Oh, ça c'est nouveau. Jusque là, je n'avais jamais vu ça.

- Ça veut dire que ça s'accentue. La fissure s'élargit et quelque chose s'y faufile.

C'est quoi la fissure me diriez vous. Et bien heureusement pour vous, Rose est là :

- C'est quoi la fissure ?

- Un point faible dans le temps et l'espace. Une connexion placée entre ce lien et un autre. C'est en général la cause des histoires de fantômes.

Voyant que la conversation ne va pas dans la direction qui lui convient, Dickens quitte la pièce, tandis que Mr Sneed continu son récit :

- C'est pour ça que j'ai eu la maison à si bas prix. Les histoires se transmettent de générations en générations : les échos dans la nuit, les curieuses chansons dans l'air, et cette sensation... d'avoir sans cesse des ombres au-dessus de nos âmes. Pour parler franchement, c'est plutôt bon pour les affaires. C'est ce que les gens attendent d'une entreprise aussi sinistre que la mienne !

Un grand sourire vient chatouiller les lèvres du docteur : peu importe l'époque, les hommes seront toujours les mêmes ! C'est l'une des seules choses qui peut être considérée comme constante. Mais comme dirait quelqu'un : « Seul l'inconstance est une constante ».

24 décembre 1869, couloir du funérarium

Charles Dickens, cherchant à tout prix une explication logique à tout cela, arpente le couloir pour venir examiner une des lampes à gaz éclairant les lieux. Des créatures vivants dans le gaz ? D'après lui :

- Oh non, c'est... impossible.

Charly continu son enquête, résolu à découvrir la vérité.

Et vous, qu'en pensez-vous ?

24 décembre 1869, funérarium

Notre cher inspecteur Dickens entreprend de fouiller chaque recoins des lieux du ''crime'', si je puis dire. Mais je suis l'auteure, alors je fais ce que je veux !

Bref, il abaisse le couvercle du cercueil contenant Mr Redpath, désormais inerte. Celui-ci repose sur son couffin, les bras en croix, un air paisible sur le visage. On peine à croire que c'est la même ''personne'' qui a attaqué Rose quelques minutes auparavant. Mr Dickens passe la main dans le vide, au-dessus du corps, à la recherche de quelque chose. Il va même jusqu'à soulever le cadavre en quête d'un quelconque ''truc''. Le docteur, adossé au chambranle de la porte, son éternel sourire aux lèvres, lui lance d'un ton neutre :

- Vous cherchez les ficelles ?

- Ce serait plutôt des fils métalliques. Il y a forcément un mécanisme derrière cette escroquerie.

Notre enquêteur a répliqué d'un ton sec, encore vexé par la rebuffade du docteur. Ce dernier s'approche pour s'excuser :

- Oh, ne faites pas cette tête là, Charles. C'est d'accord : je n'aurais pas dû vous dire ''la ferme''. Je suis désolé, mais vous êtes l'un des plus grands esprits du monde. Vous avez vu ces créatures...

- Non, non, je ne saurais accepter ça.

- Ah oui ? Et que fait le corps humains lorsqu'il se décompose ? Il se putréfie en produisant des gaz ! C'est un abri parfait pour ces choses gazeuses. Une fois dedans, ça leur sert de véhicule, comme votre cocher avec sa charrette...

- Je vous en prie ! Mais enfin, est-il possible que la vision que j'ai eu du monde jusque là soit aussi fausse ?

- Pas fausse. Il y a juste à apprendre davantage.

- J'ai passé mon temps à fulminer contre les doux rêveurs... Oh ! J'adore l'illusion, comme tout un chacun, je m'en amuse, mais en les laissant pour ce qu'elles sont : des illusions ! Le monde réel, lui, est différent. C'est tout à fait autre chose ! J'ai consacré ma vie entière à combattre avec acharnement l'injustice et à défendre les grandes causes sociales. Une force du bien, voilà ce que j'ai tant rêvé d'être. Et maintenant, vous me dites que le monde réel est le royaume des spectres et de je-ne-sais-quels autres feux follets ? Auquel cas, ça voudrait dire que j'ai perdu ma brève existence, docteur. Aurais-je fait tout ça en vain ?

24 décembre 1869, buanderie

Gwyneth s'approche d'une des fameuses lampes à gaz pour en allumer la mèche et ainsi éclairer la pièce. Rose la suit de peu et entreprend d'essuyer la vaisselle qui attend dans l'évier. Elle est interrompue par Gwyneth :

- Je vous en prie, mademoiselle. Vous ne devriez pas m'aider...

- Je ne suis pas idiote. Je suis sûre que Sneed vous exploite.

- Donnez. Merci.

Elle lui retire le torchon des mains afin de faire son travail comme il se doit. Rose, toujours aussi curieuse – un jour ça la perdra, et ce jour-là, le docteur ne pourra peut-être pas la sauver à temps – tente de l'interroger :

- Combien est-ce qu'il vous paie ?

- 8 £ par an, mademoiselle.

- 8 £ par an ?!

- Oui, je sais. Déjà avec 6 £, j'aurais été bien contente...

A l'air éberlué que Rose arbore, elle ne devait sûrement pas s'attendre à une réponse pareil. Elle reprend de plus en plus intriguée par la naïveté de son interlocutrice :

- Quand vous étiez enfant, vous avez été à l'école ?

- Oh... oui, bien sûr ! Qu'est-ce que vous croyez ? Je ne suis pas une gourgandine. J'y allais tous les dimanches, c'est comme je vous le dis.

- Une fois par semaine ?!

- Oui, on apprenait à compter. En faite, pour être sincère, je détestais ça plus que tout au monde.

Remise de sa surprise, Rose étire ses lèvres en un doux sourire complice :

- Oh, moi aussi !

- Non ? C'est vrai ?

Elles rient toutes deux de cette nouvelle complicité avant que Gwyneth n'ose confier à Rose l'un de ses plus lourds secrets :

- Surtout ne le dites pas, mais un dimanche, au lieu d'y allez, j'ai été me promener toute seule.

- Oh, j'ai fait ça plein de fois aussi. On allait lécher les vitrines avec ma copine Charline et on voyait les garçons sans que nos mères le sachent.

À ces mots, le rire de Gwyneth reste bloqué au fond de sa gorge :

- Hum... C'est un sujet que je ne connais pas.

Gênée par le tour inattendu de la conversation, Gwyneth retourne à sa vaisselle. Mais vous connaissez Rose, elle n'abandonne pas si facilement :

- Voyons, les temps n'ont quand même pas changé à ce point ?

- Les garçons, non.

- Je parie que vous avez fait la même chose.

- Oh ça, ça m'étonnerait, mademoiselle.

- Allons Gwyneth ! À moi vous pouvez le dire ! Il y a bien quelqu'un qui vous a tapé dans l'œil ?

- Je pense que oui, il y en a bien un.

- Ah !

- Le cousin du boucher. Tous les mardis, il livre la viande. Si vous saviez comme il a un beau sourire...

- Oh ! J'adore les beaux sourires ! On dit toujours beau sourire, belles fesses.

Gwyneth regarde tout d'un coup Rose avec de grands yeux :

- Je n'avais jamais entendu dire ça...

Rose éclate de rire, vite suivie par sa nouvelle amie. Enfin calmée, elle continu de lui prodiguer ses conseils :

- Vous n'avez qu'à aller lui demander. Vous devriez lui offrir un tasse de thé, ça créé des liens.

- Je n'ai jamais rien vu, jusqu'ici, d'aussi étonnant, mademoiselle. Vous avez les vêtements, les bonnes manières, mais quand vous parlez, on dirait que vous êtes folles...

- Je le suis peut-être. Peut-être que c'est une bonne chose. Vous méritez mieux que de vous dévouer à Mr Sneed.

- Oh ! C'est injuste de dire ça. Il n'est pas si mal, le vieux Sneed. Il a été très gentil avec moi quand il m'a recueilli. Mes parents sont morts de la grippe asiatique, j'avais 12 ans.

- Oh ! Je suis désolé.

- Je vous remercie. Je sais que j'irais les rejoindre, un jour. J'aurais une place au Paradis, à côté d'eux. Ce sera une telle bénédiction ! Je sais qu'ils m'attendent. Peut-être que votre père y est aussi et qu'il vous y attend...

- Oui, peut-être.

Et là, vous ne remarquez rien ? Ça ne dérange personne ? Ah, cette Rose quand même, pas très attentive... Oh, attendez ! En faite, je fais erreur. Elle est attentive mais longue à la détente :

- Euh... mais... Qui vous a dit qu'il était mort ?

Gwyneth, à cour de mots, trouve soudainement sa vaisselle très intéressante. Elle tente de se rattraper par une courbette :

- Je n'en sais rien. C'est sûrement le docteur.

Rose, semblant se satisfaire de cette réponse (pauvre de nous !), profite d'une oreille attentive :

- Mon père est mort il y a des années.

- Vous avez pensé à lui dernièrement, plus que d'habitude.

- Je suppose que oui.

Et enfin, ENFIN, elle réagit :

- Qu'est-ce qui fait que vous savez tout ça ?

- Mr Sneed, lui, dit toujours que je pense trop. Je suis tout le temps seule ici. Je veux bien croire que vous avez une douzaine de servantes !

- Oh non ! D'où je viens Gwyneth, il n'y a pas de servantes.

- C'est vrai que vous êtes venu de si loin.

- Qu'est-ce qui peut vous faire croire ça ?

Gwyneth ignore superbement sa question et se rapproche de Rose, semblant se perdre dans son regard, jusqu'aux tréfonds de son âme :

- Vous venez de Londres. J'avais déjà vu Londres en gravures, mais jamais comme ça. Tout ces hommes pressés qui courent partout, à demi nus pour notre honte... Et toute cette fureur... Et ces boîtes en métal qui filent comme le vent... Et ces immenses oiseaux dans le ciel, ils sont en métal eux aussi. Des oiseaux en métal avec pleins de gens enfermés dedans... Comment peuvent-ils voler ? Et vous, vous avez volé d'encore plus loin... Toutes les choses que vous avez vu, je les vois aussi. Les ténèbres... Le Grand Méchant Loup... Je suis désolé ! Excusez-moi, mademoiselle !

- Ce n'est rien.

Malgré son ton rassurant, Rose a le souffle court et peine à avaler sa salive. On peut même apercevoir un soupçon de peur dans son regard. Gwyneth, désormais aussi loin de Rose que la pièce exiguë le lui permet, tente de s'expliquer :

- Je ne peux pas m'en empêcher. Déjà toute petite, maman disait que j'avais des visions. Elle voulait que je les caches...

- Vous en avez de plus en plus. Plus puissantes, c'est bien ça ?

Les deux femmes sursautent vivement à la voix du docteur, négligemment appuyé au chambranle, comme à son habitude. Une fois qu'elle se soit assurée de garder son cœur dans sa poitrine, Gwyneth souffle une réponse :

- Oui. Tout le temps, monsieur. Toutes les nuits, j'entends... des voix dans ma tête.

- Vous avez grandi au sommet de la fissure. Vous êtes une partie d'elle. Vous êtes la clé.

- J'ai essayé de comprendre ce que j'avais de différent. J'ai consulté des tas de... spirites ou encore... des spécialistes des tables tournantes.

- Ça nous sera d'une aide précieuse. Vous allez nous faire voire ce que nous devons faire.

- Ce qu'on doit faire où, monsieur ?

- Nous allons organiser une séance.

Esprit est tu là ?

24 décembre 1869, salon

A l'extérieur, la tempête de neige redouble d'efforts. Les chevaux hennissent, anxieux. Et, si l'on prend le soin d'observer les lieux avec attentions, on peut remarquer que les flammes des réverbères dansent dangereusement, comme si elles étaient habitées...

Mr Sneed, Mr Dickens, Rose, le docteur et Gwyneth son attablés à l'intérieur, dans le petit salon. Un silence anxieux plane dans la pièce avant que Gwyneth entreprenne d'expliquer le procédé qu'elle va utiliser :

- C'est comme ça que Madame Ortlock appelle ceux du pays des brumes, là-bas, à Buttown. Joignons nos mains pour faire passer le fluide.

- C'est au dessus de mes forces !

Devinez qui a dit ça ? Ce bon vieux Dickens qui se lève de sa chaise, agacé par ce manque de sérieux. Plus septique, tu meures... Heureusement, le docteur est là pour le remettre à sa place :

- Oh, balivernes ! Ayez l'esprit ouvert !

- C'est précisément toutes ces sortes de stupides gamineries que je m'efforce de démasquer. Vos séances, comme vous dites, ne sont pas autre chose que des amusements de fêtes foraines qui ne sont destinés qu'à berner la foule des ignorants. Cette fille n'y connaît rien !

- Évitez de la contrarier, j'adore voir les médium heureux !

Il éclate de rire, sous le regard ébahi mais néanmoins amusé de Rose :

- Je n'arrive pas à croire que c'est vous qui dites ça...

Le docteur s'esclaffe à son tour avant de revenir à Dickens :

- Allez, venez, on pourrait avoir besoin de vous.

Cédant au docteur, Charles Dickens fini par s'asseoir. Le docteur reprend :

- Et oui, voilà. Allez-y Gwyneth! C'est à vous de jouer !

Chacun se prend la main et les respirations s'alourdissent au rythme du tic-tac de l'horloge. Gwyneth commence son invocation :

- Esprits, êtes-vous là ? Nous entendez vous ? Esprits, venez et parlez nous pour que nous puissions soulager votre fardeau.

Subitement, Gwyneth lève la tête, comme à l'écoute d'un murmure. Murmure de plus en plus perceptible car même Rose l'a remarqué :

- Vous entendez ça ?

Dickens, toujours aussi terre-à-terre, s'énerve :

- Je suis certain que rien ne se passera. Tout ceci n'est que pure folie !

- Regarder-la !

En effet, Gwyneth se berce d'avant en arrière, le regard dans le vague, comme en transe :

- Je les vois, ils approchent. Je les sens, ils sont là, tout près.

Des volutes de fumées bleutées envahissent la pièce pour flotter autour de la tablé. Le docteur les observe, cherchant à les comprendre. Rose et sa curiosité reviennent au galop :

- Qu'est-ce qu'ils disent ?

Ignorant sa question, le docteur s'adresse à la médium :

- Ils sont coincés au niveau de la fissure. Gwyneth, c'est vous qui les contrôlez, pas l'inverse. Concentrez-vous bien. Faites les passer à travers.

- Je n'y arrive pas.

- Si, vous pouvez. Il suffit d'y croire. Gwyneth, j'ai confiance en vous. Établissez le lien !

- Oui, ça y est.

Elle ouvre grand les yeux et une forme brumeuse apparaît derrière elle. Mr Sneed n'en revient pas :

- Seigneur Dieu ! Les esprits du monde de l'au-delà !

Le docteur, jamais à cours de bonnes réparties, lui répond :

- Oui, de l'au-delà de l'univers.

Le silence se fait tandis qu'une voix désincarnée s'élève à travers Gwyneth pour s'adresser au docteur :

- Plaignez. Plaignez les Gelths. Il reste si peu de temps. Aidez-nous.

- Que voulez-vous que nous fassions ?

- La fissure. Menez la fille à la fissure. Créez le pont.

- Pour quoi faire ?

- Nous sommes si peu nombreux. Les derniers de notre genre. Nous risquons l'extinction.

- Que c'est-il passé ?

- Avant, nous avions une forme physique comme vous. Il y a eu cette guerre terrible.

Enfin un événement tangible à quoi se raccrocher. Dickens est ravi et peut ainsi s'immiscer dans la conversation.

- La guerre ? Quelle guerre ?

- La Guerre du Temps. Tout l'univers bouleversé. La Guerre du Temps faisait rage. Invisible pour les petites espèces, mais dévastatrice pour les grandes formes. Et mes corps ont perdu toute leur substance. Nous sommes piégés dans cette sorte d'état gazeux.

À ces mots, Rose et le docteur échange un regard : la fameuse Guerre du Temps. Le docteur relance ''l'interrogatoire'' :

- Voilà donc pourquoi vous avez besoin de corps.

- Nous voulons garder la tête haute. Pour sentir le Soleil, pour vivre à nouveau, nous avons besoin de formes physiques. Et vous, vous abandonnez vos défunts. Au lieu de les gaspiller, donnez-les nous.

Rose, choquée par de tels propos, intervient :

- On ne peut pas faire ça. Vous vous rendez compte ?!

Le docteur se tourne vers elle, intrigué et énervé à la fois :

- Pourquoi donc ?

- Ce serait... Selon moi ce serait...

- Quoi ? Indécent ? Irrespectueux ? Alors que ça peut leur sauver la vie ?

Rose lui lance un regard presque dégoûté. Elle a tendance à oublier qu'il n'est pas humain et ne partage pas les mêmes valeurs qu'elle. Les ''Gelths'' donc, reprennent leur plaidoyer :

- Ouvrez la fissure. Laissez passer les Gelths. Venez à notre aide. La mort est près. Plaignez les Gelths.

Ils finissent leur discours dans un cri avant d'être aspiré par les lampes à gaz tandis que Gwyneth perd connaissance. Rose, inquiète de son état, se précipite à ses côtés pour l'aider à se redresser :

- Gwyneth ? Gwyneth ? C'est fini, réveillez-vous.

Dickens, sous le choc, murmure plus pour lui même qu'autre chose :

- Alors, c'est vrai...Tout cela est donc vrai...

24 décembre 1869, boudoir

Le carillon de l'horloge sonne minuit tandis que Rose éponge le front de la pauvre Gwyneth qui est étendue évanouie sur le divan. Au douzième coup de l'horloge, celle-ci finit par ouvrir les yeux. Rose s'empresse de la rassurer :

- Tout va bien, vous avez juste dormi.

- Mais mes anges, mademoiselle, ils ont besoin que je les aides. Il me l'ont dit.

Le docteur, adossé au mur d'en face – à croire qu'il ne s'assoit jamais – intervient :

- Ils ont besoin de vous, Gwyneth. Vous êtes leur seule chance de survie.

Rose se tourne vers lui, visiblement en colère après lui, cet alien sans cœur :

- Fichez-lui la paix ! Vous ne voyez donc pas qu'elle est exténuée ? Elle ne mène pas le même combat que vous.

Le docteur laisse échapper un soupir de lassitude mais s'abstient de toute réponse. Rose, qui préfère jouer les infirmière, tend un verre d'eau à Gwyneth :

- Tenez, buvez.

Mr Sneed, installé dans un fauteuil, cherche à comprendre ce qui vient de se passer. Pour cela, il s'adresse au spécialiste :

- Je n'ai pas bien compris ce que vous nous avez dis, docteur... Qui sont ces êtres ?

- Des extraterrestres.

- Des étrangers ? Quelque chose comme ça ?

- Plutôt étranger, oui. De là-haut.

Il pointe le ciel du doigt. Mais le pauvre fossoyeur n'est pas très vif :

- Du Brecon ?

- À côté. Ils ont essayé de passer de Brecon à Cardiff, mais les routes sont bloqués. Seul quelques uns ont pu passer, mais comme ils sont faibles, ils n'ont pu faire que des essais d'incorporation au corps. Redevenus gazeux, ils se sont cachés dans les tuyaux.

Mr Dickens, appuyé à la cheminé, un remontant à la main, rassemble les dernières pièces du puzzle :

- Voilà pourquoi ils ont tant besoin de la fille...

Rose, protectrice des faibles, intervient à nouveau :

- Ils ne l'auront pas !

Le docteur, quant à lui, tente désespérément de lui faire comprendre son point de vue :

- Pourtant, ça les aiderai. Vivant sur la fissure, elle en fait parti. Elle l'ouvrira, créant un pont pour les laisser passer.

Dickens, désappointé par tout ceci, y va de son petit commentaire :

- Inouï : les fantômes ne sont plus en réalité des fantômes, mais par contre des êtres venus d'ailleurs et dont l'unique chance d'exister dans notre royaume est d'habiter des... des cadavres ! Ahaha !

- Excellent système, ça peut marcher.

Rose, révoltée par le raisonnement du docteur, ne compte pas rester impassible :

- Quoi?! Vous n'allez tout de même pas laisser faire ça ? C'est impossible !

- Pourquoi ? Ce serait comme du recyclage.

- Vous êtes sérieux ou quoi ?

- Quelle question ! Oui, je suis sérieux !

- Mais enfin, c'est... mal ! Avant de mourir, c'était des personnes vivantes et même mortes, on doit les respecter !

- Est-ce que vous avez une carte de donneur ?

- C'est différent. C'est...

- Oui, c'est différent. C'est une moralité différente. Il faut vous y faire ou rentrer chez vous !

Reprenant son calme, le docteur tente de lui faire entendre raison :

- Vous avez entendu : le temps presse. Alors, je ne vais pas me soucier de quelques cadavres quand le dernier des Gelths peut mourir !

- Je refuse qu'ils utilisent Gwyneth...

Cette dernière, voyant que l'on parle d'elle, aimerai exprimé son opinion :

- Puis-je dire quelque chose, mademoiselle ?

Rose, ainsi que le docteur, laissent de côté leur dispute pour se tourner vers la bonne :

- Oui. Euh... Non. Pour ça, il faudrait que vous compreniez ce qui se passe.

- Je savais d'avance la réponse. Je vois très bien que dans votre tête vous croyiez que je suis stupide...

- Ce n'est pas vrai !

- Je sais ce que je dis. Il est possible que les choses soient différentes là d'où vous venez, mais moi, je n'ai pas le même état d'esprit. Et les anges veulent que je les aide. Docteur, qu'est-ce que je dois faire ?

- Vous n'avez rien à faire du tout.

- Ils n'ont jamais cessé de me chanter des chansons. Je sais que c'est ma mère qui les envoyait en mission sacrée. Alors dites-moi !

Le docteur sourit à son entrain avant de retourner du côté des deux autres hommes de la pièce :

- Nous devons trouver la fissure. Cette maison est sur un point faible, il doit y avoir un point plus faible que les autres. Mr Sneed, quel est le point le plus faible dans cette maison ? La pièce où le plus de fantômes ont été vus ?

- Certainement la... la morgue.

Rose, désormais assise aux côtés de Gwyneth, ponctue cette conversation d'une légère note ironique :

- Ça aurait été trop beau que ce soit sous la pergola...

24 décembre 1869, morgue

La morgue. Certainement pas l'endroit le plus chaleureux que l'on puisse trouver...

Plusieurs cadavres sont étendus sur des tables d'autopsie. Seuls leur pieds exsangues, d'une couleur bleu, tirant sur le violet, dépasse des draps blancs qui les recouvrent. Les ''outils'' nécessaires à l'autopsie sont suspendus à côté d'eux. On peut y voir des scalpels, des lames de toutes sortes, des couteaux et même une scie. On est loin de la propreté chirurgicale du XXIe siècle.

Le docteur jette un œil alentour avant de déclarer :

- On ne peut pas dire que ce soit très gai...

Rose, semblant avoir répétée son discours, prend plaisir à l'interrompre :

- En fait, docteur, les Gelths ne réussiront pas. Parce que je sais d'avance qu'ils n'y arriveront pas. Ce qui est sûr, c'est que les cadavres ne se promenaient pas en 1869.

- Le temps est un flux qui change toutes les secondes, et votre monde douillé pourrait être réécrit comme ça ! Rappelez-vous que rien n'est assuré.

Dickens, toujours aussi pragmatique, se permet une remarque :

- Docteur, on dirait que cette pièce est en train de se refroidir...

Rose, perdant son courage, se lamente :

- Ils arrivent...

Et en effet, la pièce se remplie d'une brume bleutée qui se rassemble pour former une sorte de corps. Celui-ci, ravie, s'exclame :

- Vous êtes venus pour nous aider... Bénit soit le docteur ! Bénit soit-il !

Rose, toujours à prendre soin des autres, tente de leur arracher une promesse :

- Ne lui faites pas de mal ! Jurez-le !

La forme bleue ignore superbement notre pauvre Rose et poursuit en ces termes :

- Dépêchez-vous, je vous en pris, on a si peu de temps. Ayez pitié des Gelths !

Le docteur, prêt à les aider, mais pas à leur laisser la Terre et ses corps indéfiniment, leur lance un avertissement :

- Dès que nous aurons terminé le transfert, je vous conduirai quelque part où vous vous construirez un corps approprié, ceci n'étant pas une solution définitive.

Gwyneth, comme hypnotisée par cette apparition, laisse échapper ces paroles :

- Mes chers anges, grâce à moi, ils vont vivres...

Le docteur prend les choses en mains :

- Allons-y ! Où se trouve le point faible ?

- Ici, juste sous la voûte.

Gwyneth répète cette indication avant de venir s'y placer :

- Juste sous la voûte...

Rose se précipite vers elle pour lui saisir les mains et tenter, malgré tout de la convaincre d'abandonner :

- Gwyneth, rien ne vous force à le faire !

Cette dernière vient libérer ses mains de l'emprise de Rose pour lui caresser la joue avant de la repousser doucement. Rose recule vers le docteur tandis que les Gelths reprennent leur directives :

- Établissez le pont. Jetez-le sur le vide. Faites nous passer !

Gwyneth écarquille les yeux, maintenant ''connectée'' aux Gelths :

- Ça y est. Maintenant, je peux vous voir. Je peux enfin vous voir ! Venez !

- Établissement du pont !

- Venez à moi. Venez dans ce monde, pauvres âmes égarées.

- Transfert commencé. Le pont est établi. Elle s'est donnée elle-même aux Gelths !

Gwyneth se met à briller d'une lumière irréelle tandis que les Gelths passent à travers elle pour rejoindre notre monde. Les Gelths arrivent, les uns après les autres, sans discontinuer, pour envahir la pièce. Dickens s'inquiète, et à raison :

- Ils sont nombreux semble-t-il !

- Le pont est ouvert, nous descendons !

La forme bleutée des Gelths se transforme pour devenir rougeoyante, comme léchée par les flammes de l'Enfer. Leur voix, auparavant si douce, gronde désormais comme venant d'outre-tombe :

- Les Gelths vont maintenant débarquer en force.

Dickens s'affole :

- Mais pourtant, je suis sûr que vous aviez dis que vous n'étiez qu'un tout petit nombre !

- Quelques milliards qui recherchent un cadavre à incorporer.

Rose et le docteur se regardes, interloqués. Les cadavres se font posséder, un par un, sous leurs yeux ébahis, avant de se relever de sous leur drap. Leurs yeux d'un blanc laiteux fixent les seuls véritables êtres ''vivants'' de la pièce d'un air plus que méchant. Je dirais même ''affamé''.

Mais qu'ont-ils fait ?!

Mr Sneed, cherchant en enrailler la machine, s'approche de sa bonne qui semble complètement ailleurs :

- Ça suffit Gwyneth. Je te demandes d'arrêter tout de suite ! Écoutes ton maître, tout ceci a été suffisamment loin ! Cesses cette comédie ! Laisses tout ça tranquille ! C'est ton maître qui te le demande !

- Mr Sneed ! Attention !

L'avertissement de Rose n'a servi à rien car le vieux Mr Sneed a été trop lent. Un des cadavres le saisi par derrière avant qu'il ne se fasse posséder à son tour. Le nouvel ''hôte'' abandonne toute humanité dans un cri :

- Noooooonnn !

Le docteur se rapproche de Rose, avant de lancer d'un ton un peu nerveux :

- Je crois qu'on est en train de perdre le contrôle...

Mr Sneed, ou ce qu'il en reste, ouvre la bouche pour s'exprimer, mais sa voix n'a plus rien d'humain :

- J'ai rejoint la légion sacrée des Gelths. Humains, marchez avec nous !

Le pauvre Mr Dickens est dans tous ses états :

- Non ! Seigneur, c'est trop !

Les cadavres s'approchent de leur prochaines victimes, menés par Mr Sneed :

- Nous avons besoin de corps. Mourez tous, tant que vous êtes ! La race humaine doit mourir !

Le docteur et Rose ne cessent de reculer tandis que les cadavres marchent sur eux. Le docteur, dans un élan d'espoir, s'adresse à Gwyneth :

- Stoppez-les ! Renvoyez-les d'où ils viennent !

Cette dernière, déconnectée de la réalité, ne l'entend pas. Mr Sneed continu :

- Trois autres corps, convertissez-les ! Faites-en des vaisseaux !

Dickens pète un câble :

- Non, décidément je ne peux pas, je suis désolé. Votre nouveau monde, c'est... c'est vraiment trop pour moi !

Le docteur entraîne Rose dans le cellier et referme la grille derrière eux, espérant que cela suffira à retenir l'armée de morts-vivants :

- Abritons-nous là !

Mr Dickens panique complètement :

- Si vous saviez comme...

Un Gelths, encore à l'état gazeux, file sur lui et le coupe dans sa lancée. Il prend ses jambes à son coup et quitte la pièce sans demander son reste, abandonnant Rose et le docteur à leur triste sort.

24 décembre 1869, coincé dans le cellier

Rose et le docteur, reculent au fond du cellier pour se soustraire aux mains décharnées que les cadavres ambulant parviennent à glisser à travers les barreaux de la grilles les séparant. J'avoue que là, j'hésite un peu : Rose et le docteur sont-ils hors de danger ou bien pris au piège ?

L'ex Mr Sneed cherche à recruter du personnel :

- Venez. Offrez-vous à la gloire. Sacrifiez votre vie aux Gelths !

Le docteur, se sentant trahi (mais oui ! Pourquoi tout l'univers ne veut-il pas vivre en harmonie ?! Ça lui ferait des vacances ! Sauf qu'après il dépérirai d'ennui...), s'exclame :

- Je vous ai fait confiance ! J'ai eu pitié de vous !

- Nous ne voulons pas de votre pitié. Nous voulons ce monde et toute sa chaire.

- Non ! Pas tant que je serais vivant !

- Alors, vous ne vivrez pas.

Au moins, comme ça, c'est clair.

24 décembre 1869, couloir du funérarium

Dickens traverse le couloir au pas de course, ouvre la porte d'entrée d'un geste brusque avant de la refermer avec autant de délicatesse. Il s'y appuie, haletant. Malheureusement pour lui, les esprits des Gelths l'ont suivi, et ils passent à travers la porte, faisant scintiller le heurtoir à tête de lion d'une lumière étrange, comme dans son conte de Noël. À leur vu, le conteur laisse échapper un léger :

- Oh !

Les Gelths tournoient autour de lui, le poussant à fuir de nouveau. Quand tout cela va-t-il enfin cesser ? C'est la veille de Noël tout de même !

24 décembre 1869, au fond du cellier

Rose et le docteur sont serrés l'un contre l'autre, tentant d'échapper aux mains décharnée qui se tendent vers eux tandis que leur propriétaires les fixent de leurs yeux globuleux. Rose se pose une question existentielle, et je suis sérieuse pour une fois :

- Je ne peux pas mourir de toutes façons... Vous devez bien le savoir vous ! Je ne suis même pas encore née... Comment est-ce que je peux mourir avant ? Je n'ai pas raison ?

Le silence du docteur est seulement interrompu par les grognements inhumains des zombis. Après quelques secondes désagréables, il se tourne vers Rose :

- Je suis désolé.

24 décembre 1869, rue de Cardiff

Charles Dickens, poursuivi par les Gelths qui voltigent autours de lui, tente de regagner la civilisation, dans l'espoir d'un peu plus de normalité. Sans grand espoir, j'en ai peur. Il passe près d'un réverbère. Les Gelths, eux, ont plus de difficultés. Des qu'ils parviennent aux flammes du réverbère, ils se mettent a émettre un son strident. La fumée bleue prend forme afin de s'exprimer :

- Défaillance. Atmosphère hostile.

Ils sont ensuite aspirés par le gaz du réverbère sous le regard émerveillé de Dickens :

- Le gaz, c'est ça ! Le gaz ! J'y retourne.

Il fait donc demi-tour pour retourner se jeter dans la cage aux fauves ou la gueule du loup, comme vous préférez.

24 décembre 1869, emprisonné dans le cellier

Rose, un peu frustrée par la situation, s'en prend au docteur :

- Je ne peux pas mourir aujourd'hui alors que je sais que je serais vivante dans 136 ans !

- Le temps n'est pas une ligne droite. Il se distord parfois sous d'autre formes. Rien n'empêche que vous ne mouriez au 19e siècle en étant né au 20e. C'est ma faute, je vous ai amené ici.

Rose pousse un long soupir avant de répliquer, plus humaine que jamais :

- Non, ce n'est pas votre faute. J'étais d'accord pour venir.

- C'est quand même stupide. J'ai été témoin de la chute de Troie, de la Cinquième Guerre mondiale, j'ai jeté des boîtes de thé à la mer lors de la Révolte de Boston, et je vais crever dans un cachot ! Et à Cardiff !

Son air dégoûté au dernier mot de sa tirade me déçois quelque peu : c'est une très belle ville Cardiff ! Non, mais oh ! Ce n'est pas parce qu'il voyage dans le temps et l'espace et qu'il peut voir les plus beaux endroits aux plus belles époques qu'il peut dénigrer une aussi jolie ville ! Si ?

Bref, veuillez pardonner à votre auteure qui s'emporte quelque peu, et revenons aux choses sérieuses. Notre très chère Rose, comme toujours, garde son sens pratique :

- Et encore, si ce n'était que ça. Le pire, c'est qu'on va devenir l'un d'eux.

Perspective des plus alléchantes, n'est-ce pas ? Qui n'a jamais rêvé de devenir un zombi dépourvu de tout sens moral ? Vraiment là, je ne vois pas.

24 décembre 1869, couloirs du funérarium

Dickens vient de pénétrer dans l'antre du démon, à nouveau. Serait-il suicidaire ? Ou juste ingénieux... Il entreprend d'éteindre toutes les lampes à gaz avant de rouvrir le gaz, sans allumer la mèche. Ma théorie du suicide se précise... ou peut-être pas. Il parcoure les autres pièce de la maison pour faire la même chose partout, un mouchoir sur le nez. Mais dans quel but ?

24 décembre 1869, toujours au fond du ''cachot''

Rose cherche un peu de réconfort auprès de son compagnon de malheur :

- On se battra jusqu'au bout, d'accord ?

- D'accord.

- Tous les deux.

- Ouais, tous les deux.

Ils entrelacent leurs doigts pour se donner du courage. Ici, serrés l'un contre l'autre dans ce minuscule réduit et face à la mort de surcroît, une certaine intimité se créée entre ces deux êtres que pourtant tout oppose. Le docteur ébauche un sourire et se tourne vers Rose :

- Je suis si heureux de vous avoir rencontré.

Cette dernière lui rend son sourire :

- Moi aussi, docteur.

Qui sait si ce ne sont pas les dernières paroles qu'ils auront la chance d'échanger ? Je suis d'un fatalisme renversant, ça me surprend moi-même.

24 décembre 1869, morgue jouxtant le ''cachot''

Les zombis sont tous agglutinés devant la grille du cellier et de ce fait, ne voient pas Dickens arriver, à bout de souffle. Celui-ci tente de reprendre sa respiration pour s'exprimer :

- Docteur ! Docteur ! Vite, éteignez les lampes et rouvrez le gaz ! Nous allons remplir la pièce entière avec du gaz !

- Mais qu'est-ce que vous faites ?

- Je vais rouvrir le gaz de façon à ce qu'il envahisse toute la pièce.

Et il joint le geste à la parole en reproduisant sa manœuvre sur toutes les lampes de la pièce. Le docteur ouvre de grands yeux :

- Brillante, l'idée du gaz !

Rose, quant à elle, ne voit pas cette idée d'un très bon œil :

- Mais... Mais alors c'est nous qui allons mourir asphyxiés !

Cette pauvre chérie n'obtient aucune réponse et reste à son désarroi. Dickens tente de justifier sa théorie :

- Je ne me trompe pas, docteur. Vous avez bien dit que ces créatures étaient gazeuses ?

Il plaque son mouchoir sur sa bouche pour purifier l'air tandis que le docteur s'illumine :

- En remplissant la pièce de gaz, on va les obliger à sortir de leurs hôtes. Comme ça, ils seront aspirés par l'air comme on aspire le poison d'une plaie !

Les zombis se détourne de leur captifs pour se diriger vers Dickens, lentement. Celui-ci, les voyant s'approcher de plus en plus près, commence à s'inquiéter :

- Euh... J'espère ! Oh, Seigneur ! J'espère que cette théorie sera bientôt valide... Si ce n'est... Si ce n'est immédiatement...

Le docteur s'active enfin, préférant éviter une mort lente et douloureuse à leur possible sauveur :

- Préparez-vous, j'ouvre les vannes !

Il se tourne vers les tuyaux de gaz, qui (quelle chance !) se trouvent justement derrière lui, dans le ''cahot'', afin de les arracher. Quelle force ! On ne dirait pas à première vue...

Le gaz se répand dans la pièce et les Gelths sont aspirés hors de leurs hôtes dans un hurlement strident. Dickens, n'en revenant pas de sa chance, s'exclame d'une voix chevrotante :

- Ahaha... Ça a marché...

Rose et le docteur, maintenant hors de danger, poussent la grille du cellier afin de rejoindre Dickens. Ils ont bien failli y rester !

24 décembre 1869, morgue

Rose garde une main sur la bouche pour éviter de trop respirer le gaz ambiant. Le docteur, quant à lui, semble s'en moquer totalement. Il s'approche de Gwyneth dans l'espoir d'arrêter l'invasion zombie :

- Gwyneth ! Ce sont des menteurs, pas des anges. Renvoyez-les !

Cette dernière, dans un état de semi-conscience, prend la parole d'une voix éteinte :

- Des menteurs ?

- Regardez-les. Si vos parents nous voient de là où ils sont, je suis sûr qu'ils vous diraient la même chose. Ils vous donneraient la force. Alors, renvoyez-les !

Le docteur n'est plus qu'à quelques pas de la médium. Dickens et Rose se trouvent derrière lui, peinant à respirer. Rose semble avoir plus de mal :

- Je ne peux plus respirer...

Le docteur, se préoccupant un temps soi peu de son amie, se tourne vers Dickens :

- Charles, emmenez la dehors !

Mais bien sûr, Rose ne compte pas abandonner si facilement :

- Non ! Je ne veux pas la laisser !

Le docteur, entièrement focaliser sur Gwyneth, ne voit pas Rose tentant d'échapper à la poigne de Dickens. Serait-elle à ce point irresponsable ? Le docteur plonge dans le regard vide de la bonne. Celle-ci lance dans un murmure :

- Ils sont trop fort...

Le docteur tente de la convaincre en jouant sur les sentiments :

- Rappelez-vous le monde de vos visions, le monde de Rose. Il sera dépeuplé, il n'y aura aucun survivant ! Sauf si vous les renvoyez à travers la fissure !

- C'est trop tard... Je ne peux plus les renvoyer. Mais, je peux les retenir, les enfermer avec moi dans cette pièce pour toujours... Allez-vous en.

Sur ces paroles pleines de courage, elle sort une petite boîte de la poche de son tablier. Oh mon Dieu...

Rose, épouvantée par ce qu'elle s'apprête à faire, échappe à Dickens et se précipite sur Gwyneth :

- Non, Gwyneth ! Non !

Elle essaie de se libérer de l'emprise du docteur qui la retient entre ses bras, essuyant les coups de Rose qui se débat de toutes ses forces. Il la prend par les épaules et la tourne face à lui :

- Non, sortez ! Je ne la laisserais pas tant qu'elle sera en danger. Vite, filez !

Rose lance un dernier regard à Gwyneth avant de quitter la pièce, entraînée par Dickens. Le docteur tend la main vers Gwyneth, s'efforçant de la dissuader de commettre cet acte désespéré :

- S'il vous plaît, donnez-là moi.

Gwyneth le fixe d'un regard dénué de vie, sans accéder à sa requête. La main du docteur retombe mollement le long de son corps, sans un son.

24 décembre 1869, couloirs du funérarium

Dickens, Rose dans son sillage, traverse la propriété aussi vite qu'il le peut afin d'échapper aux effluves de gaz qui les entourent. Il la guide entre deux quintes de toux :

- Par là !

Eux en réchapperont, mais qu'en est-il du docteur et de Gwyneth ? Peuvent-ils en dire autant ?

24 décembre 1869, morgue

Gwyneth et le docteur se fixent du regard un long moment, sans cligner, semblant sonder l'autre jusqu'aux tréfonds de son âme. Un éclair de lucidité passe dans les yeux du docteur avant qu'il ne tende la main vers elle. Il la pose dans son coup, juste sur la carotide, là où les battements du cœur résonne le plus fort. Gwyneth reste impassible, mais ce n'est pas le cas du docteur. Il écarquille les yeux avant de se résigner. Il esquisse un faible sourire :

- Je suis désolé.

Il s'approche d'elle pour lui déposer un baiser sur le front tandis qu'elle fixe le vide, immobile. Le docteur recule de quelques pas et lui lance d'une voix très douce :

- Merci Gwyneth.

Il lui tourne ensuite le dos pour partir en courant, quittant ainsi ce maudit enfer.

Gwyneth, le regard toujours plus vague, comme déconnectée, ouvre sa petite boîte qui est presque vide. Elle contient seulement une allumette, une toute petite allumette. Elle hésite quelques instants, observant le ballet désordonné des Gelths fuyant l'atmosphère hostile (ce sont leurs propres mots), avant de prendre sa décision. Une décision des plus définitives. Elle craque la dernière allumette qui laisse échapper une minuscule flamme, avant d'embraser la pièce et tout ce qui s'y trouve.

Quelques marches plus haut, dans le corridor du funérarium, des pas précipités frappent les tapis pour venir franchir la porte d'entrée. Le docteur a tout juste le temps de se jeter dehors – littéralement – avant que le feu ne se propage, provoquant ainsi l'explosion du funérarium.

24 décembre 1869, morgue (quelques secondes plus tôt)

Au moment où les flammes ont commencé à envahir la pièce, quelque chose de vraiment bizarre est arrivé. Je sais, vous allez me dire que le bizarre, on baigne dedans sans cesse depuis que vous avez entamé ce stupide bouquin. Mais là, c'était encore plus bizarre que d'habitude.

Une lumière bleutée a illuminé la pièce pendant un bref instant, laissant apparaître Windry, et là, le temps s'est comme arrêté. Je veux dire que Windry bougeait bien sûr, elle n'est pas restée figée comme une idiote au milieu des cadavres, et elle s'est même avancée jusqu'à Gwyneth. Non, ce que je veux dire, c'est que pendant qu'elle marchait tranquillement, genre il ne se passe rien, faite pas attention, je ne fait que passer, tout le reste s'est figée. Gwyneth, déjà plus trop réactive depuis qu'elle avait eu la bonne idée de vouloir rendre service à des inconnus – des aliens en plus – était plus immobile qu'une statue de cire, l'allumette en équilibre entre deux doigts. Le plus incroyable, c'est que les flammes ne bougeaient pas non plus. Windry circulait d'un pas serein, au milieu du brasier, en s'amusant à esquiver les flammèches, sans que rien ne viennent la perturber. Elle est allée se placer juste devant Gwyneth et a retirer ses mitaines, les glissants dans les poches du sa veste. Elle est ensuite venue placer ses deux mains désormais nues sur les épaules de Gwyneth. Une étrange – oui, je sais, tout est étrange ici – lumière s'est alors échappée du bout de ses doigts. Cette lumière était si éclatante que les corps de Gwyneth et de Windry ont rayonné, rayonné, rayonné... jusqu'à disparaître.

Le temps s'est alors remis en route : la pièce s'est enflammée, le gaz a explosé et l'allumette a lentement rebondi sur le sol avant d'être consumée. Tout ce qui se trouvait dans la pièce a été victime des flammes. Ce qui ne s'y trouvait pas, ou plus, a pu en réchapper.

24 décembre 1869, devant le funérarium (ou ce qu'il en reste)

Le docteur, ayant échappé de justesse au souffle de l'explosion, a rejoint Rose et Dickens. Ils se tiennent tous trois devant les décombres encore fumant du funérarium. Rose, cherchant a comprendre pourquoi Gwyneth a décidé de se sacrifier sans prendre en compte les suppliques du docteur qui aurait peut-être pu la sauver (oui, je sais, c'est long), interroge ce dernier :

- Elle n'a pas voulu ?

Celui-ci lui lance un regard désolé, et tente de se justifier :

- Je n'ai rien pu faire. Elle a refermé la fissure.

Dickens, qui finalement s'était attaché à cette petite médium, ose un commentaire :

- Oui, mais à quel prix ? La malheureuse enfant...

Le docteur ignore cette intervention et poursuit son plaidoyer auprès de Rose :

- Je vous jure que j'ai essayé, mais elle était déjà morte. Elle l'était depuis au moins 5 minutes.

- Quoi ? Que voulez-vous dire ?

- Je crois qu'elle est morte dès le moment où elle est allée sous la voûte.

- Mais... Il y a quelque chose que je n'arrive pas à saisir... Elle nous a parlé, elle nous a sauvé... Comment une morte peut-elle faire ça ?

Comme personne ne peut répondre à ça, Dickens préfère citer Hamlet :

- Il y a bien plus de choses sur le ciel et sur la terre, Oracio, qu'on ne peut en rêver dans notre philosophie. Ça vaut aussi pour nous, docteur.

Rose est toujours aussi optimiste :

- Elle a sauvé le monde... Une simple servante, et personne ne le saura.

Gardant ensuite le silence, les trois compagnons de fortune préfèrent regarder les cendres s'élever et tourbillonner, portées par le vent, dans le froid de décembre. Que dire de plus de toutes façons ?

24 décembre 1869, dans la petite cours, derrière le funérarium

Une lumière bleutée illumine l'arrière cours, heureusement qu'on est à l'abri des regards. Lorsque la lumière disparaît, elle laisse place à Windry et Gwyneth. Cette dernière offre un regard vide à sa sauveuse avant que ses yeux ne se révulsent et qu'elle s'écroule au sol, amortie par la neige. Windry laisse échapper un profond soupir de lassitude (qu'est-ce qu'il ne faut pas faire...) avant de s'agenouiller à ses côtés. Insensible à la neige qui vient tremper ses collants, elle se penche vers Gwyneth et – personne sensible s'abstenir – vient l'embrasser, à pleine bouche. Une lumière – encore – traverse le corps de Windry pour venir irradier celui de Gwyneth. Cette dernière inspire brusquement, les yeux écarquillés. Elle revient de loin. Complètement désorientée, les mots se bousculent aux bords de ses lèvres :

- Quoi ?! Mais... qu'est-ce que ? Que c'est-il passé ? Je ne me souviens de rien ! J'étais à la morgue et puis... et puis quoi ?

- Et oh ! On se calme !

- Que … Vous... Qui êtes-vous ? Êtes-vous un... ange ?

- Euh... Ouais, on a qu'à dire ça.

- Est-ce que … je suis... morte ?

- Vous l'étiez, mais ce n'est plus le cas. Et, sans fausse modestie, je n'y suis pas pour rien.

- Que... quoi ? Je veux dire... Comment est-ce possible ?

- Vous l'avez dis vous même : je suis un ange.

- Je... je... Pourquoi m'avez vous sauvé ? Par simple bonté d'âme ?

- Simple bonté d'âme ? Bah voyons, c'est sûr que je n'ai que ça à faire ! Non, votre heure n'était pas encore venue. Vous n'avez pas accompli votre destin. Vous avez encore un rôle à jouer.

- Je... Bon Dieu ! Oh ! Je suis désolé ! Vous... vous êtes un ange... et... et moi, je blasphème... alors que vous m'avez sauvé la vie !

- Ne vous en faites pas, je m'en remettrais.

- Vous êtes si différente de ce que j'aurais imaginé. Pas d'ailes, ni d'auréole... Je... Que dois-je faire ?

- Vous avez une seconde chance pour réaliser vos rêves, tous vos désirs cachés. Alors, rendez-vous service et invitez le cousin du boucher à prendre une tasse de thé. Quand vous aurez une tasse, et du thé.

- Je... pourquoi ?

- Il vous est destiné. Et un jour vous vous marierez et aurez un enfant. Une fille, ce serait parfait.

- Je... comment ?

Mais bien sûr, vous connaissez Windry. Au lieu de répondre, elle préféra disparaître, comme d'habitude, laissant Gwyneth encore plus perdue mais en vie, les fesses dans la neige.

24 décembre 1869, ruelle de Cardiff

Le docteur, suivi de Rose et Dickens, s'arrête devant une vieille cabine de police bleue et sort un trousseau de clés de sa poche. Il s'adresse à Dickens en désignant la cabine :

- Tenez, c'est là ! Charly, mon vieux, je n'ai qu'à entrer dans ma... suite ! Ce ne sera pas long.

Tandis que le docteur s'efforce de déverrouiller la serrure de son cher Tardis, Rose s'inquiète du sort du romancier :

- Maintenant, qu'allez-vous faire ?

Celui-ci, plein de fougue, lui répond :

- Je prend immédiatement le coche pour rentrer à Londres. Parce que j'en ai terminé avec les errances. Il n'est plus temps pour moi d'être seul. Je compte passer un merveilleux Noël avec ma famille après avoir fait amande honorable ! Ce que je viens d'apprendre ce soir me dit qu'il n'y a rien de plus vital !

Le docteur, ayant vaincu la serrure récalcitrante, se tourne vers Dickens, un sourire réjoui illuminant son visage :

- Ah ! Vous avez repris espoir !

- Oui, démesurément !

Il part dans un bref éclat de rire avant de reprendre, motivé comme jamais :

- Ce matin, j'étais persuadé de tout connaître. Ce soir, je sens que j'ai tout à découvrir. Quand je songe à toutes ces perspectives que vous m'avez permis d'entrevoir, je me sens inspiré. Il faut que j'écrive un livre !

Rose, un doux sourire aux lèvres, lui lance d'un ton espiègle :

- Est-ce que c'est sage, ça ?

- Oh, je compte commencer en douceur : Le Mystère d'Edwin Drood. Je dois encore réfléchir à la fin... Peut-être que l'assassin n'était pas l'oncle du pauvre garçon... Peut-être même était-ce quelqu'un venu d'ailleurs... Le Mystère d'Edwin Drood et les esprits élémentaires bleus ! Je vais propager la parole et révéler enfin la vérité.

Le docteur, souriant toujours mais peu convaincu, lui tend la main afin de le saluer une dernière fois :

- Euh... Je vous souhaite du courage. J'ai été ravi de vous connaître.

Rose, elle, lui tend la main avant de l'embrasser sur la joue, laissant le pauvre Dickens stupéfié par ses manières :

- Et bien au revoir, et encore merci.

- Oh, ma chère, comme c'est moderne... Merci, mais euh, je ne comprend pas ce que veut dire au juste cet au revoir... Où... Où allez-vous comme ça ?

- Vous aller voir, quand je serais dedans.

Le docteur s'apprête à entrer dans son vaisseau quand il est de nouveau interrompu par l'auteur :

- Ma parole, docteur, vous avez le don d'enchaîner les énigmes. Mais, après toutes ces révélations, il reste un mystère que vous ne m'avez toujours pas expliqué. Dites-moi, qui êtes-vous ?

Le concerné garde le silence quelques instants, sous le regard inquisiteur de l'inspecteur Dickens et curieux de la petite Rose qui se demande bien comment il va s'en sortir – nous aussi, il faut bien l'avouer – avant de tenter une réponse :

- Un ami, qui passait dans le coin.

Le conteur ne compte pas lâcher le morceau si facilement :

- Mais vous avez une telle connaissance des temps futurs... Sans vouloir être importun, je voudrais encore vous poser une question... Est-ce que mes livres, docteur, seront lus longtemps ?

- Oh, ça oui !

- Jusqu'à quand ?

- La fin des temps.

Dickens se rengorge quelques peu avant que le docteur ne lance d'un ton enjoué :

- Bon, il faut y aller ! Venez, Rose.

- Mais... Vous deux, dans cette petite boîte...

- Petit curieux ! À un de ces jours.

Le docteur et Rose pénètrent ensuite dans la fameuse boîte bleue avant d'en refermer la porte, sous le regard intrigué de Dickens.

24 décembre 1869 (pour le moment), Tardis

Le docteur s'avance vers le tableau de bord du Tardis (vous savez, le gros truc pleins de boutons, de manettes, d'écrans en tous genres, au centre de la salle de contrôle !), laissant à Rose le soin de refermer la porte. Celle-ci semble préoccupée – Rose, pas la porte – et tente de communiquer son inquiétude au docteur :

- Mais, ça va changer l'histoire s'il écrit sur les esprits bleus !

- Huit jours et on sera en 1870, l'année de sa mort, et il n'écrira jamais la fin de son histoire.

- Oh non... Il était tellement charmant.

- Mais il était déjà mort dans votre temps. Nous l'avons ramené à la vie ! Et maintenant, il est plus vivant que jamais, notre cher ami Charly. On va lui faire une dernière surprise...

Le docteur allume un de ses écrans et l'on peut y voir notre cher Dickens, plus déboussolé que jamais. Même le Tardis est donc muni de caméras de surveillances, Big Brother est partout !

Le docteur et Rose vont donc pouvoir observer la réaction de Dickens face à leur petite ''surprise''. Bande de curieux !

24 décembre 1869, ruelle sombre de la MAGNIFIQUE ville de Cardiff

Un drôle de bruit résonne dans la ruelle, sous le regard intrigué de Dickens. C'est le moteur du Tardis qui se met à ronronner. Le Tardis se met à briller d'une étrange lueur avant de disparaître tandis que Dickens écarquille les yeux, sous le choc de cette (Comment dit-il déjà ? Ah oui !) fantasmagorie. Il part ensuite d'un grand éclat de rire avant d'aller rejoindre le centre de Cardiff, toujours en riant. Il parcoure les rues de Cardiff, insensible au vent qui lui fouette le visage et aux flocons de neige qui tourbillonnent dans son sillage. Il est heureux, simplement. Et lorsque quelqu'un touche son chapeau à son égard pour ensuite lui souhaiter un :

- Joyeux Noël, monsieur.

Il répond d'une voix emplie d'une joie retrouvée :

- Joyeux Noël à vous ! Dieu nous bénisse tous ! Tous sans distinction !

Comme vous l'aurez compris, ce message ne s'adresse pas seulement aux passants, mais à tout ceux qui peuvent l'entendre, qu'ils soient d'ici, ou d'ailleurs.

Quelque part dans l'espace temps, Tardis

Rose est partie se coucher, épuisée par la journée qu'elle vient de passer. Le docteur, lui, cours encore de ci de là autours de la console centrale, mais commence à songer à passer en pilotage automatique. Il est interrompu dans ses pensées par Windry qui descend l'escalier en baillant.

- Salut doc', quoi de neuf ?

- Je n'aime pas quand tu m'appelles comme ça...

- Je sais, c'est bien pour ça que je le fais. Et tu avoueras que c'est beaucoup moins pompeux que ''le docteur''. Tu n'est même pas médecin !

- Tu sais quoi ? Je suis beaucoup trop fatigué pour jouer à ça ce soir. Dis ce que tu veux, ça m'est égal.

- Quoi ? Déjà ? Pff... T'es pas marrant.

- Toi non plus. Bon, qu'est-ce que tu me veux ?

- Si, je suis très drôle ! Et je voulais simplement passer le temps, pas la peine de s'énerver.

- Passer le temps ? Tiens, justement, où étais-tu passée aujourd'hui ? On ne t'as pas beaucoup vu... Pas que je m'en plaigne, hein ! Je suis juste curieux.

- Oh, pas grand chose. Je me suis baladée. C'est très beau Cardiff. Surtout sous la neige !

- T'aurais pu nous aider au lieu de faire du tourisme. On s'est battu contre des Gelths et on a failli y rester !

- Je t'es dis d'aller voir au théâtre. Comment t'appelles ça, toi ?

- T'aurais pu faire plus.

- T'as pas la moindre idée de ce que j'ai pu faire, alors tais-toi.

- On dirais bien que je t'ai vexé. Ça t'apprendra. T'aurais très bien pu combattre à nos côtés.

- Tu t'entends ? On se croirais dans un film de caps et d'épées. Genre les Trois mousquetaires. Sans Orlando Bloom. T'es ridicule. Et puis là, c'était plutôt La nuit des morts-vivants et j'aime pas les zombis. Le soir de Noël en plus, ils auraient pu s'abstenir. Ah tiens, c'est vrais ! C'est Noël ce soir !

- Et alors ?

- Bah on offre des cadeaux à Noël !

- Et alors ? Tu t'attends tout de même pas à ce que je t'offre quelques choses ?!

- Ça ne me déplairais pas, mais ce n'est pas vraiment ce que j'avais en tête. Ce serait même plutôt le contraire en faite.

- Où est-ce que tu veux en venir ?

- J'aimerais t'offrir quelques choses.

- Te fatigues pas. Laisse moi juste aller me coucher, ça suffira à faire mon bonheur.

- Non ! Je veux te faire un cadeau.

- Et après tu me laisses tranquille ?

- Euh... pour aujourd'hui, oui.

- Vendu. Bon, qu'est-ce que tu m'offres ?

- Une question.

- Quoi ?

- En faite ce serait plutôt une réponse.

- Tu m'embrouilles là.

- Tu me pose une question et j'y répondrais.

- Sans mentir.

- Je ne mens jamais ! C'est juste que je ne dis pas toujours tout. Ce serais beaucoup moins drôle si tu savais tout d'avance !

- N'importe quelle question ?

- N'importe quelle question. Et comme je suis généreuse, celle-ci ne compte pas.

- Quoi ? Tu... Ahh !

- C'est quand tu veux.

- Deux minutes, je réfléchis.

Le docteur étouffe un bâillement et fronce les sourcils, signe d'intense réflexion. En même temps, connaissant Windry, rien ne doit être laissé au hasard. Cette question pourrait avoir son importance.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sans jamais oser le demander. Pas si mal le cadeau. Et vous, quelle question poseriez vous ? Attention : une seule question, une seule réponse. Réfléchissez bien.

Quelque part dans l'espace temps (+2min), Tardis

Le regard du docteur s'illumine lorsqu'il parvient enfin à faire son choix parmi toutes les possibilités qui s'offrent à lui. Il pose sa question sous le regard malicieux de Windry :

- Tiens, justement ! Puisque tu dis que tu m'es d'une grande aide... Pourquoi cherches-tu tant à m'aider ?

- Pour éviter ça.

Elle s'approche du docteur et pose ses mains nues (mais où sont donc passées ses mitaines?) sur ses tempes. Mais que fait-elle me dites vous ? Et bien, je lui ai posé la question – parce qu'elle tape présentement l'incruste dans mon bureau, quelle chance ! Ou pas – et elle m'a répondu tout sourire qu'elle lui transmettait une vision. Comme je ne suis pas télépathe et que je n'étais pas présente sur les lieux, je n'ai pas vu ce qu'elle lui a montré. Je vous laisse donc le soin de le deviner. Mais oui, criez au scandale. Et oui, je suis cruelle. Mais non, allez, j'ai juste un sens de l'humour qui laisse à désirer. Comme je suis très gentille – mais si – je lui ai demandé. Pas la peine qu'elle vide mon frigo et squatte mon canapé si elle n'est même pas foutue de me raconter une petite histoire. Donc, comme elle est très aimable (vous sentez l'ironie, là ?), elle m'a décrit la scène. Et, oh mon Dieu !, on se serait cru dans The Walking Dead, en pire.

C'était un Londres méconnaissable qui tentait de résister aux éléments hostiles qui l'entouraient. De rares rayons de soleil tentaient de percer les nuages noirs que la fumée des incendies venait grossir. Pas un souffle de vent ne se faisait sentir. L'air était sec, comme s'il n'avait pas plu depuis des lustres. Même les oiseaux avaient déserté le ciel. Seul le fameux Big Ben, tentait vainement de faire fuir les nuages. Sans succès. Buckingham Palace était en ruines, la fumée s'échappant des décombres. Quelques incendies perduraient, sans eau pour les étouffer. Même la Tamise était asséchée. Presque tous les ponts s'étaient écroulés, laissant le fleuve séparer la ville en deux. Le Tower Bridge avait résisté et était le seul élément qui permettait à la ville de ne pas s'écarteler. De l'autre côté de la Tamise, la ville, autrefois si prestigieuse, était dans un état lamentable. Les logements ne méritaient même plus de porter ce nom. Les voitures avaient été laissées à l'abandon. Et le summum de l'horreur : des corps par centaines jonchaient les rues. Les quelques survivants longeaient les murs en tentant d'échapper aux ombres noires qui les poursuivaient. Elles n'étaient autre que de véritables créatures de cauchemars, devenues réalité.

À la suite de cette vision post-apocalyptique des plus optimistes, le docteur écarquille les yeux, choqué tandis que Windry recule de quelques pas. Comme quoi tout arrive. Il en perd même sa verve habituel :

- Mais... Que... Quoi ? Comment... C'est... Non !

- Tu peux traduire ?

- C'est... C'est impossible !

- Impossible mais vrai. Veux-tu que je cite ce très cher Monsieur Holmes ?

- J'ai voyagé à travers toutes les époques et je n'ai jamais vu ça !

- Tu a dû le louper.

- Comment voudrais tu que je loupe ça ?! Où est-ce ? Quand est-ce ? Il faut que j'empêche ça !

- C'est prévu oui.

- Mais tu vas répondre à ma question, bon sang ! C'est important !

- Désolé, mais tu as dépassé ton quota.

- Quoi ?!

- J'avais dit : une question, une réponse. Tu as posé ta question, je t'ai répondu. Fin de l'histoire. Attend Noël prochain.

- Mais ce n'est pas un jeu !

- Pourtant je m'y amuse...

- Tu es sans cœur ! Comment peux-tu jouer ainsi avec la vie des gens ?! Tu me dégoûtes !

Windry trésaille sous la force de ces paroles avant de disparaître, laissant le docteur encore pantelant d'un discours qui a peut-être dépassé sa pensée.


Alors, ô lecteur, que t'inspire cette fin ? Ton avis m'intéresse, je serai même susceptible d'orienter les questions du docteur en fonction de tes réflexions sur notre charmante passagère clandestine, alors à ton clavier !