Je profite de ma subite vague d'inspiration pour reprendre également cette fanfiction.

Bonne lecture.


Chapitre 2

Le roi Brand se tenait, seul et immobile, sur les remparts méridionaux de Dale, le regard plongé vers l'horizon, au-delà d'Esgaroth. Il lui semblait voir bouger les multitudes de lances de l'armée qui allait bientôt venir à eux dans le seul but de les anéantir pour la gloire de son Seigneur Noir. Mais il ne s'agissait seulement de jeux d'optique issus d'un soleil couchant dont les rayons rougeoyants glissaient sur l'eau du Lac et au-delà des terres visibles à ses yeux.

Depuis la venue de l'émissaire du Mordor la veille, Brand n'était plus tranquille et ne le serait sans doute plus jusqu'à ce que cette guerre en devenir se finisse, ou qu'il périsse par elle. Il n'avait pas renvoyé le messager avec violence, tout juste lui avait-il dit que les Hommes de Dale réservaient leur jugement pour décider de leur placement dans cette guerre. Brand ne voulait pas avoir affaire au Seigneur Noir du Mordor - il lui semblait trahir ses ancêtres rien qu'en ayant cette pensée - mais il ne pouvait se voiler la face : si guerre il devait y avoir, et elle venait à eux, cela en était certain, Dale sombrerait dans les flammes. La cité avait déjà connu les langues de feu de Smaug lorsque le Grand Vers l'avait attaquée de sa folie dorée et elle s'en était relevée. Plus forte, plus belle, plus prospère qu'elle ne l'avait été avant.

Mais Brand doutait qu'elle puisse le faire à nouveau. Les flammes du Mordor étaient nettement plus brûlantes que celles d'un dragon. Accoudé aux pierres froides, le roi réfléchissait les yeux dans le vague, se demandant s'il avait fait le bon choix en renvoyant le messager sans aucune réponse certaine. Peut-être aurait-il dû lui assurer de l'aide de Dale dans la guerre pour sauver son peuple de la colère de l'Ennemi.

Même les discussions avec son conseil restreint ne lui avaient apporté aucune réponse. Aldérich et Endigard n'avaient pas pris la peine de camoufler leur colère à l'idée même de rejoindre les rangs du Mordor. Les autres seigneurs avaient tous hoché la tête à leur suite. Seul leur respect pour leur roi les avait empêchés d'avoir des mots violents envers lui. Galéon l'avait soutenu en listant tous les points faibles de leur cité en cas de siège, répétant souvent dans sa diatribe qu'ils n'étaient pas prêts. Mais il était facile de discerner sa réprobation dans sa posture sèche. Même s'il savait, mieux qu'eux tous, qu'ils n'avaient que peu de chance de l'emporter contre le Seigneur Noir, l'intendant de Dale refusait en son for intérieur de renier les anciens serments et la fierté des Hommes du Val.

Alors le roi Brand ne voyait aucune solution à son problème. Soit il rejoignait le Mordor et tournait le dos à l'âme des Hommes du Val, reniant ses glorieux ancêtres, et sauvait peut-être son peuple. Soit il prenait les armes contre le Mordor, en accord avec le courage de ses ancêtres, et risquait de mener Dale à une ruine de laquelle elle pourrait ne jamais se relever. Il savait qu'Esgaroth suivrait Dale dans son choix, quel qu'il soit : la cité du Lac n'avait pas les moyens de s'opposer seule aux armées du Mordor. Il savait également que Dàin d'Erebor craignait qu'il ne succombe à la pression de l'Ennemi et ne tourne le dos à l'amitié entre leurs peuples.

Les Nains n'allaient pas hésiter. Ils prendraient les armes contre le Mordor une nouvelle fois et préféreraient périr jusqu'au dernier et voir les richesses d'Erebor pillées plutôt que de se soumettre à l'Ennemi. Leurs cousins des Monts de Fer ne devraient pas rester retranchés dans leurs montagnes et, comme autrefois ils étaient venus à l'appel de Thorïn Ecu-de-chêne, ils viendraient certainement rejoindre leurs rangs. Les Elfes de Mirkwook feraient de même, à ne pas en douter. Le roi Thranduil avait combattu Sauron dans la plaine de Dagorlad puis sur ses terres mêmes à Dol Guldur, repoussant toujours les assauts des Ténèbres et protégeant son peuple contre l'Ennemi de plus en plus présent. Jamais n'accepterait-il de déposer les flèches et les épées que les siens levaient contre les légions de Sauron depuis des centaines d'années.

Il n'y avait donc que les Hommes du Val à rester indécis alors que leurs alliés avaient déjà choisis. Brand se prit la tête dans la main et se massa distraitement les tempes où un mal de tête battait. Il n'avait pas pris le temps de se reposer depuis l'arrivée du messager de Sauron la veille et la fatigue se faisait ressentir, d'autant plus qu'elle se mélangeait à des angoisses profondes.

Un flocon vint soudain lui chatouiller le nez, déclenchant un éternuement surpris, et le roi leva la tête au ciel. De lourds nuages s'avançaient sur le Val qui se refroidissait et les premiers flocons commençaient à tomber. L'hiver approchait et viendrait avec lui une dernière saison de paix. Et lorsque le printemps serait là, les armées de Sauron seraient à leurs portes. Ne restait qu'à savoir si elles leur seront fermées ou ouvertes.

Alors le roi Brand prit en son cœur une décision. Il se rappela que son grand-père, Bard Ier, avait trouvé le courage de tirer une dernière flèche au-devant du Grand Vers qui vomissait ses flammes sur Esgaroth. Le dragon ne devait pas lui paraître moins insurmontable que lui paraissaient aujourd'hui les armées du Mordor. Pourtant Bard n'avait pas hésité et était resté ferme. A lui ne pas faire mentir son sang et les faits d'armes de sa famille.

- Gardes !

L'ordre claqua dans l'air refroidi du soir qui tombait et les deux gardes qui le veillaient à quelques pas sursautèrent à sa soudaine voix. L'un d'entre eux s'avança vers lui.

- Qu'y a-t-il, Votre Majesté ?

- Allez annoncer aux palefreniers que je souhaite me rendre en Erebor en début de matinée demain. Mon meilleur cheval devra être prêt à m'attendre dans la cour.

Le garde acquiesça et fit demi-tour pour aller porter le message lorsque Brand l'arrêta :

- Et en remontant, allez quérir mon fils. Il m'est venu aux oreilles qu'il voulait me parler. Nous mangerons ensemble ce soir.

L'homme s'inclina et s'en partit au pas de course. Brand quitta les remparts pour rejoindre ses appartements, suivi du second garde, un sourire rasséréné aux lèvres. Il préférait savoir quel chemin prendre plutôt que d'hésiter entre deux routes, soit-il un chemin truffé de ronces qui n'avait peut-être pas d'arrivée.

Il s'asseyait sur la table à doubles couverts que ses serviteurs avaient dressé lorsque Bard fut annoncé. Une fort élan de fierté s'empara du cœur du roi lorsqu'il vit s'avancer son fils d'un pas qui n'était ni pressé ni lent, tout en sérénité et en courage, alors que ses yeux laissaient transparaître toute sa fébrilité et son angoisse. Si le roi n'avait pu prendre le temps de parler avec le prince, ce dernier avait réussi à traverser sa tempête personnelle de ses propres moyens. Son fils grandissait, devenait un homme qui ferait un grand roi, et Brand était heureux de son choix alors qu'il le voyait. Le nom qu'il lui avait donné ne mentait pas en lui et il ne l'obligerait pas à le trahir en servant le Mordor.

- Bonsoir, père, je suis heureux de vous voir en forme, lui dit Bard en prenant place en face de lui. Le jeune homme le détaillait des pieds à la tête, s'attardant sur ses traits tirés, mais semblant soulagé de le voir en un seul morceau. Il avait dû craindre pour lui des coups de la part de l'émissaire du Mordor, peut-être même un assassinat. Brand devait s'avouer que lui-même avait craint pour sa vie lorsque le messager avait demandé à le rencontrer seul.

- Bonsoir, mon cher prince. Il m'a été dit que tu souhaitais me parler.

Brand cassa un morceau de pain pour le tremper dans le jus de sa viande tout en parlant, utilisant sciemment un ton de babillage pour mettre son fils à l'aise. Il lui était bien évidemment venu aux oreilles que son fils l'avait réclamé à grands cris mais il était disposé à oublier cet écart de comportement pour la raison l'ayant déclenché. De son côté, Bard réussit à ne rougir qu'à peine au souvenir et à faire comme s'il n'avait pas dû être arrêté par Aldérich dans son esclandre.

- J'étais sur les murailles lorsque l'émissaire du Mordor est arrivé en ville, lui dit-il en tripotant ses légumes, la voix dérapant sur le nom du sombre pays. Brand hocha la tête et avala sa bouchée de pain.

- Un sombre avenir nous attend, mon fils, je ne peux te le cacher.

Bard posa son couvert d'argent et resta quelques secondes à regarder son assiette, ses yeux baissés ne permettant pas au roi de comprendre ses pensées. Lorsqu'il les releva pour les plonger dans les siens, Brand put y lire un mélange de colère et d'espoir, de doutes et de peur. Ainsi, même son fils avait peur qu'il ne prenne un mauvais choix.

- Qu'allons-nous faire dans cette guerre, père ? Balion dit que nous sommes pas prêts. L'Ennemi viendra au printemps car la neige du Val nous protège d'ici là. Esgaroth nous suivra. Les Elfes et les Nains refuseront de se soumettre. Les Hommes du Val vont-ils s'allier pour aider leurs amis ou allons-nous rejoindre les armées du Mordor ?

Cette fois-ci, le prince réussit à prononcer ce nom sans trembler, le regard farouche et déterminé. Devant un tel regard, Brand comprit que son fils aurait rejeté la deuxième solution et serait parti rejoindre Dàin à Erebor, bafouant son autorité et entraînant dans son sillage plus d'un seigneur de Dale. Brand n'en était pas courroucé : l'enfant était fort, tant d'esprit que de corps, et bien plus fidèle à leurs glorieux ancêtres que lui ne l'était. Il avait douté avant de prendre sa décision, Bard avait pesé les mêmes failles et les mêmes forces et pourtant son cœur n'avait pu se résoudre à la trahison, même en pensée. Le roi était fier de son rejeton et il laissa cette fierté transparaître dans son regard.

- Nous allons combattre le Noir Ennemi, tout comme Bard Ier combattit le Grand Vers.

Ses derniers doutes venaient de s'envoler en fumée et il fut récompensé par les yeux étincelants d'admiration que son fils posa sur lui. Dire qu'il avait manqué perdre son rang de modèle auprès de son unique enfant.

- Je vais me rendre en Erebor rencontrer Dàin.

- Pas sans avoir pris du repos dans votre lit, père, le coupa Bard avec autorité. Le roi leva sur lui des yeux surpris, et amusés, mais le jeune homme semblait réellement sérieux et un sourire étira les lèvres du roi qui continua comme s'il n'avait pas été interrompu.

- Dès demain, je partirai pour la Montagne avec une escorte. Mais il me faut également me rendre à Esgaroth rencontrer le bourgmestre et savoir quelle sera sa position. Cette affaire ne souffre aucun délai. C'est pourquoi, mon fils, tu vas y aller en mon nom. Prends Balion avec toi. Aldérich commandera votre escorte.

- Je m'acquitterai de ma tâche avec diligence, Votre Majesté, lui répondit Bard après s'être léché nerveusement les lèvres. C'était la première mission de grande importance que son père lui confiait. Brand était confiant : son fils ne le décevrait pas et, si jamais quelques dangers l'attendaient à Esgaroth, Aldérich et Balion seraient présents pour l'en sortir.

Ils finirent leur repas sans parler plus longuement de la menace du Mordor si ce n'est par des discussions détournées. Ils parlèrent de fait des récoltes, des garnisons et des murailles, et, en sous-jacent, de la guerre à venir. Balion avait discuté de plusieurs bonnes idées avec son ami et Bard fut son porte-parole auprès du roi. Plusieurs décisions furent prises pour rassembler des vivres en conséquence, des hommes pour une armée, des pierres pour les catapultes, et en somme tout ce qu'il fallait pour tenir un siège efficacement.


Le lendemain, la cour royale retentissait des hennissements des chevaux dont les naseaux fumaient dans l'air froid. La température avait encore chuté depuis la veille et ils craignaient désormais un hiver trop rigoureux qui détruirait les dernières récoltes qui n'étaient encore engrangées. Brand ordonna donc à Galéon de partir faire une tournée dans les champs pour ordonner aux paysans de rentrer les récoltes au plus vite et de venir se réfugier dans la cité avec leurs biens. L'intendant avait déjà commencé à mettre en place des habitations provisoires dans les rues et les cours de la cité. Brand savait que son peuple ne pourrait tenir longtemps un siège : Dale avait connu une forte démographie ces dernières années et la cité allait s'avérer trop petite pour contenir l'ensemble de son peuple. Dès qu'il aurait obtenu de Dàin l'assurance qu'il hébergerait son peuple dans la Montagne, il viderait Dale de ses habitants pour n'y laisser que les soldats et le personnel adéquat.

Le roi resta à regarder son fils quitter la cité vers le Sud en compagnie de Balion et Aldérich. Il espérait que le bourgmestre d'Esgaroth ne ferait pas de vague et se joindrait à son avis. La Ville du Lac ne pourrait soutenir un siège malgré sa position avantageuse : les Wainriders étaient connus pour leur habilité à former des ponts de bois pour traverser fleuves et lacs et Esgaroth ne possédait pas de murailles en pierres. Brand invitait donc le bourgmestre à retrancher sa population civile dans la Montagne et joindre ses soldats à la défense de Dale. A Bard de lui faire comprendre que c'était la meilleure décision à prendre.

- La Montagne nous attend, Votre Majesté, lui dit Endigard qui l'avait rejoint sur son poste d'observation. Brand acquiesça et quitta la vision de son fils galopant vers Esgaroth pour redescendre dans la cour où l'attendait son cheval et son escorte. Il avait également demandé à ce que Melchior les accompagne malgré sa promotion récente dans le conseil restreint. Endigard accordait à ce jeune seigneur une grande confiance et Brand se rangeait à l'avis de l'austère seigneur.

Grive l'attendait sagement, les flancs frémissant d'anticipation. Issue du croisement entre un destrier et un palefroi, la jument à la robe grise alliait la force de son père au port gracile de sa mère ; une monture idéale selon Brand. Il l'enfourcha sans plus attendre et, la mettant au trot, franchit les portes septentrionales de Dale en direction d'Erebor.

Les Nains avaient dû les voir s'avancer vers la Montagne car ils furent accueillis aux Portes par deux des conseillers principaux du roi Dàin, Dwalïn et Nori qui avaient autrefois accompagnés Thorïn Ecu-de-Chêne dans sa reconquête d'Erebor. Leurs barbes étaient peut-être maintenant grises mais les deux Nains n'avaient en rien perdus leur force et la lueur de l'aventure brillait encore dans leurs regards.

- Le roi Dàin vous attend, Votre Majesté, lui indiqua Dwalïn alors qu'il descendait de cheval. Il les suivit dans les entrailles de la Montagne jusqu'à être conduit, non pas dans la salle du trône tel qu'il s'y était attendu, mais dans une pièce privée des appartements du roi nain qui l'accueillait ainsi en ami et non pas en subordonné.

Brand fit signe à Melchior et Endigard de rester dans une pièce adjacente avec Dwalïn et Nori et rentra seul rencontrer Dàin qui l'attendait avec deux verres d'eau-de-vie.

- Bienvenue à vous, roi Brand fils de Bain fils de Bard le Tueur de Dragon.

Brand accepta avec un remerciement de la tête le verre que le Nain lui tendit.

- Je vous remercie de votre hospitalité, roi Dàin fils de Nàin.

Les deux rois se jaugèrent du regard jusqu'à ce que Dàin n'invite son invité à prendre place dans l'un des deux fauteuils que contenait la pièce.

- Il m'a été dit que les Hommes de Dale ont reçu un émissaire noir.

- Un tel messager est en effet venu me faire part des revendications de son Seigneur, acquiesça Brand en ne se laissant pas intimider par le ton sombre du Nain. Dàin darda sur lui des yeux acérés et demanda :

- Et quelle a été votre réponse ?

- Je suis venu demander au roi Dàin d'ouvrir la Montagne aux Hommes du Val pour qu'ils puissent s'y réfugier alors que la guerre fera rage sur leurs terres.

Le Nain s'accouda sur l'un de ses bras et le regarda longuement.

- Vos soldats tiendront Dale pour un siège ?

- Si fait. Mais je ne vous cache pas que ni Dale ni Esgaroth n'a les ressources pour arrêter les armées du Mordor.

- Erebor et les Monts de Fer seront avec vous. Et les Elfes ne laisseront pas l'Ennemi prendre ses aises dans des régions si proches de leurs forêts et qui plus est leur étant alliées. Quoique je crains que le Sombre Seigneur ait déjà à la pensée d'envoyer des forces différents vers eux. Le roi Thranduil le défie depuis de longues années.

- Il nous faut donc tenir bon. Le Roi Elfe ne pourra soutenir deux assauts venant de directions différentes. Et malheureusement, il ne faudra pas attendre d'aide de sa part.

Dàin hocha la tête, sombre.

- Les Elfes ne pourront pas nous aider. L'Ennemi sait qu'il sert ses desseins en nous divisant. C'est ce qu'il a voulu faire en envoyant ses messagers. J'ai longtemps craint que vous ne succombiez à la pression.

- Mon peuple a déjà affronté un Grand Vers. Je ne serai pas le roi qui fit montre de lâcheté en reniant ses serments envers ses amis par peur de la mort.

- Un printemps de sang nous attend, prédit le roi nain et Brand ne put qu'hocher de la tête. Dàin soupira en jouant avec l'eau-de-vie contenue dans son verre.

- La Montagne accueillera les civils de Dale et d'Esgaroth. Et j'enverrais un contingent vous soutenir lorsque Dale sera assiégée. Mais nous ne devons pas nous leurrer.

- La bataille décisive se déroulera devant les portes d'Erebor. Jamais Dale ne pourra arrêter les armées qui marcheront sur elle.

Brand savait que sa décision conduirait à la destruction de sa cité. Tant qu'il avait de Dàin l'assurance que son peuple serait protégé dans les entrailles de la Montagne, il pouvait accepter cette déchirure sans se rompre.

Pris par ses pensées, il ne vit pas le Nain se lever et s'avancer vers lui jusqu'à ce qu'il pose une main amicale sur son épaule.

- Gardez espoir, mon ami, dit Dàin d'un ton bas, comme s'il craignait qu'un quelconque espion ne l'entende. Gloïn vient de s'en revenir de Fondcombe. Nous avons de notre côté quelque chose qui permettra de faire tomber l'Ennemi.

Il resta sciemment vague et Brand ne demanda pas plus ample information. Il ne comprenait guère ce que le roi nain voulait dire par là mais savait désormais qu'il y avait encore un espoir de réchapper à une destruction totale.

- Alors il nous reste qu'à tenir jusqu'à sa chute.

Lorsqu'un nouvel émissaire de Sauron vint à Dale, il trouva les portes fermées et une flèche tirée dans le sol juste devant son cheval lui fit tourner bride. Le roi Brand venait de déclarer la guerre au Mordor.


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Les plaines de Rhûn retentissaient des sons d'une armée en formation. Les hennissements des chevaux de différents haras se chevauchaient en un chant de guerre et dansaient avec les trilles des armures qui tentaient, les tambours des piétinements de centaines d'hommes et les cris stridents des cors annonçant l'arrivée de nouveaux clans.

Après son alliance avec Xérès des Wainriders, Arban s'en était retourné à Ûbesèch pour y passer l'hiver en compagnie de son père et de sa femme. Ils avaient longuement parlé de stratégies, l'avaient préparé à survivre à la guerre en devenir, lui avaient fait comprendre à quel point ils s'inquiétaient déjà et désiraient plus que tout se joindre à lui, à défaut de pouvoir le retenir auprès d'eux, quand bien même cela leur soit impossible ; la guerre n'était ni pour son vieux père ni pour sa douce femme, soit-elle aussi fougueuse que les chevaux qu'elle dressait.

Et maintenant que le printemps était venu, il avait répondu à l'appel pressant du Mordor pour la guerre. A la tête des mille cavaliers qu'il avait promis au seigneur de guerre Xérès, il avait chevauché à vive allure vers le point de rassemblement dans les plaines de Rhûn, au nord du Khand, et à assez de distance de la frontière avec le Rohan pour que les Hommes de la Marche n'aient pas de vent d'un tel regroupement d'hommes et de chevaux.

Beaucoup étaient déjà arrivés avant lui. Du haut de la colline où il avait arrêté son armée pour annoncer sa venue, il voyait les étendards des Wainriders de Xérès, de plusieurs clans des Balchoth et d'autres du Khand. Et il frissonna de colère et d'appréhension en avisant l'étendard de Kyzilcum. Autrefois, Ûbesèch avait-elle été une alliée-sujette de Kyzilcum mais cette alliance avait pris fin avec l'usurpation du seigneur Ghuran qui avait chassé son frère Khoïar. Alors Dzurhan avait-il fait sécession et Ûbesèch avait-elle pris son indépendance vis-à-vis de la puissante Kyzilcum, quoique les hivers soient durs sans son aide. Il espérait ne pas croiser ni Ghuran ni l'un de ses fils qu'il avait certainement envoyé à sa place. Au contraire ne voyait-il pas trace de l'étendard du clan exilé de Khoïar et se doutait-il qu'il avait préféré mener ses cavaliers au Sud rejoindre la cavalerie haradhrim pour marcher sur Minas Tirith ; ce front-là demandait des troupes bien plus conséquentes.

- Sonnons-nous le cor ? lui demanda Kharzdhan en avançant son cheval vers lui. Arban hocha la tête.

- Que tous entendent qu'Ûbesèch est arrivée.

A ce qu'il voyait, Kyzilcum avait envoyé moins de deux-mille cavaliers alors qu'elle faisait entre trois et quatre fois la taille d'Ûbesèch. Un sentiment de fierté se logea dans les entrailles d'Arban alors que le puissant clairon de son peuple surpassait tout autre son dans les plaines de Rhûn.

Et le fracas de leurs mille chevaux qui dévalaient la colline fut une musique qui le ravit tout autant. Ils se stoppèrent dans un bel ensemble juste avant d'atteindre la lisière des tentes et il n'eut aucun cheval pour piaffer ou rompre le rang. Toujours unis par leur talent et leur discipline, les cavaliers variags d'Ûbesèch firent volter leurs montures pour se diriger vers un emplacement encore vierge de tentes pour s'y établir.

Une fois qu'il fut certain qu'ils allaient monter là leur camp, Arban laissa le commandement à Kharzdhan et galopa jusqu'au cœur du camp principal où se dressait la magnifique tente de guerre du seigneur Xérès des Wainriders. Le char du seigneur de guerre était posé dans un enclos près de la tente, magnifique et terrible, et les deux chevaux qui le tiraient étaient stationnés dans un pâturage voisin. Arban ne put qu'admirer la force de leur poitrail et le racé de leurs jambes ; ces deux créatures étaient peut-être plus grandes et certainement moins endurantes que les chevaux des Variags, mais il ne doutait pas de leur efficacité au combat.

- Tissapherne et Pharnabaze sont dignes de louanges, n'est-il pas, mon ami ?

Toujours à cheval, Arban tourna la tête vers Xérès qui s'en revenait vers sa tente, après avoir certainement accueilli d'autres seigneurs, entouré de sa garde rapprochée. Il le salua avec un sourire sincère et sauta à bas de sa monture pour incliner respectueusement son torse devant lui.

- Ces chevaux sont si magnifiques, seigneur Xérès, que je peine à comprendre que vous ayez eu besoin des chevaux des Variags.

Un rire franc secouant le seigneur alors qu'il s'avançait caresser le chanfrein de Tissapherne qui était venu réclamer de l'attention à son maître. Pharnabaze vint rapidement pousser son comparse pour bénéficier du même traitement et les deux chevaux se mirent à se chamailler en piaffant énergiquement, tout cela sous le sourire amusé de Xérès.

- Rappelez-vous de vos mots, Arban : mon armée compte plus de cents cavaliers.

Il se retourna vers le seigneur variag et indiqua sa tente d'un geste élégant.

- Venez. Nous avons à discuter.

Les gardes se postèrent devant la tente derrière leur passage et il se retrouva seul avec Xérès. Le seigneur de guerre le mena dans une pièce intime de la tente et ils se retrouvèrent dans un riche salon accueillant des fauteuils confortables, en riche velours rouge, une grande table de bois d'ébène vernis sur laquelle se trouvaient des cartes et des parchemins et une armoire du même bois de laquelle Xérès sortit deux verres de cristal et une bouteille de vin épicé. Arban ne put retenir son sourire en se rappelant le goût délicieux qu'avait ce vin.

- Je vois que vous avez su tenir votre promesse, Arban. Mille cavaliers sont venus d'Ûbesèch… alors que Kyzilcum n'a envoyé que mille-cinq-cents-cinquante chevaux. Je gage que Jorlan fils de Ghuran a dû sentir quelques frissons désagréables devant le spectacle de vos mille cavaliers dévalant la colline sous le clairon de votre cor.

Tout en parlant, Xérès lui servit un verre de vin et lui tendit avec un sourire amusé ourlant ses lèvres. La taquinerie n'était toutefois pas une moquerie et Arban lui rendit son sourire.

- Tout comme vos sujets et vos alliés reconnaissent votre puissance devant le spectacle de votre char et de vos chevaux au pas de votre majestueuse tente.

Ce disant, il caressa distraitement le velours rouge d'un des fauteuils. Le rire de Xérès se fit plus fort et le seigneur de guerre s'assit sur un autre fauteuil, l'invitant du bras à en faire de même. Ses yeux pétillaient de malice et il semblait être reconnaissant envers le seigneur variag.

- Continuez ainsi, Arban fils de Dzurhan. Je me régale de la simplicité de nos échanges. Vous ne m'épargnez en rien ma vanité tout me flattant sincèrement.

- Peut-être est-ce parce que je suis sincèrement admirateur de votre puissance, seigneur. Jamais je n'ai vu char plus beau que le votre ni reconnu plus de grandeur chez des chevaux issus d'autres haras que ceux des Variags que chez vos Tissapherne et Pharnabaze.

Ces mots déclenchèrent un autre sourire chez Xérès et les deux hommes se plongèrent dans un silence apaisant en sirotant le vin épicé que le seigneur de guerre leur avait servi. Il était d'aussi bon cru que celui qu'il lui avait offert lors de leur première rencontre. Ce fut Arban qui brisa ce silence.

- Vous m'avez dit en entrant qu'il nous fallait discuter. Avez-vous quelques inquiétudes à l'esprit ?

- Elles sont déjà en partie envolées. La façon dont un homme boit le vin qui lui est offert est plus parlant que ses mots. Vous m'avez assuré que notre alliance tenait toujours et que vous ne pensiez en rien à me tromper ou me doubler.

Un frisson désagréable traversa Arban qui posa sur le seigneur de guerre un regard courroucé et blessé.

- Sachez, Xérès de Qemerz, qu'Arban fils de Dzurhan d'Ûbesèch qui pas un homme prompt à parler d'une chose pour en faire une autre.

Son indignation était telle qu'il en tremblait et manqua de renverser ce qui restait de vin dans son verre. Mais Xérès tendit la main et serra son bras pour le stabiliser, tout en lui transmettant son soutien.

- Veuillez m'excuser. Mais l'arrogance et la suffisance du seigneur Jorlan de Kyzilcum m'ont fait douter de la pertinence d'une alliance avec un seigneur des Variags. Mais en vous revoyant, vous qu'une saison avait étiolé le souvenir, je me rappelle ce qui m'avait poussé à vous faire confiance.

La colère qu'il ressentait toujours se retourna sur le fils de Ghuran. Il doutait désormais de pouvoir se contenir face à lui s'il devait se retrouver en sa présence.

- Je dois vous avouer, seigneur, qu'Ûbesèch fut autrefois sujette de Kyzilcum et que ma famille rejeta ses serments lorsque le seigneur Khoïar fut chassé par son frère Ghuran.

Même s'il savait pertinemment que Xérès était au courant - ce que son commentaire sur les quantités de chevaux amenés par Kyzilcum en comparaison avec Ûbesèch laissait transparaître - il se devait de lui annoncer sa source de conflits avec le seigneur Jorlan si jamais une dispute venait à éclater entre eux. Xérès hocha simplement la tête et lui demanda s'il désirait à nouveau du vin.

- Après tout, ajouta-t-il en retrouvant son sourire. Il nous faudra bientôt prendre la route de la guerre et tout ce confort devra être laissé derrière nous.

- Alors servez-moi un autre verre de ce délicieux breuvage, seigneur, répondit Arban en calmant son corps, le verre tendu vers le seigneur de guerre. Ils n'avaient dégusté que la moitié de leurs verres qu'un garde ne s'annonça à son seigneur, disant qu'il avait une annonce pressante à lui faire.

- Entrez et faites donc, ordonna Xérès en se redressant sur son fauteuil. Même le brave homme n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche qu'une jeune femme aux longs cheveux noirs le bouscula pour rentrer dans la pièce sans même s'annoncer. Sans se laisser décontenancer, le garde dit d'une voix égale :

- Mon seigneur, Dame Ezara des Balchoth et ses Lions de Sang sont arrivés.

Xérès le renvoya distraitement d'un mouvement de main et le garde s'inclina avant d'obtempérer. Arban ne disait rien sur son fauteuil, estomaqué de la puissance féline qui se dégageait de la jeune femme présentée comme un seigneur. Elle s'avança souplement de Xérès qui la regardait approcher avec des yeux flous, un fin sourire satisfait aux lèvres, et posa une main sur l'un des accoudoirs du fauteuil, se penchant suavement vers l'homme.

- Déjà à consommer du vin, mon cher. Alors que le soleil amorce à peine sa deuxième phase dans le ciel.

Sa voix était ronronnement dans sa façon de former les mots et le fort accent de son peuple, qu'elle n'essayait en rien de cacher, lui donnait les intonations d'un félin qui se pourléchait les babines. Loin de s'offusquer de telles manières, Xérès utilisa sa main libre pour attraper délicatement l'une des mèches de jais qui tombaient sur son torse et la porter à son visage pour en humer l'odeur.

- Je reçois un invité de marque avec lequel j'aime partager le vin de l'amitié, répondit-il en entortillant la mèche autour de son doigt. Le beau visage d'Ezara se tourna vers Arban qu'elle détailla de haut en bas avant d'afficher un sourire appréciateur et de le saluer d'un mouvement de tête.

- Quiconque est un ami de Xérès de Qermez est un ami des Lions de Sang. Ezara des Balchoth est mon nom mais les miens m'appellent la Lionne de Guerre. Dans les batailles qui se profilent à l'horizon, je serai votre alliée.

- Je m'en réjouis, Dame Ezara. Je suis Arban fils de Dzurhan des Variags et dans cette même guerre mes cavaliers sauront être une aide appréciable pour les Lions de Sang.

Elle hocha la tête, toujours souriante, puis émit soudain un son ronronnant qui fut si bien effectué qu'Arban chercha quelques secondes un quelconque félin qui se serait faufilé dans la tente.

- Tes mains se font coquines, Xérès. Serais-tu jaloux que je parle à celui que pourtant tu nommes un ami ?

Le Variag rougit sans pouvoir rien y faire en avisant la main baladeuse du seigneur de guerre qui s'était aventurée sous la tunique de la jeune femme au niveau de son flanc gauche. Affichant une mine innocente, sans pourtant retirer sa main, Xérès porta son verre à ses lèvres.

- Il est marié, Ezara. Avec une femme de tempérament capable de dresser le plus sauvage des chevaux.

Ils se sourirent d'un même air féroce et Arban ne put que les trouver bien assortis. De ce qu'il savait du seigneur de guerre, il lui fallait un partenaire qui lui tenait tête pour le contenter. Quelqu'un de faible ou par trop flatteur le lasserait sans doute rapidement. Par chance pour lui, Ezara n'était ni l'un ni l'autre et son caractère semblait être aussi fort que le sien.

Ezara se redressa pour venir s'asseoir sur l'accoudoir sur lequel elle se tenait jusqu'alors, obligeant Xérès à se décaler pour lui laisser de la place. Il y avait un autre fauteuil de libre mais elle ne semblait pas vouloir quitter la proximité avec son amant duquel elle tiraillait quelques mèches. Arban se demanda s'il devait les laisser seuls dans leur intimidé mais Xérès ne l'avait pas encore renvoyé et il n'oubliait pas, sous le couvert de leur amitié naissante, qu'il était sous la protection et l'autorité du seigneur de guerre.

- Je suis venue parler paiement, Xérès, susurra Ezara après qu'il lui eut servi un verre de vin. Il haussa élégamment un sourcil et la regarda avec un air amusé.

- Nous sommes au service du Grand Œil. Envois-lui tes revendications.

- Voyons, mon cher, tu es au service de Sauron. Mais les Lions de Sang n'ont fait que répondre à ton appel à l'aide.

Xérès grogna et rapprocha son visage du sien pour lui murmurer d'un ton dangereux :

- Je n'ai pas besoin d'aide. J'ai juste pensé que tu aimerais te joindre aux festivités. Les Lions de Sang aiment se repaître de guerre et de pillages.

- Quelle douce attention, ronronna Ezara en continuant à jouer avec les mèches rougeoyantes de son vis-à-vis, aucunement inquiétée par sa soudaine dangerosité. Xérès sourit et se recula légèrement pour boire une autre gorgée. Arban restait silencieux à les regarder par-dessus son verre, sincèrement étonné de leur comportement l'un avec l'autre.

- Il n'en reste pas moins, Xérès, que mon clan ne peut affûter ses griffes sans appât de la récompense. Tu sais comment sont les lions.

Elle lui sourit en dévoilant ses dents sur ces mots et tira sur les quelques mèches qu'elle tiraillait. Xérès grogna et elle le lâcha sans quitter son sourire carnassier auquel il finit par répondre par le même sourire.

- La peste que mon audience auprès du Seigneur Noir m'ait tenu éloigné de Masthand durant tout l'hiver. Je pensai avoir apprivoisé la Lionne de Guerre et la voilà pourtant à me défier.

- M'apprivoiser, moi ? questionna Ezara en s'éloignant de lui, le visage sombre et le corps soudain tendu. Arban se figea sur son fauteuil, ne sachant trop comment réagir devant la jeune femme soudainement prête à sauter à la gorge du seigneur de guerre.

- Quel fou ais-je été à penser ainsi, continua Xérès, imperturbable. La Lionne de Guerre est terrible et sauvage et c'est ce que j'aime chez elle. L'enchaîner serait aussi vain que regrettable.

Le Variag se détendit à sa place tout comme la Balchoth laissa retomber la pression pour se laisser à nouveau choir contre son amant. Arban cligna des yeux, indécis, se demandant s'il ne venait pas d'assister à la plus étrange déclaration qu'il lui ait été donné de voir.

- Xérès joue toujours autant avec le feu, murmura Ezara en caressant la mâchoire barbue de son vis-à-vis d'un geste délicat. L'instant d'après, elle attrapait fermement l'une des épaules du seigneur de guerre pour se pencher vers lui et le regarder droit dans les yeux.

- Mon paiement.

Son ton ne souffrait plus aucun jeu ou contestation. Xérès hocha la tête et lui indiqua la table derrière lui.

- Le parchemin dont le sceau est frappé dans une cire écarlate.

Arban remarqua qu'en effet, parmi les parchemins rangés sur la table, la plupart était scellé par une cire rouge sombre alors que celui que détacha Ezara avait une couleur nettement plus claire et semblable au sang. Un symbole envers les Lions de Sang certainement ; Arban se sentait encore plus de trop dans la présente conversation que tantôt. La seconde d'après, il lui vint à la pensée que Xérès lui faisait passer par là la confiance qui lui accordait en une action d'excuses pour sa méfiance précédente ; et parler par des actes lui était plus important que par des mots.

- Pourquoi avoir tant joué pour après m'offrir ce que je te demande alors que tu avais tout prévu ? demanda Ezara qui affichait un visage plus que satisfait en enroulant le parchemin qu'elle coinça dans sa ceinture. Xérès haussa les épaules puis but une gorgée de vin avant de pencher la tête vers elle pour la regarder par en-dessous depuis son fauteuil.

- Où est le plaisir du jeu si je te donne tout de suite ce que tu me demandes ?

Un petit rire secoua la Balchoth qui s'approcha à pas de velours vers le seigneur de guerre pour ravir ses lèvres avant qu'il ne se redresse.


Après avoir été libéré par Xérès qui s'était retiré avec Ezara, Arban était directement retourné auprès de son peuple, satisfait de son entrevue avec le seigneur de guerre. Plus que d'alliance, ils avaient parlé d'amitié et il était de fait rassuré quant au futur des siens : même s'il périssait au combat, il savait que Xérès honorerait sa mémoire en ramenant les lambeaux de son armée chez eux.

Le lendemain, il s'en retourna au campement principal pour s'enquérir de leur départ. Vers le milieu de l'après-midi la veille, des cors aigus du Sud avaient annoncé l'arrivée de Yalak El'Harâ, monteur de Mûmak au service du seigneur haradrim de la puissante cité de Maresh, dans l'Arysis. Stationné depuis quelques temps sous les ombres de l'Ephel Dùath, il avait été envoyé à la tête d'un contingent de cent Mûmakil pour participer à la guerre au Nord. Xérès l'accueillit avec de la joie et de l'admiration dans son regard : les Mûmakil étaient des bêtes d'une impressionnante force et Yalak n'avait pas le rang pour prétendre lui prendre le commandement. Après lui, aucun cor n'avait sonné depuis la fin de soirée et Arban doutait qu'ils attendent encore des clans de Balchoth ou de Variags. L'armée rassemblée se composait déjà d'environ dix-mille hommes, une force tout à fait conséquente pour former un assaut contre les royaumes humaines et nains du Nord.

Mais il ne put atteindre la tente de Xérès que son nom fusa d'une bouche haineuse et ne l'arrête en plein chemin. Kharzdhan qui l'accompagnait se retourna sèchement, la main sur la garde de son cimeterre, et s'en prit violemment à l'homme qui l'avait ainsi interpellé.

- Qui êtes-vous, insolent, qui parlez sur un tel ton au seigneur Arban fils de Dzurhan d'Ûbesèch ?

- Un homme auquel ton seigneur doit fidélité et serment, lui fut-il répondu froidement, la colère pourtant présente en sous-jacent. Arban fit vivement volte-face, attrapant d'instinct son cimeterre mais se retenant de le tirer hors de sa gaine, se rappelant qu'il se trouvait dans une zone où les armes ne devaient pas être dégainées.

Jorlan fils de Ghuran de Kyzilcum n'était pas un homme désagréable à regarder. Dans une autre circonstance, Arban aurait même été heureux de l'appeler son seigneur si ses actes avaient été aussi valeureux que l'était sa physionomie. Il était un peu plus grand que lui, bien que ses jambes arquées de cavalier ne le rapetissent quelque peu, et possédait un visage avenant, ni trop juvénile, ni prématurément vieilli. Ses cheveux d'ébène étaient longs, éclatants de santé, et attachés par la même tresse guerrière que son comparse. Sa mise ne portait aucune des fioriture que les rumeurs prêtaient à son père et, s'il ne l'avait pas accosté avec de la haine dans la voix, Arban l'aurait abordé sans aucune animosité, mettant de côté ses à propos.

- Ûbesèch est indépendante depuis l'âge de nos pères, seigneur Jorlan. Et il n'est pas ici le lieu de parler de vaines revendications.

Jorlan se tendit et siffla bassement mais sut garder sa contenance. Arban eut un serrement au cœur en réalisant qu'il aurait réellement pu apprécier cet homme.

- Ûbesèch ne reviendra-t-elle jamais une alliée-sujette de Kyzilcum ? Elle fut autrefois bien traitée et les hivers doivent aujourd'hui être bien rudes.

- Nous survivons et prospérons sans Kyzilcum. Et c'en est heureux car Arban ne désire pas plus que Dzurhan servir un usurpateur se doublant d'un conspirateur fratricide.

Peut-être le seigneur Khoïar n'était-il pas mort mais c'était alors une simple chance. Ghuran avait eu à la pensée de se débarrasser de son frère en le tuant, n'usant de son infirmité qu'en second recours alors qu'il avait survécu à ses machinations. A ce rappel, les yeux de Jorlan se voilèrent de honte et sa colère reflua, à la grande surprise d'Arban. Les deux jeunes seigneurs restèrent à se regarder en chiens de faïence. La haine dont Jorlan avait d'abord fait preuve s'était envolée, remplacée par une étrange curiosité. Ghuran n'avait pas dû avoir des mots agréables à l'encontre des seigneurs d'Ûbesèch.

- Quand la guerre sera finie, Kyzilcum viendra réclamer à Ûbesèch le retour des anciens serments.

Arban dut se résoudre à laisser de côté le début d'appréciation qu'il éprouvait pour cette homme : le seigneur Jorlan se posait en ennemi de son peuple. Ainsi ne put-il qu'attaquer en retour.

- S'il reste des cavaliers pour combattre. Kyzilcum n'amène que cinq-cents-cinquante chevaux de plus qu'Ûbesèch. Les anciens traités ne valent aujourd'hui plus rien quand demain Ûbesèch pourrait être assez puissante pour traiter d'égale à égale avec son ancienne maîtresse.

Jorlan se tendit sous l'insulte et sa main fusa vers son cimeterre, en cela fut-il imité par Arban. Mais soudain la voix puissante de Xérès retentit entre eux :

- Que se passe-t-il ici ?! Tirer une arme dans ce camp revient à vous rendre parias aux yeux de toutes les lois de l'Est.

Les deux seigneurs se figèrent et décalèrent lentement leurs mains de leurs cimeterres. La remontrance de Xérès venait de leur rappeler dans quel endroit ils se trouvaient. Le camp avait été mis sous la protection de vieilles lois gérant les relations des peuplades de l'Est lorsqu'elles faisaient front commun : pour éviter des bains de sang liés à d'anciennes ou nouvelles rancœurs, il était de fait interdit de tirer une arme au sein d'un campement mis sous la protection de ces lois.

Xérès regarda longuement son allié, les sourcils froncés, ne semblant pas apprécier le voir dans une situation fâcheuse. Lorsqu'il se tourna vers Jorlan, le seigneur variag ne put retenir un mouvement de recul. Il n'avait pas prévu que son ancien vassal ait un allié aussi puissant, rien que l'homme qui allait diriger l'armée des Orientaux dans la guerre au Nord.

- Vous semblez avoir des ressentiments envers mon ami, seigneur Jorlan de Kyzilcum.

Les yeux du seigneur variag se plissèrent devant le titre que venait de donner Xérès à son ancien vassal. Arban pouvait présentement lire en lui comme dans un livre ouvert : lui-même n'avait pas été admis dans la tente de Xérès et Arban était par lui appelé son ami, c'était donc que, dans cette armée, il lui était supérieur et que le combattre reviendrait à combattre le puissant Xérès.

- Des histoires entre nos familles, mon seigneur.

- Qui n'ont, j'en suis certain, rien à voir avec l'actuelle guerre.

- Si fait, seigneur.

Xérès s'approcha, dangereux, et Jorlan recula d'un autre pas en se léchant nerveusement les lèvres.

- Tout manquement à la discipline sera châtié par le fouet, seigneurs.

Le coup d'œil qu'il lança en direction d'Arban lui indiqua qu'il était également visé par la menace. Xérès ne lui ferait aucun traitement de faveur. Alors il inclina la tête, se soumettant à la décision du seigneur de guerre, avant qu'il ne retourne la tête vers Jorlan.

- Me suis-je fait comprendre ?

Le seigneur variag hocha la tête, rendu muet et mâté par l'imposante aura que dégageait Xérès. Le seigneur de guerre les dépassa en posant une main sur l'épaule d'Arban, comme pour lui assurer son soutien malgré cette affaire.

- Allez donner l'ordre à vos cavaliers de se mettre en selle, seigneurs variags. Nous partons à la guerre !

Moins de deux heures plus tard, toute l'armée orientale s'était mise en branle à la suite du char doré de Xérès, laissant derrière elle quelques hommes et les grandes tentes des Wainriders en une position arrière. Arban espérait qu'ils n'aient jamais à devoir y revenir en fracas, pressés par la retraite de la défaite.


- Grive est une jument de robe grise c'est-à-dire au poil blanc mais à la peau grise. Un cheval de robe blanche aura le poil blanc et la peau rose.

- Les noms des deux chevaux de Xérès, Tissapherne et Pharnabaze, sont issus de deux satrapes de Perse antique à l'époque de Cyrus le Jeune et de l'expédition des Dix Mille racontés par Xénophon dans l'Anabase. C'est un délire personnel : mes Wainriders sont très influencés par les Perses antiques.

- Mes différentes fanfictions sur les Orientaux sont reliées entre elles. Ainsi le clan exilé de Khoïar et l'usurpation de Ghuran à Kyzilcum sont issues de Peuplades de l'Est. Et l'Haradrim Yalak El'Harâ sera assez semblable à Shera El'Kali de mon OS Plume des sables. Mais Shera, seigneur d'An Karagmir à l'Ouest du Harad, fait partie des troupes marchant sur Minas Tirith, tout comme Djiröv fils de Khoïar mène les cavaliers de son clan dans cette même guerre.

- Ezara est grandement inspirée de la déesse égyptienne Sekhmet, dont elle tire le titre de Lionne de Guerre. Cette déesse dont le nom signifie la Puissante est représentée comme une femme à tête de lionne. Elle est la déesse de la guerre et fut envoyée par son père Râ punir les hommes de leur irrespect envers lui. Elle aima tant le sang humain que Râ dut l'arrêter par une machination visant à l'enivrer avec du vin qu'elle crut être du sang ; une fois calmée, elle redevint la douce chatte Bastet.