Posté le : 2 Juillet 2015. Summertime story.

Ceci est plus qu'une coécriture. C'est un bonbon.


Infos : Les chapitres impairs ont été écrits par I-AM-CHUCK-BASS, et les pairs par D Would. Pour plus d'informations, vous pouvez rejoindre le blog dédié à cette histoire : « iacbwould8tumblr8com » (remplacer les « 8 » par des points). Le mot de passe est « fortunamajor ». Des articles seront ajoutés au fur et à mesure de l'histoire.

» » L'intégralité des chapitres seront postés sur ce compte. Ils seront au nombre de 10.

» » Chacune d'entre nous répondra à ses commentaires, comme une grande.

» » Le titre est une idée de IACB, le résumé aussi.

» » N'hésitez pas à rejoindre le groupe de IACB ou le mien pour plus d'infos.


Résumé : Dès que Blaise posa son regard sur lui, ce fut comme si le garçon put le sentir car il tourna immédiatement sa tête vers lui et – oh. Oh. Zabini ralentit inconsciemment et cligna plusieurs fois des paupières. Des yeux d'un bleu aussi foudroyant, il n'en avait tout simplement jamais vu.


Mot de IACB : Ok, hum. Je me sens comme une nouvelle écolière qui débarquerait dans sa future salle de classe toute tremblante, une flopée de paires d'yeux curieux braqués instantanément. Laissez-moi donc me présenter : IACB, 19 ans, Verseau, Fanta-holique qui se soigne, auteur du best-seller « Pourquoi écouter du Fka Twigs rallongera vos jours sur cette Terre ? », procrastinatrice level 186 – essayez de me battre, je vous mets au défi. Enchantée. J'écris généralement du dramione soit trop niais, soit trop trash, donc allez savoir comment D Would a réussi à me convaincre de passer de l'autre côté de la Force et m'embarquer dans le Zabnott. Mais quelle ingénieuse intuition a-t-elle eu, vraiment, car je me suis amusée comme une petite folle en me mettant dans la peau du personnage de Blaise Zabini. Un amour, cet homme, je vous jure – remarque purement objective, bien entendu. Cette collaboration fut fluide, naturelle et hyper agréable ; j'espère que cela se ressentira dans les lignes et les chapitres qui vont suivre. Si vous lisez toujours cette note et que ne vous êtes pas arrêté au mot « dramione » (auquel cas, je vous en félicite), je vous souhaite une très, très bonne lecture. Quant à moi, je m'en vais me cacher sous ma couette ou fourrer ma tête dans un frigo pour tenter de calmer mes nerfs. xo. IACB.

Mot de D. Would : Je suis très, très, très excitée à l'idée de partager ce premier chapitre avec vous (même si ce n'est pas moi qui l'ait écrit). Cette coécriture – faites dans le plus grand des secrets, aheum – m'a dévoré la cervelle nuit et jour. IACB, qui est une prêtresse du dramione, a bien voulu se joindre à moi pour cette aventure. Sa plume est aussi fantastique que ses goûts musicaux (que vous trouverez sur notre blog). Je me souviens avoir été très emballée à la lecture du chapitre 1, et j'espère que vous aussi ! Cheers !


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Chapitre I : « Neon Blue »

IACB.

~ Playlist ~

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Ain't Ready x Tinashe

Hell Of A Night x Schoolboy Q

Blessed x Schoolboy Q ft. Kendrick Lamar & Depeche Mode (Royal Fix Mashup)

Massive Attack x Risingson

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BLAISE

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PITCHFORK | Review

par Danny Czieco ; 3 Janvier 2016.

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Artiste : Slytherin

Album : Backwards

Label : Interscope / Zabini Records

Date de sortie : 2016

Note PITCHFORK : 9,4/10

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Comportement d'un citoyen terrien lambda le 31 décembre 2015 à seulement quatre minutes de la nouvelle année : biberonner sagement sa bouteille d'Absolut, essayer de tenir debout, tenter de draguer la jolie brune adossée contre le meuble-bar, gagner un recalage de toute beauté, noyer ses quelques milligrammes restants de dignité dans son fond de vodka, essayer de tenir debout, lister mentalement quelques vagues résolutions éphémères (ex : instaurer la paix dans le monde et arrêter de fumer), traquer l'arrivée de 2016 en fixant la petite aiguille de sa montre, essayer de tenir debout, hurler hystériquement « 10 ! 9 ! 8 ! » en chœur avec le reste de la salle, s'écrouler par terre entre « 3 ! » et « 2 ! », ivre mort. Comportement de Slytherin le 31 décembre 2015 à seulement quatre minutes de la nouvelle année : affoler les réseaux sociaux en sortant sans aucune promotion le meilleur album que cette décennie ait jamais connu.

Quelle différence y a-t-il entre Slytherin et Game Of Thrones ? Absolument aucune. Les deux éprouvent un malin plaisir à nous prendre constamment au dépourvu. En septembre 2011, l'EP Warpaint émergea d'absolument nulle part sur la surface de l'Internet, monopolisant instantanément l'attention des érudits musicaux par son mélange subtil de hip-hop, de soul et d'électro. Un an plus tard, jour pour jour, le sublime album Hunger vit le jour, faisant don à la Terre de chefs-d'oeuvre tels que Crushing ou Reaching Up.Les plus grands noms de la scène urbaine saluèrent alors unanimement ce tout jeune rappeur/producteur britannique de 19 ans originaire de Leeds dont le mythique patronyme de Slytherin régna en maître sur les ventes anglo-saxonnes pendant trois semaines d'affilée. Et c'est avec les mains religieusement jointes que la sphère musicale internationale attendit son prochain coup de maître.

Mais Slytherin a pris son temps. Il n'est pas tombé dans le piège dans lequel plongent la plupart des nouveaux artistes qui, saisis par la peur panique qu'on les oublie, finalisent à la va-vite un semblant de projet reprenant toutes les formules gagnantes du précédent album. Il ne s'est pas non plus donné corps et âme au star-system comme nombreux l'auraient fait a sa place. Il a réellement pris son temps. En six ans de carrière, l'artiste n'a accordé que deux interviews – qui doivent être vos lectures de chevet, cela va sans dire – et pendant les trois années qui ont suivi la sortie de Hunger, les rares immersions dans son univers n'étaient possibles qu'au travers de ses phrases cryptiques laissées sur Twitter, de ses clichés aux filtres saturés postés sur Instagram et de ses concerts à guichets fermés durant lesquels l'alchimie partagée avec son public était tout bonnement transcendante.

Son silence radio médiatique n'a pas pour autant été synonyme d'une inactivité totale dans l'industrie, bien au contraire. En janvier 2014, Slytherin a fondé à 22 ans seulement son propre label, « Zabini Records »(de son vrai nom « Blaise Zabini ») et signé quatre mois plus tard le très talentueux Lee Jordan. Ajoutons à cela les quelques featurings que l'artiste a laissé filtrer de temps à autres sur la toile (Oklahoma ft. Tyler, The Creator, Wish You Would ft. Drake & Sia et Arsenic ft. FKA Twigs, pour ne citer que les collaborations les plus percutantes), comme pour rappeler à tous qu'il était toujours vivant et encore capable de faire des merveilles. Mais côté projet personnel, jamais il n'a laissé filtrer ne serait-ce qu'une seule indication concernant la bombe lâchée sur Twitter hier soir, à 23h56 précise.

Parce qu'il n'y a aucune autre manière de qualifier ce nouvel album. Backwards est une bombe, dans tous les sens du terme. À la seconde où le rappeur a posté le lien iTunes précédé du simple message « Finalement. », les réseaux sociaux se sont embrasés comme si quelqu'un avait oublié d'éteindre sa clope en pleine forêt. En trente minutes, #Backwards dominait les hashtags mondiaux. En une heure, l'album était classé numéro un en Angleterre, en Irlande, au Canada, aux États-Unis et au Brésil. En quelques heures, clubs et radios diffusaient en boucle Real Wild, premier single annoncé. En un jour, près de 11 000 copies étaient déjà écoulées. Et, malin comme tout, Slytherin a tweeté vingt-quatre heures plus tard ses cinq premières dates de tournée européenne. Devinez combien de places ont déjà été vendues. Petit indice : toutes.

Backwards est quasiment comparable à un ovni sur le plan musical. On retrouve le Slytherin que l'on connaît, celui qui délivre des lyrics mordants d'une voix paradoxalement blasée qui se mêle à un instrumental old-school, de petites touches électroniques venant moderniser le tableau ici et là. About Last Night en est l'illustration parfaite car, derrière d'ingénieuses rimes métaphoriques débitées sur une mélodie aérienne, le rappeur trompe en beauté son auditoire en le détournant du sens réel de la chanson : la violence conjugale. Pour un titre comme Mess Around, par exemple, la dynamique est totalement inverse : un bon paquet de paroles crues crachées sur un ton désinvolte, presque narquois, servant simplement à décrire une bonne soirée entre potes, rien de plus.

L'album nous dévoile aussi un Slytherin différent, plus mature et audacieux. Cette évolution se ressent dès le tout premier titre, It Might Be The End, sur lequel le rappeur dévoile une voix de baryton insoupçonnée et chante ce qui semble être un scénario de fin du monde, un magnifique piano pour seul accompagnement. Avec une entrée en matière aussi éblouissante, le rappeur nous prévient dors et déjà que nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Car des surprises, au cours de cette écoute, il y en a eu. James Blake, Kanye West, Radiohead, Lorde, Childish Gambino... l'éventail des featurings présents sur Backwards est vaste, éclectique. Chaque artiste apporte un morceau de son propre univers avec lui et si la confrontation entre les deux entités musicales divergentes nous laisse quelques fois avec un arrière-goût d'inachevé (Raging Youth, morceau sur lequel s'invite , fait plus penser à une démo expérimentale qu'à un titre terminé), Slytherin parvient le reste du temps à faire fusionner le tout de façon évidente à l'aide de ses petits doigts de prodige.

Il résulte donc de cet album une incontestable maturité. Le diamant brut de Leeds s'est donné la liberté totale de prendre la direction qu'il voulait, partant du principe que tous les chemins le mèneraient de toutes les façons à Rome. Et « Rome », dans notre vocabulaire, est un nom de code pour « excellence », car c'est ce que frise Backwards. ●

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Le pas titubant et la vue trouble, Blaise pénétra à l'intérieur des WC de l'Arena Night Club, sa paume de main plaquée contre sa bouche. Il poussa la porte du cabinet le plus proche, recula immédiatement de trois pas en tombant sur une blonde agenouillée devant un grand mec en béret – qui portait encore des bérets en 2016 ? – et se dirigea rapidement vers les toilettes voisines. Quatre secondes plus tard, l'intégralité alcoolisée de son estomac passait la barrière de ses lèvres dans un bruit guttural. Accroupi devant la cuvette, il agrippa le trône en céramique tout en tentant de reprendre son souffle. Puis il vomit encore, le rugissement de sa gorge couvrant le grincement de porte derrière lui. L'instant d'après, une main venait lui enserrer l'arrière de la nuque.

« Triple imbécile. » siffla Draco d'une voix irritée. « On t'a cherché partout. Qu'est-ce que tu foutais ? »

Et Blaise voulut lui répondre. Il voulut sincèrement lui répondre. Mais à la seconde où sa bouche s'entrouvrit pour former des syllabes, un nouveau flot de bile le força à enfouir sa figure dans le bidet. Draco secoua la tête, dépité. Il sauva de justesse le cordon du gilet de Blaise qui s'échappait vers la cuvette, avisa les éclaboussures verdâtres douteuses qui tâchaient la lunette en plastique, attarda son regard sur les quelques messages philosophiques griffonnés au marqueur sur le mur d'en face – ''A BAS LA SOCIETE CAPITALISTE, ELITISTE, FACHISTE ET PATRIARCHALE !'' puis plus loin : ''Je couche au 004 987 234'' –, tenta d'ignorer les grognements masculins de plus en plus prononcés en provenance du cabinet d'à côté, recentra son attention sur Blaise qui semblait être sur le point de régurgiter son poumon gauche cette fois-ci et décida que sur une échelle de 0 à 10, cette soirée valait bien un -23. Le smartphone de Zabini échoué à terre se mit tressauter follement sur le carrelage, « Cerbère » flashant en grosses lettres sur l'écran. Draco jeta un coup d'œil à la photo qui s'affichait, celle d'une jeune fille aux cheveux noir corbeau coupés au carré et munie d'un collier à piques métalliques autour du cou, puis accepta l'appel.

« Blaise, bordel de merde, mais est-ce que tu es ? ! » hurla la voix aiguë de Pansy par-dessus un rythme répétitif et assommant de witch house.

« C'est Draco. » l'informa alors le blond.

« Puis-je savoir ce que tu fiches avec le portable de Zabini ? C'est lui qui t'a dit de répondre à mes appels ? Où est-ce qu'il se trouve ? Est-ce qu'il m'évite ? Où est-ce qu'il est ? »

« Dans les WC. » Draco avant de jeter un regard sur Zabini qui reposait à présent son front contre la cuvette, vidé de toute son énergie vitale. « Et il est complètement hors-service. »

« Oh, bon sang... » souffla Pansy, à bout de nerfs. « Qu'est-ce qu'il a encore pris ? »

Draco se servit de sa main toujours placée à l'arrière du cou de Blaise pour l'inciter à basculer légèrement la tête dans sa direction.

« Eh. Eh ! » l'interpella-t-il, sa paume lui tapotant plus ou moins fort la joue pour le maintenir éveillé. « Zabini, oh-oh ? Reviens avec moi, deux secondes. T'as pris quoi ? »

Blaise observa Draco avec de grands yeux ronds et vitreux puis plissa du front au ralenti. L'univers entier semblait tourner à l'envers dans sa boîte crânienne.

« Q-quoi ? » croassa-t-il faiblement.

« Qu'est-ce que tu as pris pour être dans un état aussi minable ? » articula distinctement Draco. « Vodka ? Mojito ? Whisky ? Rhum ? T-t-t, tu restes avec moi. » le reprit-il à l'ordre, voyant comme les paupières de son voisin se baissaient dangereusement.

« Mmpff, 'aisse moi. »

Blaise s'appuya contre la paroi du cabinet, totalement amorphe. Il rabattit son avant-bras sur son visage, cachant ainsi ses yeux, et se laissa glisser un peu plus contre le mur.

« Blaise, regarde-moi. »

Zabini n'obtempéra pas.

« Blaise.Qu'est-ce que t... »

« Vodka. » grommela-t-il alors d'une voix exceptionnellement rauque et agacée. « Juste vodka. »

« Combien de verres ? »

« Sais pas. Shots. Andy. »

« Il a pris un nombre incalculable de shots de vodka avec Anderson. » traduisit Draco pour Pansy qui se trouvait toujours à l'autre bout du fil.

« Bon sang mais c'est pas croyable ! » éructa la brune. « Et Anderson l'a quand même laissé boire comme un trou tout en sachant pertinemment qu'il a un show à assurer ce soir ? »

« Faut croire. »

« Si je le recroise ce soir, cet enfoiré de première... » siffla Pansy avant de terminer sa phrase dans un marmonnement inaudible, seul le mot ''castrer'' se distinguant du lot. « Et Blaise est dans quel état, actuellement ? Est-ce qu'il peut se tenir debout ? »

Draco baissa les yeux sur le concerné et le trouva littéralement allongé sur le carrelage cette fois-ci.

« Ça dépend : est-ce qu'un cadavre en état de décomposition gisant sur le sol crade des toilettes d'une boîte de nuit de West Hollywood peut se tenir encore debout ? »

« Va te faire foutre. » marmonna ledit cadavre, son bras toujours plaqué sur sa figure.

« Mais il parle, au moins, donc c'est déjà ça de gagné. » ajouta alors Draco.

« Dis-lui qu'il a plutôt intérêt à lever ses jolies petites fesses dans les secondes qui suivent parce que son show commence dans un quart d'heure à peine et la moitié de la boîte est déjà en train de le réclamer. Alors tu te débrouilles avec lui, Malfoy, tu l'asperges d'eau, tu le secoues dans tous les sens, tu le gifles jusqu'à ce qu'il se rappelle du jour de sa naissance en détail, tu lui cognes huit fois la tête contre le lavabo – je m'en contrebalance. Tout ce que je veux, c'est qu'il soit de retour dans le carré VIP d'ici dix minutes, grand maximum. » exigea Pansy avant de lui raccrocher au nez.

Draco décrocha le portable de son oreille et poussa un profond soupir. C'était toujours à lui de se coltiner le sale boulot lorsque Blaise s'alliait avec Andy pour tester ses limites ainsi que celles de son foie. C'était toujours à lui de se coltiner le sale boulot lorsque Blaise s'alliait avec Andy, tout court. Ce mec était un aimant à calamités et Draco avait vraiment, vraiment, vraiment du mal à saisir tout l'attrait que lui trouvait Zabini, quelques fois. Son meilleur ami le considérait presque comme une divinité tout droit descendue de l'Olympe.

« Allez, debout. » ordonna sèchement Malfoy en tirant sur le bras de Blaise.

L'afro-britannique grommela une réponse à la négative et roula paresseusement sur le côté. Son t-shirt blanc à la gloire de Biggie remonta jusqu'à l'orée de son nombril, dévoilant un bas ventre bétonné ainsi que deux citations tatouées sur chacune de ses hanches.

« Si tu ne te relèves pas dans les trente secondes qui suivent, je vais t'enfoncer la tête dans cette cuvette remplie à raz-bord de toutes les saloperies alcoolisées que contenait ton estomac. »

« Essaie. » murmura cette fois-ci Blaise.

« C'est un test ? Parce que tu me connais, Zabini. Tu sais que je suis parfaitement capable de le faire. »

« Laisse. Moi. »

« Hors de question. »

Et sur ces paroles, Draco tira sur la jambe gauche du jeune artiste, sa main encerclant fermement sa cheville juste à l'endroit où se trouvait son troisième tatouage. Il tira sans ménagement Blaise jusqu'à lui, sourd aux insultes que proféra ce dernier, puis le fit asseoir de nouveau contre le mur. Le blond baissa ensuite le couvercle des toilettes et se servit d'un des pans du gilet de Zabini pour en nettoyer rapidement la surface.

« Je sais pas bien si t'es au courant » lui dit-il alors tout en sortant un petit sachet de sa poche arrière de Levi's. « mais le club a fait son chiffre d'affaire du mois tout entier sur ta simple présence ce soir. » Il vida la poudre blanche sur le couvercle en plastique des WC et tâta ses poches à la recherche d'une carte bleue, n'importe laquelle. « Donc si tu ne veux pas que le patron du local te poursuive en justice pour avoir fait un blackout dans les chiottes et t'être foutu de sa gueule ainsi que de celles de tous les clients qui se sont déplacés ici juste pour tes beaux yeux » Il créa quatre lignes blanches épaisses et symétriques, enleva l'excédent d'un coup d'index et suçota ensuite son doigt. « et surtout, si tu ne veux pas que cette affaire affecte ta réputation, t'as plutôt intérêt à te lever, débarquer sur scène puis empocher ton fric, mon pote. » Il lui tendit une petite paille en titane. « Trois lignes pour toi, une pour moi. »

« Ta générosité te perdra. » ricana Blaise d'une voix toujours un peu éraillée.

« C'est soit ça, soit je porte ta carcasse jusqu'à la piste de danse et tu es bien trop gros pour que j'accepte que de me bousiller la colonne vertébrale à 22 ans à peine. »

« Pas gros, musclé. » précisa Blaise avant de rafler d'un seul coup son premier rail. « Nuance. »

« Ouais, bon, peu importe. Prends ce qui reste et tirons-nous d'ici avant que Pansy nous assassine. »

Deux minutes plus tard, les deux jeunes hommes étaient sortis du petit cabinet et se lavaient les mains, leurs mouvements beaucoup plus rapides que la normale. Blaise se pencha vers le miroir pour observer attentivement son reflet. Il avait les pupilles dilatées et les blancs d'yeux injectés de sang, comme lorsqu'il passait des nuits blanches en studio à bosser sur ses démos sans jamais céder à la fatigue. Ses traits étaient tirés, ses cernes devenaient de plus en plus visibles mais son corps était hyperactif, rempli d'une adrénaline nouvelle. Il fit couler de l'eau froide dans ses paumes et s'aspergea deux fois la figure avec puis s'essuya grossièrement le visage à l'aide du bas de son t-shirt.

« Ok. On y va. » décréta-t-il, soudainement remonté à bloc.

Sortir de la pièce pour rejoindre le cœur du club fut semblable à une remontée de plongée sous-marine. La musique qui ne leur était jusqu'ici parvenue qu'en sourdine les enveloppa entièrement à la seconde où ils posèrent le pied dehors, les puissantes basses résonnant jusqu'au plus profond de leurs entrailles. Blaise tira sa capuche sur sa tête et traversa la marée de corps qui se mouvait à l'unisson sur le dancefloor, Draco le suivant de très près derrière lui, et ils montèrent ensemble les quelques marches séparant le commun des mortels du carré VIP de l'Arena. Le vigile baraqué se tenant en haut des escaliers hocha brièvement la tête en apercevant Blaise et se décala de côté pour les laisser passer. Et dès qu'il fit son entrée dans le carré, ce fut comme le retour du fils prodigue.

Un mec en snapback et chaînes en or lui frappa affectueusement le dos en le surnommant ''petit frère'', un autre mec lui proposa un verre tout en parlant bien fort, comme pour spécifier à son entourage qu'ils se connaissaient – Blaise ne l'avait jamais vu de sa vie – et à sa gauche, un groupe de nanas en robes moulantes à motif léopard l'interpellait d'une voix tout sucre tout miel pour qu'il vienne s'asseoir avec elles mais trois secondes plus tard à peine, une grande mannequin brune – Kendall Quelque-Chose – fonça droit sur lui pour qu'ils puissent prendre un rapide selfie qui crèverait assurément le plafond des likes sur Instagram et lorsqu'elle s'éloigna, Blaise aperçut au loin P. Diddy secouer une bouteille de Ciroc à son encontre puis tapoter la place libre juste à côté de lui. Blaise était prêt à parier son second compte d'épargne qu'il allait encore tenter de le convaincre par A + B x C qu'une collaboration entre eux était nécessaire, que dis-je, vitale pour la survie de cette industrie musicale agonisante en manque cruel de véritables rappeurs capables de replacer la barre très haut, etc, etc. Il connaissait tant et si bien ce discours qu'il aurait pu le répéter par cœur et à la virgule près.

« Dieu merci, tu es là ! » jubila Pansy en se matérialisant sous ses yeux. « C'est bon ? Tu es prêt ? Il faut que tu sois dans la cabine du DJ dans trois minutes. »

« Où est Andy ? » demanda Blaise qui scannait toujours la foule sans reconnaître la tête brune familière qu'il recherchait.

« Ne me parle pas de lui. » siffla Pansy, ses lèvres peintes en noir se retroussant avec dégoût. « Quel genre d'abruti faut-il être pour te laisser frôler le coma éthylique un soir de concert ? »

« Coma éthylique... J'ai juste abusé de quelques petits verres, rien de grave. » relativisa Blaise en roulant des yeux. « À t'entendre, on croirait qu'il me faudrait d'urgence une carte de membre actif chez les Alcooliques Anonymes. »

« Si tu en fais une, par pitié, choisis une autre photo que celle de ta carte d'identité. » lui conseilla Draco qui, adossé contre la rambarde du carré VIP, matait ouvertement la bande de femelles qui avaient interpellé Blaise un peu plus tôt.

« Et qu'est-ce qu'elle a, ma photo de carte d'identité ? »

« Elle est incroyablement moche. »

« Oh, tu veux qu'on parle de la tienne, Draco ? Parce que jusqu'aujourd'hui, la science n'a pas encore été capable de prouver que tu ressemblais à un être humain dessus. »

« Bitch, please. » rétorqua le blond en émettant un claquement de langue condescendant. « Je suis mannequin. On ne me paie pas pour ressembler à un être humain basique au physique quelconque ; on me paie pour être une véritable bombe. »

« Évite de dire ça lorsque tu passeras les portiques de sécurité d'un aéroport, on risquerait de t'arrêter pour tentative d'attentat. »

Les yeux bleu-gris de Malfoy passèrent alors de la brochette de fêtardes en fringues léopards à Blaise et il plissa des paupières, feignant un air profondément blasé. Blaise eut un sourire en coin.

« C'était drôle. » lui assura-t-il.

« Même pas un peu. »

« C'était très drôle, Malfoy. »

« Ta blague était plus tragique que la plus tragique des tragédies grecques. » maintint Draco même si le sourire de son meilleur ami l'avait déjà contaminé.

« Andy aurait trouvé ça drôle, lui, au moins. » répliqua Zabini avant de s'en retourner à son examen de la foule, son regard accrochant toujours celui insistant de P. Diddy. « Mais où est-ce qu'il est passé ? »

« On s'en fiche de lui, pour l'instant. » trancha Pansy en lui attrapant le poignet pour le mener à l'autre bout du balcon, ses multiples bagues pressant douloureusement l'os de son bras. « Tu as un... »

« Show à assurer, oui. » termina pour elle Blaise d'une voix lasse.

Il ne savait sincèrement pas pourquoi Pansy lui fichait une telle pression, surtout pour un mini-concert en boîte de nuit comme celui-ci. Il pouvait tout aussi bien s'asseoir en tailleurs par terre et faire des bulles avec son chewing-gum qu'on le paierait quand même grassement à la fin. Et ce n'était pas qu'il détestait ce genre de soirées mais il les détestait quand même. L'énergie émanant du public n'était pas la même que celle dégagée lors d'un véritable concert ; ici, 45% des gens étaient simplement venus pour l'observer comme une bête curieuse, 45% autres braquaient leurs portables sur la scène, simplement excité à l'idée de prendre une célébrité en photo et de bombarder ensuite les réseaux sociaux avec, 5% seulement connaissait sa discographie et pour les 5% restant, eh bien ils n'en avaient tout simplement rien à foutre. Il n'y avait pas ce lien intime, intense qui le reliait au public – à son public – lorsqu'il assurait ses chansons en tournée. L'émotion n'était pas la même car ce n'était justement que du show, du factice, un truc dont on ne se rappellerait même pas en détail le lendemain.

Mais chacun était gagnant dans l'affaire, n'est-ce pas ? D'un côté, le club parvenait à se faire un gros coup de pub sur son dos et de l'autre, Blaise repartait avec un joli chèque dans la poche. Alors lorsque le Dj annonça sa venue d'une voix forte – faites un maximum de bruit pour le rappeur le plus anticipé du moment, pour l'artiste qu'on ne présente même plus.. ! – et que les clubbeurs se mirent à pousser des exclamations crescendos, Blaise ferma les yeux. Et lorsqu'il les rouvrit, ça y était, tout était bon : il était Slytherin.

Les shows comme celui-ci s'articulaient toujours de la même façon. Tout d'abord, Slytherin faisait monter l'anticipation de l'assistance à base de « est-ce que vous êtes prêts à foutre le feu ? Je vous entends pas : EST-CE QUE VOUS ÊTES PRÊTS A FOUTRE LE FEU ? » puis, lorsque la fièvre du public était à son comble, il faisait signe au Dj d'enchaîner sur la première chanson. Il commença avec son tout nouveau single actuellement au top des ventes, Real Wild, puis embraya sur Forbidden Zone, morceau psychédélique que Kid Cudi et lui avaient composé en trente-trois minutes, montre en main, entre deux épisodes de Death Note. Il continua avec quelques un des morceaux phares issus de ses albums précédents tout en prenant soin de toujours maintenir un climat électrique entre chaque chanson.

L'estrade sur laquelle il était perché faisait office de scène improvisée et il sautillait avec excitation d'un bout à l'autre du sol vitré, son micro soudé à sa main, la coke aidant à faire passer son hyperactivité pour de l'enthousiasme. Lorsqu'il baissait la tête, l'afro-britannique ne voyait non pas des visages mais une marée de téléphones brandis en l'air. Des objectifs de Nikon le mitraillaient pour que sa photo soit ensuite placardée partout sur le site de l'Arena, les mecs du carré VIP faisaient sauter le Crystal tout en scandant ses lyrics, un groupe de filles plutôt mignonnes mais pas majeures pour un sou se déhanchaient avec lascivité juste à ses pieds et lorsque Slytherin entama Reaching Up, le plus grand succès mondial de sa carrière, le club tout entier cria les paroles du refrain, couvrant presque la voix du rappeur. C'était ce qui s'appelait clôturer un set en beauté.

Près de quarante personnes l'entourèrent à la seconde où il quitta l'estrade, exigeant photos et autographes. Blaise n'en accorda qu'une dizaine avant que la situation ne tourne à l'anarchie. Il garda son expression faciale habituelle sur chaque photo : yeux très légèrement plissés, sourire banni et traits neutres. Cela contrastait généralement avec la figure des fans qui se tenaient à côté de lui avec un sourire rayonnant, un bras entourant la hanche du rappeur, le coude appuyé familièrement contre son épaule ou leurs lèvres pressées contre sa joue, y imprimant une trace de cosmétique rouge vermeille. Blaise laissait généralement faire, inexpressif. Il était sur le point de prendre la treizième photo de la soirée, deux mecs le tirant en arrière par le pan du t-shirt pour obtenir son attention, lorsque son regard eut le malheur de dévier en direction du coin bar. Et ce qu'il y vit manqua de faire vaciller son masque d'impassibilité.

Blaise pouvait reconnaître Andy partout, que ce soit de dos, dans le noir, en altitude ou sous l'eau. Ses boucles frisant n'importe comment sur sa tête, ses larges épaules de boxeur, sa posture légèrement voûtée et nonchalante, ses jeans délavés et toujours déchirés au niveau du genou. Il aurait pu le reconnaître les yeux bandés. C'est pourquoi son regard n'eut aucun mal à accrocher sa silhouette malgré la distance qui les éloignait. Il avait un bras appuyé négligemment contre le comptoir en skaï et une de ses mains reposait sur la joue d'une grande blonde, son pouce traçant une caresse circulaire contre sa peau. Son regard était si brûlant que Blaise pouvait le sentir d'ici. Et il sut avant même que ses propres yeux ne le lui confirment qu'Andy n'allait pas tarder à se pencher vers l'inconnue pour n'en faire qu'une seule bouchée.

« Ok, pardon... pardon ! Non, plus de photos. Il faut que je... Non, non, non ! Plus aucune photo... laissez-moi passer... putain mais laissez-moi passer ! J'ai dit plus de photos, bordel ! Qu'est-ce que vous ne pigez pas dans cette phrase ? »

Il rejoignit le carré VIP en tornade et pila droit sur Draco. Le blond était en charmante compagnie, une brune plantureuse à sa droite, une beauté orientale à sa gauche et ses deux mains placées sur chacune de leurs cuisses. Blaise claqua sèchement des doigts devant ses yeux puis indiqua la sortie.

« On y va. » déclara-t-il.

Draco haussa des sourcils, pris au dépourvu.

« Quoi ? Maintenant ? »

« Oui, maintenant. »

« La voiture est déjà avancée ? »

« Non. » répondit Blaise qui se retenait toutes les deux secondes de jeter un regard vers le bar. « On prendra un taxi. »

« Non merci. Je préfère attendre la voiture. » opta Draco, sa main resserrant sa prise sur le flanc de ses deux voisines.

« Tu fais comme tu veux mais moi, je me tire. »

« Avec Anderson ? »

Rien que la mention de son prénom fit grincer des dents Blaise. Il préféra tourner des talons pour éviter d'autres questions.

« Eh ! Attends ! Qu'est-ce que je dis à Pansy, moi ? » tenta de le retenir Draco dans son dos mais c'était bien le cadet de ses soucis.

Blaise dévala les escaliers qui faisaient la passerelle entre le paradis et la Terre des mortels puis fendit la foule le plus rapidement possible, remontant de nouveau sa capuche pour rester anonyme dans la cohue. Il savait que sa réaction était stupide et totalement disproportionnée. Il savait qu'il n'avait aucun droit d'être énervé parce que rien n'avait été officiellement établi entre Andy et lui. Ils étaient juste de bons potes qui, occasionnellement, glissaient leurs mains respectives dans le boxer de l'autre et n'en reparlaient plus le lendemain. La limite entre l'amitié et le précipice était toujours très floue entre eux, mais rien n'avait été marqué du tampon solennel de l'amour ou gravé éternellement dans la roche de l'union sacrée donc Blaise n'avait vraiment aucun droit d'être énervé. Sauf qu'il l'était. Il bouillonnait de rage, même.

À quelques pas de la sortie, la tentation fut trop grande. Sa tête se tourna au ralenti vers le bar. Juste pour voir, juste pour être sûr. Il balaya la quinzaine de tabourets occupés mais ne trouva ni chevelure bouclée, ni épaules carrées, ni sourire espiègle. À l'emplacement que Andy avait précédemment occupé se trouvait à présent un jeune homme brun en chemise et jean noirs qui touillait paresseusement sa boisson. Dès que Blaise posa son regard sur lui, ce fut comme si le garçon put le sentir car il tourna immédiatement sa tête vers lui et – oh. Oh. Zabini ralentit inconsciemment et cligna plusieurs fois des paupières. Des yeux d'un bleu aussi foudroyant, il n'en avait tout simplement jamais vu. Et pourtant, lorsqu'on traînait avec un mec au visage aussi douloureusement parfait que Draco, il était possible de croire que le tour du sujet avait été fait. De même lorsque la paire d'iris verts de Pansy vous crucifiait à peu près soixante-sept fois par jour : après cela, on pouvait penser ne plus avoir rien à apprendre question intensité de regard. Et pourtant.

Ils étaient à plusieurs mètres de distance l'un de l'autre mais ce ne fut pas ce qui empêcha ses orbes bleu vif de se ficher profondément dans les siennes. Et quand bien même les secondes s'éternisèrent, faisant prolonger à n'en plus finir leur échange visuel, l'inconnu ne flancha pas une seule seconde. À peine s'il clignait des paupières. Blaise ne savait pas si c'était de la curiosité ou de la provocation ou une simple œillade pensive. Il était habitué à ce que les gens le scrutent sous tous les angles partout où il se rendait. À vrai dire, il avait dû se forcer à s'y habituer pour ne pas devenir fou et plaquer au sol la prochaine personne qui volerait un instant de sa vie privée à l'aide de sa caméra d'iPhone. Mais qu'une personne ne se focalise que sur lui en dépit de la musique hurlante qui faisait trembler les murs de la salle et des centaines de fêtards passant et repassant incessamment entre eux, à demi ivres... c'était nouveau. Le regard de l'inconnu était neutre mais direct, incisif, comme s'ils se tenaient face à face.

« Woh, mec, tu comptes prendre racine ou quoi ? » cria quelqu'un dans son oreille avant qu'une épaule ne le bouscule rudement.

Blaise sortit de sa transe et tituba légèrement en arrière. Sa capuche retomba sur ses épaules.

« Oh. Mon. Dieu ! » s'exclama alors celui qui venait de le pousser. « Oh bon sang, c'est Slytherin ! Eh, les mecs ! Regardez ! Regardez ! C'est Slytherin ! ! Est-ce que je peux prendre une photo ? J'ai adoré le nouvel album, au fait... Backwards, c'est ça ? Mes potes et moi on l'écoute en boucle... est-ce qu'on pourrait avoir aussi un autographe, au fait ? »

Et c'était reparti.

/

Imane Zabini fronça des sourcils, sentant une ombre bloquer les rayons matinaux qui réchauffaient sa peau. Elle ouvrit brusquement les yeux et aperçut au travers de ses verres teintés deux silhouettes masculines debout à sa gauche. Son irritation fondit alors comme neige au soleil, remplacée par un sourire de prédateur, et elle remonta lentement ses lunettes de soleil sur le haut de son crâne pour leur demander d'une voix de velours :

« Que puis-je faire pour vous, messieurs ? »

« Hum. » répondit éloquemment le premier homme en costard, ses yeux bloqués sur la poitrine découverte d'Imane.

« Keith Stevens. » vola alors à son secours le second homme d'affaires. « Voici mon associé, Thomas Monroe. Nous sommes les représentants du label Interscope. »

Il tendit sa main vers l'ex-mannequin qui l'enveloppa de ses longs doigts fins vernis en pourpre, son index lui caressant innocemment la paume avant de relâcher sa poigne.

« Enchantée, Keith. Imane Zabini. » minauda-t-elle. « Je suppose que vous avez rendez-vous avec mon fils, Blaise ? »

« C'est exact, Madame. » acquiesça Thomas, cette fois-ci.

Imane se redressa gracieusement sur son transat et attrapa le peignoir plié à ses pieds pour l'enfiler. Les rayons de soleil firent scintiller le tissu blanc satiné de l'habit.

« Suivez-moi. » les invita-t-elle avec un demi-sourire tout en nouant négligemment le cordon de l'habit autour de ses hanches.

Les deux hommes en costards obtempérèrent et progressèrent sagement derrière elle, hypnotisés par le déhanché cadencé de la maîtresse de maison. Son tanga violet en dentelle était parfaitement distinguable à travers la matière fine de son peignoir. Keith et Thomas longèrent en procession la grande piscine extérieure au bord de laquelle Imane avait pris son bain de soleil puis pénétrèrent à l'intérieur d'une villa aux murs vitrés par l'intermédiaire d'une porte-fenêtre coulissante. La pièce dans laquelle ils débouchèrent était un gigantesque living-room décoré à l'africaine, des masques en bois sur les murs et des sculptures Massaï sur les étagères ou au sol.

« Kreattur ! » appela Imane d'une voix forte.

Cinq secondes plus tard, un nain au nez proéminent déboula dans le salon vêtu d'un tablier noir et blanc. Il s'arrêta droit devant Imane et baissa la tête avec docilité.

« Oui Madame ? » récita-t-il d'une voix manquant cruellement d'entrain.

« Demande donc à ces messieurs ce qu'ils souhaitent consommer. » ordonna-t-elle avant de tourner légèrement la tête de côté pour reposer son menton contre son épaule, offrant ainsi son meilleur profil aux deux représentants. « Keith, Thomas, mettez-vous à l'aise. Je m'en vais prévenir Blaise de votre arrivée. »

Les concernés hochèrent la tête à l'unisson, leurs yeux toujours cimentés sur les courbes de la quarantenaire. Imane eut un rictus en coin.

À l'étage, Blaise hésitait entre deux chemises parfaitement identiques. Il détestait s'habiller formellement. Il était sorti du ventre de sa mère en jean-baskets, après tout. Mais la dernière fois qu'il avait osé se pointer en rendez-vous d'affaire avec une paire de Jordan aux pieds, Pansy lui avait passé un tel savon que des bulles étaient sorties de sa bouche. Donc, bon, il pouvait bien faire quelques petites concessions si l'occasion s'y prêtait. Optant pour la chemise similaire n°1, Blaise enfila avec un pantalon bleu nuit et des chaussures noires si simples qu'il était inconcevable que l'on puisse claquer près de 3000 balles dessus – et pourtant. Deux sprays de parfum sur la nuque, sa montre attachée à son poignet, sa bague en titane enfilée au majeur et il était fin prêt. Quoique. Passant devant son miroir, l'afro-britannique ne put résister à l'envie de défaire les trois premiers boutons de sa chemise. Et puis pourquoi s'arrêter en si bon chemin : il retroussa aussi ses manches méthodiquement, dévoilant ainsi son quatrième tatouage, celui juste au-dessus de la jointure intérieure de son coude. , c'était bon.

« Ils sont arrivés. » lui annonça sa mère en entrant dans sa chambre sans frapper car elle ne l'avait jamais fait en vingt-trois ans de vie commune ; pourquoi commencer maintenant ?

« Je sais. Je les ai entendus. » répondit Blaise avant que son regard ne dévie de son propre reflet à celui dénudé de sa mère. « Tu les as accueillis comme ça ? » lui demanda-t-il, les sourcils haussés.

« Non. » répondit Imane avant de défaire à nouveau son peignoir. « Je les ai accueillis comme ça. »

« T'es pas croyable... » gémit Blaise en fermant les yeux.

Il se retira dans la pièce voisine pour récupérer les documents dont il aurait besoin, sa mère sur les talons.

« Remercie-moi, plutôt, parce que mine de rien, je viens de te mettre ces deux gars-là dans la poche sans même que tu n'aies eu besoin de lever le petit doigt. »

« Maman, les accords ne se concluent pas en montrant ses seins, tu sais... bon sang mais où est-ce que j'ai mis le dossier des comptes ? »

« Tiroir de droite, étagère du bas. » répondit mécaniquement Imane avant de s'adosser contre l'embrasure de la porte. « Et je sais bien qu'il ne suffit pas que de ça pour crier victoire mais admets quand même que je viens de te mâcher une bonne partie de travail. »

« J'aurais très bien pu y arriver seul, merci. »

« Ha ! » ricana sèchement Imane. « Et avec quoi ? Le pouvoir magique de tes mots ? »

« Exactement. » acquiesça son fils et il quitta la pièce.

Les deux hommes d'affaires sirotaient leurs boissons respectives et observaient curieusement l'agencement de la pièce lorsque Blaise fit son entrée. Il les salua d'un énergique « Messieurs » suivi d'une toute aussi énergique poignée de main puis les mena dans sa salle de réunion. C'était une pièce toute en longueur avec un plafond haut et une moquette couleur rubis. Les murs étaient tapissés de bouquins que Blaise n'avait jamais ouverts de sa vie mais qui ne manquaient jamais d'impressionner chaque fois ses visiteurs. Ils prirent tous place autour de la table rectangulaire en bois et, pendant les cinq premières minutes de réunion, chacun fit semblant de se soucier de la pluie et du beau temps comme il était d'usage. Puis le sujet de conversation dévia vers des eaux plus profondes.

« M. Zabini, votre label est un sujet récurrent de préoccupation au siège d'Interscope. » commença Keith en croisant des mains. « Lorsqu'en 2014, nous vous avons donné l'autorisation de le monter... »

« Pause : j'ai décidé de monter ce label tout seul pour avoir ma propre indépendance parce que vous aviez une fâcheuse tendance à agir comme des control-freaks vis-à-vis de ma carrière, ce qui m'a rendu claustrophobe à la longue, et vous n'avez pas eu d'autres choix que de me suivre de peur que je ne parte d'Interscope. » rectifia Blaise. « Ne mélangeons pas les rôles, ici. »

« Vous n'auriez de toutes les façons pas pu partir, M. Zabini. Votre contrat ne se termine qu'en 2017, au cas où cela vous aurait échappé. » lui fit remarquer Thomas.

« Mais qu'est-ce qu'une simple petite clause comme celle-ci lorsqu'on a Maître Lucius Malfoy à ses côtés pour les démanteler, je vous le demande. » rétorqua Blaise avec un petit sourire. « N'oubliez pas que mon contrat initial exigeait également que je produise un album par an. »

« La seule et unique raison pour laquelle nous avons fait autant de concessions à votre sujet est à cause de vos ventes. Vous êtes l'un des artistes qui a fructifié le plus notre chiffre d'affaires à ce jour et ce n'est un secret pour personne. » admit Keith.

« Mais soyez sûr que si ça n'avait pas été le cas, vous auriez connu beaucoup plus de difficultés à ouvrir votre propre label. » continua Thomas.

« D'ailleurs, comme je l'ai dit avant que vous ne m'interrompiez, Zabini Records préoccupe... »

« Mon premier album s'est vendu à 2,6 millions d'exemplaires. » énuméra Blaise, le coupant à nouveau et sans remords. « Mon second album est sorti il y a deux semaines à peine et s'est déjà coulé à 517 000 exemplaires. Je ne sais pas comment vous traduisez les chiffres que je vous donne mais dans mon langage, c'est plutôt synonyme de succès. D'autant plus que je me suis auto-signé, ce qui veut dire que la moitié de mes recettes de vente est reversée sur Zabini Records tandis que l'autre partie vous revient. » Il croisa des bras mains et se pencha en arrière. « Alors qu'est-ce qui, au juste, vous préoccupe dans mon label ? »

« M. Zabini, cela va faire deux ans que Zabini Records est actif et vous n'avez signé en tout et pour tout qu'une seule personne : Lee Jordan. Ne voyez-vous pas un petit problème ? »

« Lee est très bon. Il fait souffler un vent nouveau sur la scène musicale urbaine et a sorti un EP en août qui a été largement salué. »

« Mais ça reste un artiste underground. » insista Thomas. « Peu de gens le connaissent et ... »

« Encore faux. » le contredit Blaise. « Les gens qui ne tendent pas l'oreille et ne s'intéressent pas à ce qui se fait de nouveau dans les petites sphères, préférant se focaliser sur les têtes d'affiche, ceux-là ne connaissent pas Lee. Mais sur des plateformes libres telles que SoundCloud, il est tout bonnement incontournable. »

« Connu sur SoundCloud, tiens donc. » se moqua Keith. « Et c'est censé être un accomplissement ? »

« Je sais pas, demandez peut-être au Time Magazine. Après tout, ils ont bien décrit l'EP de Lee comme ''extrêmement brillant'', je cite. » répliqua Blaise.

Keith perdit son sourire mais se pencha vers l'avant, menaçant.

« M. Zabini, voici le fond exact de notre pensée : vous perdez royalement votre temps. Votre label est un gâchis, de l'argent jeté en liasses par les fenêtres. Vous signez les mauvaises personnes, vous refusez les bonnes et vous foncez droit dans le mur. Lee Jordan a beau être aussi génial que vous le décrivez, ce ne sera pas ça qui le fera vendre. Parce que ce qui fait vendre, c'est une belle tête, du charisme, de la présence scénique, une bonne visibilité médiatique et un single qui rentre dans la tête des gens sans leur aval. Le talent, ça faisait vendre dans les années 80, quand autotune n'existait pas et qu'il fallait chanter sans play-back dans un micro qui grésille. Maintenant, n'importe qui peut être célèbre avec un peu de volonté et d'artifices. »

« Je ne cherche pas l'artifice. » refusa Blaise. « Je cherche l'authenticité. »

« Mais qui veut de l'authenticité de nos jours ? Enfin, réveillez-vous M. Zabini ! Pensez-vous vraiment qu'il y ait quoi que ce soit d'authentique chez des personnes comme Katy Perry ou Rihanna ? »

« Le grain de voix de Rihanna est très original. Reconnaissable entre tous. »

« Peu importe, là n'est pas le sujet. »

« Quel est le sujet alors, mmh ? » voulut savoir Blaise en haussant un sourcil. « Le fait que je prenne mon temps pour choisir soigneusement les artistes que je veux signer ? Le fait que je refuse consécutivement toutes les personnes que vous m'envoyez jour après jour sans vous lasser parce qu'aucune d'entre elles ne me convient ? »

« Et qu'est-ce qui vous convient, M. Zabini ? Parce qu'on a vraiment du mal à le deviner quelques fois. Les gens se bousculent pour faire partie de votre label. En avez-vous même conscience ? Et pas seulement les petites gens issues de SoundCloud ou autres : de vrais artistes désirent intégrer vos rangs. Et vous, qu'est-ce que vous faites ? Vous distribuez des ''non'' à tout va pour ensuite prendre sous votre aile un Monsieur Nobody infiniment quelconque qui ne vous rapportera même pas la moitié de ce que vous investirez sur lui. »

« Pour la dernière fois : ce n'est pas le fric qui m'intéresse. » siffla Zabini, à bout de nerfs. « J'en ai déjà assez pour vivre sept vies d'affilée. Ce que je veux, ce que je traque, c'est une perle rare. Un musicien capable de bouleverser la vie d'un inconnu rien qu'au travers d'un simple CD de dix titres. Ce que je recherche, c'est cette personne capable de me donner les mêmes frissons que j'ai ressentis lorsque je me passais The Art Of Peer Pressure de Kendrick Lamar en boucle, pris d'un syndrome de la page blanche que je ne souhaite à personne au beau milieu de la confection de Backwards. Et au bout de la quinzième écoute, tout m'est paru soudainement clair : il fallait que j'arrête de compliquer ma plume et que je raconte les choses telles que je les voyais, telles que je les ressentais, comme si je relatais une histoire. Il fallait que je laisse les souvenirs, les sensations, les images et les couleurs venir à moi, me submerger, et que je les couche ensuite sur le papier sans me poser trente-six mille questions. C'est cette personne-là que je traque. Celle qui sera capable de guider celui qui écoutera sa musique pour donner ensuite un sens à ce qu'il fait. Et je vous l'accorde : Lee ne sera pas connu. Il n'atteindra certainement jamais le même niveau de notoriété que j'ai atteint. Mais des gens sauront tout de même qu'ils existent. Des gens écouteront ce qu'il produit. Des gens téléchargeront sa musique, mettront son album à fond dans leurs voitures pendant un road-trip ou dans leurs écouteurs pendant qu'ils se rendront au lycée sous la pluie. Et ses lyrics auront un impact sur tous ces inconnus qui auront pris le temps de s'intéresser à ce qu'il fait. Peut-être qu'ils les aideront, peut-être qu'ils leur donneront la motivation nécessaire pour attaquer la journée ou finir un travail, peut-être que ça les encouragera à venir voir Lee en concert et peut-être qu'ils l'attendront pour le prendre en aparté et lui dire : ''tu sais, cette chanson m'a quasiment sauvé la vie''. Alors forcément, ce que je vous dis ne doit pas vous parler étant donné que vous ne raisonnez qu'en dollars mais sachez juste que c'est ce que je recherche. Et je prendrais tout le temps qu'il faudra pour débusquer la personne qui correspondra à ces critères parce que je sais qu'elle existe quelque part. »

Keith et Thomas s'entre-regardèrent, quasiment catastrophés. La situation était apparemment plus grave qu'ils ne l'avaient prévue.

« M. Zabini, Interscope veut que vous signiez au minimum un artiste avant la fin de ce mois. » prit la relève Thomas. « Si ce n'est pas fait, nous entamerons les procédures légales nécessaires pour que Zabini Records stoppe toute activité. Votre label est un mauvais investissement et vos rejets à répétition créent une atmosphère de tension entre les artistes et Interscope. P. Diddy nous a appelés plusieurs fois... »

« Oh bon sang, encore lui. » gémit Blaise en se massant l'arrête du nez. « Je ne veux PAS faire de featuring avec lui. Point barre. Combien de fois dois-je le répéter ? Je sais déjà le désastre que sera le produit fini. »

« Pensez un peu à ce que cela vous rapportera. »

« Ce n'est pas l'argent qui... écoutez-vous même ce que je vous dis ? »

« Et vous, comprenez-vous l'enjeu de la situation ? Il vous faut un nouvel artiste dans votre écurie d'ici quinze jours, M. Zabini, auquel cas vous pourrez dire adieu à votre label ! » le prévint Keith.

« C'est moi le fondateur, vous n'avez pas le droit de m'en chasser. »

« Entièrement vrai. » affirma sans honte Thomas. « Mais nous allons quand même intenter une procédure en justice tout en faisant que l'affaire bénéficie de la plus lourde couverture médiatique qui soit. Vous qui fuyez les tabloïds comme la peste, vous allez en être la vedette. »

Blaise sembla être sur le point de répondre quelque chose de particulièrement cinglant mais ravala sa réplique au dernier moment, la mâchoire serrée. Il prit ensuite une inspiration profonde et expira lentement, son index tapotant contre le bois lustré de la table dans un tic nerveux.

« Ok. » finit-il par céder.

« Ok ? » répéta Keith, surpris qu'il capitule aussi vite. « Ok comme ''ok, laissez-moi tranquille'' ou ''ok, j'accepte'' ? »

« Pour accepter quelque chose, encore faudrait-il avoir le choix, n'est-ce pas ? » lui fit remarquer froidement Blaise avant de hausser des épaules. « J'ai quelqu'un dans ma ligne de mire depuis quelques mois, déjà. Je pensais en attendre un autre encore avant d'entamer une démarche d'approche... mais ça se fera plus tôt que prévu, apparemment. Alors oui, d'ici une semaine ou deux, l'affaire sera normalement réglée. »

« C'est parfait, M. Zabini. Absolument parfait. » jubila Keith en lui serrant la main à lui en broyer les os.

« Nous ne pensions vraiment pas que vous vous rangeriez de notre côté, connaissant votre nature têtue. Je suis certain que votre label sera on ne peut plus florissant à présent ! » lui assura Thomas d'un haussement de tête énergique.

« C'est ça. » roula des yeux Blaise avant de se lever et frapper dans ses mains. « Bien. La réunion est terminée ou bien vous reste-t-il encore des menaces en stock ? »

Imane les raccompagna jusqu'à la porte avec un grand sourire, portant cette fois-ci des talons hauts et une nuisette transparente couleur menthe à l'eau. Lorsqu'ils la saluèrent, ce fut avec les yeux noyés dans son décolleté.

« Alors ? » demanda-t-elle en fermant la baie vitrée derrière eux.

« Alors le pouvoir de la Sainte Poitrine Dénudée ne marche pas sur tout le monde, apparemment. » l'informa Blaise qui envoyait un texto à Pansy pour annuler tous ses plans de la soirée. « Ils exigent que je signe un nouvel artiste d'ici la fin du mois. »

« D'ici la fin du mois ? » répéta Imane, ses sourcils fins haussés de surprise. « Donc dans quinze jours ? »

« Tout juste. »

« Et qu'est-ce que tu comptes faire ? »

Blaise appuya sur la touche ''Envoyer'' puis glissa son portable dans sa poche arrière de jean.

« Obéir. »

/

Blaise verrouilla sa Range Rover à distance, enfonça sa casquette sur sa tête et rabattit sa capuche de gilet par-dessus pour optimiser ses chances de camouflage. Les mains dans les poches, il émergea du parking souterrain de Venice Beach et longea le large trottoir, slalomant entre skateurs, vendeurs de snacks, poussettes et surfeurs retournant d'une bonne journée de glisse, leurs planches sous le bras. Il faisait froid, ce soir. Ou, du moins, il faisait froid pour un climat californien car ici, dès que le thermostat descendait en dessous de 18°C, tout le monde sortait sa parka et ses moufles. Dire que Blaise s'était copieusement moqué de ces frileux de naissance lorsqu'il avait quitté Leeds pour les palmiers de Los Angeles, trois ans plus tôt, et maintenant regardez-le frissonner alors qu'il ne faisait seulement que 16°C...

Lorsqu'il arriva devant le Betsy Bar, un petit cabaret transformé chaque week-end en salle de concert, la queue devant les portes closes faisait déjà le tiers de l'Avenue. Une poignée alarmante de hipsters semblant tout droit sortir du côté torturé de Tumblr en faisait partie et, par réflexe, Blaise se tourna vers Draco pour ricaner. Sauf que cet abruti n'était toujours pas là. Ils s'étaient donné rendez-vous à dix-neuf heures et quart devant la salle, la montre de Zabini affichait actuellement dix-neuf heures trente et aucune trace du blond à l'horizon. La ponctualité était un réel problème chez Malfoy et cette phrase sortait de la bouche de Blaise, alias Celui-incapable-d'arriver-à-temps-à-son-propre-enterrement.

Zabini s'appuya contre le ponton du trottoir d'en face en soupirant. Ses yeux balayèrent la plage qui se vidait quelques mètres plus loin, l'eau devenant de plus en plus sombre à mesure que le soleil orange fusionnait au loin avec la ligne d'horizon. Il fit craquer distraitement ses phalanges et fourra de nouveau ses mains dans son American Apparel en coton noir, Kendrick Lamar rappant dans ses écouteurs « I hope the universe love you today ». Son portable vibra soudain à l'annonce d'un texto. Celui de Draco, plus exactement. Sous une liste de ''T'es où ?'' de plus en plus hystériques envoyés par Blaise, le jeune homme venait de répondre par une photo de sa tête reposant confortablement entre les jambes d'une fille en bikini, un sourire goguenard étirant ses lèvres de charmeur, son index et son majeur relevés dans un V de victoire. ''Changement de programme, déso.'' avait-il ajouté comme légende. Blaise roula des yeux et fourra de nouveau son portable dans sa poche. Pour le ressortir de nouveau, un nouveau texto s'affichant sur l'écran. ''Amuse-toi bien. Évite de chanter faux.'' Puis, deux secondes plus tard : ''& ne fixe aucun individu du sexe mâle pendant plus de 3 sec.'' Là, Blaise rangea une bonne fois pour toutes son téléphone.

Il entra sans faire la queue, la mention simple de son nom de famille suffisant pour que le cordon rouge soit ôté et qu'on le laisse passer. Arrivé dans la salle, il se réfugia sur le balcon du premier étage, ayant ainsi la possibilité de voir sans être vu. L'espace se remplit à une vitesse phénoménale, confinant à terme près de trois-cents personnes bien que la capacité des lieux ne soit que de moitié. Des gens vinrent prendre également place sur son balcon et Blaise s'agrippa à la rambarde, ne regardant ni à gauche, ni à droite mais droit vers la scène. Bientôt, les lumières faiblirent, emportant avec elles les derniers murmures du public.

Luna fit son entrée pieds nus, vêtue d'un tissu blanc noué à la manière d'une robe de vestale, une couronne de fleurs hawaïennes sur la tête. Ses cheveux étaient un mélange de mèches blondes véritables et de dreadlocks munies de perles et de minuscules amulettes. La première chose qu'elle fit après son apparition fut de s'agenouiller pendant deux longues minutes devant le public en signe de respect, celui-ci répondant par une série d'applaudissements, d'exhortations joyeuses et de sifflements sonores. Les lèvres de Blaise s'incurvèrent en un début de sourire. Il percevait l'atmosphère, il ressentait l'énergie. Ce concert allait être mémorable.

Luna Lovegood, il l'avait dénichée dans les tréfonds les plus perdus de YouTube. Il était tout d'abord allé visionner ses Vlogs et avait été immédiatement happé par sa personnalité atypique si aérienne, éthérée. Elle semblait totalement déconnectée de la réalité mais de la plus fascinante manière qui soit. Et lorsque Blaise s'était intéressé à ses vidéos musicales et avait découvert sa voix douce et féerique, il avait été complètement, définitivement et irrémédiablement charmé. Elle avait un don pour instaurer un lien intime entre l'auditeur et elle, pour le transporter dans son univers lumineux et mélancolique, pour lui faire oublier où il était, qui il était, et ce le temps d'une seule chanson. C'était ce genre de perle rare que recherchait activement Blaise.

Sans surprise, le concert fut un délice. Du début à la fin, Luna captiva son auditoire. Elle avait créé sa petite oasis sur scène, s'entourant de bougies de senteur et de bâtons d'encens, s'accroupissant en tailleurs sur un drap fleuri pour converser avec le public entre deux chansons, plaçant des petites pierres précieuses multicolores tout autour d'elle et expliquant la signification de chacune d'entre elles lors de ses entractes improvisées. Lorsqu'elle chantait, ses yeux étaient clos et son poignet libre mimait chacune des inflexions de sa voix, comme dans un réflexe inconscient. Elle dansait aussi, quelques fois, et ses mouvements pouvaient paraître ridicules pour certains mais Blaise y voyait une certaine forme d'art. Luna vivait concrètement sa musique, se perdant dans le tourbillon de notes à en oublier la foule agglutinée à ses pieds qui buvait le moindre de ses gestes. Et lorsqu'elle descendit à leur rencontre, Blaise regretta amèrement de s'être exilé sur le balcon. Il la suivit du regard offrir sa couronne de fleurs à l'un, déposer un léger baiser sur le front de l'autre et attraper doucement le menton d'une fille aux cheveux tressés pour lui chanter, les yeux dans les yeux :

« The whole world is burning... Come, let me paint some love into your soul.»

Blaise se crut malin. Cinq minutes avant la fin du concert, il décida de descendre du balcon pour accéder ainsi plus rapidement aux coulisses. Malheureusement, même les escaliers menant au rez-de-chaussée étaient bondés et en avisant le parterre humain de fans qui s'étendait à perte de vue, le musicien opta pour s'asseoir lui aussi sur les marches et attendre. La foule peuplant l'antre se désépaissit petit à petit lorsque la représentation fut terminée et Blaise put alors se déplacer librement dans la pièce. Sa tête était suffisamment baissée pour savoir où il mettait les pieds tout en minimisant le risque d'être reconnu. Non pas qu'il avait honte d'être vu dans ces locaux mais il savait que si quelqu'un devinait sa présence, une cinquantaine de personnes l'encercleraient dans les secondes qui suivraient et il n'était pas venu ici pour voler la vedette à qui que ce soit. Ce n'était pas son concert mais celui de Luna.

« Demi-tour, l'ami. La sortie, c'est par là-bas. » l'informa-t-il un grand asiatique muni d'un talkie-walkie lorsqu'il voulut rejoindre le couloir des backstages.

Pour seule réponse, Blaise baissa sa capuche et ôta sa casquette. Il leva ensuite un sourcil, l'air de dire ''Et là ? Je fais toujours demi-tour ?'' et récolta une bouche entrouverte ainsi qu'une paire d'yeux écarquillés. Après s'être confondu en excuses, le vigile bégaya des compliments aléatoires concernant son album, sa carrière, son concert à Detroit auquel il s'était rendu, ses baskets, son haut, son teint, ses yeux et Blaise l'arrêta à temps avant que la situation ne devienne embarrassante pour eux deux.

Quatrième porte à gauche, lui indiqua-t-on lorsqu'il demanda où se trouvait la loge de Luna. Blaise s'engagea donc dans le corridor et compta : une porte, deux portes, trois portes, quatre portes. Il s'arrêta devant le panneau de bois, ferma brièvement les yeux pour respirer un bon coup puis toqua trois fois.

« Entrez. » chantonna une voix féminine quelques secondes plus tard.

Blaise actionna alors la poignée et entra dans une petite pièce sentant les huiles essentielles et éclairée à la lumière de trois chandeliers. Il y avait des guirlandes sur les mur, des clichés de Polaroïd collés sur le miroir de la loge et Luna était assise sur le même drap qu'elle avait utilisé sur scène, une pomme rouge à la main. Lorsque ses grands yeux se posèrent sur lui, elle stoppa immédiatement tout mouvement, ses dents à deux doigts de croquer dans le fruit.

« S-Slytherin ? »

« Lui-même. » répondit Zabini.

Luna papillonna plusieurs fois des paupières, absolument incrédule, puis se fendit en un sourire éblouissant. Lorsqu'elle se mit sur ses pieds, Blaise réalisa soudain à quel point elle était petite.

« Luna Lovegood. » se présenta-t-elle et au lieu de tendre sa main pour le saluer, elle lui plaça un léger bisou sur la joue. « J'aime beaucoup ce que vous faites. »

« Tu. » la corrigea immédiatement Blaise avec un demi sourire. « On peut se tutoyer. Je n'ai que vingt-trois piges, après tout. »

« Oh ? » s'étonna Luna. « Pourtant, lorsque que j'écoute vot... tes chansons, j'ai constamment l'impression que tu es beaucoup plus âgé et que tu as vécu bien plus que ce qu'un jeune d'une vingtaine d'années est censé vivre. Ou peut-être n'est-ce que ton âme, alors. » ajouta-t-elle comme après réflexion. « Oui, ce doit être ça. Tu dois avoir une âme qui a beaucoup voyagé dans le temps et qui s'est imprégnée de souvenirs, d'émotions. Des milliards de palettes d'émotions. »

Blaise ne sut sincèrement pas quoi répondre à cela. Et pendant les quinze minutes qui suivirent, il se retrouva très souvent dans cette situation : totalement pris de court par les paroles étranges et poétiques qui sortaient de la bouche de Luna. Son intelligence n'était pas celle du reste commun des mortels, de même pour le regard qu'elle posait sur le monde. Blaise était subjugué. Si subjugué qu'il ignora les deux appels consécutifs d'Andy, préférant écouter Luna lui parler de l'effet que pouvait avoir l'alignement des planètes sur les humeurs des gens. (Même s'il finirait par craquer tôt ou tard et le rappeler car c'était toujours comme cela que les choses se passaient entre Andy et lui mais Zabini préférait ne pas penser à tout cela maintenant.)

Puisqu'il ne savait pas tourner autour du pot, Blaise lui exposa purement et simplement qu'il la voulait dans son label. Cela faisait près de quatre mois qu'il observait un peu son parcours d'artiste et que son personnage le fascinait, que ce soit sur le plan vocal comme sur celui humain. Il la voulait vraiment, vraiment dans son label. Luna lui offrit un second sourire mais aucune réponse.

« Peux-tu me reposer la question dans quatre jours, lorsque la mer se sera retirée ? Mes pensées sont toujours très saturées en période de marée haute et j'ai peur de ne pas prendre la bonne décision. »

« Bien sûr. » répondit immédiatement Blaise parce qu'il était prêt à attendre toutes les marées basses ou hautes et toutes les tempêtes, tornades ou tsunamis si, à terme, il avait sa réponse. Il la voulait dans son label à ce point.

Ce fut avec un numéro de téléphone griffonné sur sa paume et un bisou d'au revoir déposé délicatement sur sa joue que Blaise quitta la loge. Pris dans ses pensées, il en oublia de remettre en place capuche et casquette. Il longea le corridor dans le sens inverse d'un pas sensiblement plus lent qu'un quart d'heure plus tôt et tenta d'ignorer son portable qui vibrait pour la énième fois dans sa poche ainsi que la personne qui devait se trouver à l'autre bout du fil.

Un bruit de pas autre que le sien l'extirpa momentanément de sa bulle mentale, le poussant à redresser la tête. Et il reconnut à la seconde cette paire d'yeux bleus magnétiques qui l'avait fixé sans ciller à l'Arena Night Club. L'éclairage actuel différant de celui tamisé de la boîte de nuit, Blaise eut cette fois-ci le loisir de détailler l'homme qui lui faisait face de la tête aux pieds. Il était grand de taille et semblait avoir même âge que lui, ou peut-être un peu moins. Ses cheveux bruns étaient savamment ébouriffés, son débardeur déclamant ''Bush did 9/11'' laissait apparaître le creux de ses clavicules, son jean noir lui serrait impossiblement les cuisses et des Doc Martens marron en cuir vieilli chaussaient ses pieds. Lorsque Blaise revint à son visage et ces mêmes yeux océaniques qu'il avait quittés plus tôt le cueillirent tout entier.

Sous la lumière crue des néons du couloir, son regard semblait plus perçant encore que la veille. Et plus ils se rapprochaient, plus le rictus incurvant le coin de ses lèvres fines s'accentuait. Tout ceci semblait être une petite source de divertissement pour lui, Blaise le voyait dans l'étincelle rieuse qui brillait dans ses yeux. Lorsqu'ils furent au même niveau, l'épaule de l'inconnu vint effleurer la sienne, leurs deux manches de gilets entrant en contact. Puis, juste comme ça, il continua sa route.


*La phrase chantée par Luna en concert est extraite d'un poème de Ijeoma Umebinyuo.

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Note de fin : J'espère vraiment avec un grand V comme « Vade Retro » que ce chapitre vous aura plu. Vous pouvez retrouver tout l'univers de Backwards (les présentations des personnages, les différents lieux évoqués, les pochettes des CD de Slytherin... et bien d'autres choses encore !) sur le Tumblr que D Would a confectionné de ses doigts de fée. Il est fabuleux – encore en toute objectivité, bien sûr. Prochain chapitre : le POV de Théodore écrit par ma collègue-sensei. Il est aussi fabuleux. Ok. J'arrête là. Merci d'avoir lu !

xo.

IACB.

PS : psst... eh D Would, ... quand est-ce qu'il sera posté le chapitre deux ?