Un grondement remplit l'îlot de l'Ombre Morte. Les personnes présentes levèrent les yeux et virent un vaisseau ovoïde battant Jolly Roger sur fond rouge sang émerger majestueusement du tunnel d'accès. Assise sur son siège de commandement, Emeraldas était pensive. Elle repensait à son entretien avec Yattaran, une semaine auparavant. En voyant apparaitre le signal de l'Arcadia sur son radar, elle avait aussitôt appelé Harlock. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus et elle voulait lui proposer de partager un verre. A la place d'Harlock, c'était son capitaine en second qui avait répondu, une maquette entre les mains comme d'habitude.

Je voudrais parler à Harlock, avait-elle aussitôt demandé.

Le surdoué avait eu l'air embarrassé.

Il n'est pas là, avait-il fini par lâcher.

L'étonnement avait rendue Emeraldas muette pendant un instant.

L'Arcadia navigue sans son capitaine ? Où est-il ?

Sur l'îlot de l'Ombre Morte, il n'est…comment dire...pas en état de commander pour l'instant.

Que s'est-il passé ?

Il a été blessé, il est resté dans le coma pendant trois semaines.

Et maintenant ?

Il est guéri. Physiquement.

C'est-à-dire ?

Vaudrait mieux que tu ailles voir par toi-même, capitaine. Je préfère ne rien dire par radio. De plus, tu risques de ne pas me croire. Nous, on est en mission de ravitaillement. On ne pourra pas retourner tout de suite là-bas. Sans compter qu'il valait mieux que les gars ne le voient pas comme ça. Vaut mieux que ce soit le doc qui t'explique. Lui et Kei sont restés avec le capitaine.

Très intriguée par les mystères que faisait Yattaran, elle avait donc mis le cap sur l'îlot. Pendant que le Queen s'arrimait, elle se demandait ce qu'elle allait trouver.

Elle descendit à terre et vit Zéro qui venait à sa rencontre.

‒ Bonjour, capitaine.

‒ J'ai croisé l'Arcadia. Yattaran m'a dit qu'Harlock avait été blessé. Comment va-t-il ?

‒ Physiquement, très bien.

‒ Ça, Yattaran me l'a déjà dit.

Un cri aigu les fit se tourner vers la plage. Instinctivement, Emeraldas porta la main à son gravity saber mais ce qu'elle vit la stupéfia tellement qu'elle suspendit son geste. Kei, vêtue d'un simple bikini, secouait ses cheveux avec ses mains tandis qu'Harlock, un peu plus loin, la regardait faire en …riant aux éclats. La scène était tellement surprenante qu'Emeraldas en restait sans voix. Elle tenta de se souvenir si elle avait déjà vu son ami rire de cette manière. Elle n'y parvint pas.

‒ C'est pas vrai, bougonna Zéro, qu'est-ce qu'il a été imaginer encore ?

Kei cessa de fourrager dans ses cheveux et se tourna vers Harlock.

‒ Harlock ! Espèce de… de… Ne me refais jamais ça ! Sinon je… Je ne sais pas encore ce que je te ferais mais tu le regretteras ! hurla Kei.

Rouge de colère, les cheveux en bataille, Kei vînt vers Zéro et Emeraldas à grands pas tandis qu'Harlock la suivait des yeux. Il ne riait plus. Il semblait même… perdu.

‒ Je te passe le relais, doc, s'exclama Kei alors qu'elle s'approchait d'eux. Il est insupportable.

‒ Qu'est-ce qu'il t'a encore fait ? lui demanda Zéro, d'un air résigné.

‒ Il m'a mis des vers de terre dans les cheveux, répondit Kei en continuant sa route sans même saluer Emeraldas qui n'en croyait pas ses oreilles. Je vais prendre une douche.

‒ Tu m'expliques ? demanda Emeraldas à Zéro.

‒ Yattaran t'a dit qu'il avait été dans le coma ?

‒ Oui.

‒ A son réveil, je me suis rendu compte qu'il souffrait d'amnésie. Il a oublié tout ce qu'il a vécu après l'âge de quatre ans. Et en plus, il a régressé.

‒ Régressé ?

‒ Il est persuadé d'avoir quatre ans et se comporte comme un enfant de cet âge.

Emeraldas encaissa la nouvelle. Sa première réaction avait été de ne pas croire Zéro mais elle venait quand même de voir Harlock fourrer des vers de terre dans les cheveux de Kei. Il était maintenant assis à même le sable, visiblement très occupé à faire ce qui ressemblait fortement à un …château de sable !? Elle ferma les yeux et se pinça l'arête du nez. Elle regarda à nouveau. Oui, aucun doute possible. Le pirate le plus recherché et le plus redouté de la galaxie faisait bien un château de sable. Surréaliste. Zéro observait Emeraldas.

‒ Etonnant, hein ? fit-il. Ça fait un drôle d'effet de le voir si insouciant, n'est-ce pas ?

‒ Il est comme ça depuis combien de temps ?

‒ Deux semaines. Je ne sais pas pourquoi il a régressé jusqu'à ce moment de sa vie. Pourquoi quatre ans ? Pourquoi pas dix ou quinze ? Tu le connais depuis plus longtemps que moi. Une idée ?

‒ Non. Il ne m'a jamais parlé de son enfance. Il est très secret sur son passé, même avec moi.

‒ Donc tu ignores aussi qu'il a eu une sœur ?

‒ Oui. Comment l'as-tu su ?

‒ Quand il s'est réveillé, il a paniqué et a réclamé sa mère. J'ai prétendu qu'elle était en voyage, qu'il avait eu un accident et que j'avais prévenu sa mère qui était sur le chemin du retour. Il m'a demandé ensuite si sa petite sœur était avec sa mère. J'ai dit que oui.

‒ Et cela ne lui semble pas bizarre qu'elles ne soient pas encore là ?

‒ Il a quatre ans d'âge mental. A cet âge là, les enfants croient tout ce que disent les adultes.

‒ Il va rester comme ça combien de temps ?

‒ Une semaine, un mois, un an, dix ans ? Impossible à savoir. Il peut avoir le déclic n'importe quand…ou jamais.

Zéro soupira.

‒ D'une certaine manière, je ne suis pas pressé que cela arrive.

Devant le regard interloqué d'Emeraldas, Zéro reprit.

‒ Il est tellement insouciant, tellement gai. Il rit pour un rien, s'amuse, fait tourner Kei en bourrique. Il lui fait des blagues du genre des vers de terre au moins une fois par jour. Il n'arrête pas de parler, de poser des questions sur tout et rien. Lui qui était si sombre, si secret, si solitaire. C'est si agréable de le voir comme ça. Et c'était un sacré garnement, ajouta-t-il en riant. Il en fait voir de toutes les couleurs à Kei. Pas étonnant qu'elle soit à bout de patience.

Emeraldas eut un de ses rares sourires.

‒ Je comprends ton point de vue, dit-elle, mais il vaudrait mieux qu'il retrouve la mémoire le plus tôt possible.

‒ Je sais, avoua Zéro, résigné. Allons le voir. Qui sait ? Peut-être que de te voir lui rappellera des souvenirs.

Ils s'approchèrent d'Harlock qui resta concentré sur son château.

‒ Harlock, je voudrais te présenter quelqu'un, dit Zéro.

Harlock leva la tête et regarda Emeraldas.

‒ Voici le capitaine Emeraldas, dit Zéro.

‒ B'jour, dit Harlock en se grattant le nez.

‒ Tu ne me reconnais pas, Harlock ? demanda Emeraldas.

Harlock la détailla, intrigué.

‒ Non, on se connait ? finit-il par dire.

‒ Oui, depuis longtemps.

Il regarda les vêtements d'Emeraldas.

‒ T'es une pirate ? C'est ton vaisseau, là-bas ?

‒ Oui.

‒ C'est toi qui dois ramener maman et p'tite sœur ?

‒ Non, je voyage seule.

‒ Ah. Elles vont arriver bientôt ? demanda-t-il à Zéro.

‒ Pas tout de suite. Elles ont un long voyage à faire.

‒ Ah.

Harlock reprit sa construction.

‒ Harlock, dit Zéro. Ce n'est pas gentil d'avoir mis des vers de terre dans les cheveux de Kei.

‒ Je pensais qu'elle rigolerait, dit Harlock d'un ton boudeur.

‒ Ce n'était pas drôle, tu dois arrêter de faire ce genre de choses. La voilà qui arrive, tu vas lui demander pardon.

Harlock poussa un soupir et croisa les bras, toujours l'air boudeur. Emeraldas était décontenancée, ce qui ne lui arrivait pas souvent. Harlock se comportait vraiment comme un enfant. C'était déstabilisant et elle ne savait plus que penser. Kei parvint à leur hauteur. Harlock ne bougea pas, l'œil rivé sur son château.

‒ Harlock, tu n'as rien à dire à Kei ? dit Zéro.

‒ Pardon, marmonna Harlock d'un ton ronchon.

‒ Mieux que ça, insista Zéro d'un ton sévère.

Harlock se leva et se passa la manche sous le nez avant de jouer avec ses doigts d'un air gêné, sans oser regarder Kei.

‒ Pardon pour les vers de terre, finit-il par dire, je le ferais plus.

‒ J'espère bien, répliqua Kei. C'était dégoutant.

Emeraldas commençait à avoir l'impression d'avoir basculer dans une autre dimension. Ou d'être en train de faire un cauchemar. Un cauchemar beaucoup trop réel à son goût.

‒ Pourquoi t'es en colère ? demanda Harlock à Kei. Moi, je voulais seulement te faire une blague. Alita, elle,…

Il s'interrompit brusquement, l'air perdu. Son regard devint vague.

‒ Harlock, ça va ? demanda Zéro, inquiet de voir le capitaine se décomposer.

‒ Tu m'as menti, lui dit Harlock en se mettant à trembler. Tu m'as menti. Maman et p'tite sœur peuvent pas revenir. Elles sont mortes. Comment j'ai pu oublier qu'elles sont mortes ? Pourquoi tu m'as menti ? cria Harlock, une larme roulant sur son visage.

Harlock partit en courant. Interloqués, ses amis le regardèrent partir sans bouger.

‒ Je crois qu'on a la réponse à ta question, doc, dit Emeraldas.

‒ Que veux-tu dire, capitaine ? demanda Kei.

‒ La raison pour laquelle Harlock a régressé jusqu'à l'âge de quatre ans. Cela doit être à ce moment-là qu'il a perdu sa mère et sa sœur. Son esprit l'a ramené avant ce traumatisme qui doit probablement être le premier de sa vie.

‒ Tu dois avoir raison, approuva Zéro. Laissons-le. Avec un peu de chance, tout lui reviendra. Cela risque d'être difficile pour lui.

Ils attendirent longtemps. Ils voyaient Harlock plus loin sur la plage. Il était assis sur le sable, la tête sur les genoux, le visage caché dans ses bras. Il ne bougeait pas. Il resta ainsi plus de deux heures. Puis il se leva et revînt vers eux. Ils virent tout de suite dans sa démarche et sa façon de se tenir que quelque chose avait changé. Il les rejoignit et les regarda sans rien dire. Son regard était triste.

‒ Ça va ? lui demanda Zéro.

‒ J'ai retrouvé la mémoire, je me souviens de tout.

Harlock se tourna vers Kei et eût un petit sourire embarrassé.

‒ Je suis désolé, Kei. Je crains de t'avoir fait subir bien des mauvaises blagues.

‒ Ce n'est pas grave, capitaine, répondit Kei en souriant. L'important, c'est que tu sois guéri.

Elle se mit à rire.

‒ Tu étais un sacré numéro quand tu étais enfant, fit-elle.

Harlock grogna une réponse indistincte en détournant les yeux tandis que ses joues rosissaient légèrement. Les lèvres d'Emeraldas esquissèrent un sourire et Zéro retînt un rire de justesse.

‒ Qui est Alita ? demanda-t-il, histoire de changer de sujet.

‒ La nourrice que mon père a engagé quand ma mère est morte, répondit Harlock à contrecœur.

‒ Et tu avais quatre ans, c'est bien ça ?

‒ Oui, et je ne répondrais plus à aucune question. Je me suis suffisamment couvert de ridicule depuis mon réveil, je ne veux plus entendre parler de ça, décréta Harlock, avant de les planter là et de partir en direction de ses appartements.

Ses amis le suivirent des yeux.

‒ Je parie qu'il va boire un verre, commenta Zéro.

‒ Je dirais plutôt une bouteille, fit Emeraldas.

‒ On a retrouvé notre capitaine, conclut Kei.

FIN