1. ... comment fait-on pour décider son petit ami à rencontrer ses parents ?
"Faut qu'on se lève, Iris !", marmonne Samuel, la tête sous mon bras.
Le réveil a sonné il y a plusieurs minutes, et on n'a pas bougé d'un millimètre, voire on a arrêté de respirer pour entretenir le mythe du sommeil profond, du repos possible.
"Faut", je confirme toujours sans bouger. Je ne suis pas du matin, c'est un fait établi depuis plus d'une décennie maintenant.
"OK, j'y vais le premier", il soupire sans même chercher à inverser les rôles.
C'est comme ça depuis plus de huit mois maintenant. Un rituel sans faille, surtout quand, hasard des affectations, nous commençons à la même heure, comme ce matin. Lorsque j'entends la douche, je m'extirpe à mon tour du lit pour lancer un café assez fort pour nous réveiller et sortir du jus de citrouille frais. Je lui tends un verre quand il arrive tout humide - à donner envie de le remettre immédiatement dans un lit si vous voulez mon avis.
"J'ai rendez vous avec Finnigan, chez lui", il annonce en reposant le verre vide sur la table. "On va directement sur le terrain."
J'opine - j'ai reçu le message : pas besoin de trouver des points de transplanage différenciés pour noyer le poisson ce matin. Nous n'arriverons pas en même temps à la Division.
"Tanya veut qu'on mette à jour tous les dossiers pour Dawn", je raconte à mon tour en mettant du lait dans ma deuxième tasse de café.
Une règle non écrite fait qu'on ne pose jamais de questions supplémentaires à l'autre - pour ne pas s'inquiéter, a argumenté Samuel. Ma copine Sirpa pense qu'un civil ne pourrait jamais supporter autant de pressions et que les Aurors devraient tous se marier entre eux. J'en suis venue à penser qu'un civil aurait pourtant moins d'imagination sur ce qui peut réellement arriver à son amoureux ou amoureuse.
"Tanya veut qu'on mette à jour tous les dossiers pour Dawn", se moque ouvertement Sam, pour l'heure, plus agacé par ma proximité avec la hiérarchie qu'inquiet pour ma sécurité.
"L'Auror de Rang Un Proudfoote veut que son équipe - et en particulier les petits nouveaux - mettent à jour tous les dossiers transmissibles au Magenmagot pour le lieutenant Dawn Paulsen", je reformule en me retenant de soupirer. "Ça te va mieux ?"
"Un jour, ça t'échappera, et tu auras l'air d'une arriviste", il essaie de se justifier. Presque il s'excuse.
"Ça ne m'arrivera pas", je réponds tranquillement.
"T'es bien sûre de toi", il remarque, mais ce n'est pas dénué d'affection pour moi.
"J'ai appris ça avant de savoir lire - changer de vocabulaire et de comportement en fonction des lieux et de l'audience", j'explique. " Est-ce qu'une seule fois, à Poudlard, je me suis plantée ?"
"Pas que je sache", reconnaît Samuel du haut de ses deux ans de plus que moi.
Quand on en a été plus que des soirées bien planquées et des week-ends sous la couette... quand on a admis, tous les deux, qu'on crevait de ne pas se retrouver tous les soirs, Samuel a emménagé chez moi - trop de monde à la Division avait son adresse ; j'avais systématiquement tu la mienne. Dans le processus, il m'a également avoué avoir été attiré par moi sans oser jamais m'approcher depuis un certain temps.
Pas quand j'ai mis le Choixpeau sur ma tête alors qu'il était en troisième année, soyons sérieux. Quand je suis entrée en quatrième année dans l'équipe de Quidditch de Serpentard par contre, il s'est dit que je n'avais pas froid aux yeux... et de jolies jambes. Mais j'aurais pu me promener nue ou me jeter à son cou, ça n'aurait rien changé. J'étais la fille de Remus Lupin, le demi-dieu qui lui avait transmis l'espoir qu'il pouvait réussir par son propre travail et malgré le manque de relations de ses parents. Il a enduré mes différents flirts comme une confirmation de mon caractère totalement inaccessible ; le pire ayant été pour lui, ma très brève relation avec l'insupportable Anaxagoras LaFabull, qui était de son année et son cauchemar récurent. Maintenant, je suis en plus la fille du Commandant Lupin - la femme qui décide de son avenir professionnel. Autant dire que ce n'est pas mieux.
Quand Samuel m'a avoué tout ça, je n'ai pas ri. Je n'ai pas hurlé non plus. Je n'ai même pas été étonnée. C'est sans doute toute mon histoire : comment trouver un gars qui soit attiré par moi, et non par ma famille, et qui ne flippe pas totalement pour autant ?
L'histoire familiale jusque-là a prouvé que c'était difficile. Cyrus a eu la chance de tomber amoureux de sa meilleure amie - une Gryffondor pur jus en plus, histoire d'augmenter la probabilité qu'elle ne s'enfuie pas avant le mariage. Ils ont grandi ensemble en quelque sorte, presque plus jumeaux que Kane et moi. Harry a dû aller en France... - enfin techniquement, en Suisse, si je me souviens bien - pour trouver celle qu'il a épousée. D'ailleurs, Harry n'est quasiment sorti qu'avec des étrangères - voire des Moldues étrangères, peut-on se planquer plus ?
Kane, mon jumeau, tout Gryffondor qu'il est, n'a jamais eu des relations suivies avec quiconque jusqu'ici. Il a longtemps été amoureux de Rosabel, une des protégée de la Fondation, une de nos copines d'enfance aussi, sans que ses sentiments soient payés de retour - sans doute parce que Rosabel ne se voyait pas tomber amoureuse d'un non garou, tout fils de Remus qu'il soit. J'aime embêter mon frère en lui disant qu'il finira par épouser Victoire Weasley qui, elle, le suit comme un petit chien depuis notre plus tendre enfance. Le fait qu'il ne m'ait jamais transformé en chauve-souris après autant de répétition de cette blague me fait craindre parfois d'avoir un don de prescience - les arts divinatoires sont généralement considérés avec un mélange de mépris et de crainte dans ma famille.
Bref, ne dérogeant pas fondamentalement aux habitudes familiales, j'en suis à cacher le seul mec avec qui j'ai réussi à rester plus de deux semaines... Tout soi-disant arriviste Serpentard qu'il est, Samuel ne supporte en effet pas l'idée qu'on pourrait simplement insinuer qu'il sorte avec moi pour avoir accès à la puissante famille Lupin. Pas que ça me déplaise sur le fond, c'est juste frustrant.
"Sam", je commence en prenant une inspiration qui en dit sans doute trop sur le fond de ma pensée.
"T'en as marre de te cacher", il termine en reposant sa tasse de café.
"Un peu, oui", je reconnais. "Si tu crois que ma mère va te faire sauter des échelons parce que tu couches avec moi, tu la connais mal ! "
"Ce n'est pas la question, Iris !", il s'étrangle, le pauvre.
"Quand je suis arrivée à la Division, tout le monde attendait que je fasse des caprices, que ma mère me protège, que...", j'embraye comme si on n'avait pas déjà échangé mille fois ces arguments.
"Et tout le monde a vu que tu bossais comme une malade, que ta mère ne t'a épargné aucune surveillance à la con et que tu as mérité ta place d'Auror", il me coupe sans impatience.
"Alors ?"
"Alors je ne me vois pas commencer par afficher notre relation au bureau sans même avoir jamais dîné avec tes parents - et toi avec les miens..."
"Dîné ? Quand tu veux...", je m'enthousiasme immédiatement.
"Sauf que dîner à Poudlard...", il recule tout aussi vite. Oui, aucun de nous n'est Gryffondor, ok, est-ce que ça nous rend vraiment moins intéressants ?
"Ils seraient d'accord pour n'importe quel restaurant, Samuel", je promets avec ferveur.
Il rougit et détourne la tête.
"Tu me trouves lâche ?", il soupire.
"Donc mon père et ma mère autour de la même table, ça ressemble à un traquenard ?", je creuse. Il est sans doute temps, je me dis.
"Je suis un lâche", il se condamne.
"Un lâche honnête", je réponds proposant ainsi une nouvelle définition intéressante des Serpentards, non ? Faudrait tester sur Severus pour être sûr. "On peut commencer par les tiens", j'essaie.
"Iris, ils vont être terrorisés quand je vais leur dire qui tu es", il soupire avec une apparente sincérité.
"Ne leur disons pas ?", je propose, désespérée.
"On va être en retard", il se rend compte parce qu'il a cherché en vain un truc autre que moi à regarder dans la pièce.
"Merde !", j'abonde en filant dans la salle de bains.
Ce n'est pas parce que j'écoperais d'un blâme pour retard réitéré - signé sans doute par ma propre mère - que mon amoureux aura moins peur de mes parents.
oo
J'y pense toute la journée sans trouver le début d'une idée de comment nous sortir de ce marécage de représentations enfantines et de risques politiques. Faut dire que la mise à jour des dossiers est suffisamment ennuyeuse pour que mon esprit vagabonde. Tanya et les autres font mine de ne pas s'en rendre compte. En bonne petite Auror de rang cinq qui doit faire ses preuves, on m'envoie porter un paquet de dossiers revus au bureau de Paulsen. C'est là que je croise ma mère entourée de ses adjoints. On se salue avec un sourire sans aller plus loin. Ses lieutenants me font un signe de tête plus ou moins gentils selon leur niveau de complicité avec moi. Gawain Robards, qui fait généralement comme si le fait que nous ayons le même nom de famille tient du hasard, continue de parler comme si ma mère l'écoutait vraiment alors que ses yeux sont sur moi :
"Monter un groupe spécial me paraît une priorité, Commandant", il explique. "L'affaire des pierres sort de l'ordinaire..."
Pas de doute, il espère en être, je me dis, alors qu'ils s'éloignent. Paulsen qui ferme la marche me fait un clin d'oeil que je ne sais pas exactement interpréter - peut-être qu'il pense comme moi que Robards en fait trop.
La vérité est que l'Affaire des pierres est auréolée de mystère. Une dizaine de cambriolages, chez des bijoutiers et des collectionneurs moldus et sorciers, étalés sur des mois. Elle est apparue dans les discussions de couloir en début de semaine. On dit que c'est Foote qui a collé ensemble diverses infos qui permettent à l'affaire des Pierres d'exister. On dit aussi que les huiles ont piqué immédiatement tous les dossiers aux policiers magiques et que ça pue le politique. Certains ont essayé de savoir si j'avais des infos supplémentaires, et je les ai déçus. Des fois, je me dis que j'en savais plus quand j'avais huit ans et que j'écoutais les discussions entre mes parents en faisant des coloriages sur la table du salon. Aujourd'hui quand je vais les voir, c'est un sujet que tout le monde évite en toute conscience, moi la première.
Non, devenir Auror ne nous a pas rapprochées, ma mère et moi : elle passe sa vie en réunion, en conférence de presse ou en inspection. Je passe la mienne à courir après des sorciers qui oublient qu'il existe des règles - ou à établir des dossiers pour les mettre à l'ombre le temps qu'ils les apprennent. Est-ce que j'ai voulu être elle le jour où je me suis engagée ? C'est la question que m'a posé le jury qui m'a admise - Dawn Paulsen, la meilleure amie de ma mère, en faisait partie.
"Je ne serai jamais ma mère", je leur ai répondu. "Je partage évidemment beaucoup de ses valeurs, mais mes raisons sont ailleurs. Elle s'est engagée en temps de guerre - je m'engage en temps de paix. Je veux faire partie du maintien de cette paix parce que je sais le prix de la guerre."
Ils m'ont prise.
Samuel a raison de dire que j'ai sans doute forcé le respect général en serrant les dents. Mais c'était bien le seul conseil que Mae m'ait donné quand j'ai été admise.
"Tu vas devoir en faire sans doute deux fois plus que n'importe qui, ma chérie, tu le sais ?"
"Tu en doutes ?"
"Je préfère te le répéter une fois de trop maintenant que... Tu crois sans doute que ce sera comme à Poudlard avec Remus mais non, Iris, ça sera plus dur encore, crois moi. Je n'ai aucune raison de jamais intervenir dans ta formation... Même pas en sous-main", elle a insisté.
"Message reçu", j'ai essayé de répondre comme si la mise en garde ne m'affectait aucunement.
"Pas mal", elle a estimé après avoir fixé longuement mon visage. "Ceux qui ne te connaissent pas y croiront, et c'est tout ce qu'on leur demande."
En ne pouvant que me répéter qu'effectivement la neutralité de mes petits camarades a été un objectif bien cher à atteindre, je pousse la porte du bureau du Dawn avec un soupir. Pourtant l'adjointe de ma mère à la conformité des accusations est bien une des seules à ne jamais faire semblant de ne pas m'avoir gardée quand j'avais quelques semaines.
"Iris ! Toujours vivante !?", elle m'accueille avec effusion.
"Malgré la rédaction de cinq dossiers, oui", je souris en les posant sur son bureau.
Ses subordonnées font comme si j'étais n'importe qui et sourient à notre échange. Dawn est considérée comme une des chefs les plus accessibles. Je n'aimerais pas spécialement rester dans un bureau à étudier la conformité des dossiers mais j'imagine qu'heureusement l'ambiance est bonne.
"Des trucs à toi ?", s'informe Dawn.
"Le trafic de tapis", je réponds avec ma voix la plus blasée alors que c'est sans doute le truc le plus intéressant sur lequel j'ai été autorisé à faire plus que regarder.
"Mieux que le vol à l'étalage en bande organisée avec intimidation magique", elle sourit avec toute la compréhension de l'expérience dans les yeux.
"Il a votre aval ?", je demande sans doute un peu trop avec une voix de petite fille qui vérifie la date de Noël. Mon premier dossier validé, ça se fêterait presque !
"Emma vient de le certifier", annonce Dawn avec un geste vers l'intéressée qui me gratifie d'un sourire de confirmation, avant d'ajouter :
"La seule faiblesse est peut-être dans notre compréhension de l'organisation de la bande. Les juges vont vouloir graduer les responsabilités, et vos accusations en la matière sont un peu fragiles. Vous devriez en reparler avec les policiers - voir s'ils ont tout mis dans leur rapport ou gardé une bavboule en réserve", elle développe en me tendant le gros rouleau de parchemin.
"Je ferai passer", je promets.
"Tanya va te le faire défendre ?", demande Dawn.
"Je n'en sais rien", je réponds avec un embarras qui me prend par surprise. Ma première défense... obligatoirement un dossier très simple - comme cette bande qui avait écumé le chemin de traverse et résisté à son arrestation ; ce qui avaient amené les policiers à appeler des Aurors en renfort, dont moi.
"Si ce n'est pas celui-là, ce sera un autre", commente légèrement Dawn en répartissant les dossiers entre son équipe après avoir lu le résumé des charges sur le haut du parchemin.
Sans doute maladivement soucieuse de ne pas avoir l'air de chercher à profiter de ma proximité avec elle, je prends assez vite mon congé avec le paquet de dossiers certifiés sous le bras. A mon retour dans la grande salle des Aurors, presque toute notre équipe est partie en pause. Reste Tanya qui dicte un rapport à une plume papote. Je ne connais pas l'affaire. Elle me fait signe de poser les dossiers et d'aller déjeuner. Je m'empresse d'obéir.
Comme je ne sais pas où sont partis les autres, je décide de sortir du Ministère pour aller à Sainte Mangouste, où mon frère et mon amie Ma-Li vivent littéralement en attendant d'être diplômés comme médecins. Je trouve assez facilement mon frère - les internes, tout le monde sait toujours où ils sont.
"Eh, soeurette !", m'accueille Kane avec un sourire en relevant son nez de ses dossiers.
"Je vois que la médecine engendre autant de paperasse que les mages noirs", je commente.
"Sans doute, oui !", il se marre facilement en reposant sa plume dans l'encrier. "Prête pour samedi soir ?"
"Samedi soir ?", je relève en toute sincérité. Le cercle de nos potes communs se montant à cinq personnes, j'ai du mal à croire que j'aie pu rater quoi que ce soit.
"Harry nous invite, tous - Cyrus et Gin sont de passage en Europe", explique mon frère. "Un dîner à Paris, ça changera de Londres ! T'écoutes pas tes messages ? Tu milites pour le retour des hiboux ?"
On fait, au moins une fois par trimestre, un dîner tous les quatre - sans les parents et sans les mômes. Juste les amoureuses et les épouses - je n'ai jamais amené personne pour imposer une reformulation.
"Samedi ? Je suis libre", je réfléchis à haute voix.
"Et Samuel ?", s'enquiert Kane, ses yeux gris dans les miens.
Je regarde autour de moi comme si quelqu'un nous espionnait, et mon jumeau se marre. Il a découvert notre relation quand Sam s'est blessé lors d'une opération, il y a deux mois, et que je l'ai supplié de trouver le moyen pour que je puisse aller discrètement à son chevet.
"Tu sors toujours avec lui ?", il insiste.
"Oui", je reconnais du bout des lèvres.
"Et tu ne vas pas nous le présenter ? Jamais un mec n'a su garder ma sœur aussi longtemps, je suis curieux de le connaître !", il me presse.
"Il flippe de toute ma famille", je soupire. Je réalise bien ce que "ma sœur" implique pour mon jumeau.
"Même moi ?", s'étonne Kane le réaliste - ou le modeste, c'est selon. Mais gamin, il a eu du mal à savoir qui être quand Harry était l'aîné, briseur de sorts réputé, vainqueur de Voldemort, excusez du peu ; quand le suivant, Cyrus, était la grande gueule mais aussi l'ethnomage découvreur de nouveaux pans de la magie ; quand, moi, j'étais la fille casse-cou à la parole sans doute un peu trop facile, à la fois pour le convaincre de faire des conneries et pour me (nous) tirer d'affaires ensuite... Son choix pour une discipline sans rival ou précédent est sans doute révélatrice de tout ça.
"T'as raison, il a sans doute moins peur de vous que de Papa et Maman", je réalise avec une nouvelle excitation. Où ne va pas se nicher l'espoir ?
"Est-ce que quand il se sera tapé Cyrus déchaîné, ça ira mieux ?", est la question rhétorique de mon jumeau aussi brun que je suis blonde.
"Déchaîné ?", je relève.
"Sa petite sœur", il répond, en appuyant sur petite, "Que dis-je, sa filleule !"
Comme mon enthousiasme retombe sans doute trop visiblement, Kane me met la main sur l'épaule.
"Amène-le, Iris : Harry s'occupera de Cyrus si besoin !"
J'ai un rire sans doute nerveux à l'idée d'un repas aboutissant à un affrontement entre nos deux grands frères - est-ce que Samuel partirait dans la foulée en Australie ? Je suis presque contente que mon miroir vibre dans ma poche.
"Faut que j'accompagne Tanya au Magenmagot pour une audience préliminaire - c'est moi qui dois suivre le dossier", j'explique en raccrochant. La prédiction de Dawn s'est réalisée.
"Amène-le samedi ", répète Kane en se repenchant sur ses dossiers sans aucun intérêt pour mes obligations professionnelles.
"Je vais essayer mais... ne dis rien à personne", je décide.
"Trop envie de voir leur tête - je ne vais pas gâcher ça", promet Kane alors que je pars à toutes jambes vers l'aire de transplanage de l'hôpital.
"Voir leurs têtes" et "ne pas gâcher ça" me paraissent de bons objectifs. Juste difficiles à concilier.
ooo
"T'es de service samedi ?", je demande beaucoup plus tard à Sam.
On est pelotonnés l'un contre l'autre sur le canapé. On s'est raconté nos journées - j'ai omis de mentionner ma visite à Sainte-Mangouste. Il m'a félicité quand j'ai indiqué avoir été chargée de la présentation d'un dossier au Magenmagot - ce n'est pas parce que le dossier se passerait de quelqu'un pour le défendre que ce n'est pas une bonne expérience, a-t-il même été jusqu'à prétendre.
"Le matin seulement... Je devrais arriver à me tirer en milieu d'après-midi si je file le rapport à faire à l'Aspirant", il estime.
"Belle mentalité", je persifle avec ce réflexe corporatif acquis pendant les deux ans où j'étais A spirant e. Ce n'est pas six mois au rang d'Auror qui m'ont fait oublié que l'Aspirant est taillable et corvéable, à l'infini.
"C'est formateur", il rétorque.
"Bon, donc, on peut être à Paris pour 20 heures", j'embraye, abandonnant la question du statut des aspirants à une autre fois.
"A Paris ? Qu'est-ce que tu veux aller faire à Paris ?", il s'étonne à demi seulement.
Avant de me fréquenter, Samuel n'avait quasiment jamais quitté l'Angleterre. Le concept de tourisme à l'étranger lui paraissait totalement extravagant, au point de me laisser partir seule voir mes frères au Brésil, en France, à Singapour ou même à Venise. Il a fini par y voir autre chose qu'une pratique de gosses de riches - pas que l'or gâche la chose, je le reconnais -, mais nos escapades continuent de venir de moi. J'envisage trente secondes de lui mentir, de parler d'un spectacle ou de n'importe quoi que je voudrais absolument voir mais je décide que la franchise reste une bonne base :
"Harry - mon grand frère, Harry - nous invite à dîner..."
"Nous invite !", il s'étrangle, les yeux légèrement exorbités. Ça promet.
"Nous correspond à Cyrus et sa femme, Kane et moi", je soupire. "Pas spécifiquement à toi et moi. Harry ne sait même pas que tu existes ! Ne viens pas, et rien ne changera !"
Ma déception potentielle flotte dans la pièce. Et je décide de l'assumer. Je peux comprendre qu'il dise non mais je serai déçue et autant qu'il s'en rende compte.
"Tous tes frères ?", il s'informe prudemment.
"Et toutes mes belles-sœurs", j'ajoute. C'est que je les aime bien toutes, moi. Et puis à quoi bon limiter l'enjeu ? Il va dire non.
"En quel honneur ?", il enquête encore.
"Comme la dernière fois : réunion de la fratrie sans les mômes et sans les parents", je réponds sans prendre la peine d'argumenter.
"Ok", il articule à ma grande surprise. Il se marre à ma réaction. "Le monde n'est pas assez vaste pour que je me cache éternellement de tous les Lupin... D'ailleurs, ta mère veut me voir demain - je doute que ce soit pour me féliciter, mais bref.", il élude avant de me prendre assez brusquement le visage entre ses mains pour plonger ses yeux dans les miens. "J'y ai pensé toute la journée, Iris : je ne peux pas t'aimer et ne pas rencontrer ta famille... Commençons par les frères... Ton jumeau a été plutôt sympa avec moi quand j'étais à Sainte-Mangouste après tout !"
"Elle veut te voir pour quoi, le Commandant ?", je m'inquiète plutôt que de savourer ma victoire. C'est bien le moment que ma mère se mêle des activités de Sam, tiens !
"Le juge a rembarré mon dossier d'accusation - juste comme Dawn Paulsen l'avait prévu, et j'ai refusé son avis... un peu contre les conseils de tout le monde. Je pense que c'est ça : me rappeler qu'au Rang Trois, on doit encore tenir compte de l'expérience de ses aînés", il grimace.
J'opine pour indiquer que j'ai compris l'enjeu, même si je ne mesure pas réellement quelles peuvent être les suites. Je suis encore trop bleue pour cela et je n'ai jamais encore eu à défendre directement aucun de mes choix professionnels devant Mãe. Ce sont les Aurors de Rang Un, Deux ou Trois qui le font, pas les petits Rang Cinq, qui doivent être contents de pouvoir intimider (parfois) les Aspirants.
"Tes trois frères et leurs compagnes", il répète - et je vois que finalement affronter ma mère passe au second plan. A moins qu'il ne veuille pas que je m'inquiète.
"Des blagues nulles, des souvenirs qui font rougir, tout ça", je confirme.
"Ils ont quoi, vingt ans de plus que vous ?", il s'intéresse pour la première fois. Sans doute pensait-il jusque-là savoir tout ce qu'i savoir sur mes célèbres grands frères.
"Harry, quatorze et Cyrus, treize... Pas l'âge d'être nos parents", j'indique ayant toujours du mal à croire qu'il ait réellement dit oui.
"T'as des photos ?", il continue.
J'attire un album qu'il n'a jamais voulu regarder et je commente en tournant les pages :
"La femme de Harry est française - elle est belle, hein ? Elle s'appelle Brunissande. Ils ont un fils Caël qui a neuf ans et une fille de cinq, Aelys... Ils sont briseurs de sorts à leur compte, tous les deux... Ils contribuent à pas mal de recherches fondamentales de mon autre frère, Cyrus, d'ailleurs... Le voilà avec Ginny - la petite sœur de Ron que je n'ai pas besoin de te situer vu que tu as été son Aspirant. Ils ont quatre mômes. Le grand-là, ils l'ont adopté au Brésil. Ça fait deux ans maintenant - toute une aventure. Il s'appelle Aeccio. Candido, Esperanza et le petit Felix, ils les ont faits tous seuls... Ginny s'occupe de former des sages-femmes en Amazonie et de trouver des sous ici pour faire fonctionner l'affaire..."
"Je reconnaîtrai Kane", il annonce avec un demi-sourire quand je tourne la page.
"Pas de fiancée officielle pour l'instant - il pourra toujours épouser Victoire Weasley, la nièce de Gin ou Ron ; elle est folle de lui depuis qu'elle sait marcher", je commente en faisant le pitre. J'ai l'impression que s'ils étaient là, Cyrus ou Harry me gronderaient - le nombre de fois qu'ils m'auront reproché de ne pas être assez gentille avec la petite Victoire doit tenir du record familial, j'en suis sûre. Kane hausserait les épaules.
"Tu es l'aventureuse de la famille", sourit Sam en me regardant avec une sorte de curiosité retenue.
"Dis-leur ça samedi, tiens, qu'on rigole", je réponds avec un clin d'œil.
"Lequel est le plus gentil ?", enquête Samuel après quelques minutes à regarder les photos.
"Kane", je réponds sans hésiter. "Kane est la compassion et l'empathie incarnées - pire que Papa !"
Oui, j'ai glissé qu'il ne fallait pas avoir peur de Remus Lupin - on ne sait jamais, ça pourrait percoler.
"Le moins gentil ?", continue Sam comme si de rien n'était.
Celle-là demande plus de réflexion.
"Cyrus peut être le plus caustique, mais c'est aussi le plus loyal - une fois qu'il t'aura adopté, tu ne te débarrasseras pas de lui. Harry... c'est le grand frère - genre protecteur et parfois donneur de leçons... Il peut donner l'impression d'être un peu hautain, ne serait-ce que parce qu'il plane pas mal en fait - il ne te remarque pas. T'imagine qu'il n'a pas remarqué sa future femme pendant des mois ? Jolie comme elle est !?", je raconte en me souvenant combien Kane et moi avions eu du mal à prendre Brunissande au sérieux. Harry semblait alors ramener une fille différente à chaque fois qu'il passait à la maison. Tout ça paraissait si loin maintenant, même si vu tout ce qui s'était passé cette année-là, je ne risquais pas de l'oublier. "Mais il a aussi tendance à se penser coupable de tout ce qui ne va pas - si on rompt dans six mois, il se demandera si ce n'est pas sa faute !", je rajoute avec une certaine loyauté.
"Vraiment ?", s'étonne Samuel - ça colle sans doute mal avec sa vision d'un Harry Potter Lupin, ayant sauvé la communauté magique trop jeune pour ne pas avoir envie de faire tout à fait autre chose par la suite.
"J'exagère à peine", j'insiste.
"Te connaissant, t'as dû en profiter pour faire ce que tu voulais avec lui", il sourit.
J'essaie de me poser objectivement la question sans arriver à y répondre. Cyrus a souvent répété que j'étais manipulatrice ; Harry avait toujours eu plus de retenue dans ses remarques. Qu'est-ce qu'il pensait de moi, dans le fond ? Est-ce que je le savais ?
"Faudra lui demander", je propose.
"Pourquoi pas", il répond avec une pointe de décision dans les yeux.
"Pourquoi pas", je répète avant qu'une nouvelle retenue me vienne. "Faut quand même que je te dise un truc..." Samuel me regarde avec une intensité qui me fait frissonner. "Cyrus était violemment contre le fait que je devienne Auror... Il a une conception de la justice qui se... méfie des tribunaux et des justices officielles", je développe en me demandant dans quel terrain miné je me lance.
"Comment ça ? Je croyais que c'était un prof de fac, pas un malfaiteur !"
Je demande son avis au rosier en train de péricliter faute de soins devant la fenêtre. Il n'est pas d'une très grande aide - c'est un fait. On va dire qu'il me rend la monnaie de ma pièce.
"Le pourquoi ou le comment... je ne suis pas sûre de savoir te l'expliquer - ça demanderait des heures et une partie de ces histoires ne sont pas les miennes - je veux dire : c'est à lui de les raconter, ou non... Mais je voudrais juste que tu ne prennes pas d'éventuelles piques contre les Aurors contre toi."
Samuel me dévisage assez longuement - je crois qu'il pèse l'intérêt d'essayer d'en savoir plus.
"Il fait comment avec votre mère ?" est la sobre question qui finit par passer ses lèvres.
"Il dit ce qu'il pense et elle aussi", je réponds avec sincérité.
"Ça doit vous faire des dîners de famille animés", il estime un peu intimidé de nouveau.
"Si tu savais", je pouffe.
ooo
"Bon alors, la rouge ou la bleue ?", je questionne après une énième pirouette devant la glace.
"On dirait que tu choisis une robe de mariée", bâille Ma-Lî. "Excuse-moi mais les deux sont très jolies..."
"Je prends les deux", je décide avec un geste de tête de confirmation pour la vendeuse. " J'ai besoin de robes normales, pas de trucs de salon - mais tant qu'à faire, qu'elles m'aillent bien !"
"Alors t'as trouvé. T'as le trac en fait", affirme Ma-Lî. Amie ou ennemie, on ne passe pas sept années avec quelqu'un dans le même dortoir sans devenir plus ou moins transparent.
"Tu verrais comme lui panique", je commence puis je reconnais : "Si Cyrus le fait fuir ?"
"Bah, il est gentil, Cyrus, en fait", elle estime avec un haussement d'épaules.
"Tu ne faisais pas tant la maligne la première fois que tu l'as rencontré", je lui rappelle peu charitablement - mais on n'a jamais été vraiment charitables l'une envers l'autre, et c'est même sans doute la base de notre amitié.
"Mais cinq minutes après avoir bafouillé nos prénoms, on rigolait tellement qu'on avait oublié avoir eu peur", elle me rétorque. "Ça va bien se passer..."
"J'espère... sinon je n'arriverais jamais à l'asseoir face à mes parents", je me désole.
"Ça viendra tout seul, Iris ! Arrête d'en faire un test !", elle s'agace. Peut-être parce que ça fait deux heures qu'on rabâche la question.
"C'est lui qui en fait un test ! Est-ce que, dans une famille normale,..."
"Dans toutes les familles, c'est un test", me coupe Ma-Lî sans sembler embêtée de se contredire.
"Tu vas encore me dire que j'ai une famille normale ?", je souris un peu malgré moi.
"Mais oui ! Vous présentez individuellement des tas de caractéristiques assez extraordinaires mais, en tant que famille, vous êtes beaucoup plus "normaux" que vous n'êtes prêts à l'admettre!"
"C'est un avis de médecin ?"
"Ouais, on peut dire ça", elle décide avec un grand sourire. "On va manger ? J'ai presque dépassé mon heure de pause, là !"
"Allons", j'accepte en laissant les robes à ourler à la vendeuse.
On est presque arrivées au Pub quand mon miroir sonne.
"La Lumière a besoin de toi ?", se moque Ma-Li. Si son miroir avait sonné, j'aurais ironisé que Ste-Mangouste venait sans doute de s'écrouler en son absence. Peut-être que c'est révélateur de notre frustration de se savoir si peu importantes, nos blagues.
"Samuel", je réponds ayant vu l'image sur le miroir. Ma-Li ouvre la bouche mais ne trouve rien de drôle à dire. "Salut", j'enchaîne en prenant l'appel.
"Iris... je peux... on peut se voir ?", chuchote en réponse mon petit ami. L'image derrière lui change tout le temps. Il me semble qu'il est dans une rue moldue.
"Là maintenant ?", je questionne - ma voix a baissé par mimétisme.
"Où tu sais", il confirme.
"Sam, tout va bien ?", je m'inquiète - je viens de me rappeler qu'il devait voir le Commandant ce matin.
"En quelque sorte", il rigole un peu nerveusement sans réellement me rassurer.
A-t-il écopé d'une suspension ? Ça me paraît un peu disproportionné au regard de sa faute supposée. Ce n'est pas non plus une très grande gueule incapable de reconnaître ses erreurs et de ne pas se disputer avec ses chefs s'il est critiqué. Ne parlons pas du fait que ma mère pourrait être la cause de cette suspension. "J'y suis déjà en fait", il rajoute.
Le temps de faire une bise d'excuse à Ma-Lî et un transplanage plus tard, je suis à l'autre bout de Londres. Chez nous. Samuel ouvre la porte avant même que j'aie le temps de le faire.
"Ça va ?", je répète, la gorge stupidement serrée.
Il opine en m'attirant à l'intérieur de l'appartement.
"Mais oui", il affirme. "Je viens juste... Je voulais que tu l'apprennes de moi... enfin... Ta mère... Je suis promu dans l'équipe spéciale sous les ordres de Paulsen... pour l'affaire des Pierres... Elle - le Commandant - va suivre personnellement ce qu'on fait..."
"Waow ! ", je me réjouis pour lui - c'est une sacrée reconnaissance. Je note également mentalement que Robards n'a pas eu la direction de l'équipe. Le clin d'oeil de Paulsen prend un sens plus large.
"T'y es pour rien ?", est la question insidieuse qui me revient.
"Moi ?" Je tombe des nues. La colère me redresse juste derrière. "Tu... Putain, ça va te faire du bien de la voir opérer de près, crois-moi, Samuel ! Jamais - tu connais le mot "jamais" ? - elle n'accepterait que je vienne lui demander quoi que ce soit d'approchant, tu entends ? Ni une promo, ni un passe-droit, ni même une protection", je développe et, en même temps, une peur plante une graine nouvelle d'inquiétude dans mon estomac. L'enquête des Pierres... on ne prenait pas les meilleurs pour rien.
oooo
Samuel MacDermott - Serptentard, Auror de Rang Trois. Deux ans de plus que Iris .
J'espère que vous avez envie d'en savoir plus !