Bless the Broken Road - Rascal Flatts
Leo apprend à lire vite. Une fois qu'il comprend qu'ensemble, les lettres forment des mots et les mots, des histoires, il ne cesse de vouloir en connaitre plus, d'en découvrir de nouveaux.
Les histoires sont ce qu'il aime le plus dans sa vie. Et sont une affaire de famille.
Aussi loin que sa petite mémoire lui permette de revenir en arrière, Leo a toujours entendu des histoires dans son lit le soir. Parfois c'est Arthur qui lui lit, parfois c'est Minerva ou Ginny, mais le plus souvent, c'est Hermione. Hermione, qui ne le laisse jamais aller se coucher sans s'assurer qu'il a reçu son histoire, et qui le laisse choisir le livre qu'il a déjà lu cent vingt fois et qu'elle connait sur le bout des doigts à force de le lire. Hermione qui change de voix à chaque personnage, et qui prend soin de mimer le loup en train de souffler sur les chaumières. Hermione qui lui a transmis son goût pour la lecture, et qui le cultive jour après jour, en sélectionnant les plus beaux récits.
Il ne sait pas quand est-ce que c'est lui qui a commencé à lire les mots sur les livres et plus elle. Peut-être quand les jumeaux sont arrivés dans leurs vies, tout braillants et envahissants qu'ils sont dans leur routine et leur emploi du temps, et que pour compenser tout le temps qu'elles passaient avec eux, Hermione et Ginny prenaient toujours soin de lui lire deux ou trois histoires au lieu d'une seule parfois même avec ses frères dans la salle.
Maintenant, c'est lui qui lit les mots, et elles qui écoutent.
Ses frères, quand ils sont là, sont trop petits pour comprendre, alors il fait des mimes avec les mains, et des meuglements pour imiter les animaux. Hermione le reprend sur certaines prononciations ou liaisons, mais il se débrouille très bien tout seul. Quand il ne comprend pas un mot, il le pointe du doigt. Hermione l'encourage à l'épeler lettre par lettre, et à essayer de le former par lui-même.
Leo apprend à lire vite, et bien. Ses prouesses font la fierté de Ginny, et par elle, de ses oncles et tantes et ses grands-parents. Il est comme sa mère, on le lui répète souvent. Il en est très fier. Il aime entendre les mots. Il aime lui ressembler. Il aime tout chez elle.
Mais Leo apprendre à lire trop vite. Et le jour où il pointe du doigt les lettres sur l'avant-bras de sa mère, elle n'est pas prête à l'entendre.
« M-u-d-b-l-o-o-d »
Comme elle lui a toujours appris, il épelle les lettres. Puis il lève de grands yeux vers elle, il attend qu'elle lui explique ce mot qu'il ne connait pas. Il attend l'histoire.
L'histoire ne vient pas.
Hermione ne peut pas lui dire. Elle ne peut plus parler soudainement. Depuis la fin de la guerre, elle se laisse peu surprendre, pourtant. Elle perd rarement ses mots. Elle a réponse à tout, solution à tout, plan de secours toujours. Elle a le contrôle sur tout, parcequ'un jour elle ne l'a eut sur rien. Le chaos qui a bien faillit la détruire ne l'atteindra plus de nouveau, elle se l'est jurée.
Leo n'a jamais connu sa mère sans la cicatrice. Il n'a jamais non plus connu son parrain sans ses étranges lignes blanches sur ses joues, ou son oncle George avec ses deux oreilles. Il ne les connaîtra jamais autrement. Quand il pointe le mot du doigt, il ne le fait pas pour se moquer d'elle, ou au contraire pour lui exprimer toute sa compassion. Il est juste curieux, comme peut l'être un enfant de quatre ans.
Leo est juste innocent. Et Leo est trop jeune. Trop jeune pour savoir qu'Hermione a mis du temps pour passer de la honte à la fierté en regardant son bras, que Ginny en a été malade la première fois qu'elle l'a vu, que ni Harry ni Ron n'ont pu regarder aucune d'entre elles dans les yeux les jours qui ont suivis. Trop jeune pour savoir qu'Hermione se réveille encore parfois la nuit en sursaut, la cicatrice lui démangeant la peau. Trop jeune pour savoir qu'au procès de son père, Draco Malfoy est venu lui demander pardon les larmes aux yeux, sa cicatrice à lui raturée de fraîches stries blanches.
Elle savait que la question viendrait un jour, elle s'y était préparée bien avant que Leo ne soit une réalité. Elle ne pensait pas avoir à le faire aussi tôt. Pas alors que ses plus jeunes enfants ne sont que des bébés que Ginny est en train de mettre au lit dans la pièce d'à côté. Pas alors que Leo n'est qu'un enfant lui-même. Pas quand elle-même n'est pas sûre de ce que le mot signifie vraiment, à présent.
Alors Hermione ne dit rien. Elle ne peut pas, elle ne peut pas.
Ginny arrive en riant dans la pièce, ne remarquant pas tout d'abord le drôle de calme qui y règne. Et puis elle voit la blancheur de sa femme, l'endroit où est posé le petit index inquisiteur de son fils. Ginny a compris.
Ginny est une mère aussi. La mère de son fils, se dit Hermione.
Hermione ne dit rien quand Ginny tire Leo vers elle pour le poser sur ses genoux, et ne répond pas à son coup d'œil inquiet. Elle ne voit que Leo, qui la regarde sans comprendre pourquoi elle ne répond pas, pourquoi elle ne prend pas la drôle de voix fluette du petit poucet ou l'accent italien de Gepetto. Elle connait pourtant l'intrigue et les personnages de cette histoire comme le dos de sa main.
Hermione sait qu'elle devrait expliquer. A lui, comme à chacun de ses futurs enfants. Le monde est trop compliqué pour lui. Parfois elle s'y perd elle même. Comment expliquer la cicatrice d'Harry ? Comment expliquer Bellatrix ? Comment expliquer les regards de travers que Ginny et elle reçoivent quand elles se tiennent la main à son école ? Comment expliquer la folie des hommes ? Elle ne la comprend pas elle-même.
Leo est le fils d'une traitresse et d'une impure. Et il est absolument parfait. Elle préférait changer le monde entier plutôt que de modifier quoique ce soit de son fils. Le lui expliquer cependant, c'est au-dessus des forces d'Hermione.
C'est Ginny qui trouve les mots. C'est Ginny qui explique patiemment que le mot n'en est pas un, mais une cicatrice. Le mot n'est pas un tatouage comme ont Gwenog ou Charlie. Le mot est une trace involontaire et ineffaçable sur la peau de sa mère – comme le trait blanc qu'Hermione a sur le cou, comme les lignes qui serpentent le dos de Ginny.
Leo ne comprend pas. Alors Ginny retrousse ses manches, laissant apparaitre la ligne blanche qui créée un sillon entre les tâches de rousseur de son bras gauche, et lui explique que c'est la même chose. Qu'Hermione a obtenu la cicatrice parcequ'elle est brave, et forte, et qu'elle ne fléchit devant personne, personne.
A ce moment précis, il vient à l'esprit d'Hermione que sans Ginny, elle n'aurait pas eu d'enfants. Elle ne pense pas particulièrement à Leo, qui est le produit génétique de leur amour et n'aurait pas pu exister sans elle, ni aux jumeaux qui dorment paisiblement dans leurs berceaux respectifs – elle pense au simple fait d'être mère. Sans Ginny, elle n'aurait pas pu surmonter ses démons pour amener au monde un enfant. Sans Ginny, elle serait restée prisonnière du Manoir Malfoy toute sa vie, bien des années après s'en être échappée. Sans Ginny elle n'aurait pas pu, pas voulu avoir d'enfants – par peur de les abîmer, de les détruire. Par peur qu'ils soient comme elle. Sans Ginny pour le lui montrer patiemment, jour après jour, année après année, elle n'aurait pas compris que c'est justement parcequ'ils lui ressemblent tous les trois qu'ils sont la meilleure partie d'elle-même.
Ginny a toujours pensé qu'il n'existait rien d'insurmontable. Et Ginny n'a jamais renoncé à lui montrer que l'histoire, son histoire, finissait bien.
Et quand Ginny le lui explique avec les bons mots, Leo hoche de la tête pour dire qu'il a compris. Et il demande si ça lui fait encore mal. A ça, Ginny ne peut pas répondre. Elle tourne les yeux vers Hermione, des yeux qui lui demandent une réponse honnête et non celle qu'elle veut entendre.
« Non » dit Hermione
Sa main attrape celle de Ginny, et elle répond à son fils autant qu'à sa femme.
« Non. Ca ne fait plus mal maintenant. »