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Chapitre 61 : Le Chaudron d'Arianrhod ~Partie 3~

« Des bannières de pèlerin, qui balisent la route du chaudron. Nous approchons. »

Mordred leva les yeux vers les tissus colorés, attachés au sommet de branches tordues qui avaient été enfoncées dans le sol rocailleux du ravin. Ils avaient quitté leur camp une heure plus tôt, la lumière avait encore la pâleur de l'aube, et les cieux étaient gris avec la possibilité de pluie.

Merlin leva la tête vers ces nuages et utilisa légèrement sa magie sur eux, retenant toute 'tentation' qu'ils auraient pu avoir de relâcher leur charge d'eau. Il était assez difficile de marcher sur cette piste, sans que la pluie ne la rende en plus glissante.

« Nous sommes presque au sommet. Nous devrions y être d'ici une heure ou deux. Avec de la chance, après cela, nous pourrons retourner aux chevaux avant la tombée de la nuit. »

Ils continuèrent de marcher, inconscients de la présence de la sorcière qui les observait désormais depuis le sommet du ravin. Morgane observa leur groupe, renfrognée, tandis que son regard cherchait des signes d'Emrys. Mais apparemment le vieil homme se cachait, comme un lâche, restant hors de vue. Seul son chien de manchon était là, ouvrant la route vers le Chaudron d'Arianrhod, et elle avait Aithusa...

En bas, Merlin et les autres continuèrent d'avancer, l'esprit fixé sur la tâche qui les attendait. Il faillit ne pas remarquer immédiatement, le moment où il entendit le bruit d'ailes parcheminées en vol, et se retourna juste à temps pour se baisser avec surprise tandis qu'un jeune dragon blanc criait au-dessus d'eux en guise d'avertissement.

Mordred posa Claire à terre, tendant la main vers son épée, mais Merlin l'arrêta d'un regard et déclara brusquement à Brevan :

« Prenez votre femme et votre fille, et courez vers le Chaudron ! Nous nous occupons de cela ! »

Brevan n'hésita pas à obéir, sa terreur à l'arrivée de la créature ailée était plus que suffisante pour le faire s'enfuir dans le ravin avec sa femme sur une épaule et sa fille lui tenant la main.

Merlin et Mordred attendirent qu'ils soient à bonne distance, avant de se tourner vers le dragon qui se préparait à passer de nouveau au-dessus d'eux.

Mordred fronça les sourcils.

« Pourquoi est-ce qu'Aithusa nous attaque ? Tu es un Seigneur des Dragons ! »

Le froncement de sourcils de Merlin était accordé au sien.

« Il n'attaque pas vraiment, il en donne juste l'impression. S'il était sérieux, Aithusa aurait utilisé du feu contre nous avec son premier passage. Il était assez près pour que, même avec mes réflexes pour la magie, nous ayons été un peu brûlés.

– Mais pourquoi cette démonstration ? »

Merlin lui jeta un regard.

« Parce qu'Aithusa est l'ami de Morgane, et elle nous observe probablement en ce moment. »

Il fit face au dragon en train de charger.

« Mais ça suffit... Nun de ge dai s'eikein kai emoisepe'essin hepesthai ! »

Aithusa cria une fois en guise de protestation, et vira pour s'élever parmi les pics des montagnes les entourant.

Les deux hommes regardèrent partir le dragon, poussant un soupir de soulagement avant d'aller à la suite de Brevan. Mais à peine s'étaient-ils retournés, qu'ils aperçurent l'espace d'un instant Morgane face à eux avant qu'elle ne les fasse tomber d'une explosion.

Merlin atterrit lourdement, et resta étourdi par l'impact, mais Mordred s'avéra plus fortuné en matière d'atterrissage et se releva précipitamment. Il se dressa de façon protectrice entre lui et Morgane, et fronça les sourcils quand la sorcière hésita à le frapper à nouveau.

« Pourquoi hésiter à me tuer ? »

Morgane le regarda solennellement, presque triste.

« Je n'ai rien contre toi, Mordred. Comment le pourrais-je ? Tous les deux, nous avons la même nature. »

Il se renfrogna à ces mots, pensant à l'amertume et la rage qui la dirigeaient, quelque chose qu'il ne voulait jamais devenir.

« Jamais. »

Morgane lui sourit avec ironie.

« Tu portes bien la tenue de chevalier, mais elle ne te convient pas. Tu es un pantin qui danse au bout de fils. Des fils tenus par Arthur et Merlin. On se sert de toi.

– Vous vous trompez. »

Mordred ne bougea pas, refusant de s'écarter ne serait-ce que d'un pouce de la ligne lui permettant de protéger le magicien au sol derrière lui.

« Merlin et Arthur sont mes amis. Ils croient en moi, ils ont confiance en moi, et ils donneraient leurs vies pour moi et moi pour eux. »

Le sourire de Morgane disparut.

« Ta naïveté pourrait être charmante si les temps étaient moins dangereux... Où est Emrys ? »

Il y eut un moment de silence, puis Mordred la regarda posément, comme s'il ne savait pas ce qu'elle lui demandait.

« Emrys ? »

Elle étrécit les yeux.

« Prétends-tu que tu ignores de qui je veux parler ? »

Mordred garda son sang-froid, infatigable.

« C'est seulement un nom que j'ai entendu.

– Il n'est pas là ? Avec toi ? »

Il y avait presque de l'innocence dans sa voix quand elle demanda ça, et pourtant Mordred demeura impassible tandis qu'il répondait :

« S'il était là, ne sentirions-nous pas tous deux la présence d'un aussi grand sorcier ? »

Morgane fronça de nouveau les sourcils.

« Peut-être, mais on m'a dit que Merlin a presque autant de pouvoir qu'Emrys, pourtant il demeure aussi impossible à déchiffrer qu'il l'a toujours été, quand il ne veut pas que d'autres le détectent. »

Elle commença à lever la main vers lui.

« Mais si tu insistes pour ne pas me le dire, alors je n'ai plus besoin de toi à présent.

– Vous frapperiez donc l'un des vôtres ? »

Les mots de Mordred interrompirent son geste, et il la fixa avec de la tristesse dans les yeux.

« Je ne suis pas assez fort pour vous vaincre, Morgane, mais sachez ceci. Toute cette haine qui est en vous ne saurait triompher. J'espère que vous retrouverez la tendresse et la compassion qui emplissaient autrefois votre cœur. »

Elle abaissa la main, complètement perturbée par ses paroles, et dans son moment d'hésitation, il brandit la main vers elle. Les yeux de Mordred furent traversés d'un éclair d'or, et Morgane fut rejetée en arrière pour atterrir inconsciente sur le sol. Il se retourna ensuite pour faire face à Merlin, qui avait repris ses sens durant la conversation, et qui avait en fait également levé la main, prêt à frapper si c'était nécessaire.

Il jeta un regard à Morgane tandis que Mordred le hissait sur ses pieds.

« Bien joué. Tu m'as sauvé la vie. »

Mordred la regarda alors, remarquant que Merlin la dépassait pour continuer à remonter le ravin.

« Tu ne vas pas la tuer ? »

Merlin s'arrêta et regarda par-dessus son épaule.

« Et pourquoi ferais-je cela ? »

Mordred le fixa, confus.

« Elle serait prête à causer des souffrances à d'innombrables gens pour atteindre ses buts, et te tuerait en un clin d'œil.

– Mais ça ne veut pas dire que je peux la tuer de sang-froid. »

L'expression de Merlin se fit lugubre.

« J'ai failli la tuer, il y a quelques semaines, et elle était aussi impuissante à m'en empêcher qu'elle l'est en cet instant... Mais l'Ancienne Magie ne voulait pas que je le fasse. Elle ne m'arrêtera pas si je choisis de la tuer, mais en même temps je sens que Morgane a encore un rôle important à jouer. J'ai peut-être été désigné comme sa perte, mas ça ne veut pas nécessairement dire que je vais la tuer. Mais je sais une chose. Ici et maintenant, de ta main ou de la mienne, n'est pas le jour où elle est destinée à mourir. Si nous la tuons ici, même au nom d'éviter les morts qu'elle causera peut-être si nous la laissons vivre, il n'y aucun moyen de savoir quel effet cela aura sur le futur. Si je la tue, alors que l'Ancienne Magie me prévient de ne pas le faire, je pourrais détruire le futur même qu'Arthur et moi œuvrons à créer. Je tue seulement quand je le dois, pour me défendre et défendre ceux que je protège. Morgane n'est pas une menace envers nous alors qu'elle est inconsciente. »

Il se détourna.

« Je refuse d'assassiner. Je l'ai fait une fois dans le passé, j'ai assassiné Nimueh, et ça me hante depuis ce jour. Quels qu'aient été ses défauts, et quoi qu'elle m'ait fait ainsi qu'à ceux qui me sont chers, elle ne méritait pas de mourir comme ça. »

Mordred le suivit, fronçant toujours les sourcils.

« Alors tu vas vraiment juste la laisser là, et la laisser vivre ? Pourquoi, quand il serait tellement plus simple de savoir qu'elle n'est plus.

– Alors toi, à un niveau personnel, tu préférerais que je la tue ? »

Mordred eut un mouvement de recul, hésitant.

« Eh bien, non, pas vraiment. Pas quand je me souviens de comment elle était autrefois, quand elle a aidé à me sauver la vie. »

Merlin soupira.

« Alors tu vois que ce n'est pas si simple. Il n'y a pas de façon "simple" de s'occuper de quoi que ce soit avec un si grand effet. Elle pense que la façon la plus simple d'obtenir ce qu'elle veut, est de tuer quiconque se met sur sa route. Par conséquent, elle vit dans la solitude, et les ténèbres, méprisée par les gens de la communauté magique qui la respectaient autrefois. Cependant, si elle avait renoncé à son désir pour le trône, lutté à travers le défi émotionnel d'accepter cela, quand cette chance lui a été offerte, elle pourrait vivre à Camelot avec nous. Heureuse. »

Il secoua la tête.

« Ne pense jamais, jamais que tuer quelqu'un est l'option simple. Morgane n'est pas le seul exemple de comment cela peut devenir bien pire pour toi au long terme. Camelot n'aurait pas la moitié des alliés qu'elle a, si je n'avais pas fait l'effort de convaincre de nombreux sorciers de croire en Arthur. Il y a plus d'une douzaine d'alliés forts que nous avons, que nous avons seulement parce que nous avons choisi de ne pas les tuer, et plutôt de leur donner une chance de voir la raison. »

Mordred se tut, restant silencieux pendant presque une minute avant de soupirer, corrigé par le raisonnement de Merlin et inconscient que cette même explication s'appliquait à lui. Qu'il était l'ami de Merlin, purement parce que le magicien avait fait l'effort de gagner sa confiance au lieu de le déclarer trop dangereux pour pouvoir vivre.

« Tu as raison, je suis désolé. Tu as beaucoup plus d'expérience que moi, et j'aurais dû respecter ça. »

Merlin tendit le bras pour poser une main sur son épaule avec une approbation silencieuse, avant que tous deux ne continuent sur la dernière partie du chemin pour atteindre leur destination.

Le Chaudron d'Arianrhod était magnifique, un lac d'un bleu cristal enroulé autour du bord intérieur du cratère d'un volcan éteint depuis longtemps. Brevan et sa fille attendaient anxieusement sur la berge, tandis que Mari était allongée au sol à leurs côtés, et le bûcheron se précipita vers eux quand il les vit arriver.

« La créature, est-elle morte ? »

Merlin secoua la tête, dissimulant ses pensées troublées sur Aithusa.

« Non, mais elle ne nous dérangera plus. Je l'ai forcée à partir, en utilisant ma magie. »

Il prit Brevan par le bras, et le ramena vers Mari.

« Nous devons faire ce pourquoi nous sommes venus ici. Je vais la réveiller, et quand je le ferai, il faudra que vous lui disiez quelque chose que vous savez que cela réveillera les sentiments de son vrai soi. Elle doit vouloir vous suivre, vous et votre fille, dans l'eau. Appelez-la à vous, mais ne la forcez pas. Elle doit entrer de sa propre volonté. »

Il tendit la main et la passa sur les yeux fermés de Mari, ne laissant pas le temps à Brevan de réfléchir et de former des doutes. Un sort murmuré, et il recula, tandis que ses yeux s'ouvraient en battant des cils et qu'elle s'asseyait avec agitation.

« Où suis-je ? Que m'avez-vous fait ? »

Elle bondit sur ses pieds, et se débattit quand Brevan l'agrippa. Protestant avec véhémence jusqu'à ce qu'il parle avec désespoir :

« Mari, c'est moi. Tu te souviens ? Ton époux. L'homme avec qui tu as juré de rester jusqu'à la fin de tes jours, et qui a juré de rester avec toi. »

Elle recommença à se débattre, jusqu'à ce qu'un gémissement de Claire la fasse regarder la petite fille tandis que Brevan continuait de parler.

« Est-ce que tu te souviens du jour de la naissance de Claire ? Est-ce que tu te souviens de ce que tu as dit quand tu l'as tenue dans tes bras pour la première fois ? »

Mari s'immobilisa, écarquillant les yeux devant ce souvenir.

« J'ai... J'ai dit que je l'aimerais pour toujours, ma petite fille. Que je l'aimerais de tout mon cœur. »

Quand Merlin lui fit signe de le faire, Brevan lâcha Mari et se retourna pour soulever Claire. Il commença ensuite à reculer dans le lac, un pas à la fois.

« Claire a besoin de toi. J'ai besoin de toi. S'il te plaît, reviens-nous juste. Viens à nous. »

Dans son étreinte, sa fille tendit les bras vers sa mère, gémissant toujours, et le bruit fit faire le premier pas à Mari vers le lac.

« Ma petite fille, elle a besoin de moi ? »

Brevan hocha la tête.

« Oui. Viens juste dans l'eau, et nous pourrons tous rentrer à la maison ensemble. »

Mari commença à accélérer alors, ses pas se faisant plus certains tandis qu'elle couvrait la distance jusqu'au bord de l'eau. Merlin attendit qu'elle soit dans le lac jusqu'à la taille, avant de tendre sa magie et de commencer à psalmodier.

« Yfel gaest ga thu fram thisselichaman. Bith hire mod eft freo. Ar ond heofonutungol sceal thurhswithan ! »

Tandis que sa voix augmentait de volume à chaque ligne de l'incantation, il sentit la magie dans le Chaudron enfler. Elle s'éleva, dans une lumière blanche et pure autour de Mari, et il sentit un petit coup d'approbation de la "Déesse Blanche". Ce n'était pas une volonté consciente, pas comme la Triple Déesse, mais c'était une partie de l'Ancienne Magie. Douce et chaude, pleine d'espoir et de guérison, qui existait purement pour apaiser les souffrances.

Cela envoya un frisson d'émerveillement autour de lui, presque assez pour qu'il ne voie pas le moment où Mari fit face à son époux et sourit. Ils sortirent de l'eau, chacun tenant l'une des mains de Claire, tandis qu'elle souriait de joie entre eux.

Brevan regarda Merlin, des larmes dans les yeux.

« Vous avez réussi, vous nous l'avez ramenée. Quoi que je doive faire pour vous remercier, dites-le et je le ferai. »

Merlin lui rendit son sourire.

« Vivez une vie heureuse avec elle et votre fille. Que vous partiez d'ici en étant de nouveau une famille, c'est le seul paiement dont j'ai besoin. »

Il regarda ensuite Mordred, et l'entraîna à part pour lui parler.

« Escorte-les jusqu'aux chevaux, et emmène-les vers la première bande de forêt sur la piste de retour à Camelot. Je vous rattraperai quand j'aurai fini ici. »

Mordred fronça les sourcils avec inquiétude.

« Morgane est encore sur la piste. Je peux leur faire faire un détour pour qu'ils ne la voient pas, mais si elle se réveille avant que tu n'aies terminé ?

- Kilgharrah sera là bientôt, alors ne t'en fais pas pour moi. Il y a une grande différence entre elle me prenant par surprise, et moi étant prêt à la recevoir avec plusieurs protections en place pour la ralentir. Mais, si ça peut aider, je descendrai la piste et lui lancerai un sort de sommeil pour être sûr. »

Merlin semblait confiant, et sa solution était raisonnable, mais Mordred demeurait incertain.

« Fais donc cela, mais quand même, pourquoi aurais-tu besoin de Kilgharrah ici ? »

L'expression de Merlin se fit solennelle, et son regard attristé par des sentiments que seul un Seigneur des Dragons pouvait comprendre.

« Depuis un certain temps maintenant, il est clair qu'Aithusa a été rendue rachitique par ce qu'a fait le Sarrum d'Amata. Ici, dans cet endroit de guérison, j'espère réparer cela. »

Mordred recula, désormais capable de comprendre, et hocha la tête avant de commencer à mettre Brevan et sa famille sur la piste.

Merlin les regarda partir, attendant qu'ils soient hors de portée d'oreille avant de rugir une convocation à Kilgharrah. Maintenant il était temps d'attendre que le dragon arrive, et de s'assurer que Morgane ne se réveillerait pas avant que lui-même ne quitte la montagne.

Et quand il vint se dresser au-dessus d'elle, sa magie changeant l'inconscience en véritable sommeil, Merlin la regarda d'un air songeur. Car il y avait une autre raison pour laquelle il ne l'avait pas tuée, et c'était parce qu'elle était restée avec Aithusa pendant deux ans de souffrance. Elle aurait pu abandonner le dragon blanc n'importe quand, et se libérer, et cependant elle ne l'avait pas fait. Elle était restée, et pour un Seigneur des Dragons cela signifiait quelque chose.

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