L'été des coquillages

Le titre de chaque chapitre déterminera le thème musical associé.

Chapitre 6 : Coups et blessures (BB Brunes), le 2ème mouvement du Concerto pour Flûte et Harpe K.299 (Mozart), et Bedroom Hymns (Florence + The Machine)

La nuit de Gabrielle fut perturbée par des rêves incohérents où Charlie, gêné, lui expliquait qu'elle avait vraiment un trop mauvais accent anglais pour monter sur un dragon.

« C'est vrai, tu vas tomber sur les coquillages ! » confirmait Hermione (à qui poussaient des plumes), tandis que Fleur, prenant son petit-déjeuner au lit avec ses lunettes de soleil, commentait gravement : « Frankly my dear, I don't give a damn. »

Elle se réveilla trop tôt, la tête lourde, incapable de se rendormir ni de se décider à descendre. Elle redoutait de croiser Charlie, ne sachant pas comment se comporter face à lui après leur danse de la veille. En parler ? Ne pas en parler ? Faire comme si de rien n'était ? Elle n'était pas sûre d'en être capable ... mais après vingt bonnes minutes passées à repousser ses draps et à réarranger son oreiller, l'envie de se lever fut la plus forte. Gabrielle partit à l'attaque de sa journée.

La cuisine de la Chaumière aux Coquillages était silencieuse mais elle n'était pas vide. Ron et Harry, qui avaient de petits yeux, communiquaient par des gestes lents pour se passer le thé ou les toasts grillés. Angelina finissait sa nuit sur l'épaule de son mari, et George lui-même n'élevait pas la voix.

Fraîche et dispose, Gabrielle contempla ce mystérieux spectacle.

— Hum ... Bonjour ? osa-t-elle d'une petite voix.

— Chiuuuut ! siffla Ron dans un murmure.

George se prit la tête dans les mains. Celle d'Angelina finit sur la table.

— Moins fort, souffla Harry.

— Ça ne va pas ? demanda Gabrielle, le plus doucement possible.

— Ces Moldus ... On ne peut jamais faire confiance à ce qu'ils mettent dans leur punch, grimaça George.

— Chiuuuut ! gémit encore Ron en se collant les mains sur les oreilles. Mon crâne ...

— Tu vas bien, toi ? s'étonna Angelina auprès de Gabrielle.

— Oui, bien sûr. Un peu fatiguée mais sinon ...

— C'est beau, la jeunesse, renifla Harry.

— Passe les 25 et on en reparlera, petite tête, prédit George d'un ton sombre.

— Chiuuuuteuh !

Gabrielle masqua un sourire moqueur et alluma la cafetière d'un coup de baguette. Au dehors, des nuages sombres amoncelés s'apprêtaient à livrer leur cargaison de pluie : le temps idéal pour qui voulait rester tranquillement chez soi et se remettre des agapes de la veille. Tout en s'activant pour faire griller quelques tranches de pain, Gabrielle jeta un coup d'œil rapide autour d'elle. Non, il n'était pas là. Il n'y avait personne au salon, ni aucune tête rousse en vue dans le jardin. Elle retint un soupir. Par les Vélanes, elle avait l'impression ces jours-ci de passer son temps à le chercher des yeux.

L'arôme du café s'éleva bientôt dans la cuisine, humé avec plaisir par Hermione qui descendait à son tour.

— J'en prendrais bien une tasse, s'il te plaît Gabrielle. Bonjour, tout le monde ! Oui, je sais, ajouta-t-elle tranquillement en embrassant Ron qui maugréait en se bouchant les oreilles de plus belle. Il doit me rester un peu de Détoxine si ça intéresse quelqu'un ...

Les mains de George, Harry, Ron et Angelina fusèrent aussitôt en l'air pour quémander une goutte de la fameuse – et si délicate ! – potion de lendemain de fêtes. Hermione rit et fouilla dans la poche de sa robe de chambre – une poche qui semblait assez profonde pour contenir tout l'attirail d'un apothicaire, d'ailleurs.

Gabrielle décida de servir à tout le monde une tasse de café corsé pour compléter l'effet de la potion et pour en combattre les arômes trop puissants. Les petits Teddy et Victoire firent ensuite leur apparition, piaillant pour exiger leur chocolat du matin ainsi que quelques câlins en accompagnement.

— Tu as vu comme j'ai dansé hier, dis, tu as vu ! demanda Victoire à sa tante Delacour en grimpant dans ses bras, les yeux encore plein d'excitation.

— Oui ma belle, tu étais très bien, l'assura Gabrielle en couvrant ses joues rondes de baisers.

— Toi aussi tu étais bien, Tatie, répondit poliment Victoire.

Tante et nièce restèrent confortablement installées ensemble jusqu'à ce que Bill vienne récupérer sa fille pour lui donner son petit-déjeuner. Gabrielle termina son café et, après s'être assurée que les malades de la veille étaient désormais bien rétablis grâce aux bons soins d'Hermione, remonta pour gagner la salle de bain.

Elle poussa la porte d'un geste machinal ... et se rendit compte que l'occupant précédent avait oublié d'en fermer le verrou. À moitié vêtu dans l'atmosphère saturée d'humidité, Charlie achevait de se sécher les cheveux.

— Oh, pardon ! s'exclama Gabrielle.

Charlie se retourna.

— Excuse-moi, désolée, excuse-moi, bredouilla précipitamment Gabrielle en refermant aussitôt la porte.

— Non c'est bon, répondit-il comme si de rien n'était, j'ai presque terminé.

Gabrielle s'appuya au mur en fermant les yeux aussi fort que possible, comme pour chasser de son esprit les images entrevues. Ou peut-être pour les mémoriser. Maudit rouquin. Maudits muscles. Fichues cicatrices de dragon.

— Voilà, je te laisse la place.

Le regard de Charlie croisa brièvement le sien et fila aussitôt.

— Merci, fit Gabrielle alors que Charlie était déjà descendu deux étages plus bas.

C'était idiot, elle en avait vu tout autant lorsqu'ils étaient allés à la plage (et vu bien davantage, d'ailleurs, sur d'autres modèles). Mais les illusions qu'elle avait formées en dansant avec lui, la veille, prenaient subitement une autre couleur. Gabrielle sentit ses joues rougir et s'enferma dans la salle de bain, où une trace du parfum de Charlie s'attardait encore.


Cet après-midi-là, le temps demeura gris et bon nombre des Weasley préférèrent s'occuper à l'intérieur. Seule Mrs Weasley eut l'énergie d'emmener les plus jeunes jusqu'à la plage pour leur faire ramasser des coquillages. Ils en rapportèrent un plein seau, aussi variés de taille et de couleur que l'on puisse rêver. Mrs Weasley passa alors le relai à son dernier fils tandis qu'elle-même s'installait avec un tricot vert entre les mains : Ron réunit tous les enfants autour de lui et remporta un franc succès en faisant léviter les jolis coquillages à l'aide d'un Wingardium Leviosa magistral.

Hermione lui adressa un clin d'œil depuis le petit bureau où elle travaillait à la rédaction d'un article sur les droits aux congés des Elfes de Maison. Percy, appuyé contre le bureau, la regardait écrire d'un air absorbé et l'interrompait régulièrement pour l'interroger sur un point de jurisprudence.

À la table du salon, Harry s'était efforcé d'enseigner à cette bande de sorciers incultes le fameux jeu moldu de la crapette : il affrontait Fleur, tandis que Gabrielle jouait contre Ginny. Très enthousiaste, Mr Weasley avait décidé de partir au village voisin pour voir s'il ne trouverait pas un guide sur les jeux de cartes à la librairie locale – dans le cas contraire, il comptait faire l'acquisition d'un maximum de journaux moldus pour s'essayer aux mots croisés.

Le jeu de cartes était distrayant. Absorbée dans sa stratégie, Gabrielle faisait de son mieux pour empêcher son cerveau de tourner à plein régimes sur d'autres sujets de pensée ...

— C'est fou comme les jours passent vite, remarqua Ginny en abattant un valet de carreau. J'ai l'impression qu'on est arrivés hier, et on est déjà à la fin du mois !

— Eh oui ! sourit Fleur en regardant Bill, de l'autre côté du salon. Notre anniversaire de mariage tombe dans deux jours. D'ailleurs si je ne me trompe pas, on fêtera aussi celui de Harry la veille, c'est bien ça ?

— Oh, pour ça peu importe, répondit Harry avec simplicité. Mais pour votre fête, qu'est-ce que tu prévois de particulier ? Est-ce qu'on peut vous aider dans les préparatifs ?

— Ce n'est pas de refus ! Rien d'exceptionnel : un bon dîner, peut-être quelques feux d'artifice dans le jardin pour amuser les petits ... Mais c'est vrai, j'aurai sûrement besoin d'aide pour les courses et tout le reste.

— On pourra y aller tout à l'heure, si tu veux.

— Bonne idée. Merci, Harry.

Gabrielle se rongea un ongle nerveusement : elle avait mal joué, elle avait raté l'occasion de faire un coup brillant et maintenant Ginny prenait l'avantage. Elle avait aussi complètement oublié de voir le temps passer. Le mois de juillet s'achevait, et l'anniversaire de mariage de Bill et Fleur – la raison pour laquelle ils étaient tous venus ici – allait avoir lieu dans seulement deux jours. Que se passerait-il ensuite ? L'accord tacite semblait être que tout le monde rentrerait chez soi une fois l'événement passé ...

Charlie allait sans doute repartir, lui aussi. Il allait repartir avec un sourire, un « À bientôt » cordial, comme si rien ne s'était passé entre eux. Et, de fait, il ne s'était pas vraiment passé quoi que ce soit ... Elle ne le reverrait probablement pas avant la prochaine réunion familiale, dans un an, deux peut-être.

Une fois de plus elle le chercha des yeux, mais sans le trouver. Il lui semblait qu'il s'était retiré dans la bibliothèque un peu plus tôt. À vrai dire elle l'avait à peine aperçu de la journée, à croire qu'il l'évitait. Si du moins il lui accordait assez d'importance pour prendre la peine de l'éviter. Gabrielle serra le poing et soupira de frustration. Elle détestait ce sentiment d'impuissance.

Quelques instants plus tard, cependant, un rayon de soleil apparut et Charlie traversa le salon, un livre à la main, pour se diriger vers la porte du jardin.

— Si vous me cherchez, je vais lire un peu dehors, annonça-t-il à la cantonade.

— Crapette ! s'exclama Fleur triomphalement, en profitant d'un coup de hasard pour remporter sa partie contre Harry.

— Bien joué ! reconnut le Survivant sans rancune. Ginny, Gabrielle, vous vous en sortez ?

— Pas mal, pas mal, répondit Ginny avec un sourire carnassier.

Gabrielle était en mauvaise posture mais haussa les épaules et continua à se défendre vaillamment. Une idée lui était venue et, finalement, elle souhaitait surtout que le jeu se termine vite. Elle applaudit donc Ginny quand celle-ci, toute joyeuse, parvint à poser sa dernière carte.

— J'ai encore des progrès à faire mais je prendrai ma revanche, promit Gabrielle.

— À ta disposition, frenchy, fit Ginny avec un clin d'œil.

Comme ils l'avaient prévu, Harry et Fleur annoncèrent alors leur intention de partir faire des courses pour préparer les célébrations à venir. George, Bill et Angelina se portèrent volontaires pour les aider à porter les paquets.

— Est-ce que tu veux nous accompagner ? demanda Fleur à sa sœur en enfilant une veste.

— Je ... je vais plutôt rester ici, si vous n'avez pas besoin de moi, répondit Gabrielle en ramenant une mèche de cheveux derrière son oreille. J'aimerais bien me reposer un peu, je n'ai pas beaucoup dormi hier.

— Te reposer, hum ? répéta Fleur, l'observant d'un œil perçant. Pas de souci, petit moineau. Si c'est bien ce que tu as en tête.

— Ce que j'ai en tête ? Oui, bien sûr, répondit Gabrielle innocemment.

Le reste de la famille était déjà dehors et ne pouvait pas les entendre. Fleur jeta un regard appuyé vers la fenêtre qui donnait sur le jardin, par où l'on pouvait voir Charlie assis sur un banc de pierre, puis revint à sa sœur.

— Je suis ta sœur et je vois tout, l'avertit-elle en secouant ses beaux cheveux blonds. Méfie-toi, petit moineau. Mais amuse-toi bien, ajouta-t-elle en l'embrassant. À tout à l'heure !

Gabrielle regarda sa sœur s'éloigner en se demandant exactement ce qu'elle avait pu voir, ou deviner. Sans doute presque tout. Fleur la connaissait depuis toujours et mieux que personne. D'ailleurs, elle avait très bien percé ses intentions. Gabrielle ne comptait pas laisser Charlie s'en aller si facilement.

Elle sortit de la maison et marcha vers le banc où Charlie se tenait, plongé dans son livre.

— Tu as décidé de te remettre à la lecture, alors ? demanda-t-elle nonchalamment.

Charlie leva les yeux vers elle tandis qu'elle s'asseyait près de lui, l'air aussi fraîche et pimpante que si elle n'avait pas passé toute la nuit précédente à danser et s'enivrer.

— Tout à fait, tu m'as convaincu. Je suis allé piocher dans la bibliothèque de Bill et Fleur. Ils ont surtout des classiques, mais pourquoi pas.

— Qu'est-ce que tu as pris ?

— Shakespeare, répondit Charlie, les yeux pétillants.

Ses fossettes ressortaient quand il parlait. Gabrielle serra à nouveau le poing pour contenir les frémissements qui l'agitaient. Si Charlie se mettait à lui citer Roméo et Juliette avec son accent british, elle ne répondait plus de rien.

— Quelle pièce, exactement ? interrogea-t-elle.

Richard III, une de mes préférées. Tu connais ?

— Pas très bien. En France, on nous faisait plutôt lire l'Avare, le Misanthrope, le Cid ...

— Là-dessus je m'avoue inculte ! reconnut Charlie en riant. Mais tu connais peut-être la réplique culte de Richard III : « Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! » ? Les Moldus en ont fait des interprétations assez extraordinaires. J'aime beaucoup le début, aussi : « Now is the winter of our discontent made glorious summer by this sun of York ... ». C'est un personnage très fourbe. Enfin, tout ça c'était surtout de la propagande politique pour mettre en valeur la dynastie des Tudors.

— Si tu le dis, fit Gabrielle qui ne maîtrisait pas franchement l'histoire politique anglaise.

Charlie se tut et plongea son regard dans le sien. Le vent se levait, la mer était agitée. À leurs pieds, les vagues attaquaient la falaise. Charlie referma son livre.

— Gabrielle, je ...

Elle posa la tête sur son épaule et il n'acheva pas sa phrase. Le cœur de Gabrielle se mit à battre beaucoup trop vite : elle osait enfin confronter ses illusions à la réalité. Elle allait savoir si c'était seulement elle qui avait trop rêvé, ou bien si ...

Il y eut une pause.

— J'ai, combien, quatorze ans de plus que toi ? soupira Charlie.

— Chut.

Charlie se tut. Hésitante, Gabrielle avança la main et la posa sur sa cuisse. Charlie la recouvrit de la sienne. Il tourna légèrement la tête et inspira l'odeur de ses cheveux. Gabrielle contempla la mer tourmentée et remarqua :

— Il paraît qu'il y a des dragons qui vivent sous l'eau. C'est vrai ?

— Plutôt des grands serpents, répondit Charlie. Tu sais, pendant longtemps j'ai trouvé les dragons beaucoup plus intéressants que les filles.

— Et maintenant ?

Charlie rit, caressa sa joue et posa les lèvres sur sa tempe.

— Maintenant ...

Au même instant, une chouette traversa le ciel en hululant, fit quelques cercles au-dessus d'eux puis vint se poser sur le banc, juste à côté de Gabrielle. Bien dressée, la chouette tendit une patte à laquelle était attaché un rouleau de parchemin.

— Mais ... D'où est-ce qu'elle peut venir ? s'étonna Gabrielle.

— Peut-être tes parents ? suggéra Charlie.

Gabrielle fronça les sourcils et prit le parchemin, qu'elle déroula. Elle reconnut aussitôt la signature de la lettre et ses yeux s'agrandirent brusquement d'incrédulité.

C'était lui. L'autre.

Charlie lui lança un regard interrogateur, et Gabrielle se sentit tout à coup terriblement embarrassée et mal à l'aise. Elle se leva.

— Excuse-moi, je suis vraiment désolée, il faut que j'aille lire ça.

— Bien sûr, vas-y, fit Charlie avec un brin de déception dans la voix. Rien de grave, j'espère ?

— Non, non ... Je suis désolée. Je n'en ai pas pour longtemps ... Je pense.

Serrant la lettre dans sa main, Gabrielle se hâta de regagner la Chaumière et grimpa les escaliers en courant pour aller dans sa chambre. Il lui avait écrit, lui qu'elle avait tant aimé, qui lui avait tant manqué. Celui qui l'avait abandonnée. Il lui écrivait, il revenait vers elle ...

« Ma belle Gabrielle,

J'ai été tellement con de te laisser partir ! ... »


Gabrielle resta finalement enfermée dans sa chambre tout l'après-midi, jusqu'à ce que Fleur vienne frapper à sa porte pour lui dire que le dîner était prêt.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Fleur d'un ton suspicieux en scrutant son visage.

— Non, non, rien. J'étais juste en train de lire, répondit sa sœur en évitant son regard.

— Bon. On va passer à table. Tu veux descendre nous rejoindre ?

— Oui, j'arrive.

Le hasard du plan de table fit que Charlie et Gabrielle purent à peine échanger se voir au cours du dîner, placés chacun à une extrémité de la table. Aucun d'eux ne fut très loquace pour discuter de l'organisation des deux anniversaires à venir, et encore moins lorsque Percy et Audrey commencèrent à évoquer leur prochain départ. Mr et Mrs Weasley, eux non plus, ne tenaient pas à abuser trop longtemps de l'hospitalité de leur fils aîné et de leur belle-fille. Quant à Ginny, son accouchement prochain l'encourageait à rentrer chez elle sans tarder. Les autres membres de la famille semblaient n'être pas encore très décidés sur leur programme ... Mais malgré l'agrément des lieux, ils ne s'attarderaient sans doute pas éternellement à la Chaumière aux Coquillages. Interrogé par sa mère, Charlie répondit qu'il n'avait pas encore réfléchi à la question.

La nuit venue, les parents Weasley se rappelèrent les talents de musicienne de Fleur et lui suggérèrent de prendre sa harpe (qui, miniaturisée, prenait la poussière sur une étagère) pour en jouer un morceau. Flattée, la jeune femme se laissa convaincre et attaqua une mélodie de ses doigts légers. Les notes douces de l'instrument s'élevèrent dans le salon et, peu à peu, bercèrent l'assemblée de leurs accords harmonieux.

Bill contemplait son épouse d'un air tendre, et les cicatrices de son visage semblaient soudain moins visibles. George somnolait, un sourire aux lèvres et un bras passé autour des épaules d'Angelina. D'autres prêtaient l'oreille rêveusement. Les enfants étaient déjà couchés. Percy murmura un commentaire intellectuel à l'oreille d'Audrey, qui acquiesça.

Gabrielle, qui avait fixé obstinément ses mains pendant tout le début de la soirée, leva finalement les yeux et croisa le regard de Charlie. Lui ne l'avait pas quittée des yeux. L'air incertain, il semblait ne plus savoir quoi penser. La lettre reçue dans l'après-midi était soigneusement pliée dans la poche de Gabrielle.

Le morceau s'acheva, Fleur fut applaudie et rosit de fierté. Chacun se souhaita ensuite une bonne nuit, et Gabrielle aperçut Charlie qui regagnait rapidement sa chambre tandis qu'elle-même aidait Bill à ranger les tasses de tisane. Elle soupira intérieurement, remercia Fleur pour sa jolie prestation, puis remonta à son tour.

Une fois dans sa chambre, elle passa sa chemise de nuit, s'installa à son miroir pour se brosser les cheveux et sortit la lettre pour la lire à nouveau. Des autres pièces lui parvenaient les murmures assourdis de tous les Weasley se préparant pour la nuit. Peu à peu, les bruits alentours s'éteignirent, progressivement remplacés par le son de profondes respirations et de ronflements discrets. Gabrielle ouvrit alors sa porte et observa le couloir : pas une lumière ne filtrait, hormis celle de la pleine lune. Elle sortit.

Si elle ne se trompait pas, la chambre de Charlie se situait trois portes plus loin, de l'autre côté de la maison. Gabrielle traversa le couloir à pas silencieux dans le noir. Elle entrouvrit la porte sans un bruit, vérifia d'un regard qu'il s'agissait bien de celle qu'elle cherchait, et se glissa à l'intérieur.

— Qu'est-ce que ... Gabrielle ? souffla Charlie, incrédule.

— J'espérais que tu ne dormirais pas, murmura-t-elle.

— En voilà des façons, remarqua-t-il avec un sourire canaille. C'est ça, ce qu'on vous apprend à Beauxbâtons ?

— J'emporterai les secrets de mon école dans la tombe, répondit Gabrielle d'un ton malicieux en s'asseyant sur le bord du lit. Non, je voulais te parler d'autre chose, reprit-elle plus sérieusement.

— Je t'écoute, répondit Charlie. Laisse-moi juste allumer une chandelle.

Décidément, ce garçon n'était jamais très vêtu. Le spectacle n'aidait pas à la concentration de Gabrielle, qui se reprit néanmoins.

— La lettre que j'ai reçue tout à l'heure venait de mon ancien petit-ami, expliqua-t-elle d'une voix neutre. Il s'excuse de m'avoir quittée et voudrait qu'on se remette ensemble.

— Oh. Je vois. J'imagine ce que ça doit être.

Charlie ne souriait plus et semblait soudain pris de court. Gabrielle devina qu'il repensait à cette fille de Roumanie, celle dont il s'était séparé et qui avait causé son retour en Angleterre.

Elle prit une grande inspiration.

— C'était un parfait imbécile et je ne veux plus jamais le revoir.

— Quoi ?

Gabrielle rit de sa réponse.

— Je n'ai vraiment pas de temps à perdre avec un abruti qui ne sait pas ce qu'il veut. Et qui ne m'a pas trouvée assez bien pour lui jusqu'à présent. J'imagine que sa dernière conquête l'a laissé tomber et qu'il se sent seul. Très peu pour moi.

D'abord surpris, Charlie rit à son tour et applaudit la jeune fille.

— Excellente réaction. Tu as bien raison, tu vaux mieux que ça. Beaucoup mieux.

— Je suis ravie que tu penses ça.

Elle détailla ses cheveux courts, sa peau hâlée, ses yeux bleus et ses fossettes, la ligne de son visage, et ses lèvres, ses lèvres surtout ... Tout à coup, Charlie enserra sa nuque d'une main ferme et l'embrassa impétueusement. Gabrielle accueillit son baiser avec l'ivresse d'une libération. Charlie la fit basculer et l'allongea contre lui en l'embrassant de plus belle. Ses larges mains encadraient le visage délicat de Gabrielle, emmêlaient ses longs cheveux. Plaquée contre le lit par le grand corps de Charlie, Gabrielle le serra encore davantage contre elle en passant ses jambes autour de sa taille. Elle dut se retenir pour ne pas lui mordre les lèvres, le cou, les épaules – du moins, pas trop. Le plus difficile était de ne faire aucun bruit.

Ainsi, c'était cela que ça faisait d'être avec lui.

Ses mains suivirent la courbe des muscles de ses bras et de son dos, la ligne des cicatrices. La peau de Charlie était brûlante et avait le goût salé de l'air marin. Il remonta lentement sa chemise de nuit le long de ses jambes, découvrant son corps avec une curiosité passionnée, frôlant ses cuisses du bout de sa langue. Gabrielle retint son souffle. Elle perdait la tête. Avoir Charlie dans ses bras, être là, dans son lit, était plus exaltant que tout ce qu'elle avait imaginé – et elle avait imaginé bien des choses. Les lèvres contre sa peau, Charlie murmurait des mots anglais qu'elle ne connaissait pas.

Ils se débarrassèrent de leurs derniers vêtements. La bougie s'éteignit. Leurs soupirs, leurs souffles courts, leurs gémissements susurrés occupèrent l'espace.

Le temps des réflexions viendrait peut-être, seulement plus tard. Plus tard, ils s'interrogeraient sur leurs sentiments, sur leur avenir. Ils feraient des projets et des rêves, des plans sur la comète, des châteaux en Ecosse. Plus tard.

Pour l'heure, seuls, unis, pleins d'ardeur et d'émerveillement, ils profitaient du silence de la nuit d'été.


Et.

C'est.

Fini.

Chers lecteurs, cela m'ennuie un peu d'arrêter cette histoire ici. J'aurais pu raconter la fin de l'été, imaginer la suite des aventures de Charlie et Gabrielle, ce qu'ils ont fait de leur vie, s'ils sont restés ensemble ... Mais pour être honnête, je manque d'inspiration et je n'ai pas très envie d'y réfléchir. Je préfère arrêter cette histoire à son commencement.

En attendant, j'espère que tout ça vous a plu, bien que l'histoire soit courte. Merci beaucoup d'être venus me lire et de m'avoir laissé vos commentaires et vos précieux encouragements.

Mes projets futurs concernent plutôt les Fondateurs de Poudlard, mais on verra bien ce que l'avenir nous réserve :)

Profitez bien du printemps qui s'annonce !

Lily Evans 2004